Patrimoine, patrimonialisation et valorisation patrimoniale
Le patrimoine
Notion première
Le mot patrimoine vient du latin patrimonium qualifiant l’«ensemble des biens, des droits hérités du père» (CNRTL). Dans un premier temps, la notion de patrimoine s’appliquait donc au « bien qu’on tienne par héritage de ses ascendants » (Larousse en ligne). Il concernait alors le bien matériel et privé. Au fil du temps, le terme a subi divers « glissements et transformations sémantiques » qui ont élargi la notion de patrimoine. (Di Méo, 2007). La notion de patrimoine s’est élargie à l’ensemble des biens transmis à « une collectivité, par les ancêtres, les générations précédentes, et qui est considéré comme un héritage commun » (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales). Le patrimoine englobe ainsi l’individuel et le collectif.
Le patrimoine dans sa globalité
La définition du patrimoine englobe le matériel – les éléments d’architecture, les objets construits (les objets d’art, les outils…) – mais aussi l’immatériel. Selon l’UNESCO le Patrimoine Culturel Immatériel regroupe « des pratiques, représentations et expressions, des connaissances et savoir-faire que les communautés et les groupes et, dans certains cas, les individus, reconnaissent comme partie intégrante de leur patrimoine culturel. » (Glossaire de l’UNESCO). Les valeurs immatérielles se rapportent donc notamment à des savoir-faire, des connaissances ou des valeurs qui sont transmises par les hommes de génération en génération.
Patrimoine naturel
La notion de patrimoine peut également être élargie à la nature. Le patrimoine naturel représente « l’ensemble des biens dont l’existence, la production et la reproduction sont le résultat de l’activité de la nature, même si les objets qui le composent subissent des modifications du fait de l’Homme » (INSEE, 1986) . Le patrimoine naturel désigne « les spécificités naturelles, les formations géologiques ou de géographie physique et les zones définies qui constituent l’habitat d’espèces animales et végétales menacées, ainsi que les sites naturels qui présentent un intérêt sur le plan scientifique, dans le cadre de la conservation ou en termes de beauté naturelle. » (Institut de statistique de l’UNESCO, Cadre de l’UNESCO pour les statistiques culturelles, 2009 ; UNESCO, Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, 1972.) L’UNESCO fait également un lien entre culture et nature en définissant comme Patrimoine mondial de l’UNESCO « un ensemble de biens culturels et naturels présentant un intérêt exceptionnel pour l’héritage commun de l’humanité. » .
De la patrimonialisation à la valorisation
Selon François Hugues la patrimonialisation est un processus dont les différentes étapes, s’appuient sur quatre phases : la sélection, la justification, la conservation et la mise en exposition. Ce processus de patrimonialisation nécessite la participation d’acteurs individuels ou collectifs placés dans des contextes territoriaux, sociaux et culturels qui permettant le déclanchement de ce processus. Au départ du processus de patrimonialisation, il s’agit en premier lieu, d’effectuer une sélection des objets qui seront intégrés au patrimoine. Ce sont des objets hérités par les acteurs depuis des générations et qu’un groupe (ou un grand nombre de ses membres) reconnait comme valeurs symboliques. Savoir-faire, pratiques, lieux, bâtiments…vont alors être reconnus comme héritage et ce sont ces objets qui seront intégrés au patrimoine. La sélection s’accompagne d’une justification. Ces « objets » doivent montrer l’existence d’un lien temporel entre le passé et le présent. Il s’agit de montrer en quoi ces témoignages du passé forgent l’identité de cette collectivité. La patrimonialisation intègre ici la notion de mémoire. La conservation est le fondement de la patrimonialisation. Elle a pour objectif d’assurer la pérennité des objets patrimoniaux choisis initialement. Ils doivent laisser une trace et être transmissibles. La question de la mise à jour du patrimoine est alors à envisager : faut-il garder le patrimoine en état ou le faire évoluer quitte à le réinterpréter ? La mise en exposition est la phase finale. Il s’agit de montrer l’objet afin de permettre la transmission de cet objet ou cette pratique aux générations futures. Les individus deviendront alors héritiers de ces éléments, de leur mémoire et du groupe d’individus dont ils l’ont hérité. On peut expliquer cette patrimonialisation par le rapport entre territoire et patrimoine, qui «participent à l’émergence d’un espace commun, dans lequel le groupe se reconnaît, dont il se revendique, et autour duquel il se construit ». (François et al, 2006). Une fois définis comme objets patrimoniaux selon le processus de patrimonialisation défini par François Hugues, la valorisation va ensuite mobiliser et utiliser ces objets patrimoniaux dans des initiatives ayant pour finalité le développement territorial.
