Assistance et droit humanitaire pour les victimes de catastrophes
La théorie de l’intervention humanitaire trouve son origine en Europe dans la philosophie humaniste du siècle des Lumières. Elle est portée par Henry Dunant, fondateur du Comité international de la Croix-Rouge (1875), suite à la bataille de Solferino en 1859. L’auteur, dans son récit de guerre Un souvenir de Solférino, met en avant deux objectifs. Tout d’abord, la création dans tous les pays de sociétés de secours pour secourir les blessés et, d’autre part, la formulation «d’un principe international, conventionnel et sacré». La signature en 1864 de la première convention de Genève marque les prémices du droit humanitaire et de la protection des blessés en temps de conflits armés.
Suite à la création des premières organisations humanitaires de la Croix-Rouge, organisation mondiale autours de l’aide humanitaire et de la protection juridique des victimes, le mouvement humanitaire se diversifie. Il est marqué par un fort engouement de la part de la société civile et par la création de multiples ONG lors de la première moitié du XXe siècle.
Oxfam UK est créé en 1942 et Care USA en 1945 à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ces ONG sont nées en réaction au génocide des juifs par les nazis, dès la fin des années 1940, afin que le droit humanitaire protège non plus seulement les militaires mais aussi les civils. Cette fin des années 1940 sera en parallèle marquée par la création des Nations unies, dont le Conseil de sécurité est aujourd’hui en charge de défendre les populations en souffrance par des résolutions pénales et des conventions. Si l’on parle des souffrances humaines comme l’origine de l’intervention humanitaire, qu’en est-il des victimes de «catastrophes» ? Pourquoi ont-elles été si longtemps absentes des politiques humanitaires ? Une catastrophe naturelle n’est pas une crise comme les autres ? Nous mettons en avant que l’on pardonne sûrement plus facilement à la nature qu’aux hommes et qu’à cet égard, il semble que l’humanitaire se soit attaché à secourir en premier lieu les victimes de guerre de par l’émotion que ces dernières renvoyait.
Penser les catastrophes. De la construction sociale des risques à la notion de prévention
La prise de conscience des années 1980, marquée par des catastrophes technologiques tragiques mais aussi les famines récurrentes en Afrique, va révéler la nécessité de trouver de nouveaux mécanismes de réponse dans l’humanitaire. Or ces leviers, pour être pertinents, vont questionner dans un premier temps les facteurs de vulnérabilité des populations.
Facteurs qui ne sont plus à chercher seulement dans les phénomènes naturels mais aussi au sein même des sociétés.
Les catastrophes de la fin du XXe siècle vont alors venir confirmer la pensée des chercheurs en sciences sociales de cette époque comme U. Beck, professeur de sociologie à l’Université de Munich et auteur de La société du risque : sur la voie d’une autre modernité. Un ouvrage paru en Allemagne en 1986 qui fit grand bruit alors que le nuage de Tchernobyl se propageait sur l’Europe. L’auteur y expose une analyse critique de la modernisation des sociétés contemporaines. U. Beck met en avant l’idée que la production sociale de richesse est systématiquement corrélée à la production sociale de risque. La modernité, censée apporter bien-être et sécurité, est vécue comme productrice de nouveaux risques. L’auteur, en se prononçant en faveur d’un État supranational et d’un gouvernement mondial, met en avant le concept de «modernité réflexive», comme une modernité qui serait entrée dans une phase de réflexion sur ses propres modèles de développement. Notons que le paradigme de catastrophe, qui ne serait plus naturelle mais humaine, est soutenu actuellement «par un lobbying de chercheurs au sein des Nations unies qui s’inquiètent des coûts économiques des catastrophes».
La prévention des catastrophes va ainsi connaître une réelle ampleur dans les différents domaines de recherche notamment en économie et dans les sciences politiques. «La prévention a fait son apparition en force dans les années 1990, parallèlement aux rapports qui montrent, chiffres à l’appui, qu’il serait moins onéreux d’investir dans des opérations visant à prévenir les événements, ou du moins à diminuer leurs conséquences, que de devoir financer des opérations de secours et de reconstruction». Dans l’humanitaire, cela se traduit par de nombreuses études qui plaident pour une institutionnalisation des liens entre les secteurs de l’urgence et du développement. Comme le démontre la création du centre de recherche français Groupe URD (Urgence Réhabilitation Développement) en 1993.
La résilience, entre rebond des systèmes et absorption des chocs, une dimension positive de la gouvernance des catastrophes
Le concept de résilience, entre réduction des risques et prévention des catastrophes, intègre une dimension positive de l’aide. Positive au sens où par son interprétation très large pour de nombreux chercheurs, praticiens et décideurs politiques58, il ne fige ni les trajectoires de vie des foyers ni les multiples évolutions des systèmes socio-écologiques.
Dans un premier temps, notons que la résilience en écologie est un corps à deux têtes selon que l’on considère la résilience comme la capacité d’absorption d’un choc ou comme la distance qui sépare un modèle d’un autre. L’une comme l’autre de ces figures interrogent aussi bien le mouvement que les liens entre les différentes entités du système pour permettre tantôt l’absorption tantôt le rebond.
Dans un second temps nous mettons en lumière le sociologue anglais A. Giddens et sa «théorie de la structuration». Une analyse de l’agent et de la structure dans la construction des réalités sociales. Il en conclut que ni l’un ni l’autre n’ont la primauté. Pour l’auteur, les individus sont des agents qui reproduisent avec plus ou moins de liberté la structure sociale et qui la bouleversent par la même occasion. Selon lui, les individus font la société en même temps qu’ils sont contraints par celle-ci. L’agent et la structure ne peuvent être analysés de manière séparée. Pour mettre en contexte sa pensée, nous soulignons que la gouvernance des catastrophes ne peut s’analyser sans les agents qui la composent et qui concourent à la rétablir et à en modifier ses structures au travers de la gestion des crises. Nous analyserons ainsi des trajectoires de vie des foyers au Bangladesh pour en appréhender les diversités et contenus qui concourent à modifier la manière dont l’aide doit être acheminé. Nous défendrons alors que l’idée de résilience tend à devenir une méthode de l’approche systémique entre agents et structures au travers d’une dimension socio-écologique spécifique (local et endémique), systémique (cyclique et en interaction continue) et enfin synchronique (convergence multi acteurs).
De la vulnérabilité des sociétés aux sociétés du risque
Nous mettons en avant l’idée que la vulnérabilité des foyers aux catastrophes socio-climatiques est un phénomène socialement construit. Nous faisons le choix de revenir sur les théories dominantes relatives à l’évolution de l’idée de risque des sociétés contemporaines. Ce qui nous permet de proposer que la vulnérabilité des sociétés est attribuable à la nature des phénomènes, mais aussi aux mécanismes endogènes qui créent parfois de nouveaux risques en voulant pallier les anciens. Les années 1980 sont marquées par de nombreuses et tragiques catastrophes socio–climatiques, qui vont accentuer les recherches sur les facteurs qui rendent les sociétés vulnérables. C’est aux côtés des recherches sur la vulnérabilité des sociétés aux catastrophes industrielles et socio-naturelles que la notion de risque va prendre une ampleur considérable dans les recherches en sciences sociales. Deux théories vont s’opposer et se nourrir mutuellement. La première conduite par des valeurs de progrès et d’innovations techniques et la seconde se questionnant sur lesdites valeurs pour réduire la vulnérabilité des sociétés face aux risques.
Ulrich Beck, professeur à l’Université de Munich et à la London School Economics, publie en 1986 La société du risque. Pour l’auteur, nous ne sommes plus face à des risques (aléas, signes de Dieu, etc.), mais dans les risques. Les risques sont l’essence même de nos sociétés et leur talon d’Achille. Dans la logique de U. Beck, les risques s’auto-entretiennent dans les sociétés dites modernes car, en cherchant à les maîtriser, la technicité (comme finalité) concourt à la création d’autres risques. La science a ses limites face aux aléas de la nature. Elle produit des incertitudes sur l’impact social de ses innovations dès qu’elle tente de prédire ou de bouleverser la nature même des choses. Nos observations dans la zone des Sundarbans confirment cette pensée entre innovations et questionnements sur les valeurs de progrès portés par les principaux acteurs politiques et économiques.
Quel sens donner au concept de résilience dans l’humanitaire ?
L’évolution des sciences sociales et naturelles pour déterminer les causes et impacts de la vulnérabilité des sociétés aux catastrophes va nourrir de nouvelles réflexions sur la gouvernance des catastrophes socio-climatiques. Ce qui va permettre, aux côtés des recherches sur la vulnérabilité des sociétés, d’intégrer dans l’humanitaire le concept de résilience, deux décennies plus tard. Notons que les liens entre résilience et vulnérabilité sont souvent mis en avant dans la littérature par une approche intégrée et complexe des écosystèmes et de la relation qu’entretiennent les sociétés avec leur environnement. Avec la polémique toujours d’actualité entre résilience sociale et résilience des systèmes socio-écologique (SES).
Une distinction entre résilience des SES et résilience sociale est ici cruciale pour appréhender l’idée de résilience au travers de la gouvernance des catastrophes. La résilience des SES définie par C. S. Holling et ses prédécesseurs désigne la capacité des SES à maintenir leurs fonctions et structures en cas de perturbations, tout en étant capable de s’auto-organiser et de renforcer les capacités d’apprentissage et d’adaptation. Or cette définition de la résilience ne met pas forcément en avant le caractère vulnérable du système, puisque le système est sans cesse en devenir, oscillant continuellement d’un équilibre, voire de plusieurs équilibres, à un autre. La résilience est ici liée aux équilibres du système SES et à la relation que l’homme entretient avec son écosystème. Dans cette perspective, le défi de réduction des risques pour les sociétés est de déplacer les facteurs de stress vers d’autres équilibres moins à risque pour la durabilité du système SES. Nous partons du postulat mis en avant par N. Adger que la résilience d’un écosystème ne veut par ailleurs pas dire la résilience d’une collectivité, mais qu’à contrario un environnement qui se dégrade ne peut être le terreau de la résilience d’une société. Prenons ici l’exemple de la protection de la forêt de Mangroves qui limite aujourd’hui l’accès aux communautés locales, ce qui renforcerait à priori les capacités de résilience des écosystèmes en le séparant du système social. Nous émettons ici des doutes puisque cette séparation tend à renforcer la vulnérabilité des sociétés en changeant notamment leurs rapports avec leur patrimoine naturel.
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Table des matières
INTRODUCTION
RÉSILIENCE ET ESPACE HUMANITAIRE
INTÉGRATION, VULNÉRABILITE, ADAPTATION ET RÉSILIENCE
PENSER AUTREMENT LA GOUVERNANCE DES CATASTROPHES HUMANITAIRES
PARTIE 1 :Postulats de l’étude et cadre méthodologique
Introduction
Chapitre 1. Intégration du concept de résilience dans l’humanitaire. De la construction sociale des risques à la prévention des catastrophes
1.1 Assistance et droit humanitaire pour les victimes de catastrophes
1.2 Penser les catastrophes. De la construction sociale des risques à la notion prévention
1.3 La résilience, entre rebond des systèmes et absorption des chocs, une dimension positive de la gouvernance des catastrophes
Chapitre 2. Terrain d’étude et caractéristiques
2.1 Terrain d’étude
2.1.1 Choix du terrain
2.2 Profil du territoire
2.2.1 Typologie des différentes catastrophes
2.2.2 Un territoire à haut risque
2.2.3 Typologie des différents acteurs impliqués
Chapitre 3. Méthodologie
3.1 Approche scientifique
3.2 Méthodologie terrain -T1- Janvier 2010. Observations des facteurs de vulnérabilité des collectivités et évaluation des pratiques humanitaires suite au cyclone Aila 2009
3.3 Méthodologie terrain 2. Fin 2010
Vulnérabilité et dynamiques de résilience des femmes
3.4 Méthodologie terrain 3 – trajectoires de vie – fin 2014
Préambule Partie 2
PARTIE 2 :Fondements de la vulnérabilité des sociétés et gouvernance
Introduction
Chapitre 4. Perceptions des crises et enjeux stratégiques dans la gouvernance des catastrophes socio-climatiques
