L’intensité
L’intensité, ou amplitude, est liée à la puissance acoustique émise par une source sonore et se traduit sur le plan perceptif par une sensation appelée sonie. L’augmentation de la sensation de sonie ne croît pas de manière linéaire avec l’augmentation d’intensité, mais selon une échelle logarithmique graduée en décibels (dB). Le niveau acoustique d’intensité en dB est défini comme : NI = 10 log (I/I0), où I est l’intensité acoustique de l’onde considérée et I0 une intensité acoustique de référence correspondant au seuil d’audition, fixée à 10-12W/m². Le seuil auditif correspond à la plus petite valeur d’intensité nécessaire pour évoquer une sensation de sonie (voir figure I.1). Le seuil différentiel ou de discrimination d’intensité caractérise la plus petite différence d’intensité susceptible d’être détectée entre deux stimuli d’intensité différente.
La durée
La définition de la durée d’un stimulus sonore est simple et traduit le temps écoulé entre son début et sa fin. Pour évaluer la sensation de durée, il est classiquement réalisé des tâches de détection de silence au sein d’un stimulus acoustique continu (gap detection), le seuil de détection correspondant à la durée minimale de silence perçue au sein d’un stimulus sonore entrecoupé d’un temps de silence donné. Ce seuil de détection est de l’ordre de 2 à 3 ms pour un bruit à large bande présenté à une intensité confortable (30 dB SPL), et augmente pour la présentation de sons purs. Entre 400 et 2000 Hz, il est ainsi d’environ 5 ms et augmente jusqu’à 18 ms pour les sons purs de fréquence inférieures à 400 Hz [Eddins et al., 1992].Lorsque les fréquences des sons encadrant le silence sont différentes, ce seuil se dégrade, de la même manière que lorsque l’intensité du stimulus acoustique se rapproche du seuil auditif. Le seuil de détection entre deux silences peut également être déterminé (gap duration que la détection de la durée du son même ou l’évaluation des fonctions de détection de modulation [Grose et al., 2001a] permettent également d’évaluer la sensation de durée. S’il est simple de définir la durée d’un son, on comprend donc que l’évaluation des capacités perceptives qui lui sont liées est complexe et pourtant fondamentale. Cet indice revêt en effet une importance toute particulière par sa contribution essentielle dans la transmission de l’information phonétique et prosodique dans le langage. C’est donc dans le contexte du langage que nous aborderons les processus impliqués dans son traitement.
Le timbre
Le timbre est un paramètre acoustique multi dimensionnel difficile à définir, et repose plutôt sur un principe d’exclusion. L’ANSI le définit comme « l’attribut de la sensation sonore permettant de juger que deux sons complexes de même intensité, fréquence fondamentale et durée de présentation sont différents» et ajoute que «le timbre dépend essentiellement du spectre sonore, mais aussi de la forme de l’onde sonore, de son amplitude, de sa localisation et des caractéristiques temporelles du stimulus». (American National Standards Institute, 1960, 45). Le timbre permet ainsi de distinguer une même note jouée par deux instruments différents. Il s’agit donc un attribut essentiellement qualitatif du son, souvent défini par un adjectif (on parle de voix « claire », « voilée », d’une sonorité « ronde » caractérisant un jeu de trompette), qui est difficilement appréhendé quantitativement par ses propriétés acoustiques. Le timbre perçu dépend ainsi des trois indices acoustiques fondamentaux que nous venons de décrire et de leurs interactions. Plusieurs travaux ayant porté sur ce paramètre se sont appuyés sur des analyses multi dimensionnelles (MDS pour Multi Dimensional Scaling) sur des matrices de dissimilarités constituées sur la base de jugements de similarité entre deux stimuli auditifs. Plusieurs espaces multi dimensionnels [Grey, 1977,McAdams et al., 1995] ont ainsi été proposés afin de représenter ces jugements et d’identifier les corrélats acoustiques qui les sous-tendent. L’étude de McAdams (1995) a permis de déterminer les dimensions sur lesquelles les sujets s’appuyaient pour juger de la proximité entre différents sons musicaux synthétiques. Le transitoire d’attaque de ces instruments, correspondant aux modifications spectro-temporelles dynamiques qui caractérisent les premières millisecondes d’un son, intervenait par exemple comme dimension discriminante. Dans d’autres études réalisées par J. Marozeau [Marozeau et al., 2003,Marozeau and de Cheveigne, 2007], F0 était identifiée comme discriminante pour une des dimensions de l’analyse MDS. L’adjectif « clair » est ainsi souvent attribué aux sons complexes harmoniques portant une F0 élevée. Plusieurs paramètres caractérisant le spectre du son ont également été identifiés comme facteurs acoustiques déterminant la perception du timbre :
-le centroïde spectral correspond à une moyenne des fréquences présente dans le spectre du son, pondérée par leur amplitude relative, qui est également corrélé à la clarté du son.
