A l’instar des grands penseurs du XVIIe , Pascal a cherché à connaître la source de l’évidence, autrement dit à saisir la vérité dans toute sa pureté et son absolu. Cela durant toute sa vie. On peut s’arrêter à ce propos sur le témoignage de sa sœur, Mme Périer qui souligne son appétit de connaître la vérité en toutes choses : « […] on peut dire que toujours et en toutes choses la vérité a été le seul [objet] de son esprit, puisque jamais rien n’a su et n’a pu le satisfaire que sa connaissance. Ainsi, dès son enfance, il ne pouvait se résoudre qu’à ce qui lui paraissait évidemment vrai, de sorte que, quand on ne lui donnait pas de bonnes raisons, il en cherchait lui-même et quand il s’était attaché à quelque chose, il ne la quittait point, qu’il n’en eût trouvé quelqu’une qui le pût satisfaire. » .
C’est cette passion même pour la vérité qui le conduit à effectuer des recherches dans presque tous les domaines du savoir. Grâce à son ingéniosité et son esprit d’entreprise, il aboutit à des conclusions inédites qui donnent à sa conception du savoir une orientation toute différente de celle qui faisait l’unanimité à son époque. L’on soutenait contrairement aux intuitions de Torricelli que la nature avait horreur du vide et grâce à son expérience au Puy-de-Dôme, Pascal mit fin à une erreur qui nourrissait les esprits depuis plusieurs siècles. Mais, le plus grand apport de cette expérience, c’est de rétablir le positivisme dans tous ses droits. Selon cette doctrine philosophique la certitude est fondée sur l’expérience, autrement dit, l’on doit partir des faits pour asseoir la certitude des principes a priori de la raison. Par conséquent, la seule connaissance certaine est celle que fournissent les sciences expérimentales. La perspective pascalienne se dresse donc comme une rupture d’avec la scolastique qui dominait la pensée philosophique depuis Aristote et qui continuait à battre son plein dans les philosophies classiques comme le cartésianisme.
Au XVIIe siècle, le savoir est conçu comme un système, un ensemble cohérent et logique, où, à partir des premiers principes posés, on déduit tout le reste. La philosophie se définissant ainsi comme la science rigoureuse du tout, existant et intelligible, selon le mode de penser des géomètres. C’est cette conception de la science qui sera battu en brèche par le philosophe de Port-Royal.
La tâche que nous nous proposons c’est d’abord, de montrer l’ancrage de la pensée pascalienne dans le courant rationaliste du siècle. Ensuite, il sera question de faire une analyse approfondie de nos moyens de connaître : situer les limites du rationalisme dogmatique et, par la même occasion, délimiter le domaine de compétence de la raison ; identifier d’autres moyens de connaître susceptibles de nous livrer des vérités aussi certaines que celles de la raison. C’est dire qu’il faut faire un dépassement du niveau simple des sens et de la raison, pour accéder à un niveau plus élevé, le cœur, siège des principes. Enfin, le dernier aspect de cette réflexion sera consacré au rapport entre les deux facultés que sont la raison et le cœur.
PASCAL SAVANT
Si la question selon laquelle Pascal est philosophe reste encore ouverte, celle qui concerne son appartenance à la famille scientifique ne fait pas de doute. D’ailleurs, le XVIIe siècle dans lequel il s’inscrit, est surtout réputé pour ses grandes découvertes scientifiques, mais aussi pour les révolutions scientifiques qui en découlent. Nous voulons donc montrer dans ce chapitre que Pascal est bien de son siècle et partage le même héritage que ses paires rationalistes.
