Particularités du TOC chez les enfants et les adolescents

Particularités du TOC chez les enfants et les adolescents

METHODE

Les objectifs de cette thèse ont imposé le choix d’une enquête qualitative. Nous avons préféré réaliser des entretiens individuels semi-dirigés, plutôt que des entretiens par focus group, pour d’une part garantir l’anonymat aux interviewés et d’autre part limiter l’influence des participants entre eux et libérer ainsi la parole de chacun. Le recrutement des participants a été réalisé de manière raisonnée, selon le principe de variation maximale, afin de recueillir des profils de médecins largement différents. Les variables retenues, au moyen d’un questionnaire, étaient le sexe, le nombre d’années d’installation et le milieu géographique d’exercice (rural, urbain).

Les médecins ont été contactés par téléphone, selon leur proximité géographique par rapport à l’enquêteur. Le but et les modalités de l’enquête leur étaient alors présentés. Pour des raisons pratiques, les entretiens ont eu lieu le plus souvent sur le lieu de travail des médecins, rarement à leur domicile. Le guide d’entretien (annexe B) était constitué de questions ouvertes, qui ont été retravaillées suite aux premiers entretiens. En premier lieu, il abordait les grands thèmes suivants : les représentations du TOC, le vécu des médecins axé d’abord sur les modalités diagnostiques et leurs difficultés éventuelles, puis sur les modalités de prise en charge et ses freins possibles. Ensuite, ont été abordées les particularités concernant les enfants et les adolescents. Enfin se sont posées les questions des modalités et des souhaits de formation concernant le TOC.

Le guide d’entretien a été inspiré du livre « L’entretien et ses méthodes », de A. Blanchet et A. Gotman (11). Les entretiens ont été enregistrés au moyen d’un matériel numérique audio puis retranscrits manuellement sur un logiciel Word par l’interviewer. Ils ont été poursuivis jusqu’à saturation des données. Une analyse linéaire de chaque entretien puis une analyse thématique ont été réalisées, au moyen d’outils informatiques (Excel, Word), pour faire ressortir les principaux résultats. Cette analyse a été réalisée par deux personnes, pour obtenir un double codage et augmenter ainsi la fiabilité de l’analyse. De nombreux thèmes se sont dégagés d’une première analyse. Après plusieurs relectures, certaines données ont été éliminées, car elles ne répondaient pas aux objectifs de l’enquête.

La prédominance des compulsions, l’oubli des obsessions

Les médecins interrogés ont surtout décrit des rituels répétés. Certains les ont appelés des compulsions. Seulement un médecin a parlé d’idées violentes qui s’imposaient au patient, que l’on pourrait rapprocher des obsessions. Or, d’après le DSM (1, 2), les patients ont des compulsions et/ou des obsessions. Les obsessions sont des pensées répétées, intrusives, inappropriées (ne correspondant pas aux problèmes de la vie réelle), incontrôlables, mais le sujet reconnaît qu’elles proviennent de sa propre activité mentale. Les plus décrites sont des pensées à type de contamination (être contaminé en serrant les mains), des doutes répétés (la peur d’avoir blessé quelqu’un), des impulsions agressives ou horribles, un besoin irrépressible d’ordre, de symétrie, des représentations sexuelles (une image pornographique récurrente). Elles entraînent une anxiété et une souffrance importantes. Le sujet tente de les ignorer ou de les neutraliser par d’autres pensées ou actions, les compulsions. Les compulsions sont des comportements répétitifs (se laver les mains, vérifier, ordonner…) ou des actes mentaux (prier, compter, répéter des mots silencieusement…) que le sujet se sent poussé à accomplir en réponse à une obsession.

Un risque suicidaire à prendre en compte

Dans notre étude, les médecins considéraient que le TOC pouvait être grave au point d’entraîner une désocialisation, des conduites d’évitement, une dépression. Le risque suicidaire et les addictions étaient par contre peu évoqués. Selon le DSM, les symptômes interfèrent de façon significative avec les activités habituelles du sujet, son fonctionnement professionnel (ou scolaire) et ses relations sociales ou familiales (annexe A). Les sujets évitent les situations et les objets qui provoquent leurs obsessions ou leurs compulsions et restreignent ainsi leur fonctionnement. Ils peuvent aller jusqu’à ne plus sortir de chez eux, pour réaliser leurs compulsions, qui deviennent l’activité principale de la vie. Cela induit un isolement, une culpabilité, des troubles du sommeil. Le sujet peut alors développer un syndrome dépressif majeur, une dépendance (alcool, sédatifs…) (2). 41% de ces patients développent un trouble dépressif (1).

Les pensées suicidaires surviennent chez au moins 1 patient sur 2 et au moins ¼ de ces patients font des tentatives de suicide (1). Des études confirment que la comorbidité dépressive est fréquente chez ces patients (6, 7, 12, 13) et qu’elle est associée à l’existence de TOC plus sévères et difficiles à traiter (14). Par ailleurs, le risque suicidaire serait augmenté chez les patients ayant un TOC et une dépendance à l’alcool (15). Une thèse quantitative réalisée en 2003 sur les TOC en médecine générale a montré que les patients ayant un TOC avaient plus d’antécédents de dépression et plus de problèmes de dépendance à l’alcool que les patients témoins (16).

Enfin, le risque suicidaire serait augmenté chez les patients ayant un TOC, non mariés ou dépressifs (17). Dans notre enquête, les médecins ont évalué le risque de dépression à sa mesure, mais peut-être pas le risque suicidaire. Une attention particulière devrait être portée aux patients ayant un TOC associé soit à une dépression, soit à une dépendance à l’alcool et aux patients isolés, en raison du risque suicidaire.

Des comorbidités très fréquentes

Alors que peu de participants de cette étude ont considéré que le TOC était associé à des troubles anxieux, les données de la littérature suggèrent que le patient présente couramment un trouble anxieux dans sa vie (dans 76% des cas ; trouble panique, phobie sociale, trouble de l’anxiété généralisée, phobie spécifique) (1). Le TOC peut également être associé à un TCA (2, 3) ou à un trouble bipolaire (3, 6, 12). Inversement, chez les sujets ayant un trouble bipolaire, un TCA mais aussi une schizophrénie, une psychose schizo-affective ou atteints du syndrome de Gilles de la Tourette, les taux de prévalence d’un TOC associé sont plus importants que dans la population générale (1).

Certaines études montrent que lorsqu’un patient a une comorbidité anxieuse, le TOC est plus grave (18), difficile à traiter (14) et les dépressions plus fréquentes (19). La comorbidité bipolaire serait associée à un haut risque suicidaire (12). La recherche d’une association du TOC à la bipolarité ou à un TCA est primordiale pour la prise en charge du patient selon la HAS, ces comorbidités constituant des facteurs aggravants pour la réponse au traitement (3). Dans cette enquête, l’existence de ces comorbidités (troubles anxieux, TCA, bipolarité) semble sous-évaluée par les médecins interrogés, ce qui pourrait avoir une incidence négative sur la prise en charge des patients.

Les compulsions sont destinées à neutraliser ou à diminuer le sentiment de détresse, à empêcher un évènement redouté, mais elles sont excessives et ne sont parfois pas en rapport avec ce qu’elles étaient supposées neutraliser ou prévenir, si bien que le sujet ne sait plus pourquoi il les réalise (annexe A). Il semble donc que le patient souffre non seulement de ses compulsions, mais aussi de ses obsessions. La plupart des médecins interrogés dans notre étude ont exprimé le fait que le TOC était responsable d’une souffrance morale importante chez ces patients. L’omission par les participants des obsessions entraîne peut-être une sous-évaluation de cette souffrance et peut être expliquée par l’invisibilité de ces pensées « intrinsèques », alors que les compulsions sont bien visibles.

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Table des matières

LISTE DES ABREVIATIONS
1 INTRODUCTION
2 METHODE
3 RESULTATS
3.1 Représentations du TOC et du patient
3.1.1 Une névrose anxieuse, l’expression d’une souffrance
3.1.2 Une sémiologie variée
3.1.3 Des rituels incontrôlables, malgré la conscience de leur absurdité
3.1.4 Un trouble pathologique, à bien différencier des rituels, très répandus, qui n’entraînaient ni gêne, ni souffrance, ni retentissement
3.1.5 Les complications : désocialisation, dépression, addiction
3.1.6 Une évolution chronique sans guérison
3.1.7 Un patient isolé, incompris, qui souffrait en silence
3.1.7.1 Cacher son TOC, une véritable impasse pour le soin
3.1.7.2 L’éloignement de l’entourage, un facteur aggravant
3.1.7.3 L’incompréhension de la gravité du TOC par l’entourage
3.1.8 Genèse du TOC
3.1.9 Comorbidités et diagnostics différentiels du TOC
3.2 Modalités diagnostiques
3.2.1 Les médecins étaient investis dans le diagnostic du TOC, c’était bien leur rôle
3.2.2 Présentations cliniques du TOC, modes de découverte
3.2.2.1 plaintes spontanées pour le TOC
3.2.2.2 Présentation en arrière-plan chez des patients venant pour dépression ou anxiété majeure
3.2.2.3 TOC visible en consultation si rituels très envahissants
3.2.2.4 Découverte fortuite
3.2.3 Difficultés diagnostiques
3.2.3.1 Le TOC était sous-diagnostiqué
3.2.3.2 Difficultés diagnostiques liées au patient
3.2.3.3 Difficultés diagnostiques liées au médecin
3.2.4 Etait-il finalement important de diagnostiquer un TOC ?
3.2.4.1 Repérer, oui, mais en parler ? En rester à la demande de soin
3.2.4.2 Prendre en charge un patient de manière globale était primordial, sans chercher à étiqueter son trouble
3.3 Prise en charge du TOC
3.3.1 Les grandes lignes de la prise en charge
3.3.2 Les médecins étaient investis dans la prise en charge, et considéraient le psychiatre comme une personne ressource
3.3.3 Quelle prise en charge spécialisée ?
3.3.3.1 La psychothérapie, le traitement de référence
3.3.3.2 Les psychotropes : un antidépresseur en traitement de fond, les anxiolytiques seulement si nécessaire
3.3.3.3 Autres outils de prise en charge
3.3.4 Difficultés de prise en charge
3.3.4.1 Difficultés relevant du patient
3.3.4.2 Difficultés relevant du psychiatre
3.3.4.3 Difficultés relevant des psychologues
3.3.4.4 Difficultés liées au mode d’exercice de la médecine générale
3.4 Particularités du TOC chez les enfants et les adolescents
3.5 Modalités et souhaits de formation concernant le TOC
4 DISCUSSION
4.1 Critique de la méthode
4.1.1 Les points forts
4.1.2 Les limites
4.2 Représentations du TOC
4.2.1 Le TOC, un trouble proche des troubles anxieux
4.2.2 La prédominance des compulsions, l’oubli des obsessions
4.2.3 La distinction difficile avec les nombreux diagnostics différentiels
4.2.4 Une prise de conscience très variable
4.2.5 Un risque suicidaire à prendre en compte
4.2.6 Des comorbidités très fréquentes
4.3 Modalités diagnostiques
4.3.1 Les présentations cliniques
4.3.2 Les difficultés diagnostiques
4.3.3 Le médecin généraliste est-il l’interlocuteur idéal ?
4.4 Prise en charge
4.5 Formation
5 CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES TABLEAUX
TABLE DES MATIERES

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