-la déviation spectrale caractérise la régularité de l’enveloppe spectrale et est associée à la sensation de richesse du son [Faure, 2000].
D’autres descripteurs temporels tels que l’impulsivité [Marozeau, 2004], qui correspond à la durée pendant laquelle l’enveloppe temporelle dépasse 40% de son amplitude maximale, ont été utilisés pour caractériser le timbre. Nous avons à ce stade décrit trois indices acoustiques fondamentaux, à la base de tout phénomène perceptif sur le plan auditif, qui ont des caractéristiques intrinsèques mais également inter déterminées. Ces indices inter agissent au sein de l’espace acoustique multi dimensionnel qu’est le timbre. Les parties suivantes de ce chapitre sont consacrées aux modalités perceptives des sons structurés, linguistiques, para linguistiques ou non linguistiques.
INFLUENCES DE LA REORGANISATION CORTICALE SECONDAIRE A LA SURDITE
La prosodie, la musique et même les bruits environnementaux font l’objet d’un traitement neuronal principalement latéralisé dans l’hémisphère droit, au niveau des régions temporales. Les phénomènes de plasticité secondaires à la surdité se révèlent particulièrement actifs dans ces régions et ont pour but de faciliter la perception de la parole. Une plasticité cross modale audition-vision touche ainsi le sulcus temporal supérieur droit, où siègent notamment les aires impliquées dans le traitement de la voix. Le recrutement de cette région pour des activités visuelles de type lecture labiale pourrait ainsi rendre compte d’une partie des mauvaises performances des patients implantés dans des tâches de détection de la voix [Massida et al., 2011] comme dans notre étude portant sur la perception du genre. Le changement de fonction des régions postérieures du gyrus temporal supérieur par des phénomènes de plasticité méta environnementaux, en faveur d’un traitement phonologique de bas niveau, encore destiné à optimiser la transmission de l’information de parole. Les phénomènes de plasticité doivent également être considérés après restauration de l’audition par l’implant cochléaire. Une restauration satisfaisante de la discrimination de la parole par implant se traduit en effet par un processus de normalisation du traitement auditif, observé plus particulièrement au niveau des réseaux fronto temporaux gauches, qui pourrait témoigner d’une réactivation, au moins partielle, de la boucle audio phonatoire. Cette ré activation progressive des réseaux fronto temporaux gauches impliqués dans le traitement de la parole pourrait également être observée pour leurs alter ego droits, à la faveur d’une rééducation ciblant les informations para et extra linguistiques. La musique pourrait être le support idéal d’une telle rééducation car, bien que les faibles performances pour la perception de la musique après implantation soient la règle, notre étude sur la catégorisation auditive a révélé des capacités de la reconnaître. Cette étude a ouvert de grandes perspectives d’une manière générale, et notamment vis-à-vis de la perception musicale. L’inclusion d’un plus grand nombre de sujets d’une part, et des recherches de corrélations entre les analyses MDS et de nouveaux paramètres acoustiques d’autre part, permettront probablement d’identifier les corrélats acoustiques des différentes dimensions en MDS. Il est possible d’imaginer des programmes de rééducation orthophonique ciblés sur la perception de ces indices. En association avec un réentraînement à l’écoute musicale, ces programmes pourraient faciliter la perception de la musique et d’autres informations para/extra linguistiques par des processus top down, dirigés par l’attention sélective. La plasticité corticale éventuellement induite par de tels programmes pourrait être monitorée par des études électro physiologiques ou en neuro imagerie fonctionnelle, en transposant des paradigmes déjà employés chez le sujet normo entendant aux sujets implantés cochléaires. L’exploration électro physiologique permettrait de déterminer, tout du moins de mieux cerner, les catégories de signaux acoustiques susceptibles d’être traitées sur le plan neuronal et d’orienter ainsi la rééducation orthophonique.
