Pathogénie de l’infection virale
Herpèsviroses infectant les ruminants
Les herpèsviroses présentent, au sein d’un troupeau infecté, une évolution à bas bruit avec de nombreux individus porteurs asymptomatiques et d’autres, porteurs latents. Ces derniers constituent la véritable menace épidémiologique en termes de transmission virale. Quatre autres herpèsvirus infectent les bovins en plus du BoHV-4 : le BoHV-1 responsable du complexe rhinotrachéite infectieuse / vulvo-vaginite pustuleuse infectieuse (IBR/IPV), le BoHV-2 responsable de la thélite infectieuse bovine (bovine herpes mammilitis), le BoHV-5 responsable de l’encéphalite infectieuse bovine (bovine herpes meningoencephalitis) et le BoHV-6.
Ils partagent des propriétés biologiques communes (MARKINE-GORIAYNOFF et al., 2003b) : (i) leur génome viral code pour des enzymes impliquées dans le métabolisme des acides nucléiques, dans la synthèse d’ADN viral ou encore dans la modification d’autres protéines, par exemple : protéase, protéine kinase, thymidine kinase, dUTPase, ribonucléotide réductase, ADN polymérase, hélicase, primase etc. Cet arsenal enzymatique varie d’un herpèsvirus à l’autre. (ii) La synthèse de l’ADN viral et l’assemblage des capsides se réalisent dans le noyau de la cellule infectée. (iii) La production de particules virales infectieuses s’accompagne quasi-systématiquement de la mort cellulaire. (iv) Les herpèsvirus sont capables d’établir une infection latente chez leur hôte naturel : le génome viral se circularise et reste sous forme d’épisome dans le noyau de la cellule infectée, un nombre limité de gènes est exprimé. Le tableau 1 ci-après mentionne les principales caractéristiques des herpèsviroses infectant les ruminants. Il est à noter qu’il n’existe pas de relation antigénique entre le BoHV-4 et les autres herpèsvirus infectant les bovins dont le BoHV-1, i.e. l’infection par le BoHV-1 ne sera pas protectrice contre le BoHV-4 (BARTHA et al., 1987).
Glycoprotéines virales
Les glycoprotéines sont contenues dans l’enveloppe du virion et elles interviennent dans l’attachement, la pénétration, la sortie et la diffusion des particules virales. Certaines sont conservées parmi les herpèsvirus, d’autres sont propres à des espèces ou sous-familles d’herpèsvirus. Parmi les glycoprotéines virales conservées, on citera la glycoprotéine gB essentielle pour la pénétration du virus dans la cellule hôte. La glycoprotéine gH est impliquée dans la fusion de l’enveloppe virale avec la membrane plasmatique de la cellule hôte et dans la propagation du virus de cellule à cellule, probablement par fusion des membranes plasmatiques. Le rôle de la glycoprotéine gL est moins bien connu, elle participerait avec la gH aux processus liés au pouvoir pathogène viral (LETE et al., 2012).
Le complexe glycoprotéique gM-gN, peu étudié, contribuerait à l’atténuation du BoHV-4 en culture de cellules in vitro et jouerait un rôle dans le bourgeonnement des virions in vivo (FRANCESCHI, 2009-2011). DUBUISSON et collaborateurs (1989a) ont étudié les glycoprotéines majeures de l’enveloppe virale du BoHV-4. Il en ressort que les complexes gp6/gp10/gp17 et gp11-VP24 sont reconnus par la plupart des anticorps monoclonaux produits, ce sont donc des composants antigéniques majeurs du virion. La glycoprotéine gp8 interagit avec les molécules de sulfate d’héparane et joue donc un rôle déterminant dans l’attachement de la particule virale à la cellule hôte, soit la phase d’adsorption du virus (VANDERPLASSCHEN et al., 1993). La quatrième glycoprotéine décrite est gp1. Le BoHV-4 ne présente pas d’homologue aux glycoprotéines gD ou gE. gD est un immunogène majeur du BoHV-1 et gE est utilisé comme marqueur vaccinal contre le BoHV-1, pour rappel il n’existe pas de parenté antigénique entre le BoHV-4 et le BoHV-1 (FRANCESCHI, 2009-2011). Le BoHV-4 partage en revanche des épitopes avec l’AlHV-1, un autre gammaherpèsvirus avec lequel sont observées des réactions sérologiques croisées, qui semblent protectrices (DEWALS, 2007 ; OSORIO et al., 1985).