Pascal héritier de Copernic et de Galilée
Grâce aux découvertes de Copernic, on assiste à l’émergence d’une nouvelle représentation du monde qui se veut coupée de ce qui faisait l’accord des esprits depuis Ptolémée. Autrement dit, l’idée selon laquelle la terre était fixe et au centre de l’univers fait place à celle de son mouvement et de sa rotation autour du soleil. Cependant, le passage du géocentrisme à l’héliocentrisme aura son impact lorsque Galilée, le premier astronome qui observe les cieux à l’aide d’une lunette qu’il aurait inventée, découvre un univers chaotique et infini. La découverte de l’infini cosmologique nous révèle que la vérité de la nature ne relève, ni du visible ni du sensible. Elle est invisible et donc mathématique. Aussi l’homme qui se croyait en assurance sur la vraie et unique base, la terre, ne trouve plus sa place dans l’univers. Ainsi avec Galilée, on ne venait pas seulement de faire tomber les anciennes représentations du monde héritées de l’aristotélisme, mais assistait au renversement des points d’ancrage et de référence de la pensée. C’est pourquoi on peut dire que la véritable révolution est celle opérée par Galilée, avec l’émergence d’un rationalisme scientifique réellement appliqué dont l’impact sur le siècle est très visible dans les œuvres de la postérité, notamment chez Descartes, mais aussi chez Pascal.
A l’instar de tous les savants de l’époque, les sujets qui ont surtout passionné Pascal et qui nourrissaient les cercles de discussions sont : les mathématiques, la physique, la mécanique. Ces domaines de grande portée, il les a renouvelés par les résultats dont il les a enrichis, mais aussi par l’esprit dans lequel il les envisage. Avec Galilée, la science entre dans sa phase de mathématisation. Les mathématiques sont au cœur de toutes les œuvres des penseurs de l’époque. Galilée lui-même les considère comme le langage ou le code à déchiffrer pour comprendre le monde. Quant à Descartes il les prend pour le paradigme auquel on doit se référer pour réaliser la science universelle. Comme Descartes, Pascal se réfère aussi à cette science universelle dont le modèle est à chercher dans la géométrie. L’intérêt que Pascal avait pour les mathématiques remonte à loin dans son histoire. Selon le témoignage de sa sœur Gilberte, il s’y est initié lui-même dès l’âge de douze ans et c’est dans les mathématiques qu’il a réalisé ses premiers exploits. D’abord en démontrant tout seul quelques propositions d’Euclide ; ensuite après avoir reçu quelques cours de son père qui était un grand mathématicien, il rédigea à seize ans son premier traité intitulé «Traité des coniques » qui selon sa sœur « passa pour un si grand effort d’esprit, qu’on disait que depuis Archimède on n’avait rien vu de cette force. » Son génie s’exprime également dans l’invention de la machine arithmétique, « La Pascaline » pour faciliter les calculs de son père, alors qu’il a à peine dix neuf ans. Ce fut une première dans l’histoire française comme l’affirme encore sa sœur : « Cet ouvrage a été considéré comme une chose nouvelle de la nature, d’avoir réduit en machine une science qui réside tout entière dans l’esprit, et d’avoir trouvé les moyens d’y faire toutes les opérations avec une entière certitude sans avoir besoin de raisonnement. » Il est aussi auteur de plusieurs ouvrages mathématiques dont s’inspireront même certains de ses contemporains.
En physique, il aborde les questions avec une logique, une rigueur et une exigence telle, qu’il ne reconnait pour valable que ce qui résiste au crible de la vérification expérimentale. Il a certes hérité de ses prédécesseurs les différentes phases de la recherche, mais l’esprit par lequel il fait la recherche et les apports originaux qu’on lui doit sont assez nombreux pour l’élever au rang des grands doctes en la matière. Concernant la question du vide par exemple, Galilée avait constaté que l’eau qui montait des pompes des puits ne dépassait pas une certaine limite, et la réponse à l’époque était que la nature avait horreur du vide. Mais, par son génie de physicien et de mathématicien, celui-ci avait prédit que cette hauteur limite était proportionnelle à la densité de l’eau. Torricelli, disciple de Galilée pour vérifier la validité de l’hypothèse, prend du mercure comme liquide. Il constate que le mercure s’arrête au niveau équivalent en poids à la colonne d’eau de hauteur maximale dans les pompes. A son tour, Pascal va saisir l’intérêt de l’expérience du vide réalisée par Torricelli. Et partant d’elle, il réalise beaucoup d’autres expériences dont celle du Puy-de-Dôme, et aboutit à la conclusion selon laquelle non seulement le vide existe, mais aussi la pesanteur de l’air ou pression atmosphérique.
