PATRIMONIALISER LES MÉMOIRES SENSIBLES

Témoin, mémoire et témoignage

   L’histoire entretient avec le témoin et le récit de son expérience, le témoignage, des rapports ambigus tout comme avec la mémoire. Le témoignage, qui est à l’origine oral, constitue la source avec laquelle les premiers historiens ont travaillé. Plus tard, les chroniqueurs du Moyen Âge ont continué d’utiliser les témoins comme source d’information. Puis, l’invention de l’imprimerie et la constitution d’Archives nationales ont contribué à poser les jalons d’une histoire, positiviste, qui allait écarter toute source orale. Il a fallu attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour que les témoignages soient à nouveau pris en compte. Seul l’historien Marc Bloch, sensible aux idées du sociologue Maurice Halbawchs sur les cadres sociaux de la mémoire, met en avant l’importance des sources orales pour écrire l’histoire contemporaine. Les années 1970 voient réellement la prise en compte des sources orales par les historiens dans un contexte mondial d’émergence desidentités locales et des marginalités. C’est aux États-Unis que l’on peut voir se mettre en place les prémisses de l’histoire orale qui a redonné au témoignage une place respectée. L’École de Chicago, en développant une sociologie qualitative fondée sur les récits de vie, a d’ailleurs activement participé à sa restauration et à son institution. Allan Nevin a donné une base institutionnelle à l’oral history, avec l’ambition de rapprocher le public de l’histoire académique trop autarcique. C’est cette même préoccupation qui a animé le mouvement européen de l’histoire orale dans les années 1970, dont l’ouvrage de l’historien Paul Thompson, The Voice of the Past, est emblématique. Selon cet auteur, La source orale peut apporter quelque chose de plus persuasif et de plus fondamental à l’histoire. Quoique les historiens étudient les acteurs de l’histoire avec distance, les représentations de leur vie, point de vue et actions risqueront toujours d’être des descriptions mensongères, des projections de la propre expérience et de l’imagination des historiens : une forme académique de fiction. La source orale, en transformant les « objets » d’étude en « sujets », agit pour une histoire qui n’est pas seulement plus riche, plus vivante et plus bouleversante, mais plus vraie.L’histoire a une fonction sociale et, en privilégiant une approche méthodologique fondée sur l’interview, l’histoire orale interroge les relations entre la discipline académique et la communauté sur laquelle elle se penche. « Elle brise les barrières entre l’histoire académique et le monde extérieur. » Cette nouvelle façon de faire de l’histoire, de redonner la parole aux exclus, aux minorités, et aux faibles producteurs de traces écrites, s’inscrit dans un contexte plus large : celui de la prolifération de la mémoire au sein de l’espace public et d’un changement de temporalité où l’on cultive le passé sous toutes ses formes (archives, monuments, mémoriaux…), contexte qui a pour conséquence de privilégier un rapport affectif au passé et une mise en récit de ce passé fondé sur l’expérience humaine individuelle. En France, elle est intimement liée à la création de l’Institut d’histoire du temps présent en 1978 qui fait suite au comité pour l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Cette histoire du temps présent, expression finalement adoptée et préférée à « histoire très contemporaine », « histoire actuelle », « histoire récente », ou « histoire immédiate », se définit par deux caractéristiques spécifiques et très intimement liées : la présence forte, vivante et en action du passé dans le présent sous la forme de la mémoire (et cette mémoire est « chaude »), et la présence «  de chair et de sang » des témoins-acteurs, leur « vivance » pour reprendre l’expression de Danièle Voldman. Les témoins, si longuement expulsés de l’histoire, se voient réinstallés en son centre et confiés un statut qu’ils n’avaient jamais eu jusque-là. Ce qui engendre plusieurs conséquences pour cette histoire du temps présent : une mise sous tension permanente par rapport aux injonctions de la demande sociale et par rapport même à l’opinion publique; un risque de se voir devenir plus que les autres une « histoire sous surveillance » ou de se voir emprisonner dans la mémoire; une instabilité inconfortable en raison de la mouvance permanente de ses limites chronologiques aux deux extrémités (les « balises » se déplacent sans cesse) et de la nécessité de révisions historiographiques périodiques, ne serait-ce qu’en raison de l’ouverture régulière des archives; une incertitude accrue du fait que les processus historiques étudiés sont toujours en cours; un compagnonnage étroit et nécessaire avec les autres sciences sociales (sciences politiques, sociologie, ethnologie et même psychologie ou psychanalyse), ce qui repose sans cesse la question des frontières disciplinaires et méthodologiques. Les témoignages, les récits de vie, font l’objet d’un archivage quasiment systématique et sont de plus en plus utilisés par les médias. Il semble que nous soyons entrés dans « l’ère du témoin ». (Wierviorka, 1998) La figure du témoin comme « porteur d’histoire » apparaît lors du procès d’Eichmann, comme l’a démontré Annette Wierviorka. Le témoin acquiert à ce moment-là une existence sociale et devient la figure emblématique d’une nouvelle écriture de l’histoire de l’Holocauste, fondée sur le récit d’expériences individuelles. « Avec le procès Eichmann et l’émergence du témoin, homme-mémoire attestant que le passé fut et qu’il est toujours présent, le génocide devient une succession d’expériences individuelles auxquelles le public est supposé s’identifier. » L’individualisation de la société moderne, l’incursion de la sphère privée au sein de la sphère publique, a placé l’homme et son expérience au centre de tous les débats. Depuis la fin des années 1970, « l’homme-individu est ainsi placé au cœur de la société et rétrospectivement de l’Histoire. Il devient publiquement, et lui seul, Histoire. » Nous reviendrons plus en détail sur la notion de mémoire, particulièrement sur sa dimension collective. Dans un premier temps, nous l’abordons comme un phénomène social qui place l’histoire du temps présent sous influence et qui renforce cette idée d’un rapport affectif au passé. Les années 1980-1990 voient l’obsession mémorielle s’intensifier.