Multiplication virale au site d’entrée et diffusion au sein de l’organisme hôte
La multiplication primaire du virus s’effectue au niveau des portes d’entrée, i.e. des cellules épithéliales des muqueuses, notamment les cellules épithéliales du tractus respiratoire supérieur (EGYED et al., 1996). EGYED et collaborateurs (1999) ont infecté expérimentalement des veaux, ils ont retrouvé de l’ADN viral dans les sérums entre 10 et 32 jours après l’épreuve d’inoculation. Ce résultat suggère l’existence de virus libre dans le sang. Cependant, cette phase de virémie n’est pas toujours détectable, et peut réapparaitre de façon périodique. LIN et collaborateurs (1999) ont mis en évidence la très grande susceptibilité des cellules endothéliales bovines in vitro à l’infection par le BoHV-4. EGYED et BASKA (2003) ont déterminé les lésions in vivo induites par une telle infection chez des lapins : ce sont des lésions vasculaires associées à l’accumulation de cellules mononuclées. Ces observations suggèrent le passage du virus des CMS à l’endothélium vasculaire. Ainsi pris en charge par les CMS, le virus peut se disséminer dans tout l’organisme par voie sanguine (OSORIO et REED, 1983) et ainsi être virtuellement isolé de tout organe vascularisé. Les tissus lymphoïdes, les cellules sanguines mononuclées sont considérés comme des sites primaires d’infection. Le virus peut par ailleurs passer la barrière placentaire et ainsi infecter le foetus (WELLEMANS et al., 1986). In vitro, il a été démontré que la multiplication du BoHV-4 est dépendante de la phase S du cycle cellulaire (VANDERPLASSCHEN et al., 1995). Si cette dépendance existe également in vivo, elle expliquerait pourquoi le BoHV-4 se multiplie exclusivement dans les cellules en division (MARKINE-GORIAYNOFF et al., 2003b). Le virus se multiplie principalement dans les épithéliums oculaires, respiratoires et génitaux ; ces tissus sont considérés comme des sites de multiplication primaires ou secondaires. Le virus peut y produire des lésions de nécrose cellulaire et être excrété dans les écoulements oculaires, le jetage nasal (CASTRUCCI et al., 1987b) et les sécrétions génitales (MONGE et al., 2006).
Etablissement de la latence Latence :
l’installation du virus au sein des cellules, en l’absence de multiplication virale. Après primo-infection, le virus s’installe à l’état latent chez le bovin, son hôte naturel (DUBUISSON et al., 1989b), ainsi que chez le lapin, son hôte expérimental (OSORIO et al., 1992). La présence du BoHV-4 dans de nombreux tissus a été démontrée pendant les phases de latence ; même si la rate apparait comme l’organe privilégié de la latence chez le lapin infecté expérimentalement (OSORIO et al., 1985) et chez les bovins (EGYED et al., 1996), l’ADN viral peut également être détecté de différents organes de bovins infectés expérimentalement : muqueuse nasale, trachée, poumon et en moindre quantité dans les noeuds lymphatiques, reins, amygdales et thymus (EGYED et BARTHA, 1998 ; EGYED et al., 1996). Plutôt qu’un certain type de tissu support de la latence, plusieurs études plaident en la faveur d’un ou plusieurs types cellulaires ubiquistes hébergeant la latence virale, comme les CMS.
Parmi les CMS, certains auteurs soutiennent la thèse d’une latence au sein de la lignée lymphocytaire (BORCHERS et al., 2002 ; EGYED et al., 1996) ou de la lignée monocyte/macrophage (BOERNER et al., 1999 ; OSORIO et REED, 1983). Cette dernière thèse est appuyée par le fait que le BoHV-4 a été fortement détecté dans les cellules non-T et non-B de la zone marginale de la rate chez des bovins et lapins infectés de manière latente [pour information supplémentaire consulter : OSORIO et al. (1996)]. La position intracellulaire du BoHV-4 lors de la latence le protège de l’action des anticorps sériques. Le BoHV-4 peut par ailleurs établir une infection persistante in vitro dans les cellules macrophagiques bovines (DONOFRIO et VAN SANTEN, 2001). Une étude soutiendrait la possibilité d’une infection cellulaire un cran en amont des macrophages, en effet, les cellules souches mésenchymateuses de la moelle osseuse de veau se sont révélées très permissives à l’infection (DONOFRIO et al., 2005b).