Si l’observation et la vérification témoignent du souci que les scientifiques ont de saisir le réel de manière effective, et l’hypothèse de leur intention de prendre ce réel dans le rationnel, on peut dire de Pascal qu’il est fidèle à cet esprit de la science inauguré par Galilée et qui réunit effectivité et rationalité. Il est toujours bien informé de l’état des questions qu’il aborde. Ce qui participe de son souci de s’inscrire dans la continuité des anciens, car il sait qu’en ce concerne les matières scientifiques leur nature est d’être augmentées. Aussi est-il sûre qu’en science l’union fait la force. Dans la Préface sur le Traité du vide il écrit : « Comme leur perfection dépend du temps et de la peine, il est évident qu’encore que notre peine et notre temps nous eussent moins acquis que leurs travaux, séparés des nôtres, tous deux néanmoins joints ensemble doivent avoir plus d’effets que chacun en particulier. » .
Pour ce qui est du domaine de la mécanique, nous voulons signaler qu’il est, à l’instar de Descartes, très marqué par l’esprit mécaniste de l’époque. Il se fera remarquer dans ce domine par la mise en place, en tant que associé dans l’entreprise du Duc de Roannez, des carrosses à cinq sols, premières formes de transports en commun urbain, comportant un réseau de lignes à travers la capital française, avec stationnement et changement. Tout ceci rend compte de son esprit pratique et fait de lui un homme d’action manifestement engagé.
Les bouleversements entrainés par les révolutions copernicienne et galiléenne ne se limitent pas seulement à l’organisation du monde scientifique. Ils touchent aussi la pensée philosophique qui voit émerger des positions sceptiques dont la plus radicale est contenue dans les Essais de Montaigne. La perte de lieu dans l’univers est perçue comme la perte de repères tant au niveau du savoir qu’au niveau de la morale. En réaction contre ce scepticisme de Montaigne qui remet en cause la capacité de l’homme à acquérir la certitude, un mouvement de pensée voit le jour : le rationalisme métaphysique. Ce courant de pensée consacre la grandeur et la force de la raison, l’établissant ainsi comme faculté autonome et souveraine, capable d’assurer à l’homme une connaissance solide et certaine. Cette orientation de la pensée du XVIIe siècle, fondée sur une confiance absolue au pouvoir de la raison, est portée par Descartes, considéré par les commentateurs comme le « père du rationalisme ». Dans la préface du Discours de la métaphysique, Christiane Frémont, en reprenant les termes de Malebranche, affirme qu’entrer en philosophie sans faire cas du cartésianisme c’est « prendre un chemin de travers ». C’est dire combien la pensée, les idées et les concepts du cartésianisme ont constitué des points de perspectives incontournables pour les penseurs de l’époque.
Si la pensée pascalienne est perçue dans son ensemble comme une rupture avec celle de Descartes, il n’en demeure pas moins vrai que les nouveautés qu’on y découvre, retrouvent des concepts et des idées propres au cartésianisme. La convergence de ce courant de pensée avec l’œuvre de Pascal est donc à rechercher surtout dans les concepts communs aux deux auteurs tels que : « raison », «méthode », « ordre », « évidence », « lumière naturelle », « principes » etc. et dans la place qu’ils occupent dans leurs doctrines.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE PASCAL ET LE PROBLEME DE LA CONNAISSANCE
CHAPITRE I : PASCAL SAVANT
CHAPITRE II : LA CRITIQUE DU RATIONALISME CLASSIQUE
CHAPITRE III : LA RAISON ET LE CŒUR DANS LA CONNAISSANCE
DEUXIEME PARTIE LE PROJET APOLOGETIQUE DE PASCAL
CHAPITRE I : LE ROLE DE L’ANTHROPOLOGIE DANS L’APOLOGIE
CHAPITRE II : LA FOI : « LA CONNAISSANCE DE DIEU » OU LA CHARITE
CHAPITRE III : LE SENS DE L’APOLOGIE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIERES