Historique de l’occupation et de la déforestation de Amazonie brésilienne
L’expression Amazonie légale a été créée comme concept politique dans le cadre de la planification et du développement régional par la loi 1.806 du 06/01/1953, postérieurement modifiée par la loi 5.173 du 27/10/1966 et par la loi complémentaire 31 du 11/10/1977. Cette région qui s’étend sur un peu plus de 5 millions de km2 représente plus de la moitié de la superficie territoriale brésilienne, et près de 112% de la superficie de l’Union Européenne (figure 2) (IBGE 2012; UE 2016). Bien que la création du concept d’Amazonie légale date des années 50, les tentatives d’occuper et d’explorer l’espace amazonien remontent au XVIéme siècle, quand ont lieu les premières expéditions dans la région (Gadelha 2002). Jusqu’à la fin du XIXéme siècle le peuplement reste éparpillé, faible et circonscrit à de petites agglomérations. Il repose sur des vecteurs tels que la logique de domination territoriale militaire, l’extraction des « drogues du sertão » et la capture d’indigènes pour servir de main d’œuvre servile (Chambouleyron 2006). À la fin du XIXéme siècle l’utilisation du caoutchouc vulcanisé pour la fabrication de pneus provoque une forte demande pour le caoutchouc produit à partir du latex collecté de l’hévéa (Hevea brasiliensis) et est à l’origine de ce qui dans l’histoire brésilienne est connu comme le « premier cycle du caoutchouc » en Amazonie (D’Agostini et al. 2003). La contrebande de graines d’hévéa (Hevea brasiliensis) vers des pays asiatiques entrainera l’émergence de nouveaux concurrents, la chute des prix du caoutchouc, et à partir des années 1910 une réduction drastique de la production du latex en Amazonie. Le déclenchement de la seconde guerre mondiale entraine l’interruption par le Japon de la production et de l’exportation du caoutchouc d’Asie. Pour assurer l’approvisionnement en latex des industries alliées, les gouvernements brésilien et nord-américain signent un accord dans le cadre d’un plan connu comme la « bataille du caoutchouc ». Cet accord entraîne la mobilisation de travailleurs notamment les « Nordestinos » qui fuyaient la grande sécheresse pour l’extraction du latex en Amazonie. Ils seront appelés les « soldats du caoutchouc », (Prates and Bacha 2011). La fin de la seconde guerre mondiale associée d’une part à la reprise et à la normalisation de la production, aux exportations asiatiques, et d’autre part au développement de la fabrication du caoutchouc synthétique, marque le nouveau déclin de la production du latex amazonien. La volonté de mettre en place des actions pour favoriser le développement et l’intégration économique de l’Amazonie au reste du Brésil a conduit à la création en 1953 de la Superintendance du Plan de mise en Valeur Économique de l’Amazonie (SPVEA) et à l’introduction du concept Amazonie légale. Parmi les principales réalisations de la SPVEA se trouvent l’amélioration des communications, et notamment l’ouverture des routes Belém-Brasilia et Brasilia-Acre (actuellement respectivement les BR-010 et BR-364). Ces deux axes routiers vont permettre de relier par voie terrestre la région amazonienne aux régions Sud et Sudeste du Brésil (Théry 1976; Ferreira and Bastos 2016). L’ouverture des routes BR-010 et BR-364 est considérée comme le point d’inflexion de la déforestation et de l’occupation des terres amazoniennes jusqu’alors limitée aux bordures des fleuves (Théry 1997). La possibilité d’accès à la région par voie terrestre potentialise le processus de migration vers la région amazonienne dont la population passe de 1 à 5 millions pour la période comprise entre 1950 et 1960 (Becker 2004). À partir de la seconde moitié des années 60, les militaires à la tête du pouvoir exécutif préoccupés par le vide démographique de l’Amazonie et conscients de l’importance stratégique de cette région mettent en place plusieurs actions de développement, telles que le Programme d’Intégration Nationale (PIN), le Plan de Développement de l’Amazonie (PDA) et le premier Plan National de Développement (I PND).