Par ailleurs, le virus ou son génome ont été fréquemment isolés des tissus du système nerveux central des bovins, notamment dans un troupeau atteint de mammites d’allure contagieuse (IZUMI et al., 2006) ou à partir de la corde spinale d’une vache souffrant d’ataxie (YAMAMOTO et al., 2000). La souche B11-41 précédemment isolée a été inoculée à 3 vaches, elle n’a engendré aucun signe clinique mais le génome viral a été de nouveau détecté à partir des noeuds lymphatiques et du tissu nerveux de ces dernières (moelle épinière et ganglion trijumeau) (ASANO et al., 2003). Ces données supportent le fait que l’infection persistante sub-clinique dans le système nerveux peut être une propriété du BoHV-4, même si le rôle du virus dans les désordres du système nerveux (telle que l’ataxie) n’est pas élucidé (EGYED et BARTHA, 1998 ; IZUMI et al., 2006). Le BoHV-4 établit une latence dans l’organisme infecté, naturellement et expérimentalement, à 48 jours post-inoculation (EGYED et al., 1996) voire même plus précocement.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : Étude bibliographique
Le BoHV-4 chez les bovins, revue de la littérature
Caractéristiques du virus, manifestations cliniques et épidémiologie
Nomenclature et classification du BoHV-4
Hespesviridae, gammaherpesvirinae, rhadinovirus
Herpèsviroses infectant les ruminants
Les différentes souches du BoHV-4
Caractéristiques de la particule virale
Morphologie
Génome
Glycoprotéines virales
Spectre d’hôtes in vitro
Propriétés physico-chimiques
Cycle infectieux
Cycle lytique
Cycle latent
Pathogénie de l’infection virale
Multiplication virale au site d’entrée et diffusion au sein de l’organisme hôte
Etablissement de la latence
Réponse immune
Épidémiologie
Espèces sensibles
Prévalence dans l’espèce bovine
Sources virulentes
Modes de transmission
Maintien de l’infection
Pathologie et signes cliniques associés au BoHV-4 chez les bovins
Affections oculaires et respiratoires
Lésions cutanées
Troubles nerveux associés
Coryza gangréneux
Troubles associés au tractus digestif
BoHV-4 et troubles de la reproduction
Infertilité chez le taureau
Affections propres à la vache
Méthodes de diagnostic
Diagnostic de laboratoire
Diagnostic indirect
Diagnostic direct
Détection du BoHV-4 en cas de suspicion clinique
Prophylaxie
Prophylaxie sanitaire
Prophylaxie médicale
BoHV-4 et santé publique
Les avortements bovins en France
Définitions légales
Problématiques de la recherche « avortement bovin » en France
Vers une démarche standardisée d’investigation
DEUXIÈME PARTIE : Enquête auprès des laboratoires départementaux d’analyses vétérinaires
Intérêts et objectifs de l’enquête
Matériel et méthodes
Les interlocuteurs
Choix de l’interlocuteur
Choix de l’échantillon
Le questionnaire
Choix du support
Réalisation
Diffusion
Collecte et analyse des données
Résultats de l’enquête
À propos des LDA
Participation à l’étude
Profil d’activité des LDA ayant répondu
Les LDA impliqués dans la recherche du BoHV-4
Recherches « avortement bovin » menées aux LDA
Déclaration des avortements bovins dans ces départements
Taux d’élucidation des avortements bovins aux LDA
Protocoles avortement cheptel
Nombre de protocoles avortement cheptel suivis par les LDA
Description des protocoles avortement cheptel
Le BoHV-4 dans les LDA
Entend-on parler du BoHV-4 ?
Est-il l’objet de demandes de recherche de la part des vétérinaires praticiens ?
La recherche du BoHV-4 au LDA
Où le recherche-t-on ?
Depuis quand ?
À l’initiative de qui ?
Dans quel contexte pathologique ?
Avec quelles méthodes de laboratoire ?
Sur quels prélèvements ?
Coût des analyses
Quel rôle lui attribuer ?
Retour sur l’expérience des LDA qui recherchent le BoHV-4
Le BoHV-4 sera-t-il l’objet de futures investigations ?
TROISIÈME PARTIE : Discussion
Limites de l’enquête
Population ayant participé à l’enquête
Protocole d’enquête
Canal de communication : le formulaire en ligne
Choix du canal de communication
La diffusion
Temps nécessaire pour le compléter
À propos des questions du formulaire
Résultats de l’enquête
Présentation des résultats
À propos de la qualité des réponses obtenues
Mise en perspective des résultats de l’enquête
Les recherches « avortement bovin » dans l’enquête, confrontation des résultats avec ceux de l’enquête ACERSA-GDS France 2010
Taux de déclaration des avortements bovins
Taux d’élucidation des avortements bovins
Actions standardisées de diagnostic différentiel en cas de série d’avortements bovins
Nombre de départements
La variabilité de ces actions
Recherches étiologiques en première intention et le BoHV-4
Recherches étiologiques en seconde intention et le BoHV-4
Les acteurs départementaux sont-ils sensibilisés à la recherche du BoHV-4 ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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