Penser les interférences entre action publique et comportements familiaux

Au cours de la dernière décennie, la famille est devenue un enjeu récurrent dans les discours publics germaniques. La tendance à la baisse de la natalité et le recul chronique de la fécondité des femmes diplômées préoccupent non seulement les sphères politico-médiatiques, mais aussi l’immense majorité de la population. De ce fait, le Ministère en charge des affaires familiales est devenu l’objet d’un intérêt jusqu’alors inconnu au sein de la République fédérale. La nomination, en novembre 2005, d’Ursula von der Leyen au poste de Ministre fédérale de la Famille, des Personnes âgées, des Femmes et de la Jeunesse par la chancelière Angela Merkel a bouleversé le paradigme démocrate chrétien en matière d’action publique en direction des familles. La première cheffe du gouvernement, femme qui avait déclaré ne pas avoir eu d’enfant pour des raisons de carrière, a intégré à son cabinet une diplômée en gynécologie mère de sept enfants, et qui plus est, pour s’occuper des affaires familiales. La Ministre chrétienne-démocrate n’a cessé alors de dérouter au point d’être surnommée « la mère de la révolution » par un journal allemand. Après avoir initié, en 2006, une réforme du congé parental permettant à la mère ou au père de percevoir une rémunération pouvant aller jusqu’à 1800 Euros par mois pendant la première année de vie de leur nourrisson , Ursula von der Leyen a, en février 2007, proposé de tripler le nombre de places de crèche pour les enfants de moins de trois ans. Cette mesure a fini de semer la zizanie dans le jeu politique allemand. D’un côté, le parti social-démocrate se sent court-circuité sur un sujet qui était jusqu’ici traditionnellement dévolu à la gauche. De l’autre côté, cette politique volontariste heurte certains conservateurs. Ainsi, au sein même des rangs de la CDU (Union Chrétienne Démocrate) et surtout de la CSU (Union Chrétienne Sociale en Bavière), les propositions de la Ministre en faveur du congé parental pour les pères ont fait l’objet de railleries ouvertes. La controverse s’est étendue au-delà des cercles partisans. Elle a atteint l’ensemble de la société car ces mesures mettent en débat la prépondérance du rôle de la femme au foyer tel qu’il était jusqu’alors ancré dans l’imaginaire familial ouest-allemand.

Penser les interférences entre action publique et comportements familiaux 

Les interférences entre Etat et pratiques familiales individuelles : une interrogation d’inspiration durkheimienne 

La lecture des réflexions durkheimiennes à propos de l’éducation mettent en évidence le fait que le père fondateur de la sociologie française lie de façon étroite morale, famille et Etat. Ce triptyque est pensé dans une perspective évolutionniste. L’Etat serait amené à externaliser toujours davantage la fonction familiale de transmission de valeurs afin d’accroître le « degré de développement moral » des membres de la société, ceux-ci étant assimilés aux citoyens. Ce rôle attribué à l’Etat en matière d’éducation se concentre tout particulièrement sur les « jeunes générations ». Les « éducateurs » qui transmettent aux enfants des règles de conduite et leur enseignent des connaissances et des savoir-faire permettant la constitution d’« êtres sociaux » sont issus de deux sphères séparées : la famille et le service public. En effet, ce sont « les maîtres et les parents » qui sont en charge de l’éducation en tant que « socialisation méthodique de la jeune génération » permettant la transmission d’« aptitudes de toute sorte que suppose la vie sociale». L’institution scolaire suscite tout particulièrement « chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est plus particulièrement destiné ». Or, Emile Durkheim reconnaît à l’Etat un rôle essentiel et légitime dans la définition des valeurs, règles et normes défendues et transmises par des «pédagogues » dont il encadre la formation et la fonction : il dicte aux enseignants « les idées, les sentiments qu’il faut imprimer à l’enfant ». Le sociologue considère que ce « principe de l’intervention » de l’Etat dans la socialisation des enfants et adolescents ne peut être contesté car, si l’éducation a une fonction essentiellement collective et sociale, « tout ce qui est de l’éducation doit être, en quelque mesure, soumis à son action ». Même l’éducation donnée dans les établissements scolaires privés – qui, par définition, ne sont pas sous la responsabilité de l’Etat – doit donc « rester soumise à son contrôle ».

Ainsi, dans le cadre d’une définition normative de la socialisation, Emile Durkheim pense-t-il l’Etat comme une des entités participant à l’homogénéité de la société via un processus d’impression sur les citoyens de normes et de valeurs communes. Ses propos concernant le contenu des valeurs et des normes transmises restent néanmoins peu explicites. Il cite, en effet, de manière générale : « le respect de la raison, de la science, des idées et des sentiments qui sont à la base de la morale démocratique ».  La place des principes régissant la vie familiale dans cette socialisation étatique des enfants ne peut donc pas être évaluée. Néanmoins, le lien étroit existant dans la pensée durkheimienne entre Etat et transmission des normes et valeurs est indubitable :

« Le centre de gravité de la vie morale, qui résidait jadis dans la famille, tend de plus en plus à se déplacer. La famille devient un organe secondaire de l’Etat. » .

Ce lien entre encadrement étatique et représentations des membres d’une société se retrouve en filigrane dans les réflexions durkheimiennes à propos des institutions. Par exemple, dans Le Suicide, la société politique favorise l’intégration des individus en ce sens qu’elle agit en faveur de comportements en conformité avec un « modèle uniformisé de passions ».

Cette ligne de pensée traverse, de façon plus ou moins latente, les réflexions de nombreux sociologues français. Un exemple de poids est, à ce propos, la thèse défendue par Pierre Bourdieu selon laquelle les politiques sociales, et plus particulièrement les politiques familiales, mettraient en œuvre un ensemble d’institutions et de procédures visant à modeler, à uniformiser les comportements familiaux. Dans ce cadre, Pierre Bourdieu propose une conception de la famille qui serait simultanément une construction verbale et une « catégorie », un principe collectif de construction de la réalité collective.  Il fait l’hypothèse que la famille est un principe de construction lui-même socialement construit qui serait commun à tous les agents socialisés d’une certaine manière (habitus). La famille comme catégorie sociale objective est le fondement de la famille comme catégorie subjective, catégorie mentale, qui est le principe de milliers de représentations et d’actions qui contribuent à reproduire la catégorie sociale objective. Le cercle ainsi formé est, à ses yeux, celui de la reproduction de l’ordre social. La famille jouerait donc un rôle déterminant dans le maintien de l’ordre social, dans la reproduction, non seulement biologique, mais aussi sociale, c’est-à-dire dans la reproduction de la structure de l’espace social et des rapports sociaux. Ainsi, la perspective bourdieusienne d’une « vision d’Etat » accorde-t-elle au politique un rôle majeur pour la production et la diffusion des principes de vision et de division, donc dans la constitution des catégories de pensées des individus. Par conséquent, l’Etat imposerait, entre autres choses, les catégories de pensée appliquées par les agents sociaux aux faits familiaux :

« Dans nos sociétés, l’Etat contribue pour une part déterminante à la production et à la reproduction des instruments de construction de la réalité sociale. En tant que structure organisationnelle et instance régulatrice des pratiques, il exerce en permanence une action formatrice de dispositions durables, à travers toutes les contraintes et les disciplines corporelles et mentales qu’il impose uniformément à l’ensemble des agents. En outre, il impose et inculque tous les principes de classement fondamentaux, selon le sexe, selon l’âge, selon la « compétence », etc., et il est, au principe de l’efficacité symbolique de tous les rites d’institution, de tous ceux qui sont au fondement de la famille par exemple » .

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Table des matières

INTRODUCTION
1. Penser les interférences entre action publique et comportements familiaux
1.1. Les interférences entre Etat et pratiques familiales individuelles : une interrogation d’inspiration durkheimienne
1.2. Interroger l’action publique en termes de construction identitaire familiale
1.3. Réfléchir à partir d’un groupe à la marge : les « mères seules célibataires »
2. Quand comparaison rime avec Raison(s)
2.1. La comparaison comme outil sociologique
2.2. La comparaison comme stratégie réflexive
2.3. Le choix d’unités de comparaison « à l’horizon limité »
3. Les maternités solitaires : état de la recherche sociologique en France et en Allemagne(s)
3.1. Les mères sans compagnon : un sujet sous l’emprise de l’Etat en RDA
3.2. Les similitudes entre les analyses sociologiques françaises et ouest-allemandes
3.3. Revue des travaux consacrés aux mères célibataires
4. Vers une méthode qualitative adaptée
4.1. Penser par étapes
4.2. Cadre méthodologique et analytique de l’étude empirique
4.3. Conception et démarche de l’enquête
CONCLUSION

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