Télédétection appliquée à la surveillance des forêts et à l’usage des terres
Du point de vue de l’observation de la Terre, la télédétection peut être définie comme l’utilisation conjointe de capteurs et d’équipements embarqués à bord de plateformes (suspendues ou transportées par avion ou satellite) destinés à mesurer, traiter et transmettre des données de mesure de l’interaction entre la radiation électromagnétique et la superficie terrestre, ayant pour objectif l’étude des processus et des phénomènes qui ont lieu sur cette superficie (Novo 2008). Les systèmes de télédétection captent un flux d’énergie donné suite à l’interaction de cette énergie avec une superficie spécifique. Connaitre ce flux d’énergie électromagnétique et comprendre les interactions entre la matière et le flux d’énergie permet d’extraire des informations utiles sur cette superficie (Jensen 2009). C’est à partir du lancement des premiers satellites d’observation de la Terre dans les années 1970, que la télédétection est devenue le principal outil d’observation de la végétation, en raison de son coût bas et de sa capacité à couvrir de grandes surfaces dans un court laps de temps. Dans les années 1980, la démocratisation des systèmes numériques va de paire avec le développement des techniques de traitement des images numériques qui permettent d’extraire des informations des images satellites de façon chaque fois plus rapide et précise. Actuellement l’existence de dizaines de satellites et probablement de milliers de techniques et méthodologies de traitement d’image rend possible une surveillance permanente de la végétation de la surface terrestre (Novo 2008; Jensen 2009; Ponzoni, Shimabukuro, and Kuplich 2012). Dans ce chapitre nous présenterons quelques unes des études les plus connues relatives à la surveillance des forêts et de l’utilisation des terres.
Apport du paysage dans la compréhension de l’occupation du sol
Le paysage est le résultat de la combinaison dynamique et instable d’éléments physiques, biologiques et anthropiques qui réagissent entre eux pour former un élément unique et indissociable et en perpétuelle évolution (Bertrand and Tricart 1968). Néanmoins, ce terme a d’abord été utilisé dans le domaine de l’art à partir du XVème siècle par des peintres dont les œuvres avaient pour thème des espaces naturels (Alves 2001). Au début du XVIIIème siècle l’allemand Alexander Von Humbold a utilisé le terme paysage pour décrire les caractéristiques d’une région terrestre dans le sens d’espace géographique. Tout au long du XXème siècle de nombreux auteurs se sont préoccupés des relations entre l’Homme et son environnement, dans des applications pratiques des questions environnementales (Metzger 2001). La figure 4 montre l’importance attribuée à l’interrelation Homme et espace géographique dans le paysage (Bertrand and Tricart 1968; Naveh 1994; Benoît et al. 2012). Mais c’est avec la démocratisation des produits de télédétection et les progrès des systèmes d’information géographique que se renforce la tendance d’analyser les paysages à partir de la mesure de leurs composantes d’un point de vue quantitatif et intégré, ce qui donnera l’origine du terme écologie du paysage (Forman 1995; Antrop 2000). Une étude réalisée pour la Commission européenne destinée à l’analyse du paysage a avancé que cinq indicateurs pouvaient décrire le paysage : la densité des éléments du paysage ; la moyenne de la relation périmètre/aire ; le nombre de classes; l’indicateur de diversité ; l’indicateur de diffusion et de juxtaposition (DGAGRI, Eurostat, and Ispra 2000). Des indicateurs similaires ont aussi été proposés dans une étude comprenant 55 métriques calculées pour 85 cartes d’utilisation et de doccupation des sols aux États-Unis (Riitters et al. 1995).
Discussion des résultats
La méthodologie développée permet d’une part d’identifier, de quantifier et de comprendre la configuration spatiale des systèmes de production agropastoraux et d’autre part de caractériser le paysage en fonction des « empreintes spatiales » laissées par l’évolution du système d’utilisation des terres. Elle montre les relations étroites existant entre les métriques calculées à partir des polygones de déforestation, d’occupation et d’usage du sol et des matrices de distances aux infrastructures (routes, usine de production de lait et abattoirs) et les systèmes de productions agropastoraux. La principale avancée méthodologique est la possibilité d’identifier un système productif agropastoral sans utiliser de données socio-économiques. L’application d’une grille de cellules de 10 x 10 km, par rapport aux cellules de 25 x 25 km, permet une analyse plus fine des systèmes agropastoraux. Parmi les neuf systèmes de production cartographiés, seulement deux systèmes liés aux systèmes forestiers ont présenté des variations supérieures à 10% lorsque ont été comparés les deux tailles de résolution de cellules. Il en résulte que plus la cellule est grande, plus est faible la possibilité de trouver une cellule presque entièrement couverte de forêts et sans aucune activité productiviste. Ainsi un nombre significatif de cellules classées comme « Domaine Forestier » à partir des cellules de 25 x 25 km, ont été classées comme « Front Initial » dans celles mesurant 10 x 10 km. Dans les systèmes liés à la production agropastorale les différences dans le pourcentage de classification sont moindres. Les résultats obtenus à partir de la classification par cellules sont cohérents avec ceux de la classification utilisant les limites administratives municipales. Les systèmes liés à la production de grains sont concentrés dans le Sud de l’État. A cette échelle plus fine (10 x 10 km), il est possible maintenant d’observer ces cellules plus au Nord de l’État. Elles peuvent signaler une migration et extension de la production de grains vers de nouvelles régions de l’Etat. Des observations avec les nouvelles données TerraClass de 2012 et 2014 pouront confirmer ou infirmer cette tendance. Les cellules avec une prédominance de systèmes « agriculture annuelle » ont présenté des valeurs moyennes pour la relation aire/périmètre supérieures à celles des autres systèmes de production, ainsi qu’une taille moyenne des polygones plus grande. Ces deux constats s’accordent avec ce qui était attendu, à savoir que l’agriculture pour la production de grains dans l’Amazonie est pratiquée sur de grandes surfaces et est hautement mécanisée. Les cellules, où les activités liées à la chaîne de production laitière sont significatives, présentent une densité plus élevée de polygones de déforestation, ainsi qu’une valeur moyenne de la relation aire/périmètre inférieure à celle des cellules où l’activité laitière est non-significative. Cette configuration du territoire est en conformité avec les caractéristiques des producteurs laitiers de la région, car les petits propriétaires fonciers trouvent dans l’activité laitière une source complémentaire de revenus (Paes-de-Souza, Amin, and Gomes 2009; IDARON 2013; Rodrigues, Souza, and Rodrigues 2014; Soler, Verburg, and Alves 2014). Les systèmes d’élevage bovin semi-intensifiés présentent un pourcentage de végétation secondaire plus élevé, ce qui confirme ainsi l’hypothèse que les processus d’intensification de la production conduisent à une plus importante occupation des sols et en conséquence à une diminution des aires en processus de régénération forestière (Alves et al. 2003; Almeida et al. 2010; Jakovac et al. 2015; Almeida et al. 2016a). Les systèmes d’élevage intensifiés se situent principalement dans le centre de l’État, à la proximité des principaux axes routiers, alors que les systèmes semiintensifiés se trouvent en périphérie et plus proches des zones de forêts. De nouvelles observations avec des données TerraClass plus récentes permettront d’assurer le suivi et de vérifier s’il y a expansion ou non de cette frontière, ainsi que des changements affectant les systèmes de production. La valeur moyenne du taux de déforestation entre 2000 et 2010 a été plus élevée dans les systèmes liés à l’élevage bovin, et l’âge moyen de déforestation est plus petit, ce qui suggère que l’élevage bovin est un des principaux moteurs de la déforestation dans la région, en accord avec la littérature (Mertens et al. 2002; Piketty et al. 2005; Bowman et al. 2012; Pacheco 2012). Les résultats obtenus dans cet article ont montré le potentiel élevé de la méthodologie développée pour le suivi des changements d’usage et d’occupation des sols. Elle permettra une observation du paysage plus détaillée et plus fréquente, condition sine qua non pour la planification et la proposition de politiques publiques, et une surveillance constante de questions touchant aux propositions d’un développement durable. Cette méthodologie fait l’objet d’un troisième article intitulé « LULC footprints to identification of crop, intensified and not intensified cattle raising production systems in the Brazilian Amazon. A case study in Rondônia » soumis à la revue Journal of Rural Studies.
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Table des matières
1 ÉTAT DE L’ART
1.1 Historique de l’occupation et de la déforestation de Amazonie brésilienne
1.2 Télédétection appliquée à la surveillance des forêts et à l’usage des terres
1.2.1 Cartographie des forêts tropicales
1.2.2 Cartographie de l’occupation et de l’usage des terres
1.3 Apport du paysage dans la compréhension de l’occupation du sol
2 CARACTERISATION PAR TELEDETECTION DE L’OCCUPATION ET DE L’USAGE DES SOLS DES ZONES DEBOISEES AVANT 2008 DE L’AMAZONIE LEGALE
2.1 High spatial resolution land use and land cover mapping of the Brazilian Legal Amazon in 2008 using Landsat/Tm5 and MODIS data
3 TYPOLOGIE ET SPATIALISATON MUNICIPALE DES SYSTEMES DE PRODUCTION AGROPASTORAUX DOMINANTS DE L’ETAT DU RONDONIA
3.1 Typologies and spatialization of agricultural production systems in Rondônia, Brazil: Linking land use, socioeconomics and territorial configuration
4 DETERMINATION DE L’EMPRENTE PAYSAGERE DES SYSTEMES DE PRODUCTION AGROPASTORAUX DE L’ETAD DU RONDONIA
4.1 LULC footprints to identification of crop, intensified and not intensified cattle raising production systems in the Brazilian Amazon: A case study in Rondônia
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
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