Déconstruire les stéréotypesdès la maternelle
Au regard des travaux universitaires menés depuis les dernières décennies du XXe siècle, il apparaît nécessaire voire indispensable de s’emparer des normes de sexe pour les interroger et les déconstruire avec les élèves dès la maternelle.
Cette démarche s’inscrit dans le cadre du référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation qui précise que le/la professeur·e doit « se mobiliser et mobiliser les élèves contre les stéréotypes et les discriminations de tout ordre, promouvoir l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes ». Ainsi, il paraît utile d’agir à la fois sur les processus interactionnels quotidiens à l’œuvre entre l’enseignant·e et les élèves mais également sur les choix pédagogiques qui sont arrêtés. En maternelle, il semble que le jeu et la littératuresoient des vecteurs clés dans la construction de l’identité des jeunes élèves. Aussi, ce sont ces deux domaines qui seront observés au cours de cette étude.
Rôle du jeu dans le développement de l’enfant
Selon Gilles Brougère,professeur en sciences de l’éducation,« dans le jeu, l’enfant cherche et trouve un lieu d’excitation et de plaisir, de convivialité, d’alternative à la vie ordinaire et de fiction ». Mais le jeu peut aussi être envisagé selon le prisme des chercheur·e·s qui l’envisagent également comme un support d’apprentissage. Ainsi, les programmes publiés en 2015 pour l’école maternelle considèrentle jeu de la manière suivante : (il) permet aux enfants d’exercer leur autonomie, d‘agirsur le réel, de construire des fictions et de développer leur imaginaire, d’exercer des conduites motrices, d’expérimenter des règles et des rôles sociaux variés. Il favorise la communication avec les autres et la construction de liens forts d’amitié. Il revêt diverses formes : jeux symboliques, jeux d’exploration, jeux de construction et de manipulation, jeux collectifs et jeux de société, jeux fabriqués et inventés, etc.
De nombreux champs disciplinaires ont en effet montré tout au long du XXe siècle que le jeu est un outil fondamental dans le développement de l’enfant dont l’école maternelle s’est emparée pour contribuer à multiplier les expériences enrichissantes et participer à la formation d’une pensée singulière pour chacune.
Dans notre propos, nous nous intéresserons en particulier au jeu symbolique pour lequel la reproduction des stéréotypes de genre prend tout son sens. Selon Marie-Hélène Plumet, maîtresse de conférence en psychologie du développement à l’Université Paris Descartes Sorbonne, « faire semblant » est une manière pour l’enfant de représenter des objets, des situations de façon décontextualisée. Il s’agit pour elle/lui de mettre en œuvre une représentation imaginaire du réel.Lejeu symbolique ou de fiction est donc un outil de compréhension mais aussi de prise de distance vis à vis du monde tel que l’enfant le perçoit. Il permet également d’éprouver le plaisir de communiquer entre pairs ou avec un adulte et met en lumière la puissance que confère le langage, il s’agit donc une activité très sociale.
Parmi les nombreuses capacités sociales exercées par le jeu, relevons celle de la théorie de l’esprit qui est un concept défini par les psychologues et qui désigne la capacité à inférer les états mentaux des autres autour de soi.Il met ainsi en œuvre des compétences sociales fondamentales qui se développent progressivement chez les enfants de maternelle et qui vont leur permettre de se décentrer et de comprendre que les pairs comme les adultes qui les entourent peuvent avoir une représentation du monde très différente de la leur. De plus, le jeu symbolique revêt un aspect émotionnel important puisqu’il peut permettrede réguler les émotions qui parfois envahissent les jeunes enfants et faire ainsi office de catharsis en situation de crise. Cependant, les jeux d’imitation sont aussi des jeux au cours desquels les enfants renforcent les rôles sociaux et donc les rôles de sexe. Le jouet, support du jeu,devient alors un vecteur des normes de genre et donc d’une différenciation hiérarchisée selon le sexe.En effet, comme le souligne Mona Zegaï,doctorante en sociologie au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris -Cultures et sociétés urbaines (CRESPPA-CSU) à l’Université.
