LE FIL PAYSAGER DE LA RECHERCHE
L’étude porte sur les littoraux de trois pays africains (Djibouti, Tunisie et Sénégal) appréhendés à l’occasion de diverses expatriations dans la dernière décennie. Pour clarifier les intentions de ce travail, il convient de préciser d’entrée de jeu la place centrale attribuée aux paysages et de dire leur utilité potentielle en tant qu’outil et donc moyen d’analyse dans des contextes régionaux changeants.
Il n’y a rien de très innovant à avancer que les littoraux africains sont en proie à de vives transformations liées au développement socioéconomique. Le fait est partout avéré et il ne vaut d’ailleurs pas seulement pour le trait de côte, mais plus globalement pour tous les espaces sous influence urbaine. Djibouti-ville, Tunis et Dakar sont de donc de puissants facteurs et catalyseurs de transformation en diffusant sur les plages les plus proches des pratiques et des usagers aussi hétéroclites qu’évolutifs : estivants, campeurs, investisseurs… Pour qui veut prendre la mesure de ce phénomène et plus particulièrement cerner les effets induits sur l’environnement côtier à un instant « T », se pose le problème matériel de la rapidité des phénomènes en cours : comment analyser promptement et globalement ces mutations d’envergure ? C’est pour révéler ces espaces en recomposition, intégrer un maximum de paramètres et comprendre les changements actuels qu’une analyse paysagère est proposée. Un des postulats étant alors le grand nombre de données contenues dans un paysage pour qui peut le décrypter. Ce dernier, objet construit, oscille en effet toujours entre une trame de nature et des orientations anthropiques qu’il faut démêler pour mieux lire les connexions sous-jacentes. L’autre principe est que l’insertion de nouveaux usagers ne peut être neutre dans les paysages : de la trace à peine perceptible à la mise en place d’un nouveau géosystème recomposant totalement « l’interface visuelle »…
Pour formuler les objectifs initiaux autrement, l’étude propose de distinguer dans la mobilité des paysages ce qui est matériellement imputable à l’ouverture et aux usages renouvelés sur les sites (impacts de bâtiments, destruction d’une couverture végétale…) de ce qui est inscrit dans une logique évolutive plus « autonome » pour ne pas dire inéluctable (recul du trait de côte lié à la hausse du niveau marin, tendance historique à la progradation…). Les paysages ne peuvent donc être abordés sans garder à l’esprit la vitesse et le rythme des diverses évolutions. Cependant, les nouvelles pratiques n’ont probablement pas encore produit la totalité de leurs effets en raison de latences diverses. Le bilan paysager et au-delà environnemental est alors minimaliste .
Recourir au paysage permet aussi de donner de l’unité à une démarche scientifique qui sinon serait éclatée. La cohérence est en effet assez délicate à faire ressortir sur des territoires aussi disjoints. En partant du principe que la méthode analytique et l’objet d’étude restent les mêmes d’un site à l’autre, l’usage du paysage peut permettre de tisser un solide fil conducteur capable de fédérer le tout. Les paysages sont donc des ensembles qu’il convient d’aborder comme des supports et des objets à part entière. A l’issue de la lecture puis de l’étude paysagère, un tri sera possible parmi les entités constitutives. De même, les acteurs et les dynamiques (sociales et environnementales), pourront être tirés au clair afin d’expliciter les tendances observables et d’avancer quelques hypothèses pour le moyen terme.
LES NOUVEAUX PAYSAGES DES CÔTES AFRICAINES
APPREHENDER DES PLAGES EN MUTATION : PORTRAITS DE NOUVEAUX USAGERS
Pour concrétiser l’approche de ces pratiques qui ne sont d’ailleurs « nouvelles » que par leur tardive diffusion sous ces latitudes, mieux vaut décrire des « journées types » d’observation ou quelques portraits d’usagers. Plus ou moins engagés, ils peuvent être des consommateurs passifs ou des créateurs actifs de paysages.
A Djibouti, une journée représentative de ce tourisme se place plutôt sous le signe de la collectivité et de la famille. Tôt matin levé pour échapper aussi longtemps que possible aux premiers rayons de soleil, chacun se met en route selon ses moyens. Les véhicules toutterrain migrent ainsi vers les pistes les plus carrossables qui conduisent à des plages massivement convoitées, alors que les familles d’Européens expatriés (militaires ou civils) peuvent aussi gagner un embarcadère. Points de ralliement, les pontons sont d’incontournables lieux de passage pour de courtes navigations. Tout au plus, l’échappée inclue une nuit de camping mais ne va guère au-delà pour des raisons de logistique. Toujours est-il que les barques en polyester quittent promptement le rivage pour se disperser dans le Golfe de Tadjoura. Après deux heures au maximum, la plage convoitée est généralement atteinte et chacun organise son territoire en espérant ne pas voir débarquer d’autres personnes. Mais, pour qui s’éloigne un minimum des îles Moucha et Maskali ou des principaux campements, le risque est moindre d’être dérangé sous la toile anti chaleur. Farniente, plongée, collecte de coquillages et baignade sont généralement les points forts d’un programme qui n’a d’autre ambition que de casser le rythme quotidien de la vie dans la capitale.
Ces touristes du vendredi (semaine musulmane oblige) croisent parfois la route des vieilles familles européennes basées à Djibouti depuis des générations. Toutefois, le mélange ne s’opère pas plus sur les plages que dans les cercles fréquentés en ville. Aujourd’hui rejoints par la classe supérieure locale, ces descendants de « pionniers » préfèrent s’isoler dans leur petit bungalow patiemment aménagé qui permet des séjours plus longs et plus confortables. C’est aussi une forme de snobisme et de différenciation sociale, tout comme l’est l’acquisition du plus gros bateau ou du dernier moteur hors-bord.
LE CONTEXTE D’OUVERTURE ET LE RENOUVELLEMENT DES USAGES
La Tunisie, le Sénégal et Djibouti n’ont pas les mêmes Histoires maritimes et par conséquent les traditions littorales divergent. Le fort ancrage maritime du côté tunisien n’a pas son pareil, si bien que le volet océanique des autres cultures passe pour bien pâle à côté. Rien non plus de commun dans les types de côtes qui conditionnent diversement mais fortement la pression anthropique et limitent certains aménagements ou certaines pratiques. Plus classique, mais tout aussi fondamentale, la donne climatique commande strictement la relation sociétale au trait de côte par des conditions météo-marines et des ressources plus au moins abondantes et changeantes. Il peut alors sembler délicat de faire ressortir des points communs à partir de paysages aux genèses si distinctes. Sans compter que les stades de développement sont entre les pays (mais aussi à l’intérieur de ceux-ci) très diversifiés et évolutifs sur le court terme. Pour ne prendre que l’exemple du secteur touristique, seule la Tunisie possède une politique aussi claire qu’extravertie en la matière. C’est loin d’être le cas du Sénégal qui se cherche encore dans ce domaine, ou encore de Djibouti qui n’en est qu’au stade de la découverte. Cependant, avoir de l’expérience dans cette activité ne signifie nullement tenir compte des pratiques annexes que sont les loisirs de proximité ou pour mieux dire de la fréquentation populaire qui reste majoritairement informelle.
LES TRAITS COMMUNS DE PAYSAGES LITTORAUX AFRICAINS EN RENOUVELLEMENT
Avant d’exposer quelques pistes et de cerner ce qui donne une certaine unité aux paysages littoraux africains, il faut expliciter ce qu’est un paysage littoral. Il n’est pas ici question d’ajouter une nouvelle série de définitions, ni même de prétendre à un consensus, mais juste de clarifier la base des propos. En dépit des divergences de point de vue (Fig. 2), le paysage est pour les géographes « ce qui se présente au regard ». Mais, encore faut-il ajouter à cette première évidence une idée de cohérence. Un paysage devenant alors une unité spatiale visuellement identifiable, fruit de facteurs localement stables ou évoluant dans le même sens. Le regard peut embrasser plusieurs paysages, tout comme il ne peut percevoir que les bribes d’un seul. Comment alors se situer précisément sans pour autant ajouter à la cacophonie? Une chose paraît certaine : l’efficacité de l’analyse nécessite de la simplicité sémantique. Autre parti pris, un paysage a une existence matérielle qui se révèle évolutive à de multiples échelles. Sa perception est complexe et empreinte d’affectif qu’il convient, non pas de refouler, mais de paramétrer. Rien d’impossible (mais rien d’évident non plus) puisqu’un paysage est avant tout un assemblage d’entités physiques, donc finies et quantifiables. Les chances d’aboutir à une définition claire et reconnue par tous du littoral sont aussi minces que dans le cas du paysage. Plus que de gloser, il s’agit de trancher sans pour autant se montrer réducteur. Le littoral n’est pas un et il dépend lui aussi de la sensibilité culturelle de la personne qui le « pratique ». Rien de révolutionnaire en ce point de vue déjà mis à plat par B. Bousquet (1990) qui distingue un littoral polymorphe à la fois « de nature, d’oekoumène et d’institution ».
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PARTIE I : APPROCHER LES DYNAMIQUES LITTORALES AFRICAINES : APPLICATION D’UNE METHODE DE LECTURE DU PAYSAGE
CHAPITRE 1 : LES CHOIX METHODOLOGIQUES POUR L’APERCEPTION DU TERRAIN
CHAPITRE 2 : L’ALTERATION DES PAYSAGES DU CAP-BON
CHAPITRE 3 : DE PROFONDES RECOMPOSITIONS PAYSAGERES SUR LA PETITE COTE
CHAPITRE 4 : LES PREMIERS IMPACTS ANTHROPIQUES SUR LES COTES DJIBOUTIENNES
PARTIE II : DURABILITE DES PAYSAGES ET EVOLUTION ENVIRONNEMENTALE: REGARDS CROISES SUR LES MUTATIONS EN COURS
CHAPITRE 5 : DES EVOLUTIONS PAYSAGERES GLOBALEMENT AZONALES
CHAPITRE 6 : LES PAYSAGES DANS LE JEU INSTITUTIONNEL : CONSTRUCTION ET EFFICACITE
D’OUTILS D’ENCADREMENT
CHAPITRE 7 : PERSPECTIVES PAYSAGERES ET ELEMENTS POUR UN EQUILIBRE DURABLE DES
LITTORAUX AFRICAINS
CONCLUSION GENERALE
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