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Table des matières
Chapitre I Perception auditive des sons linguistiques, para linguistiques et extra linguistiques
1. LES INDICES ACOUSTIQUES FONDAMENTAUX
1.2 La durée
1.3 La fréquence
1.4 Le timbre
2. PERCEPTION DE LA PAROLE
2.1 Caractéristiques acoustiques des phonèmes
2.2. Structure temporelle du signal de parole
2.3 Traitement neuronal de la parole
3. PERCEPTION DE LA VOIX
3.1 Caractéristiques acoustiques de la voix
3.2 Traitement neuronal de la voix
4. PERCEPTION DE LA PROSODIE
4.1 Définitions et caractéristiques
4.2 Traitement neuronal de la prosodie
5. PERCEPTION AUDITIVE EXTRA LINGUISTIQUE : EXEMPLE DE LA MUSIQUE
5.1 Paramètres acoustiques spécifiques à la perception musicale
5.2 Traitement neuronal de la musique
Chapitre II La perception auditive chez le sujet implanté cochléaire
1. CODAGE ET RESTITUTION DU SIGNAL ACOUSTIQUE PAR L’IMPLANT COCHLEAIRE
1.2 Quel est le nombre de canaux nécessaires ?
1.2 Quel est le nombre d’électrodes effectives ?
1.3 Principales stratégies de codage
1.4 Les différents types d’implants
2. PERCEPTION DE LA PAROLE
3. PERCEPTION DES INFORMATIONS PARA ET EXTRA LINGUISTIQUES
3.1 Détection de la voix humaine
3.2 Perception des attributs de la voix liés à l’identité du locuteur
3.3 Perception des informations extra linguistiques : exemple de la musique
4. REORGANISATION NEUROFONCTIONNELLE CHEZ LE SUJET SOURD
4.1 Déficits neurosensoriels et plasticité cérébrale
4.2 Aspects comportementaux de la plasticité cérébrale des sujets sourds profonds
4.3 Réorganisation corticale chez le sujet sourd post lingual
4.4 Réactivation des aires auditives après implantation cochléaire
5. AUDITION RESIDUELLE ET IMPLANT COCHLEAIRE
5.1 Généralités-Définitions
5.2 Extension des critères audiométriques d’implantation cochléaire
6. METHODES ET PROBLEMATIQUES
6.1 Analyse des résultats
6.2 Problématique
Chapitre III Catégorisation libre de sons linguistiques, para linguistiques et extra linguistiques par le sujet implanté cochléaire