La demande sociale

   De par son objet de recherche situé dans un temps contemporain, l’histoire du temps présent ne peut faire abstraction du contexte social dans lequel elle s’inscrit. Plus encore, ses relations avec la mémoire et le témoignage la placent sous influence, parfois même « sous surveillance », et l’obligent à la fois à considérer les acteurs, collectivités de son temps avec lesquelles elle doit travailler, et à questionner sa prise de parole dans l’espace public. L’actualité nous harcèle, elle ne nous ménage pas : il y a une demande sociale et nous en sommes, François Bédarida, quelques autres et moi-même les témoins. On attend des historiens qu’ils tranchent les débats, qu’ils soient les arbitres dans les controverses qui divisent la conscience publique et troublent l’opinion, qu’ils fassent la vérité. C’est la confusion des rôles : les magistrats se font historiens, et on demande aux historiens de devenir magistrats. René Raymond, en observant les liens étroits qui rapprochent l’historien au juge dans la mise en récit de l’histoire contemporaine, met le doigt sur la responsabilité sociale de l’historien et son engagement. L’affaire Touvier illustre très bien cette demande sociale (en l’occurrence de la part de l’Église) qui permet aux historiens d’éclaircir les relations entre l’Église catholique et la collaboration. Cette demande peut donc être moteur de nouveaux projets de recherche, mais également d’une réflexion sur la médiation de ceux-ci. L’enseignement de l’histoire, sa médiatisation au musée, au cinéma, sont de possibles espaces d’engagement pour l’historien du temps présent convoqué alors en qualité d’expert. On peut voir la demande sociale comme source de pression, mais également comme génératrice de projets de recherche. Phénomène complexe, cette demande émane aussi bien de l’État, par le biais d’appels d’offres, que de la société civile par le biais d’associations comme les groupes de victimes, par exemple. Dans ce dernier cas, la charge émotive de cette demande est souvent plus forte, mais le risque d’instrumentalisation de l’expertise convoquée reste l’enjeu majeur pour les historiens qui y répondent. Henri Rousso, historien du temps présent, spécialiste du régime de Vichy, rappelle l’humilité requise de l’historien par la demande sociale. Répondre à une demande sociale, c’est toujours, en dernier lieu et de manière idéale, tenter de rendre compte de la complexité et de l’inachevé qui résident dans toute analyse du passé. Il faut se garder de jouer, en la matière, le rôle d’historiens thaumaturges, capables de soigner une crise d’identité ou de légitimité, individuelle, sociale ou nationale.

Un contexte historique particulier

   Il ne sera pas ici question de reprendre l’histoire de la Résistance et de la déportation en France pendant la Seconde Guerre mondiale, mais plutôt d’en situer des repères généraux en nous concentrant sur le cas de l’Isère, département où le Musée de la Résistance et de la Déportation a été institué. La France entre en guerre le 3 septembre 1939 après l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes. La défaite de 1940, entérinée par l’armistice signé le 25 juin 1940, morcelle la France et la prive de sa souveraineté. La ligne de démarcation coupe la France en deux : occupée par les nazis au nord, et gouvernée au sud par l’État français sous l’autorité du maréchal Pétain installé à Vichy. En zone sud, l’Isère, et surtout Grenoble, a un statut particulier de « ville-refuge » . Un grand nombre de juifs français et étrangers, d’Alsaciens et de Lorrains se réfugient à Grenoble, régie par Vichy, gouvernement de plus en plus inféodé à l’Allemagne. De 1942 à 1943, Grenoble est sous une occupation italienne relativement discrète, mais dès la fin 1942, Allemands et Italiens mettent en place une politique d’occupation renforcée qui se traduit par un contrôle total des administrations en place. Paradoxalement, cette surveillance accrue de la préfecture, des gares, des postes et services de police permet parfois de protéger des victimes potentielles du régime de Vichy de plus en plus collaborationniste. La Résistance ne voit pas l’occupant allemand comme étant l’ennemi prioritaire. Elle s’intéresse plus aux collaborateurs, à la milice qui organise le départ de jeunes Français au Service du travail obligatoire (STO), contribuant ainsi explicitement à l’effort de guerre nazi. L’armistice signé avec les Alliés le 8 septembre 1943 met un terme à l’occupation italienne et provoque l’entrée des troupes allemandes en Isère. Le climat de répression jusqu’alors plutôt modéré va radicalement changer. La Gestapo s’installe au numéro 28 du cours Berriat à Grenoble et organise une lutte féroce contre la Résistance, tout en persécutant la population juive avec la complicité des miliciens et des groupuscules collaborateurs. Grenoble est désormais en état de guerre et la Résistance devient un phénomène de masse. L’aide humanitaire, la fabrication de faux papiers, la distribution de tracts mises en place dès 1941, laissent désormais la place à une activité renforcée de lutte armée, sous la direction de l’armée secrète et des Francs-tireurs et partisans (FTP) d’allégeance communiste. C’est à partir de 1941 que la Résistance se constitue en mouvement avec la création de réseaux de renseignements à vocation militaire (réseau Coty avec à sa tête Pierre Fugain) et de grands mouvements à vocation plus politique tels que Combat, Libération-Sud et Franctireur, regroupés en fédération au sein des Mouvements unis de la Résistance (dirigés par le Docteur Valois jusqu’à son arrestation par la Gestapo et son suicide en 1943, cours Berriat). Le Maquis, bien qu’étant la forme la plus visible de la Résistance à la Libération, joua un rôle secondaire par rapport aux opérations de sabotage et aux attentats perpétrés par les groupes francs « sédentaires » décrits plus haut. Les Maquis furent d’abord des refuges pour les réfractaires au STO et les résistants politiques menacés par la police de Vichy, et disposaient de peu de moyens pour mener une résistance armée efficace contre l’occupant. En avril-mai 1944, une seconde ère maquisarde voit le jour. Les rumeurs de débarquement et la présence d’Alliés dans la région mobilisent les FTP qui se joignent aux maquisards déjà implantés. Le Maquis de l’Isère constitue désormais un ensemble combattant parmi les plus forts de France sous le commandement du général LeRay, mais le manque de ressources logistiques et militaires, le manque de formation des effectifs, la mauvaise transmission d’information et les difficultés de communication au sein de la hiérarchie militaire rendent le travail de LeRay très difficile. De plus, le soutien allié promis ne vient pas, trop occupé par le débarquement du 6 juin 1944. Le Vercors devient une forteresse assiégée par les Allemands, qui lancent plusieurs attaques sanglantes et obligent les maquisards à se replier. Malgré un parachutage d’armes le 14 juillet, ils ne parviennent à empêcher les troupes allemandes d’attaquer de partout et de se livrer à de nombreuses exactions tant sur les civils (comme lors du massacre de la chapelle de Vassieux en Vercors, devenue aujourd’hui le lieu d’un mémorial) que sur les maquisards dont le commandement se sent à juste titre abandonné par De Gaulle, désormais à Alger. Malgré tout, il reste l’engagement de ces combattants qui ont lutté jusqu’au bout.

Mémoires politiques et mémoires juives de la déportation en Isère

   La mémoire de la déportation s’inscrit dans un contexte plus large, celui de la mémoire de la Deuxième Guerre mondiale en France, analysée et structurée en quatre phases par Henri Rousso. La mémoire de la déportation, quant à elle, semble de prime abord se structurer en cinq périodes. Gérard Namer qui, sous les auspices de l’Institut de l’histoire du temps présent, a réalisé une enquête sur la mémoire des déportés comparant l’histoire écrite et l’histoire orale, identifie ces cinq périodes. La première correspond à la sortie des camps en 1945. La seconde, de 1945 à 1947, nommée « la crise », est consacrée à la réinsertion professionnelle et sociale. De 1947 à 1961, on assiste à une période de reflux, les anciens déportés sont engagés dans leur nouvelle vie dans un contexte historique de guerre froide (auquel s’ajoute la création d’Israël et la découverte des goulags) qui laisse peu de place au récit de déportation. La quatrième période, de 1962 à 1974, est composée de deux types de mémoire, une mémoire commémorative et médiatique et une mémoire-savoir. Les associations de déportés deviennent des lieux de sociabilité entre porteurs de mémoires, plutôt que des lieux de revendication, car un phénomène de reconnaissance publique s’est mis en place, que ce soit par le biais de commémorations institutionnelles comme l’annuelle Journée de la déportation ou par un processus de médiatisation de cette mémoire par le cinéma, les musées ou les mass média. Une intégration de cette mémoire dans le système d’éducation, par des visites de musées ou l’organisation de rencontres avec des témoins, contribue également à cette socialisation et à la reconnaissance de cette mémoire de la déportation. De 1974 à 1985, la socialisation de la mémoire de la déportation se renforce et l’on voit apparaître un caractère « grand public » qui lui est propre. Une sociabilité intergénérationnelle se développe également grâce à la coexistence des porteurs de mémoire et des générations qui leur succèdent. L’analyse de Gérard Namer s’arrête à cette date et regarde la déportation de façon assez globale. De 1985 à nos jours, le paysage mémoriel de la déportation s’est précisé, raffiné, et il est important pour notre projet de recherche de faire la distinction entre mémoire politique de la déportation et mémoire raciale. La mémoire de la déportation en France et plus particulièrement en Isère est d’abord une mémoire de la Résistance, donc politique. De la Libération en 1945 aux années 1980, elle est portée par les associations d’anciens résistants notamment la Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes (FNDIRP) et l’Union nationale des déportés et internés et familles de disparus (UNADIF), qui représentent deux courants politiques antagonistes, le communisme et le gaullisme. C’est donc avant tout une mémoire politique, celle de la Résistance, qui se construit. Une première période, exaltant l’action militaire sous l’égide de Charles de Gaulle, assimile le résistant à un militaire au détriment de la Résistance civile. Cela permet d’asseoir la politique de De Gaulle et participe à la création d’une France unie résistante soutenue par une union mémorielle apparente jusqu’en 1946, date à laquelle les deux principales obédiences politiques traversant la Résistance commencent à s’affronter.

L’écriture de la déportation aujourd’hui

   L’écriture de la déportation aujourd’hui se situe entre mémoire et histoire, dans un contexte de concurrence des mémoires (Chaumont, 1997; Dosse, 2008), de hantise du passé (Rousso, 1998), à un moment où les derniers témoins oculaires disparaissent. En France, la judiciarisation de la mémoire initiée en 1990 avec la loi Gayssot contre les thèses négationnistes ouvre la porte à un cortège de lois mémorielles. En 2001, une loi est adoptée pour qualifier le massacre des Arméniens en 1915 de génocide, tandis qu’en 2006 une nouvelle loi pénalise toute remise en question de ce dernier. En 2001, la loi Taubira reconnaît la traite négrière et l’esclavage transatlantique comme étant des crimes contre l’humanité. Ainsi, le pouvoir politique ne cesse de légiférer sur le passé, répondant d’une part aux demandes des communautés mémorielles concernées et d’autre part, à une volonté de l’appareil judiciaire de détenir, au même titre que les historiens, une vérité et d’intervenir directement dans des conflits d’interprétations. Depuis le début des années 1990, les pressions des mémoires collectives et les revendications mémorielles mènent à des réparations matérielles, des dispositifs de médiation mémorielle et des commissions d’enquête scientifique. Certains historiens, dont Pierre Nora, se sentant menacés par cette pléthore de la mémoire, fondent l’association « Liberté pour l’histoire » afin de faire reconnaître la dimension scientifique de l’histoire qui ne devrait « pas être esclave de l’actualité ni s’écrire sous la dictée de la mémoire ». Ils dénoncent une histoire qui se fait sous surveillance. Nous pouvons lire en filigrane qu’il y a dans cette initiative une volonté de protéger et défendre uneexpertise relative au passé qui, jusqu’à récemment, leur appartenait exclusivement. Sous l’égide du devoir de mémoire, cette « injonction au souvenir », comme l’appelle Ricœur (2000), la mémoire de la déportation se développe essentiellement autour de la Shoah. La mémoire collective de la Shoah semble en effet dominer l’espace occidental et se manifeste par une politique de représentation, d’éducation et de commémoration matérialisée par l’ouverture ou la réactualisation de nombreux musées dédiés à la mémoire de la Shoah. Ces musées et mémoriaux sont l’occasion de mettre le judéocide au service « d’une sacralisation des valeurs constitutives de la démocratie libérale : le pluralisme, la tolérance, les droits de l’homme… ». (Traverso, 2011) Trois figures sont au centre de cette écriture de la mémoire de la déportation : le résistant, la victime et le juste. L’ordre que nous avons choisi correspond à leur émergence historique dans l’espace public. Toutes les trois sont des témoins de cette période et occupent aujourd’hui des places bien différentes. Plus que dans l’ère des témoins, nous sommes aujourd’hui dans l’ère des victimes. L’ère des victimes voit la Shoah se transformer en paradigme de la mémoire occidentale, autour duquel se bâtit le souvenir d’autres violences récentes ou lointaines, du génocide des Arméniens à celui des Tutsis, de l’esclavage au Goulag, des massacres coloniaux aux « disparitions » sous les dictatures latinos américaines. L’historiographie elle-même a été profondément affectée par cette tendance : elle a souvent généralisé les outils interprétatifs qui avaient été forgés par les Holocaust Studies. L’histoire se réduit ainsi à une dichotomie entre persécuteurs et victimes. La mémoire collective est simplificatrice et propose une vision manichéenne du passé distinguant d’un côté les « bons » et de l’autre « les méchants ». (Alfred Grosser, 1996) Nos trois figures contribuent à cette vision en créant des images, des personnages se gravant dans notre sensibilité, dont les musées se font le relais. La victime est la figure qui semble être la plus importante actuellement. Elle est l’incarnation de la mémoire juive