Patients atteins de cancer métastatique en réanimation

Le patient d’oncologie solide en réanimation

Il y a en France 382 000 nouveaux cas de cancer diagnostiqués en 2018 (INCA) avec 157 000 décès liés aux cancers. Le nombre de nouveaux cas de cancers a augmenté de 65% entre 1990 et 2018, principalement du fait du vieillissement (39%) et de l’augmentation de la population française (20%). (1) C’est également la première cause de décès prématuré. La proportion de patients atteints de pathologie cancéreuse admis en réanimation est aussi en constante augmentation, en parallèle de l’augmentation de patients vivant avec un cancer. (2) 5 à 10% des patients atteints de cancer nécessitent de la réanimation et, à l’inverse, 20% des patients en réanimation ont un cancer comme antécédent. (3)(4)(5) L’apparition de thérapeutiques nouvelles augmente l’espérance de vie de nombreuses néoplasies ; notamment les inhibiteurs de check-point, les inhibiteurs de tyrosine-kinase, auxquels on peut ajouter les traitements antifongiques, le traitement prophylactique des aplasies par GCSF et les prophylaxies des infections opportunistes. Les nouvelles thérapeutiques antinéoplasiques peuvent justifier une réanimation dans l’espoir d’accéder à ces thérapeutiques, mais elles créent également des effets indésirables graves pouvant nécessiter une suppléance d’organe. (6) Certaines indications chirurgicales d’exérèse de lésions métastatiques peuvent mener les patients en postopératoire en soins intensifs pour surveillance ou pour des complications du fait de chirurgies lourdes chez des individus déjà fragiles. (7) Des patients qui auparavant auraient relevé de soins palliatifs sont aujourd’hui pris en charge avec des chirurgies majeures et des traitements cytotoxiques, immunomodulateurs ou ciblés. La présence de nouvelles lignes thérapeutiques donne un espoir aux patients, aux cliniciens et aux familles. Les causes les plus fréquentes d’admission en soins critiques sont la surveillance postopératoire, le sepsis et les détresses respiratoires aiguës. Suivent les complications des traitements antinéoplasiques, les urgences oncologiques et les saignements. (8) On retrouve en soin intensif principalement des hommes, entre 60 et 70 ans. Les cancers les plus pourvoyeurs d’admission en réanimation sont les cancers de l’intestin grêle et le cancer colorectal (3) du fait de l’élargissement des indications de chirurgie.

L’admission en réanimation était jusqu’à peu restreinte pour ces patients cancéreux. Une étude de 2005 montre que le fait de présenter une néoplasie métastatique est la deuxième cause de refus d’admission en réanimation. (9) Pourtant, l’évaluation médicale du pronostic de ces patients à court, moyen et long terme est difficile. Le meilleur moyen est de réaliser des discussions interdisciplinaires. (10) Le pronostic des patients d’oncologie a été analysé dans de nombreuses études. Un tableau récapitulatif d’études sur le pronostic des patients d’oncologie est disponible en annexe 1. Le fait de présenter un cancer solide à l’admission en réanimation n’est pas un facteur de risque de mortalité comme le montre l’étude de Taccone et al. (5) On peut également citer la méta-analyse de Puxty et al, qui reprend 48 articles internationaux avec au total 25 539 patients et retrouve des mortalités moyennes similaires aux autres patients de réanimation, avec une mortalité en réanimation de 31,2% et mortalité hospitalière de 38,2%.

Le patient atteint de néoplasie métastatique en réanimation

Une grande proportion de ces patients d’oncologie présente une néoplasie métastatique. Cela concerne près de la moitié des patients d’oncologie admis en réanimation pour une indication médicale.

