Le système de soins en Guyane
L’hôpital de Cayenne, ou Centre Hospitalier André Rosemon (CHAR) non universitaire, est le pilier central du système de soins de la Guyane française. C’est le seul établissement de santé du département qui comporte des services de réanimation adulte, de cardiologie, ou encore de néphrologie. Il n’y a pas non plus, hors de Cayenne, d’établissement proposant de l’imagerie par résonance magnétique ou de l’endocrinologie. Il existe seulement deux autres hôpitaux en Guyane, tous deux situés au Nord, sur le littoral. Ce sont le Centre MédicoChirurgical de Kourou et le Centre Hospitalier de l’Ouest Guyanais situé à Saint Laurent du Maroni. Les autres établissements de santé sont des centres de santé, dont le pôle de direction fait partie du CHAR (à l’exception des centres de santé de Apatou et de Grand Santi). Les centres ayant le plus d’activité et au minimum deux postes de médecins en permanence se situent à Maripasoula, Grand Santi et Saint Georges de l’Oyapock. Le système de santé est français mais, en région frontalière, une grande partie de la population ne possède pas de pièce d’identité française, bien que parfois née et vivant en Guyane. Beaucoup d’usagers de la sécurité sociale française ont alors recours à la création d’une Aide Médicale d’Etat (AME) dont les conditions sont d’avoir la preuve d’une résidence en France depuis plus de trois mois et d’être en possession d’une pièce d’identité non française. Elle est attribuée pour une durée variable, renouvelable sur demande. Ceux qui possèdent un titre de séjour réalisent une demande de Couverture Médicale Universelle (CMU) qui requiert une preuve de résidence en France stable et régulière et permet le remboursement systématique de la « part sécurité sociale » des soins. La part mutuelle peut être prise en charge par la CMU complémentaire si les revenus déclarés français du patient ne dépassent pas un certain plafond. Cependant les délais d’obtention de ces assurances maladie peuvent être longs de plusieurs mois. Afin de pallier à ces importants obstacles administratifs, le service de Centre Délocalisés de Prévention et de Soins (CDPS), par le biais d’une mission d’intérêt général, possède un budget qui lui est propre pour prendre en charge gratuitement tout patient, français ou non, avec ou sans sécurité sociale française, avec ou sans notion d’urgence, en consultation de médecine générale, en consultation obstétricale avec une sage-femme ou parfois en consultation spécialisée à l’occasion de « missions » itératives. Ces dernières consistent en la venue d’un praticien spécialiste, pédiatre, gynécologue, infectiologue, dermatologue, chirurgien viscéral ou encore dentiste, durant quelques heures ou quelques jours, afin d’effectuer une série de consultations directement dans le centre de santé concerné, et d’éviter aux patients d’avoir à se déplacer euxmêmes. Les personnes travaillant dans l’extraction illégale d’or en Guyane française, le plus souvent de nationalité brésilienne, ont donc en théorie la possibilité d’avoir recours assez simplement au système de santé français. Les postes d’interne de médecine générale en centre de santé en Guyane, au nombre de trois par semestre, permettent d’étudier et de travailler dans les trois principaux centres de santé de Guyane que sont ceux de Maripasoula, Grand Santi et Saint Georges de l’Oyapock. A tour de rôle, l’interne a la possibilité de travailler dans chacun des trois centres. Il adopte alors le rôle d’un « médecin généraliste » supervisé par ceux en poste au sein du centre de santé. Maripasoula comporte un centre de santé pouvant se charger des consultations de médecine générale et d’urgence concernant les personnes travaillant sur les sites d’orpaillage illégaux de Guyane. Les consultations y sont ouvertes sans rendez-vous, du lundi au vendredi, de huit heures à quatorze heures. Le dispensaire est accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour les urgences. Un infirmier diplômé d’état est « d’astreinte » et sur place en permanence. Quant aux médecins, l’un deux est d’astreinte à domicile dès la fin des consultations et jusqu’au lendemain matin, ainsi que le week-end.
En Guyane française
En 2013, un article publié dans le Malaria Journal (17) ouvre la question du risque d’émergence de résistances de souches guyanaises de Plasmodium aux dérivés de l’artémisinine, devant le taux supposé conséquent d’orpailleurs illégaux se traitant seul par le biais de médicaments vendus sur le marché noir. Du côté du Suriname, les résultats étaient encourageants concernant le programme « Looking for gold, finding malaria » qui fait intervenir directement dans les sites d’orpaillage des personnes employées pour la prévention, la distribution de tests rapides et de traitements recommandés en vue de l’éradication du paludisme. L’article du Malaria Journal pointe le doigt sur les obstacles guyanais qui empêchent un tel progrès, ce sont les éléments suivants. La coopération transfrontalière avec le Suriname et le Brésil est insuffisante. Les sites d’orpaillage illégaux sont éloignés des postes de santé, aussi bien pour les patients que pour les soignants venir à eux. Il existe aussi un obstacle légal à réaliser des tests rapides du paludisme ou la délivrance de traitements par des personnes qui ne sont pas des professionnels de santé. Il existe un obstacle légal à réaliser des études interventionnelles chez des personnes n’ayant pas de couverture sociale française. Le statut de travailleur illégal et la situation irrégulière représentent des difficultés à accéder aux soins pour ces patients. Ces éléments sont autant d’obstacles au diagnostic et au traitement d’autres pathologies qui concernent cette population. Une équipe, dont les auteurs travaillent comme pour l’article sus-cité au Centre d’Investigation Clinique de Cayenne, s’est intéressée en 2015 à ce problème et a réalisé le premier bilan de terrain des problématiques autour du paludisme chez les orpailleurs illégaux de Guyane française(18). C’était une étude prospective incluant 421 personnes majeures sur 6 mois au niveau de 5 zones de repli d’orpailleurs illégaux le long du Maroni et sur la crique Mana. Les inclus devaient travailler sur un site d’orpaillage illégal et l’avoir quitté depuis moins de 7 jours. Le groupe le plus nombreux (198 personnes) provenait du site de repli d’Antonio Do Brinco, près de Maripasoula. Cette étude a permis d’apporter de nombreuses données sur les caractéristiques sociodémographiques, le mode de vie et le rapport à la santé de cette population. D’après les personnes interrogées, le paludisme, la leishmaniose cutanée et les arboviroses sont les principaux problèmes de santé rencontrés dans cette population. Les troubles digestifs étaient également fréquemment cités. Le travail de nuit concernait 21% des participants. La plus grande partie des inclus (73,7%) disaient être en Guyane française lorsqu’ils avaient eu leur dernier épisode de paludisme. En cas de paludisme, l’automédication et les remèdes traditionnels étaient préférés à 53% par rapport au fait de se déplacer pour faire un test du paludisme. Plus d’un tiers (37%) n’avait pas pris en entier le traitement acheté sur le marché noir. La raison principale (93%) de ne pas être allé faire de test du paludisme lors de la suspicion d’accès palustre était la distance au poste de santé et le prix du trajet. Ils allaient plus fréquemment réaliser le test du paludisme lorsqu’ils se trouvaient au Suriname ou au Brésil. La facilité d’accès et la gratuité étaient les raisons principales du choix du lieu de soins. Lors de cette étude, 35 personnes (8,3%) avaient eu de la fièvre dans les 48h, et le même nombre avait une leishmaniose active. L’anémie concernait 18,38% de la population. Une personne avait le VIH. Concernant le paludisme, 94 PCR étaient positives, soit 22,3% des personnes rencontrées. Parmi eux, 84% étaient asymptomatiques. Nous reparlerons ultérieurement de certains résultats de cette étude.
Usage des antibiotiques
Sept personnes avaient fait usage d’un antibiotique, soit 11% (7/63) de la population. Parmi les antibiotiques utilisés, 6 faisaient partie de la famille des aminopénicillines (l’ampicilline, l’amoxicilline et l’association de l’amoxicilline à l’acide clavulanique) et 2 appartenaient aux sulfamidés (le cotrimoxazole). Les aminopénicillines étaient consommées en raison de symptomatologies digestive, urologique ou gynécologique. Deux personnes sur 6 utilisaient les aminopénicillines en traitement symptomatique pour une durée de deux ou trois jours. Trois personnes sur 6 présentaient des symptômes abdominaux. L’une d’elles avait de la fièvre, une autre avait une consommation régulière de ce médicament tout au long de l’année. Une personne s’était traitée pour une symptomatologie de cystite. Une autre présentait des signes d’urétrite. Enfin la dernière patiente présentait une dyspareunie.
Autres types de traitements
Parmi les autres traitements entrepris en automédication, un homme de 48 ans avait déclaré avoir extrait un liquide de la tête du serpent l’ayant mordu (cérébral ou oculaire) pour l’appliquer localement sur la lésion de morsure, technique apprise d’un amérindien, à ses dires. Il aurait aussi utilisé un anti-venin mais nous n’avons pas plus d’indication à ce sujet. Il travaillait dans le domaine de l’orpaillage depuis 23 ans, à 4 jours du CDPS de Maripasoula au moment de l’inclusion. Une femme de 58 ans avait appliqué un produit qu’elle a appelé « huile » d’anaconda pendant 10 jours en cataplasme au niveau d’une douleur lombaire chronique dont elle se plaignait. Un homme de 29 ans présentait une lésion de leishmaniose depuis 2 mois. Il travaillait dans l’orpaillage depuis 4 ans et provenait d’un site d’orpaillage qui se trouvait à 4h du dispensaire de Maripasoula au moment de l’inclusion. Il avait saupoudré du sucre sur la lésion pendant 1 mois. Il l’avait aussi brûlé une fois. Les deux actions avaient eu selon lui une efficacité moyenne. Deux patientes avaient bu de l’eau de vie de vin ou « aguardente » : une femme de 53 ans qui présentait une diarrhée depuis 3 jours et une femme de 34 ans qui souffrait d’une douleur abdominale depuis 11 mois. Un dernier patient de 49 ans, travaillant depuis 14 ans dans l’orpaillage, avait avalé des « gouttes de zeca » pendant 15 jours. C’est une préparation pharmaceutique brésilienne d’herbes médicinales dont la réputation serait de soulager certains maux du système digestif, l’hyperuricémie, l’obésité, le diabète ou encore l’anorexie. Il avait déclaré que ce traitement diminuait l’inflammation du foie et soulageait sa douleur abdominale.
|
Table des matières
I. LISTE DES ABBRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES
II. INTRODUCTION
A. Contexte de la Guyane
B. Contexte de l’orpaillage
C. Le système de soins en Guyane
D. Un relai de prévention en santé sur la rive surinamaise
E. Connaissances actuelles sur la santé chez les orpailleurs illégaux en Guyane française
1. Le paludisme
2. Le béribéri
3. La leptospirose
4. Une vulnérabilité face à certaines pathologies
5. Une collaboration des Forces Armées en Guyane (FAG) avec le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS)
III. PROBLÉMATIQUES
IV. MATÉRIEL ET MÉTHODES
A. Type d’étude
B. Aspects règlementaires
C. Critères d’inclusion
D. Outils de recueil des données
E. Echantillonnage de la population et recueil des données
F. Contrôle-qualité
G. Analyse
V. RÉSULTATS
A. Inclusion des patients
B. Description de la population
1. Sexe
2. Age
3. Provenance
4. Langues parlées
5. Niveau d’étude
C. Activité d’orpaillage
1. Ancienneté
2. Lieu de travail
3. Mode d’extraction de l’or
4. Type de travail
5. Activités précédentes
6. Des exceptions : site éloigné et travail sur barge
D. Mobilité des travailleurs de l’orpaillage
E. Parcours de soins des personnes travaillant dans les sites d’orpaillage clandestins de Guyane française
1. Motif de sortie du site au jour de l’inclusion
2. Obstacles à la consultation médicale
3. Symptômes recensés
4. Traitements entrepris avant la consultation médicale
F. Issue de la consultation
1. Diagnostics retenus par le médecin en fin de consultation
2. Examens complémentaires réalisés
3. Retard de prise en charge
4. Orientation des patients après la consultation
G. Deux groupes de patients : les plaintes récentes et les plus anciennes
H. Mesures de prévention utilisées par les personnes travaillant sur les sites d’orpaillage clandestin de Guyane
1. Lutte anti-vectorielle
2. Prévention des infections sexuellement transmissibles
3. Accès à l’eau potable
4. Péril fécal
VI. DISCUSSION
A. A propos des résultats
1. Les particularités de cette population
2. Remarques sur l’échantillon de population
3. Une pratique courante de l’automédication
4. Conséquences du mésusage des antimicrobiens : inefficacité et émergence de résistances
5. Retard d’accès aux soins
B. Les limites de cette étude
C. Les enjeux de la prise en charge médicale des travailleurs illégaux de l’orpaillage
D. A-t-on des solutions ?
VII. CONCLUSION
VIII. CONCLUSION PERSONNELLE
IX. ANNEXES
A. Questionnaire de l’étude
B. Liste OMS des antibiotiques d’importance critique pour la médecine humaine
X. SERMENT D’HIPPOCRATE
XI. BIBLIOGRAPHIE
Télécharger le rapport complet