Des siècles d’histoire du vignoble chinonais
Le moyen âge : une viticulture locale
Si le vignoble tourangeau remonte à l’Antiquité, on connaît cependant peu de choses des spécificités de celui-ci à cette époque. Ce n’est qu’avec les sources écrites provenant de cartulaires des établissements religieux d’Anjou et en Touraine IXème – XIIème siècle que l’on peut appréhender la cartographie de la viticulture en Touraine. Selon Samuel Leturcq et Adrien Lammoglia, au moyen âge, « les mentions de viticulture sont réparties […] sur l’ensemble du territoire, aussi bien dans les vallées (Loire, Vienne, Indre, Cher…) que sur les plateaux. » mais sans « secteurs géographiques de la Touraine orientés vers la spécialisation viticole, à l’exception peut-être de la banlieue de Tours ». « Cette répartition est un indice d’une viticulture courante, ordinaire et généralisée sur l’ensemble du territoire, dans le contexte d’une production polycole, classique durant la période médiévale. »
XVIIème- XIXème siècles : Une orientation extrarégionale liée aux voies navigables entrainant une croissance spatiale du vignoble
Selon Samuel LETURCQ « Le vignoble tourangeau a connu une dynamique spatiale importante depuis le Moyen Âge pour s’orienter vers une viticulture à vocation spéculative. » La position de Chinon située de part et d’autre de la Vienne et à proximité de sa confluence avec la Loire, a facilité les transports extrarégionaux de marchandises, cependant, avant le XVIIème siècle les vins de Touraine en général et ceux de Chinon en particuliers sont peu exportés.
Jusqu’au XVIIIe siècle chaque bassin fluvial est distinct. Il forme un réseau de circulation qui ne communique avec le reste du monde (et donc avec Paris) que par la mer (Figure 5a). Au cours des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, des « canaux de jonction » sont créés pour relier les différents bassins fluviaux (Figure 5b). «L’ouverture des canaux de Briare (1642) et d’Orléans (1692) entre la Loire et le bassin de la Seine entraîne aussi un basculement des exportations de vins de Loire vers Paris » (Brouard 2016). Ainsi, l’orientation commerciale extrarégionale des vins de Chinon (essentiellement rouges) ne débute réellement qu’à partir du XVII ème siècle avec l’accès au marché parisien facilité par l’ouverture du canal d’Orléans en 1692 permettant d’accéder à Paris directement depuis la Loire. Les vins de Chinon peuvent alors être facilement envoyés vers Paris !
Selon Samuel Leturcq, Adrien Lammoglia, au début XIXème on distingue en Touraine trois zones viticoles d’exportation vers Paris : les «vins du Cher » (vignobles des rives droite et gauche du Cher ainsi que l’ensemble des rouges produits sur les rives droite et gauche de la Loire, Bourgueil excepté), la vallée de la Vienne (les vins de la Vienne sont destinés prioritairement à une consommation locale, les blancs de la rive droite étant « méprisés » et les rouges de la rive gauche n’étant qu’occasionnellement envoyés vers Paris) et la zone de Bourgueil.
Avec l’augmentation de la demande parisienne, les productions du Chinonais trouvent un débouché commercial pour le vin rouge. Le vignoble de la vallée de la Vienne se développe alors durant tout le XIXème : la production viticole des vins rouges de Chinon augmente (Tableau II ) et les superficies plantées en cépage Cabernet Franc connaissent une croissance très importante. Samuel Leturcq et Adrien Lammoglia indiquent ainsi que « le 8 mars 1861, le sous-préfet de Chinon observe que, depuis 6 ou 7 ans, la culture de la vigne s’est accrue dans des proportions qu’il est difficile d’apprécier au juste, mais qu’on peut approximativement évaluer à 1/20e des terrains déjà plantés. Il donne une explication : Les causes de cette augmentation sont attribuées au placement facile des produits qui depuis longtemps se vendent à des prix qui permettent aux viticulteurs de réaliser d’asse beaux bénéfices. ». (Leturcq S et Lammoglia,2015) .
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Table des matières
Introduction
I. Présentation de l’aire d’étude
A Situation géographique de l’aire d’appellation Chinon
B L’Aire d’appellation Contrôlée (AOC) Chinon
C Pays du chinonais et AOC Chinon
II. Patrimoine, patrimonialisation et valorisation patrimoniale
A Le patrimoine
B De la patrimonialisation à la valorisation
III. Des siècles d’histoire du vignoble chinonais : identification des facteurs historiques en œuvre dans la valorisation et la dynamique spatiale du terroir vitivinicole du chinonais
A Le moyen âge : une viticulture locale
B XVIIème- XIXème siècles : Une orientation extrarégionale liée aux voies navigables
entrainant une croissance spatiale du vignoble
C La crise du phylloxéra : une chute de la production et une restructuration de la filière
D XXème siècle : Appellation d’Origine Contrôlée (AOC), valorisation patrimoniale
territorialisante et dynamique territoriale
E XXème siècle : évolution de la superficie viticole
F Cravant-les coteaux et Panzoult : de la polyculture à la viticulture
A Bilan de l’évolution de la superficie viticole de Cravant-les-Côteaux et Panzoult du
XIXème siècle à nos jours
IV. Identification des facteurs naturels mis en œuvre dans la valorisation et la dynamique spatiale du terroir vitivinicole du chinonais
A Le terroir viticole : première approche
B Contexte topographie
C Contexte géologique et pédologique
D Particularités climatiques
E Du VIN aux VINS : l’Unité Territoriale de Base
V. L’identité du vin : un objet de patrimonialisation et de valorisation
A Le terroir viticole : approche humaine et sociale
B L’AOC : un capital collectif ayant pour but la valorisation d’UN VIN mais aussi une
menace pour la diversité d’expression des terroirs
C AOC et savoir-faire viticole : une cohabitation difficile
D Vinification parcellaire et lieu-dit : du VIN aux VINS
E Les étiquettes.
VI. Le vin : un objet de traditions culturelles et de valorisation territoriale
A Littérature et légendes locales : des éléments culturels objet de valorisation
B Les manifestations touristiques ou festives
Conclusion
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