MATERIEL ET MÉTHODE

Nous avons inclus rétrospectivement 253 patients sur trois centres dans le sud de la France : la réanimation de l’Institut Paoli-Calmette Centre Régional de Lutte contre le Cancer à Marseille, la réanimation de l’hôpital Sainte Musse à Toulon Centre Hospitalier Régional, et la réanimation polyvalente de l’Hôpital Nord de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille. La période d’inclusion est située entre janvier 2017 et décembre 2020. Ce projet a été approuvé par le Groupe de Sélection des Projets de Recherches Cliniques « institutional review board » de l’Institut Paoli-Calmette (n°2020-067). Nous avons inclus tous les patients ayant pour antécédent un cancer solide métastatique ou une tumeur métastatique en cours de diagnostic, quel que soit le primitif, admis en réanimation pour une défaillance d’organe imprévue. Nous avons exclu les patients d’hématologie, les patients en surveillance postopératoire d’une chirurgie programmée, les patients non défaillants, et les patients mineurs. Nous avons également exclu les cancers du testicule métastatique dont le profil et les thérapeutiques diffèrent des autres primitifs. (11) Pour les admissions multiples, seule la première admission sur la période a été analysée. L’analyse des données a été anonymisée. Nous avons analysé les détails de l’admission en réanimation avec l’origine d’admission, la cause et le diagnostic; les antécédents avec le score de Charlson (12), l’ « ECOG Performans status » 1 mois avant l’admission (13) (annexe 3) et la nutrition. Nous avons ensuite colligé les détails du cancer avec le primitif et le nombre de métastases, le statut contrôlé ou en progression, les traitements anticancéreux déjà réalisés ; la gravité clinique et biologique avec les scores IGS ONCOSCORE (14) et SOFA à J1 et J3 (15) (annexe 4) ; et enfin les limitations. Nous avons analysé le devenir à la sortie d’hospitalisation après réanimation, à 3 mois puis à 6 mois, en différenciant le retour à domicile du non-retour à domicile (séjour en SSR, institutionnalisation, unité de soin palliatif). Une hospitalisation à domicile est incluse dans les retours à domicile. Une rechute après le passage en réanimation et l’administration de traitement spécifique a été suivie sur minimum 6 mois. Une rechute a été définie sur la base de compte-rendu de radiologie, tous examens confondus. Nous avons défini la dénutrition par une IMC < 18,5cm/m2, ou une perte de poids de 5% en 1 mois, ou de 10% dans les 6 mois précédant l’admission, ou une albuminémie à l’admission < 30G/L. (16) La Neutropénie a été définie par des polynucléaires neutrophiles < 500/mm3. (17) ; la thrombopénie par un compte plaquettaire < 150 giga/litre.

Les causes néoplasiques sont toutes les causes de la défaillance en lien direct avec la néoplasie comme une compression d’organe, une lymphangite, les épanchements de séreuses, … Nous nous sommes référés à la « surviving sepsis campain » (18) pour la définition du choc septique, à la classification KDIGO (19) pour l’insuffisance rénale aiguë et à la recommandation SFAR (20) pour la limitation des thérapeutiques qui comprend également les arrêts des thérapeutiques actives. L’objectif de l’étude est d’analyser les facteurs associés au devenir des patients métastatiques après un passage en réanimation à court et long terme. Nous avons tout d’abord analysé les facteurs associés à un retour à domicile de ces patients à 3 mois, puis avons analysé les facteurs associés à la mortalité à 1 an.

ANALYSES STATISTIQUES 

Toutes les données sont présentées en taux (pourcentages) pour les variables qualitatives, et en médiane (25ème-75ème percentile) pour les variables quantitatives. Les facteurs des patients ont été comparés entre deux groupes de patients à trois mois : ceux qui sont retournés à domicile et les autres patients. Aucun patient n’est perdu de vue avant la sortie de l’hôpital, et les 14 patients perdus de vue à 3 mois ont été mis dans le groupe de ceux qui ne sont pas retournés à domicile. La comparaison entre ces deux groupes a été faite avec le test de Mann Withney pour les variables qualitatives et avec le test du Chi-2 ou de Fisher pour les variables qualitatives. Tous les petits p <0,05 ont été considérés statistiquement significatifs. Nous avons réalisé une régression logistique pour identifier les variables indépendantes associées au retour à domicile à 3 mois, mesurées par des Odds ratios estimés avec un intervalle de confiance de 95% (IC95%). Les variables présentant un p inférieur à 0,10 dans l’analyse univariée ont été rentrées dans le modèle de régression logistique. La survie à un an a été calculée depuis le jour de l’entrée en réanimation jusqu’au décès toutes causes (évènements) confondues, ou jusqu’à la date des dernières nouvelles (censure). Le suivi a été censuré après 12 mois. La corrélation entre les caractéristiques des patients pour la mortalité à un an a été réalisée à partir de la régression univariée et multivariée de Cox. Tous les tests statistiques étaient bilatéraux. Nous avons de nouveau considéré un petit p <0,05 comme significatif. Le modèle de Cox utilise dans l’analyse multivariée toutes les variables présentant un p < 0,10. La variable d’intérêt était la mortalité à un an, et les résultats sont exprimés en hazard ratio (HR) avec des intervalles de confiance de 95% (95%IC). Enfin, la courbe des incidence cumulées a été utilisée pour illustrer la progression des cancers des patients retournés à domicile. La survie sans progression a été définie comme l’intervalle entre la date d’entrée en réanimation et la date de progression du cancer, ou la date où le patient est perdu de vue, ou la date du décès.