de la déportation, transmettant la souffrance de cette expérience. Les enfants déportés en seraient la figure ultime. Le résistant, figure mise en avant au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, est devenu secondaire par rapport à la figure de la victime. Représentation d’une vision héroïque du combattant qualifiée de « part de lumière » de la mémoire historique de l’occupation par Henri Rousso et Éric Conan (1994), elle est pour la déportation un vecteur de valeurs permettant de dépasser une vision uniquement négative de cet événement. À côté de ces deux figures, surgit depuis quelques années celle du juste, qui semble réactiver les valeurs de courage et d’espoir véhiculées par le résistant, aujourd’hui en perte de vitesse du fait de la disparition des derniers témoins et de la faible représentation politique des représentants associatifs. Instituée par la loi du 23 mars 2000 qui promulgue « une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux « Justes » de France qui ont recueilli, protégé ou défendu, au péril de leur propre vie et sans aucune contrepartie, une ou plusieurs personnes menacées de génocide », cette nouvelle figure mémorielle est une création originelle de l’Institut Yad Vashem de Jérusalem. Elle est un moyen pour l’État français de sortir de sa culpabilité d’avoir collaboré activement à la déportation des Juifs et de réaliser une réconciliation entre Juifs et non-Juifs. En outre, elle permettrait de ne plus penser la mémoire historique de la déportation en termes de concurrence mémorielle entre déportation politique et déportation raciale. Sur le plan de l’historiographie, la déportation est un événement exemplaire de l’histoire du temps présent dont nous avons parlé plus haut. Depuis le cinquantième anniversaire de la libération des camps, l’accès à de nouvelles archives a permis aux historiens de raffiner leurs données et notamment de chiffrer plus précisément le nombre de victimes.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
CHAPITRE 1. Mémoires sensibles
1.1. L’HISTOIRE DU TEMPS PRÉSENT
1.1.1. Témoin, mémoire et témoignage
1.1.2. La demande sociale
1.1.3. L’événement
1.2. LA MÉMOIRE
1.2.1. La mémoire individuelle
1.2.2. Mémoire et société
1.2.3. Mémoire et histoire
1.2.4. Le témoignage
1.3. LA RÉSISTANCE ET LA DÉPORTATION EN ISÈRE : DES MÉMOIRES SENSIBLES
1.3.1. Un contexte historique particulier
1.3.2. Mémoires politiques et mémoires juives de la déportation en Isère
1.3.3. L’écriture de la déportation aujourd’hui
CHAPITRE 2. Écriture muséale de la déportation au MRDI
2.1. CORPUS PRINCIPAL ET MÉTHODOLOGIE D’ANALYSE
2.2. UN HISTORIQUE DU MUSÉE ET UNE PREMIÈRE PHRASE D’ÉCRITURE MUSÉALE DE LA DÉPORTATION
2.2.1. Le musée associatif
2.2.2. Vers la départementalisation du musée
2.2.3. Le Musée départemental
2.2.4. Le MRDI en 2006 : Muséographie générale
2.3. PROCESSUS D’ACTUALISATION, DESCRIPTION DU PROCESSUS : DE LA MÉDIATION MÉMORIELLE À LA MÉDIATION DE VALEURS
2.3.1. La salle de déportation en 1994
2.3.2. L’actualisation de la salle de la déportation 2006-2008
CHAPITRE 3. Une écriture patrimoniale de la déportation
3.1. LE PATRIMOINE SOUS L’ANGLE DE LA PATRIMONIALISATION
3.1.1. Une brève histoire du mot patrimoine
3.1.2. Le patrimoine sous l’angle de la patrimonialisation
3.1.3. Une dimension sociale et symbolique
3.1.4. Le temps de l’entre-deux
3.1.5. Le patrimoine et son contexte contemporain
3.2. COMMENT L’ÉCRITURE PATRIMONIALE D’UNE MÉMOIRE SENSIBLE S’ÉLABORE-TELLE?
3.2.1. Un dispositif muséologique participatif
3.2.2. Perspective relationnelle
3.2.3. Perspective symbolique et temporelle
3.3. LES CONDITIONS D’UNE PATRIMONIALISATION D’UNE MÉMOIRE SENSIBLE
CHAPITRE 4. Discussion sur l’écriture de l’histoire du temps présent
4.1. LE RÔLE DES TÉMOINS ET PORTEURS DE MÉMOIRE
4.2. UN ESPACE DE COMMUNICATION PARTICIPATIF
4.3. UNE ÉCRITURE JUSTE?
Conclusion

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *