Pêche au thon tropical et accords de pêche communautaires
Les thonidés sont des poissons pélagiques (c’est-à-dire vivant dans les eaux superficielles et ayant des contacts limités avec les fonds) vivant en bancs. Ils appartiennent à la catégorie des poissons grands migrateurs, définis comme des poissons « qui parcourent régulièrement de longues distances à la fois en haute mer et dans les zones relevant de la juridiction nationale » (ONU, 2010). La carte ci-dessous présente, à l’échelle mondiale, les zones maritimes sous juridiction nationale (en brun), et la haute mer (en bleu et blanc) .
Comme pour les stocks dits « chevauchants » (c’est-à-dire dont l’aire d’extension s’étend à la fois sur les zones sous juridiction nationale et en haute mer), la conservation et la gestion des stocks de grands migrateurs posent des problèmes spécifiques, qui ne peuvent être traités qu’à l’échelle internationale. Ce constat est à l’origine de l’accord de l’ONU sur la conservation et la gestion des stocks chevauchants et des stocks de grands migrateurs, adoptée en 1995 et entrée en vigueur en 2001 (ONU, 1995).
Les pêcheries de thon tropical
La synthèse présentée dans cette section est construite à partir des sources suivantes :
• base de données du service des pêches et de l’aquaculture de la FAO (FAO 2012a);
• bulletin statistique de l’ICCAT (ICCAT, 2011) ;
• estimations de captures par zone réalisées par le Sea Around Us Project (Sea Around us Project, 2012) ;
• données sur les flottilles européennes reproduites dans un rapport du bureau d’études Océanic Développement pour la Commission européenne (Oceanic Development, 2008).
Elle examine successivement :
• les captures de thon tropical, tous pays confondus ;
• l’activité des navires de l’UE.
Captures
Trois espèces principales de thonidés sont capturées en zone tropicale et subtropicale :
• Le thon albacore (Thunnus albacares, en anglais yellowfin tuna, acronyme YFT)
• Le thon obèse ou patudo (Thunnus obesus, en anglais bigeye tuna, acronyme BET)
• La bonite à ventre rayé ou listao ((Katsuwonus pelamis, en anglais skipjack tuna, acronyme SKJ).
Fréquemment regroupées sous l’appellation générique de « thon tropical », ces trois espèces sont présentes et exploitées dans l’Océan Atlantique, dans l’Océan Indien et dans l’Océan Pacifique. Si le cas d’étude de cette thèse concerne la ZEE capverdienne, la mobilité des ressources et des navires qui les exploitent conduit à aborder les pêcheries thonières tropicales à une échelle plus large. Celles-ci seront présentées successivement à trois échelles : d’abord à l’échelle mondiale, puis à celle de l’Atlantique, enfin à celle de l’Atlantique Centre-Est et de la ZEE capverdienne.
Captures mondiales
On présente ici la situation récente des captures mondiales de thon tropical (moyenne des années 2001-2010), puis une vue de leur évolution à moyen terme (période 1950- 2010).
Situation récente
Selon les statistiques de la FAO, les captures mondiales des trois espèces majeures de thon tropical se sont élevées, en moyenne, à environ 4 millions de tonnes par an sur la décennie 2001-2010, soit près de 93% des captures mondiales totales de thonidés et 5% des captures mondiales totales des pêches maritimes, toutes espèces confondues.
En quantité, l’espèce principale est le listao, qui représente à lui seul plus de la moitié du total des captures mondiales de thon tropical. Il s’agit d’un thonidé de petite taille (bonite), dont la valeur marchande est plus faible que celle des autres espèces . La seconde position est occupée par l’albacore, qui représente le tiers des captures mondiales. Le patudo ne représente quant à lui qu’un peu plus de 10% de ces captures.
L’océan Pacifique occupe la première place dans les captures de thon tropical : il concentre environ les deux tiers des captures, toutes espèces confondues. Vient ensuite l’Océan Indien, avec environ un quart des captures et, loin derrière, l’Océan Atlantique, avec moins de 10% des captures mondiales . Cette répartition se retrouve avec quelques variations au niveau de chaque espèce : la part du Pacifique va de 56% pour le patudo à 72% pour le listao, celle de l’Océan Indien varie entre 21% pour le listao et 28% pour l’albacore, celle de l’Atlantique entre 7% pour le listao et 18% pour le patudo.
Evolution à moyen terme
Il en ressort que les captures de thon tropical connaissent depuis le milieu du XXe siècle une évolution dont les étapes sont similaires à celle de l’ensemble des captures des pêches maritimes mondiales, mais avec des différences dans le rythme et le calendrier.
En premier lieu, la croissance des captures de thon tropical a été encore plus forte, sur l’ensemble de la période, que celle des captures globales : alors que celles-ci ont été multipliées par 4 (passant d’environ 20 millions de tonnes au début des années 50 à environ 80 millions de tonnes de nos jours), les captures de thon tropical ont été multipliées par plus de 13, passant d’environ 300 000 tonnes au début des années 50 à environ 4 millions de tonnes de nos jours. Cet écart de croissance peut s’expliquer par la conjonction de deux éléments : i) les stocks de thon tropical étaient peu exploités en début de période, et ii) leur exploitation a connu par la suite un processus d’industrialisation particulièrement important.
En second lieu, pour le thon tropical comme pour les autres espèces, on assiste à un phénomène d’essoufflement progressif de la croissance des captures.
Captures dans l’Atlantique
Comme pour les captures mondiales, on présentera une vue de la situation récente concernant les captures de thon tropical en Atlantique, puis on examinera l’évolution à moyen terme de ces captures.
Situation récente
Au cours de la période 2001-2010, les captures de thon tropical dans l’Atlantique se sont élevées, selon les données FAO, à un peu moins de 350 000 tonnes par an en moyenne (FAO, 2012a). La figure ci-dessous présente la composition par espèce de ces captures. Comme dans les deux autres océans, la principale espèce capturée, en quantité, est le listao (43% des captures), mais sa prépondérance y est moins marquée, en particulier par rapport à la situation prévalant dans l’Océan Pacifique (où le listao représente 60% des captures totales de thon tropical). L’albacore vient en deuxième position avec un tiers des captures, ce qui correspond approximativement à la situation caractérisant les deux autres océans. La part du patudo, représentant près du quart du total des captures de thon tropical dans l’Atlantique, est sensiblement plus élevée que dans les deux autres océans, où elle ne représente que 10% du total.
Evolution
Les accords de pêche communautaires ont évolué dans le temps. On distingue trois générations d’accords. Les accords dits « de première génération » sont ceux qui ont été conclus avant 1980. Dans ces accords, l’effort de pêche n’était pas défini et le nombre de navires communautaires autorisés à accéder à la ZEE du pays tiers n’était pas limité a priori.
A partir de 1980, les accords dits de deuxième génération visent à créer des liens de coopération plus consistants entre les différents partenaires. Ils incitent à la création de sociétés mixtes, au transfert de technologies et de savoir-faire, à la formation professionnelle, au développement de réseaux de distribution et au renforcement de la coopération technique et scientifique. Ces accords sont en outre caractérisés par une limitation du nombre de navires européens autorisés à opérer dans la ZEE du pays tiers, en principe fondée sur le potentiel halieutique exploitable. Ils associent le paiement d’une redevance de pêche à la charge des armateurs européens à celui d’une contrepartie financière versée par le budget de l’UE, incluant un montant destiné au financement des activités de recherche, de suivi, de contrôle et de surveillance des pêches. Ils incluent fréquemment une obligation de débarquement d’une partie des captures réalisées par les navires communautaires dans la ZEE du pays tiers. Les accords de deuxième génération ont fait l’objet de plusieurs critiques. En premier lieu, il leur a été reproché de promouvoir des pratiques commerciales déloyales, en subventionnant l’activité de navires communautaires dans les eaux de pays tiers. En second lieu, ces accords ont été accusés de mettre en cause la conservation des ressources halieutiques de ces pays, en encourageant une pêche irresponsable. Cette critique prend appui sur le manque fréquent de connaissances sur les stocks exploités, sur l’absence d’évaluation des impacts et le faible effort de suivi, de contrôle et de surveillance de l’activité des navires communautaires dans la ZEE des pays tiers. Enfin, les accords ont souvent été critiqués pour la faiblesse de leurs retombées sur l’économie des pays tiers. Face à ces critiques, l’UE a révisé le texte des accords en 2002, remplaçant le terme d’« accords de pêche communautaires » par celui d’« accords de partenariat dans le domaine de la pêche» (APP). Cette troisième génération d’accords entre en vigueur à partir de 2004. L’idée est de s’associer au pays tiers en vue de développer une pêche durable et responsable, et de soutenir le développement du secteur national de la pêche dans ce pays.
Ainsi, dans ces accords de troisième génération, une partie importante de la contribution financière de l’UE est spécifiquement conçue pour soutenir les politiques nationales des pêches basées sur le principe de la durabilité. Chaque application repose en principe sur une évaluation préalable approfondie. Il s’agit pour l’UE de garantir que les possibilités de pêche mises à la disposition des navires européens soient soutenues par les meilleurs avis scientifiques disponibles et ne serviront pas à détruire les stocks vulnérables, ou à créer une concurrence entre les navires de l’UE et les pêcheurs artisans locaux dont la subsistance dépend de la pêche côtière.
Les principaux éléments nouveaux introduits par les APP sont les suivants :
• une meilleure politique de dialogue avec les pays partenaires ;
• l’importance accordée aux analyses d’impact, au contrôle et à la mise en œuvre ainsi qu’à la gestion durable et efficace des activités liées à la pêche ;
• l’obligation pour les navires européens d’engager des pêcheurs locaux ;
• la priorité donnée à des possibilités de pêche encourageant les navires européens à débarquer leurs captures dans le pays partenaire en vue de leur transformation ;
• un cadre juridique destiné à garantir que l’ensemble des mesures soient compatibles avec une pêche durable et favorisant la bonne gouvernance ;
• une plus grande souplesse dans la manière dont le financement européen peut être utilisé pour certaines priorités, comme la recherche scientifique et le suivi ainsi que les activités de contrôle et de surveillance.
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Table des matières
Introduction générale
1. Contexte
2. Revue de littérature
3. Cas d’étude
4. Problématique et plan
5. Matériaux et méthodes
Chapitre 1. Pêche au thon tropical et accords de pêche communautaires
Introduction
1. Les pêcheries de thon tropical
1.1. Captures
1.1.1. captures mondiales
1.1.2. Captures dans l’Atlantique
1.1.3. Captures dans l’Atlantique Centre-Est et dans la ZEE capverdienne
1.2. Activité des navires européens
1.2.1. Captures par espèce
1.2.2. Captures par engin
1.2.3. Flottilles thonières
2. Accords de pêche communautaires
2.1. Vue synthétique des accords de pêche communautaires
2.1.1. Typologie
2.1.2. Evolution
2.1.3. Contribution financière de l’UE
2.1.4. Licences de pêche
2.1.5. Recettes forfaitaires totales pour l’Etat signataire
2.2. Accord de pêche entre le Cap-Vert et l’UE
2.2.1. Possibilités de pêche
2.2.2. Redevances des licences de pêche
2.2.3. Contrepartie financière versée par l’UE
2.2.4. Conditions d’activité des navires dans la ZEE capverdienne
2.2.5. Contrôle
2.2.6. Déclaration, débarquement et transbordement des captures
2.2.7. Embauche de marins capverdiens
Conclusion
Chapitre 2. Estimation de la rente générée par les navires européens opérant dans la ZEE capverdienne et de sa répartition
Introduction
1. Modèle théorique
1.1. Hypothèses
1.2. Variables
1.2.1. Variables exogènes
1.2.2. Variables endogènes
1.3. Relations de base
1.4. Fonctionnement du modèle
1.4.1. Expression de la rente halieutique en fonction du niveau d’effort
1.4.2. Expression du revenu net des armateurs en fonction de l’effort
1.4.3. Détermination de la stratégie d’exploitation du navire
1.4.4. Sous-déclaration des captures
1.5. Calibrage du modèle
2. Etude empirique
2.1. Scénarios de capture
2.1.1. Données empiriques sur l’activité des flottilles et les captures déclarées
2.1.2. Description des scénarios
2.1.3. Estimation des captures
2.2. Estimation de la rente et de sa répartition
2.2.1. Prix moyen au débarquement, chiffre d’affaires et rente
2.2.2. Répartition de la rente
2.3. Analyse du contrôle
2.3.1. Coût du manque de contrôle
2.3.2. Etude de la rentabilité d’un programme de suivi-contrôle-surveillance
Conclusion
Chapitre 3. Analyse du scénario de débarquement partiel des captures
Introduction
1. Conditions d’efficacité de la politique d’incitation au débarquement
1.1. Coûts de manutention et de fret
1.2. Prix au débarquement
1.3. Comparaison des marges brutes dans les deux scénarios
1.4. Efficacité de l’incitation au débarquement
1.5. Discussion des scénarios
2. Evaluation des effets macroéconomiques d’un débarquement partiel des captures
2.1. Modèle théorique
2.1.1. Variables et équations de base
2.1.2. Boucle Leontief
2.1.3. Boucle keynésienne
2.1.4. Incidence d’une variation exogène de prix
2.1.5. Limites du modèle
2.2. Modèle simplifié
2.3. Calibrage du modèle
2.3.1. Liste des paramètres à quantifier
2.3.2. Données disponibles
2.3.3. Méthode et résultats
2.4. Simulations
2.4.1. Scénario 1 : perte du débouché vers l’UE
2.4.2. Scénario 2 : substitution d’importation
2.4.3. Comparaison des deux scénarios et test de sensibilité
Conclusion
Conclusion générale
Bibliographie