Paris VIII
Les jouets sont un objet privilégié pour l’étude des catégories de genre. En eux se cristallisent une multitude de représentations sociales liées aux rôles et identités traditionnellement associés à chaque sexe et beaucoup plus marqués que dans la réalité.
En effet, la sociologie a montré la force des stéréotypes de genre dans le monde des jouets, accentuée par une catégorisation selon le sexe des enfants apparue dans les catalogues au début des années 1990. Le message adressé aux acheteurs et aux acheteuses est encore appuyé par des argumentaires qui soulignent aux unes qu’elles pourront imiter maman et aux autres qu’ils feront comme papa. Ainsi, non seulement les fabricants et les commerçants de jouets reproduisent les inégalités sociales mais ils vont bien plus loin en organisant leurs discours autour de la division sexuée du monde. Comme le montre Mona Zegaï dans un de ses travaux « les inégalités sociales sexuées que l’on peut constater dans le monde réel ne sont pas simplement « reproduites » dans le monde ludique mais exacerbées. (…) les femmes sont presque uniquement présentées comme des mères et des ménagères (…) et absentes de la vie active malgré le fait qu’elles représentent près d’un actif sur deux en France». Ce faisant, l’industrie du jouet rétrécit incontestablement les univers oniriques que se construisent les enfants et par là, leurs ambitions qui viennent buter contre les frontières du genre.Tous les outils marketing déployés pour vendre plus et pour capter les acheteurs/acheteuses (enfants et parents) agissent donc comme autant d’injonctions à respecter et à se conformer aux stéréotypes de genre.
Aussi, pour l’enseignant·e qui souhaiterait utiliser le jouet comme support à des apprentissages scolaires, il s’agira de prendre en compte cette réalité très prégnante de la catégorisation sexuée outrée des jouets et de la déconstruire avec ses élèves pour libérer les enfants de cette contrainte et les laisser déployer toutes leurs envies et la puissance de leur imaginaire.
Place de la littérature dans la construction de l’enfant
Si la littérature jeunesse fait une entrée tardive dans les programmes scolaires (2002), son rôle dans la construction identitaire de l’enfant n’est pourtant plus à démontrer. Les albums permettent, en effet, de mettre en mots et en images le monde et les émotions qui parcourent les enfants dès leur plus jeune âge. Ils constituent également des outils de socialisation et de culture qui interviennent dès les tous premiers mois de la vie d’un·e enfant. Sophie Van Der Linden, critique en littérature pour la jeunesse,définit en ces termes l’album de jeunesse :
Une forme d’expression présentant une interaction de textes et d’images au sein d’un support caractérisé par une organisation libre de la double page, une diversité de réalisation matérielle et un enchaînement fluide et cohérent de page en page.
L’album a en effet l’intérêt de présenter une double narration prise en charge à la fois par le texte et les images qui offrent un support privilégié de découvertes et d’apprentissages pour les jeunes enfants, par ailleurs recommandé par le ministère de l’Éducation nationale. De fait, il apparaît comme un outil très adapté pour développer les capacités langagières à condition que l’enseignant·e s’attache à permettre à chacun·e d’accéder à la compréhension du récit.Ainsi, les instructions officielles demandent que des critères importants tels que la qualité et la quantité du texte, la nature des illustrations, le rapport texte-image, l’univers de référence, la complexité du schéma de l’histoire et de sa structure, le nombre de personnages, la clarté de leurs états mentaux ou la position du narrateur soient pris en compte pour choisir une œuvre à étudier en classe. Cependant, à cette liste de recommandations pourrait être ajoutée une vigilance égale sur le sexe des personnages et sur les représentations sexuées véhiculées dans l’album. En effet, la littérature enfantine n’est pas exempte de sexisme,comme le démontre notamment l’étude des démographes et sociologues Sylvie et Isabelle Cromer etCarole Brugeilles parue en 2002. Les travaux de ces trois chercheuses ont porté sur 537 albums destinés aux enfants de moins de dix ans parus en France en 1994. D’une part, ils montrent que les impératifs de rentabilité engendrent une standardisation outrée. Et d’autre part, ils mettent en évidence une nette domination masculine ainsi qu’une hiérarchie établie entre les sexes par les rôles des personnages. La conclusion de l’étude est sans appel.