RÉSULTATS

Résultats généraux

Sur 253 patients métastatiques en réanimation inclus dans notre étude, l’âge médian est de 65 ans IQR[56-72]. 50% (n=127) sont des femmes. Un mois avant l’admission, 40 % (n=101) des patients ne sont pas alités (Performans Status 0 ou 1). 54% (n=137) des patients sont dénutris. Les primitifs les plus fréquents sont les cancers pulmonaires non à petites cellules (33%), suivis du cancer du sein (16%) puis du cancer colorectal (9%).

Avant leur admission en réanimation, 27% (n=68) des patients n’auront jamais eu de traitement anticancéreux, 60% (n=154) auront déjà eu de la chimiothérapie, 35% (n=89) une thérapie ciblée et 14% (n=35) de l’hormonothérapie. Parmi les 35 patients sous hormonothérapie, 25 patientes sont suivies pour un cancer du sein et 10 patients pour une néoplasie de prostate. L’étiologie la plus fréquente est l’infection (46% n=117), suivie des causes néoplasiques (36% n=92), puis des effets secondaires des thérapeutiques antinéoplasiques (9% n=22).

Retour à domicile à 3 mois

À 3 mois, 94 patients sur 253 (37%) seront retournés à domicile. Parmi les 159 patients non rentrés à domicile, 94 sont décédés à l’hôpital (37%), 40 sont décédés dans les 3 mois qui ont suivi leur sortie (16%), 14 ont été perdus de vue (5%) et 12 ont été admis dans une structure de soin adaptée (5%). Les patients perdus de vue ont été analysés dans le groupe non-retour à domicile. La mortalité à 3 mois est de 53% (n=133). En analyse univariée, avant l’hospitalisation en réanimation nous retrouvons peu d’associations statistiques entre les caractéristiques du cancer des patients de notre étude et le retour à domicile ou la mortalité à un an. Parmi les primitifs, seul le cancer du sein est associé au retour à domicile. Un âge bas, le sexe féminin, le score de Charlson bas (donc peu d’antécédents), un Performans Status faible, une absence de dénutrition sont déjà associés au retour à domicile. Avoir déjà eu de la chimiothérapie avant l’admission en soins intensifs et un nombre de ligne élevé est associé au retour à domicile. Pendant l’hospitalisation en réanimation, les scores de gravité SOFA et IGS, la différence entre le score SOFA à l’admission et à 3 jours appelé « Delta SOFA » ainsi que les défaillances d’organe prises isolément ressortent significatives sur le retour à domicile à 3 mois. L’ensemble des facteurs testés sont dans les tableaux 1 et 2. L’analyse multivariée retrouve six facteurs indépendamment associés au retour à domicile à 3 mois : un Performans Status bas (0 ou 1), une absence de dénutrition, le sexe féminin, un score SOFA bas et la réalisation d’une chimiothérapie avant la réanimation quel que soit le délai. Une limitation des thérapeutiques durant la réanimation diminue fortement le retour à domicile indépendamment des autres facteurs.

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Table des matières

I. INTRODUCTION
I.1 Le patient d’oncologie solide en réanimation
I.2 Le patient atteint de néoplasie métastatique en réanimation
II. MATERIEL ET MÉTHODE
III. ANALYSES STATISTIQUES
IV. RÉSULTATS
IV.1 Résultats généraux
IV.2 Retour à domicile à 3 mois
IV.3 Mortalité à un an
V. DISCUSSION
V.1 Discussion générale
V.2 Caractéristiques de l’admission
V.3 Caractéristiques du cancer
V.4 État général et fragilité
V.5 Hormonothérapie et immunothérapie
V.6 Qualité de vie et éthique
VI. CONCLUSION
ANNEXES

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