1. INTRODUCTION
1.1 La catégorisation libre : principes généraux
1.2 La catégorisation libre : méthodes d’analyse
2. MATERIELS ET METHODES
2.1 Catégorisation auditive de stimuli auditifs naturels
2.2 Population
2.3 Procédure
2.4 Analyse des résultats
3. RESULTATS
3.1 Caractéristiques des partitions
3.2 Analyses des distances entre stimuli dans les matrices de dissimilarités agrégées
3.3 Analyse de la catégorisation par arbre additif
3.4 Analyse de la catégorisation et de ses modalités par MDS
3.5 Existe-t-il des corrélats acoustiques aux modalités de catégorisation ?
4. DISCUSSION
4.1 Capacités de catégorisation chez les sujets implantés cochléaires
4.2 Principales catégories formées
4.3 Perspectives
Chapitre IV
Etude 2 : Perception de la prosodie affective par le sujet implanté cochléaire……. Reconnaissance et catégorisation des émotions
1. INTODUCTION
2. MATERIELS ET METHODES
2.1 Population
2.2 Appareillage et stimuli
2.3 Procédure
2.4 Analyse des résultats
3. RESULTATS
3.1 Description des groupes
3.2 Analyse de la pente de la courbe
3.3 Analyse du seuil C50
3.4 Analyse des réponses aux extrémités « joie » et « tristesse » du continuum
4. DISCUSSION
4.1 Déficit de la catégorisation des émotions chez le sujet implanté cochléaire
4.2 Bases acoustiques de la perception des émotions
4.3 La réorganisation cérébrale secondaire à la surdité peut-elle limiter la perception de la prosodie affective chez le sujet implanté cochléaire ?
Chapitre V
Etude 3 : Perception de la prosodie linguistique par le sujet implanté cochléaire.. Intérêts d’une stimulation bimodale
1. INTRODUCTION
2. MATERIELS ET METHODES
2.1 Population
2.2 Appareillage et stimuli
2.3 Procédure
2.4 Analyse des résultats
3. RESULTATS
3.1 Description des groupes
3.2 Perception de la prosodie linguistique
3.3 Discrimination de F0
3.4 Impact du niveau d’audition résiduelle
3.5 Relation entre le F0DL et la perception de la prosodie linguistique
4. DISCUSSION
4.1 Perception de la prosodie linguistique et audition résiduelle
4.2 Perception de la prosodie linguistique par le groupe CI only
5. ETUDE PRELIMINAIRE DE LA PERCEPTION DES INDICES VISUELS DE LA PROSODIE LINGUISTIQUE
5.1 Méthodes
5.2 Résultats
5.3 Discussion préliminaire
Chapitre VI
Etude 4 : Etude EEG de l’intégration audiovisuelle du phénomène prosodique d’accentuation
1. INTRODUCTION
2. MATERIELS ET METHODES
2.1 Population
2.2 Stimuli
2.3 Procédure
2.4 Enregistrement EEG et analyses
3. RESULTATS
3.1 Tâche comportementale de détection
3.2 Résultats EEG
4. DISCUSSION
4.1 Nature de la négativité mesurée
4.2 Les indices prosodiques visuels ont-ils un rôle prédictif ?
Chapitre VII
Etude 5 : Perception de la musique par le sujet implanté cochléaire
Parallèles avec l’amusie congénitale
1. INTRODUCTION
2. MATERIELS ET METHODES
2.1 Population
2.2 Appareillage et stimuli
2.3 Procédure et analyse des résultats
3. RESULTATS
3.1 Description des groupes
3.2 Perception de la fréquence fondamentale : F0DL
3.3 Perception de la musique par le test Amusia on line
4. DISCUSSION
4.1 La perception de la musique chez le sujet implanté cochléaire
4.2 Intérêts de l’audition résiduelle
4.3 Similitudes entre les sujets implantés cochléaires et sujets amusiques
4.4 L’étude de la perception musicale chez le sujet sourd implanté cochléaire peut-elle être utile à la compréhension de la perception musicale chez le sujet normo entendant ?
Chapitre VIII Discussion générale et conclusion
1. CODAGE ET RESTITUTION DU SIGNAL
2. INFLUENCES DE LA REORGANISATION CORTICALE SECONDAIRE A LA SURDITE
Références
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