Basés sur la suprématie du masculin et le poids de la génération adulte, induisant hiérarchisation des sexes et différenciations subtiles de rôles, les albums illustrés véhiculent des rapports sociaux de sexe inégalitaires. La littérature de jeunesse n’est pas anodine, comme le laissent croire le chatoiement de graphismes recherchés et la variété du peuple des personnages. Elle contribue à la reproduction et à l’intériorisation de normes de genre.
Penser l’égalité : deux projets interdisciplinaires conçus dans deux écoles maternelles toulousaines
Les chercheur·e·s en sciences humaines s’accordent donc pour affirmer que la mixité scolaire ne suffit pas à instaurer l’égalité et qu’un enseignement explicite de celle-ci est nécessaire. Cependant, est-ilen mesure de contrebalancer les modèles de domination masculine qui s’imposent hors de l’école ? Et doit-il être mis en œuvre dès la maternelle alors que le développement des enfants ne leur permet pas toujours d’avoir conscience de la pérennité de leur identité sexuée ?
L’observation d’un dispositif mis en œuvre sur l’ensemble d’une école et la conception et l’expérimentation d’un projet destiné à deux groupes d’élèves de grande section devraient permettre de recueillir des données utiles et d’apporter des éléments de réponses.
Deux écoles pour deux contextes différents
Ainsi, pour mener à bien mon étude, j’ai souhaité recueillir les résultats d’un dispositif mené par l’ensemble d’une école maternelle du centre ville toulousain (école maternelle Maurice Bécanne) qui accueille quatre classes en multi-niveaux et qui avait l’ambition au cours de l’année scolaire 2016/2017 de déconstruire les stéréotypes de genre notamment par les jeux symboliques. Par ailleurs, j’ai également choisi de concevoir un projet autour de la littérature de jeunesse destinéà deux groupes d’élèves de grande section issus de deux classes d’une autre école maternelle toulousaine inscrite en Réseau d’éducation prioritaire (école maternelle Ferdinand de Lesseps)et dans laquelle j’enseigne en tant que professeure des écolesstagiaire.
Des jeux symboliques contre les stéréotypes à l’école maternelle Maurice Bécanne
Le dispositif « Jeux et genre », dont je souhaite décrire et analyser un volet, a été mis en œuvre dans l’ensemble des quatre classes de l’école d’application Maurice Bécanne où enseigne ma maîtresse formatrice. Cette école se situe au centre ville de Toulouse. Elle présente une sociologie plutôt favorable puisque 30% des parents de l’école sont cadres, 65% sont employés et 5% sont sans emploi. Ce projet fait suite à une formation dont l’ensemble de l’équipe enseignante a bénéficié auprès d’Artemisia, un bureau d’étude et organisme de formation agréé spécialisé sur la promotion de l’égalité femmes/hommes, filles/garçons.
Le dispositif « Jeux et genre » a été mis en place pour toute l’année scolaire 2016/2017. Il porte, d’une part, sur l’étude d’un réseau d’albums qui visent la déconstruction des stéréotypes de genre et qui a couru sur trois semaines en période 2 . Cinq ouvrages ont été exploités et discutés au cours de cette séquence destinée au groupe d’élèves de 4/6 ans : Dinette dans le tractopelle, de Christos et Mélanie Grandgirard ; A quoi tu joues ? de Marie-Sabine Roger et Anne Sol ; Menu fille ou menu garçon ? de Catherine Proteaux et Thierry Lenain ; Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi ? de Delphine Durand et Thierry Lenain ; T’es fleur ou t’es chou ? de Gwendoline Raisson et Clotilde Perrin. Tous ont en commun d’interroger les frontières entre les genres à travers la question des jeux.
D’autre part, les enseignantes avaient également programmé l’élaboration d’une exposition présentée dans les couloirs de l’école avant les vacances de Noël et intitulée « Des jeux pour les enfants ». Ce volet arts visuels du projet a concerné aussi bien les élèves de 2/4 ans que ceux/celles de 4/6 ans et a été travaillé en classe pendant deux semaines ; il a permis la production d’une fresque intégralement peinte en bleu et en rose, ces deux couleurs étant séparées par des bandes blanches ornées de motifs géométriques. Les élèves ont ensuite collé dans les différentes zones bleues et roses des jouets découpés dans des catalogues, sans se préoccuper de la couleur de fond. Ainsi, jouets dits de fille et jouets dits de garçon se sont trouvés mêlé . De plus, tous et toutes ont été encouragé·e·s à apporter à l’école un ou des jouets inusités afin de créer avec et par accumulation des compositions originales mêlant encore indistinctement tous les jouets. Enfin, le projet a aussi permis de mettre en place des aménagements spécifiques des salles de classes qui ont proposé en alternance à chaque période exclusivement des jeux symboliques dits de garçons ou au contraire des jeux dits de filles dans les différents espaces dédiés des classes. C’est ce volet du dispositif qui a retenu mon attention et qui sera l’objet d’une analyse dans la suite de cette recherche. Notons cependant qu’en raison des contraintes imposées par la responsabilité d’une classe à mi-temps en parallèle du cursus de master 2, je n’ai été en mesure de recueillir des résultats que pour une des quatre classes de l’école Maurice Bécanne.
L’école maternelle Ferdinand de Lesseps comme terrain d’expérimentation
L’école maternelle Ferdinand de Lesseps est le terrain d’expérimentation du projet que j’ai conçu. Elle appartient à la circonscription HG 24, Éducation prioritaire –Politique de la ville de l’académie de Toulouse. Elle est implantée au cœur du quartier toulousain des Pradettes et classée en REP (Réseau éducation prioritaire) depuis 2015. Dans le projet d’école 2014-2018, l’analyse qui est dressée de l’environnement de l’école fait les constats suivants : paupérisation et précarisation d’une partie de plus en plus importante de la population de l’école avec une augmentation du nombre d’enfants primo-arrivant·e·s, du nombre d’enfants de familles non francophones et de situations familiales extrêmement difficiles. Ainsi,pour l’année scolaire 2013-2014, 6% des parents étaient cadres, 35% étaient issus de professions dites intermédiaires et 59% étaient sans travail.
Pour répondre à ces problématiques sociales, l’équipe enseignante affiche une grande stabilité, travaille en complète cohérence et a fait le choix de constituer des classes de cycle (petite section/moyenne section/grande section, PS/MS/GS) afin de mieux différencier les apprentissages et d’offrir un cadre rassurant et bienveillant aux enfants qui restent dans la même classe et auprès de la même enseignante tout au long du cycle.Cependant, suite à la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école en 2013 et à l’importance donnée au développement de la scolarisation des enfants de moins de 3 ans, en particulier dans les milieux populaires, une classe de toute petite section/petite section (TPS/PS)a été créée à la rentrée 2016 afin de répondre aux besoins spécifiques de ces très jeunes enfants.
Séance4 : Découverte de l’album Dînette dans le tractopelle
La quatrième séance conduite devant le groupe 1 a suscité beaucoup d’enthousiasme chez les élève .Il portait sur la découverte de l’album Dînette dans le tractopelle et j’avais choisi que nous le feuilletions d’abord page après page en demandant aux enfants d’émettre des hypothèses à partir des images avant de le lire. L’exercice a été une réussite,d’une part,parce que les enfants présent·e·s ont participé avec entrain et d’autre part parce que toutes les hypothèses qui ont été émises se sont avérées justes à la lecture du livre. Il semble en effet que la qualité des illustrations et le thème des jouets,très familier des enfants,aient facilité l’interprétation.Par ailleurs, un travail de plusieurs mois sur les émotions mené dans toutes les classes de l’école a manifestement aiguisé le regard des élèves qui s’attachent désormais à observer avec attention la physionomie des personnages et leurs expressions. De fait, il/elles ont d’emblée repéré les couleurs dominantes (bleu et rose), et ont très bien compris les états mentaux des personnages. Ainsi, lorsqu’Annabelle tourne sa page pour apercevoir celle des garçons, Chayma remarque qu’ « elle a l’air étonnée ».De même, lorsque Grand Jim et Annabelle se retrouvent face à face pour la première fois, Lina note « i sont timides ». Par ailleurs, à la découverte de la fin de l’album, lorsque tous les personnages se mélangent quel que soit leur sexe et jouent indifféremment aux jouets habituellement destinés aux unes et aux autres, la plupart des filles du groupe ont littéralement sauté de joie sur leur chaise, Chayma disant « ah i sont mélangés j’ai vu du violet » et Samar ajoutant « y’a un dinosaure et y’a une fille avec le garçon » ;elles semblaient aussi enthousiastes comme spectatrices que les personnages jouant dans l’album.De plus, toutes et Evan ont montré beaucoup d’attention au moment de la lecture, pressé·e·s de savoir si leurs hypothèses étaient justes ou non et ont manifesté leur satisfaction lorsqu’elles s’avéraient correctes. Néanmoins, lorsqu’à la fin de l’atelier j’ai annoncé que la semaine suivante il/elles devraient fabriquer leur propre catalogue violet avec la contrainte que chacun·e devrait sélectionner trois jouets dits de fille et trois jouets dits de garçon qui leur faisaient envie, Evan s’est tout à coup renfrogné et a dit « moi je le ferai pas ». Les filles, quant à elles, étaient unanimement ravies.
Dans le second groupe, cette même séance a marqué un tournant dans le projet . En effet, les trois filles qui restaient en retrait jusque là ce sont mises à prendre la parole et à être réellement actives dans les échanges. De son côté,le garçon pour qui le sujet semblait tellement bouleversant qu’il s’agitait continuellement sans être capable de participer a pu également intervenir à plusieurs reprises et de manière tout à fait pertinente. Par ailleurs, comme pour le groupe précédent, les élèves ont beaucoup apprécié d’avoir à lire les images et à émettre des hypothèses sur les actions des personnages avant d’entendre l’histoire. De plus, ils/elle sont très vite repéré qu’au début de l’album le monde des filles et le monde des garçons vivaient séparément. En revanche, j’ai pu relever que lorsque les deux personnages principaux –Grand Jim et Annabelle – se rencontrent, la plupart des élèves l’ont immédiatement interprétée comme une rencontre amoureuse. Ainsi, Nancy a dit « oh ils vont être amoureux », ZineEddine a ajouté en parlant de Grand Jim« il a l’air amoureux parce qu’il a les joues rouges » et Meriem a renchéri en s’adressant à Colin « Tu vois i sont amoureux j’te l’avais dit ». De même, dans le premier groupe, cette idée de romance entre les deux personnages a émergé dès la couverture lorsque Lina y a vu « une fille qui fait la théière elle est amoureuse d’un garçon ». Puis de nouveau lorsque les personnages se rencontrent Samar a dit « maintenant i sont amoureux ». Les élèves réagissent donc comme si seule une relation amoureuse pouvait expliquer une rencontre entre fille et garçon. Pourtant, eux-mêmes témoignent par ailleurs de leurs amitiés nouées avec des enfants de l’autre sexe comme le fait Colin dès la première séance : « et ben à la cour Nancy elle joue avec moi et Nayla ».En réalité, la pensée de ces filles et ces garçons semble conduite par les stéréotypes dont elles/ils sont abondamment nourris par les différents médiateurs culturels auxquels elles/ils sont confronté·e·set elles/ils ne paraissent pas toujours faire de lien avec leur propre vécu, leurs propres expériences. Il est vrai, cependant, que pour la majorité d’entre elles/eux le premier modèle de relation homme/femme est celui du couple parental à partir duquel elles/ils construisent leurs représentations.
Limites de l’expérimentation
Par conséquent, malgré la satisfaction d’avoir mener à bien cette expérimentation et d’avoir constaté l’engagement des élèves dans ce projet, j’en ai également relevé les nombreuses limites. Elles trouvent leurs racines dans la courte durée de mon expérimentation, dans l’absence de certain·e·s à quelques séances, dans l’âge des élèves,et bien sûr à mon manque d’expérience dans le métier.
La première faiblesse de cette expérimentation relève donc de sa nature même et du fait qu’il s’agisse d’une sorte de parenthèse parmi tous les apprentissages des élèves. De fait, il semble évident que pour être efficiente, la lutte contre les stéréotypes de genre doive être menée sur le long cours plutôt que de façon ponctuelle, de sorte que les élèves intègrent cette réalité comme une donnée évidente et qu’ils/elles s’autorisent à agir librement plutôt que selon des schémas contraints et imposés par le cadre social.Le rôle de l’enseignant·e est bien d’accompagner les élèves dans la compréhension de la complexité du monde et de soi, il/elle doit donc offrir à chacun·e les mots pour exprimer ses émotions, pour penser le monde et soi-même et garantir l’estime de soi et des autres,tout en respectant les étapes de développement de l’enfant telles que décrites par les chercheur·e·s. Pour cela, il paraît important de mettre en œuvre des temps d’apprentissages explicites sur l’égalité ou sur la mise en lumière des discriminations tout au long de la scolarité obligatoire. Mais il est surtout indispensable d’agir en cohérence avec ces apprentissages au jour le jour, en féminisant la langue autant que possible, en gardant cet impératif d’égalité en tête pour rejeter les réflexions sexistes, en s’imposant de ne jamais favoriser ou disqualifier un ou une élève selon son sexe, de toujours les envisager comme des personnalités originales et libres.Il s’agit aussi de penser ses enseignements en garantissant à chacun et à chacune d’y trouver des modèles auxquel·l·e·s s’identifier et par conséquent de mettre en avant autant de femmes que d’hommes dans toutes les disciplines.
En outre, j’ai déploré plusieurs fois au cours de l’expérimentation l’absence ponctuelle de certain·e·s élèves, les privant de la compréhension globale et entière de l’enseignement dispensé et rendant ses résultats moins probants.
Par ailleurs, j’ai pu noter tout au long du projet que d’une séance à l’autre, les élèves ne retenaient pas toujours les points les plus importants mais parfois des éléments anecdotiques. Ce constat tient peut-être au fait que les élèves avec lesquel·l·e·s j’ai travaillé sont très jeunes et éprouvent encore de grandes difficultés à développer un esprit de synthèse.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. CONTEXTE SOCIÉTAL
A. Une mixité scolaire qui n’impose pas l’égalité
B. Une société partout dominée par le masculin qui impose des normes de genre encore très stéréotypées
C. La construction de l’identité sexuée à l’âge de la maternelle
II. DÉCONSTRUIRE LES STÉRÉOTYPES DÈS LA MATERNELLE
A. Le rôle du jeu dans le développement de l’enfant
B. La place de la littérature dans la construction de l’enfant
III. PENSER L’ÉGALITÉ : DEUX PROJETS INTERDISCIPLINAIRES CONÇUS DANS DEUX ÉCOLES MATERNELLES TOULOUSAINES
A. Deux écoles pour deux contextes différents
1. Des jeux symboliques contre les stéréotypes à l’école maternelle Maurice Bécanne
2. L’école maternelle Ferdinand de Lesseps comme terrain d’expérimentation
B. Présentation des projets étudiés
1. Penser l’égalité par observation du dispositif « Jeux et genre »
2. Penser l’égalité pour l’enseigner à l’école maternelle F. de Lesseps
IV. ENSEIGNER L’ÉGALITÉ : MISE EN ŒUVRE DES EXPÉRIMENTATIONS ET ANALYSE
A. Observer le dispositif mis en place à l’école Maurice Bécanne
1. Quelques éléments d’analyse
2. Limites de ces observations
B. Enseigner l’égalité à l’école Ferdinand de Lesseps
1. Déroulement de la séquence « Des récits de fiction pour construire l’égalité entre filles et garçons »
a. Séance 1 : Recueil des représentations, quelles différences entre filles et garçons ?
b. Séance 2 : Découverte de l’album Péronnille la chevalière
c. Séance 3 : Étude de l’album La dictature des petites couettes
d. Séance 4 : Découverte de l’album Dînette dans le tractopelle
e. Séance 5 : « Je fabrique mon propre catalogue de jouets violet »
f. Séance 6 : Élire son album préféré et justifier son choix
2. Limites de l’expérimentation
CONCLUSION
TABLE DES ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE
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