4.1 Clarification des termes et contenu politique
4.1.1 Qu’est-ce que la gouvernance ?
4.1.2 Qu’est-ce qu’une crise ?
4.1.3 Qu’est-ce qu’un risque ?
4.2 De la société du risque à la gouvernance internationale
4.2.1 De la vulnérabilité des sociétés aux sociétés du risque
4.2.2 Sécurité des états et internationalisation de la gouvernance
4.3 Suprématie et rapports de domination
4.3.1 Domination des institutions internationales
4.3.2 Limites de la gouvernance internationale
4.3.3 L’exemple de la sécurité alimentaire
4.4 Fragilités des institutions étatiques
4.4.1 Réponse organisationnelle et influences sur les politiques publiques
4.4.2 La diversité des financements, opportunité et talon d’Achille de l’état
4.4.3 Responsabilité des états et limites institutionnelles
4.5 L’exemple du 5YP
4.5.1 Analyse sectorielle du 7e 5YP et critiques de la gouvernance
Conclusion
Chapitre 5. De la vulnérabilité des foyers à la résilience
Introduction
5.1 Qu’est-ce que la « vulnérabilité » ?
5.2 Quel sens donner au concept de résilience dans l’humanitaire ?
5.3 Intégration des termes de vulnérabilité et de résilience
5.3.1 Limites de leurs relations
5.4 Relations entre vulnérabilité et résilience
5.4.1 Étude – T3 – Habitat : facteurs de vulnérabilité des foyers et capacités de résilience
5.4.2 Logique de l’étude et principaux résultats
5.4.3 Limites de notre étude sur les concepts de vulnérabilité – résilience
5.5 Évolution du paradigme humanitaire
5.5.1 Dilemme entre réduction de la vulnérabilité et approche de la résilience dans l’humanitaire
5.5.2 L’exemple de l’ONG Solidarités International dans le delta des Sundarbans. Évolution des pratiques entre vulnérabilité et résilience
5.5.3 Forces et faiblesses de la résilience
Conclusion
Préambule Partie 3
PARTIE 3 :« Adaptation » et modèle humanitaire
Introduction
Chapitre 6. Adaptation et politiques publiques
Introduction
6.1 Pauvreté et adaptation, entre dualisme et intégration des systèmes SES
6.2 L’exemple de la culture de crevettes, une illustration des différentes perceptions société et environnement
6.3 Adaptation et politiques publiques
6.3.1 Définitions retenues en vue de notre étude de cas
6.4 Théories dominantes relatives au concept de résilience et au processus d’adaptation du système
6.4.1 Résilience et système adaptatif complexe : panarchie
6.4.2 Panarchie, limites dans l’humanitaire
6.5 Politiques d’adaptation et pauvreté : le système économique en question
6.5.1 Pauvreté et fatalité
6.5.2 Trappe de pauvreté et responsabilités pour C. S. Holling
6.5.3 Points forts et faiblesses du National Adaptation Programmes of Action (NAPA)
6.5.4 L’histoire des « poor house » et raisons de se questionner sur la gouvernance des catastrophes
6.5.5 Marché contre sécurité alimentaire
6.5.6 Transformation des modèles socio-économiques et déséquilibre des SES
6.5.7 La dynamique des systèmes
Conclusion
Chapitre 7. Étude de 144 trajectoires de vie
Introduction
7.1 Vulnérabilité, résilience et adaptation : une convergence multifacette
7.1.1 Objectifs de notre étude – T3 – Évolution des moyens d’existence et trajectoires des foyers
7.1.3 Résumé de nos résultats
7.1.4 Résultats
7.1.5 Analyses et discussions
a. Zone numéro 1. Agriculture et aquaculture
b. Zone numéro 2. Aquaculture et pêche
b. Zone numéro 3. Aquaculture et pêche
7.1.5 Conclusion de nos résultats
Préambule partie 4
PARTIE 4 :La résilience et le lien social
Introduction
Chapitre 8. Résilience et psychosocial: une étape fondamentale pour asseoir l’idée de résilience des systèmes socio-écologiques
8.1 Entre urgence et développement, opportunités et risques de la refonte
de l’aide et opportunités
8.2 La résilience et le psychosocial
8.3 L’individu pour appréhender la résilience des collectivités
8.4 Humanitaire, faire ou ne pas faire ?
8.5 Capital social et dynamiques à explorer
8.6 Limites de la gouvernance et migrations
8.6.1 Quel droit pour les victimes des catastrophes ?
8.6.2 Illustration par la gestion des terres publiques – Khas – de la complexité des liens entre individu, environnement et gouvernance
8.6.3 Migration forcée et intégration
8.6.4 Les enjeux des migrations et du capital social pour la résilience des foyers
Conclusion
Chapitre 9. Critiques du concept de résilience nouveaux modèles à explorer
Introduction
9.1 Critiques de l’internationalisation des catastrophes et de la gestion des risques
9.1.1 Le modèle assuranciel et ses limites
9.1.2 Heurs et malheurs du concept de résilience dans l’espace humanitaire
9.2 Hétérogénéité des perceptions et modèle humanitaire en perspective
9.2.1 Le dilemme de la perception et la classification des risques
9.2.2 Illustration des limites du modèle humanitaire, l’exemple du « cash for work »
9.2.3 Humanitaire et nouveaux modèles à explorer
9.3 De nouveaux modèles à explorer
9.3.1 L’humanitaire et l’approche systémique
9.3.2 La biomimétique
9.3.2.1 Qu’est-ce que la biomimétique ?
9.3.2.2 Les trois niveaux de la biomimétique
9.3.2.3 Exemple, architecture et forme du vivant
9.3.2.4 Le leadership pour la résilience des foyers et des collectivités
9.3.2.5 Organisation des institutions et leadership selon Giles Hutchins
9.4 La biomimétique des écosystèmes et l’économie bleue
Conclusion
CONCLUSION
OBJECTIFS DE L’ÉTUDE – RÉSULTATS –
LES CONCEPTS DE RISQUE ET DE CRISE
INTÉGRATION VULNÉRABILITÉ – RÉSILIENCE – ADAPTATION
RÉSULTATS
GOUVERNANCE DES CATASTROPHES ET DILEMMES HUMANITAIRES
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