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Modèle Step-Stress et loi de Miner
Un type d’essai accéléré à niveau de stress non constant est envisageable en se basant sur le principe selon lequel, pour des systèmes très fiables, la grande majorité des défaillances sous un stress de niveau s0 aura lieu après l’application d’un nombre n2 important de cycles (voir Figure I.4). Ainsi, pour réduire le temps d’essai, les échantillons seront dans un premier temps soumis à un stress s1 > s0, jusqu’à un nombre de cycles n1 tel que la probabilité de rupture sous le stress s1 après n1 cycles soit égale à celle sous s0 après n2 cycles. Ainsi, le niveau de dégradation obtenu après n1 cycles à s1 est supposé équivalent à celui qui aurait été obtenu après n2 cycles à s0 (avec logiquement n1 < n2 donc un gain de temps). L’essai est ensuite poursuivi au stress nominal s0.
Les pièces emmagasinent beaucoup d’endommagement sous le stress s1, mais la majorité des ruptures aura bien lieu sous le stress nominal avec moins de risques d’influence sur les modes de rupture.
Cette méthode s’appuie sur l’hypothèse de Miner, qui suppose que le dommage est cumulatif de manière linéaire (cf. Figure I.4). L’hypothèse de Miner est largement utilisée industriellement pour une première approximation du dimensionnement en fatigue, mais elle présente des limites. En effet, elle est basée sur le fait que tous les incréments d’endommagement s’ajoutent indépendamment, en ne considérant aucun mécanisme de dommage synergique [Caruso1998]. De plus, l’ordre d’application des différents niveaux de contraintes appliqués n’est pas pris en compte, et l’évolution linéaire du dommage peut être remise en cause (lois de Marco-Starkey, de Lemaitre-Chaboche) [Lemaire2014].
PROPRIETES DES COMPOSITES A MATRICE CERAMIQUE
La bibliographie a établi dans la partie I.1 que la base du développement d’une méthode d’accélération d’essais est la compréhension des mécanismes de vieillissement critiques et l’identification des variables influençant les cinétiques de vieillissement. Ainsi, cette partie s’attachera à décrire le comportement à l’oxydation de chacun des constituants du matériau étudié ainsi que le comportement thermomécanique de ce composite. Les paramètres impactant les cinétiques d’endommagement seront également examinés.
CONSTITUANTS D’UN COMPOSITE SIC/[SI-B-C] ET COMPORTEMENT SOUS CONDITIONS OXYDANTES
Les fibres Nicalon NL207
Le choix du renfort fibreux d’un composite thermostructural est déterminant vis-à-vis de ses propriétés thermomécaniques car ce sont principalement les fibres longitudinales qui supportent la charge jusqu’à la rupture. Les fibres de carbone présentent d’excellentes propriétés mécaniques et une faible densité, mais elles sont en revanche très sensibles à l’oxydation dès 450°C ; non adaptées aux dizaines de milliers d’heures de vol en aéronautique civile, elles seront donc réservées aux applications de plus courte durée de type spatial et militaire. Plusieurs générations de fibres en carbure de silicium ont ainsi été développées en vue d’applications de plus longue durée, avec de meilleures résistances à l’oxydation. Les propriétés de quelques types de fibres parmi ceux les plus utilisés sont présentées dans le Tableau I.1.
Les toutes premières fibres SiC, nommées Textron SCS-X, ont été synthétisées par CVD (Chemical Vapor Deposition) sur des filaments en carbone ou tungstène, et ont servi de renfort pour composites à matrice métallique. Elles ont cependant été vite abandonnées en raison de leur diamètre élevé (110 µm) qui engendrait des difficultés pour le tissage. De nouvelles fibres SiC de plus faible diamètre (10-20 µm) ont été mises au point dans les années 70 [Yajima1976] par pyrolyse d’un précurseur organique, le polycarbosilane pour les fibres Nicalon (Nippon Carbon, Japon), ou le polytitanocarbosilane pour les fibres Tyranno M (Ube Industries, Japon). Ces fibres de type Si-C-O sont constituées de nano-cristaux de carbure de silicium dont la taille varie de 1 à 3 nm. Elles présentent cependant un taux d’oxygène élevé (12% atomique) qui les rend très vulnérables à l’oxydation (instabilité des phases Si-C-O) et au fluage à haute température [Laffon1989, Chollon1995].
Pour améliorer la tenue en température, une seconde génération de fibres nommée Hi-Nicalon a été développée avec un taux d’oxygène réduit (moins de 1%) obtenu en effectuant le procédé de réticulation par bombardement électronique sous atmosphère inerte. Cette fibre plus stable contient encore beaucoup de carbone libre localisé aux joints de grains [Chollon1995], qui représentent des sites favorables à l’oxydation et donnent lieu à une baisse de la tenue au fluage dès 1200°C (ce qui est cependant une amélioration par rapport à la première génération).
La troisième génération de fibres (Hi-Nicalon S, Tyranno SA, Sylramic), de composition quasi-stoechiométrique, présente une taille de cristallite plus élevée et une teneur en carbone très réduite, qui les rend beaucoup plus stables jusqu’à des températures de l’ordre de 1600°C [Takeda1998]. Ces fibres sont cependant les plus coûteuses, et ce paramètre doit nécessairement être pris en compte dans le cahier des charges du matériau à développer. C’est en effet la fibre Nicalon NL207 (dénommée par la suite simplement Nicalon) qui a été choisie pour le matériau Cerasep A40C étudié, car les applications visées pour ce matériau sont à des niveaux de température assez faibles (<800°C) pour lesquels la fibre Nicalon est adaptée. L’utilisation de fibres plus coûteuses rendrait le matériau complètement non compétitif face aux autres familles de matériaux potentiellement utilisables.
L’interphase PyC
L’interphase est une mince couche qui enrobe les fibres et réalise ainsi la liaison adéquate entre fibre et matrice. Son rôle est primordial et la qualité des propriétés mécaniques du composite final lui est très fortement reliée [Kerans1991, Evans1991, Rouby1993, Evans1994]. C’est notamment grâce à l’interphase qu’un composite constitué de composants fragiles peut présenter un comportement endommageable. Elle assure plusieurs fonctions essentielles :
• Le transfert de charge entre fibre et matrice s’effectue par l’intermédiaire de l’interphase. La qualité de liaison entre fibre et matrice doit être parfaitement maîtrisée. En effet, si cette liaison est trop faible, les décohésions fibre/matrice seront très importantes : la courbe contrainte-déplacement présente alors un plateau de contrainte, avec report de la quasi-totalité de la charge sur les fibres. Si la liaison est au contraire trop forte, les fissures risquent d’être moins bien déviées et d’atteindre les fibres, avec pour conséquence une rupture fragile. Une liaison bien adaptée est indispensable pour obtenir le caractère endommageable souhaité [Naslain1995].
• L’interphase joue le rôle de fusible mécanique : elle permet de limiter la propagation des fissures en les déviant du mode I au mode II, parallèlement aux fibres. La déviation de la fissure peut être localisée au sein de l’interphase (rupture cohésive) ou à l’interface I/F ou I/M (rupture adhésive) [Pasquier1997, Lamon2005].
• L’interphase doit atténuer les contraintes locales d’origine thermique apparues durant l’élaboration à haute température, liées à la différence de coefficients de dilatation entre fibre et matrice.
• Elle a également un rôle de protection des fibres face à l’oxydation.
L’interphase doit en outre posséder une bonne compatibilité chimique avec les fibres et la matrice. Le pyrocarbone est un matériau d’interphase qui répond efficacement aux rôles mécaniques décrits. Sa compatibilité chimique avec le SiC est excellente et sa structure en feuillets parallèles à la direction des fibres permet un bon transfert de charge ainsi que de déviations de fissures efficaces grâce à une faible résistance au cisaillement [Naslain1995] et des ruptures cohésives. Le pyrocarbone est déposé par infiltration chimique en phase vapeur (CVI) par décomposition de CH4 à des températures d’environ 1000°C.
Cependant, le gros point faible du pyrocarbone est sa forte sensibilité à l’oxydation dès 400°C. En présence d’oxygène, les réactions d’oxydation du pyrocarbone sont similaires à celles du carbone [Filipuzzi1994]. Pour des températures inférieures à 700°C, le produit majoritaire de l’oxydation du carbone est CO2, alors qu’il s’agit plutôt du monoxyde de carbone CO au-delà.
Il n’existe qu’un nombre restreint d’études sur les cinétiques d’oxydation du pyrocarbone. Pour une couche mince de pyrocarbone insérée entre deux plaques de nitrure de silicium, la longueur de carbone consommée est proportionnelle à la racine carrée du temps [Bernstein1988], principalement à cause de la diffusion de d’oxygène dans le conduit. Le comportement à l’oxydation d’un composite 1D SiC/PyC/SiC a également été étudié par Filipuzzi avec proposition d’une loi cinétique [Filipuzzi1991, Filipuzzi1994]. Il est à noter que la réactivité du carbone dépend de sa structure et des impuretés présentes [Vix-Gurterl1991].
Un autre matériau d’interphase est de plus en plus utilisé pour sa bien meilleure résistance à l’oxydation : le nitrure de bore (BN) [Morscher1997]. Malgré une moins bonne tenue mécanique et des ruptures adhésives moins dissipatives d’énergie, il s’oxyde très peu à des températures inférieures à 800°C, et forme lors de l’oxydation un oxyde cicatrisant B2O3 et non un produit gazeux menant à une oxydation active.
Le pyrocarbone peut cependant être utilisé efficacement pour des températures intermédiaires (celles visées pour l’A40C) en combinaison avec une matrice auto-cicatrisante pour assurer sa protection contre l’oxydation.
La matrice auto-cicatrisante basée sur le système [Si-B-C]
Afin de protéger l’interphase essentielle à la tenue mécanique du matériau, la matrice doit être conçue pour pouvoir empêcher les espèces oxydantes de l’atteindre, malgré sa fissuration intrinsèque. Les matrices en SiC monolithique possèdent déjà des propriétés auto-cicatrisantes au-delà de 1000°C : le SiC peut s’oxyder de manière passive et former un verre, la silice, avec une augmentation de volume molaire d’un facteur 2,2 qui permet de combler les fissures matricielles, et ainsi ralentir la diffusion de l’oxygène (grâce à la faible perméabilité de l’oxygène dans la silice). Cependant, la formation de silice n’est assez rapide qu’au-delà de 1000°C [Filipuzzi1991], et la protection du composite n’est pas assurée aux températures intermédiaires.
Afin d’abaisser la température à partir de laquelle l’auto-cicatrisation est efficace, des composés borés ont été introduits dans la matrice sous diverses formes [Gee1991, Dietrich 1991, Goujard 1994], jusqu’à aboutir à une matrice multi-séquencée SiC/[Si-B-C]/SiC efficace sur une large gamme de température, grâce aux couches borées aux basses températures et au SiC pour des températures plus élevées [Vandelbulcke1996, Lamouroux1999].
A partir de 500°C, les phases borées [B-C] forment un oxyde liquide (B2O3) pouvant combler les fissures. Sous atmosphère sèche, la formation de silice à partir du SiC n’a lieu qu’au-delà de 1000°C, mais dans le système [Si-B-C], elle apparaît dès 600°C, ce qui conduit à la formation d’un verre borosilicaté de meilleure stabilité que l’oxyde de bore B2O3 formé par les phases [B-C]. Au-delà de 1200°C, seule la silice conserve un rôle auto-cicatrisant efficace.
Cette protection présente toutefois des limites, notamment en présence d’humidité dans l’environnement. En effet, selon les conditions de température et de pression d’eau, les oxydes formés peuvent se volatiliser par réaction avec H2O(g). L’effet protecteur des oxydes est donc limité par leur volatilisation dans le temps. Ces phénomènes sont à prendre en compte avec attention car certaines conditions environnementales peuvent entraîner une récession des couches matricielles.
Le carbure de silicium SiC
Le carbure de silicium est déposé sur la préforme fibreuse revêtue d’interphase par infiltration chimique en phase vapeur (CVI) via la décomposition d’un précurseur de type Si-C-H-Cl à des températures proches de 1000°C. Il est composé de cristaux de type β de structure cubique. Sous atmosphère sèche, l’oxydation du SiC est extrêmement lente et donc considérée comme négligeable en-dessous de 1000°C. Pour des températures supérieures à 1000°C, deux régimes d’oxydation sont possibles selon la pression partielle de dioxygène. Dans le cas de très faibles P(O2) [Singhal1976], l’oxydation est active et mène à la formation de CO gazeux, ce qui engendre une perte de masse du matériau.
Dans le cas de pressions de dioxygène plus élevées, l’oxydation du carbure de silicium est passive, menant à la formation d’une couche de silice et à un gain de masse.
La silice apporte une protection efficace car c’est un oxyde dense et de volume molaire plus important (x 2,2) que celui du SiC, cette expansion volumique lui permettant alors de combler efficacement les fissures [Martin2003]. La croissance de la couche de silice est gouvernée par la diffusion de l’oxygène à travers cette même couche. L’épaisseur x (m) de la couche de silice suit donc une évolution parabolique déterminée par une constante cinétique kp (m²SiO2.m-4.s-1) et vaut après un temps t (s) d’oxydation :
En présence d’humidité, l’oxydation du SiC est beaucoup plus rapide [Opila1999] à cause de plusieurs facteurs. Premièrement, la formation de liaisons Si-OH diminue la viscosité et la densité de l’oxyde ce qui favorise la perméation de O2(g) et H2O(g) en son sein. De plus, le carbure de silicium réagit directement avec H2O, en plus de O2, pour former de la silice, selon la réaction suivante pour T<1127°C, et avec formation de H2 et CO sinon.
Enfin, le phénomène le plus critique est la formation d’espèces hydroxydes gazeuses (HxSiyOz) par réaction de la silice avec H2O, ce qui entraîne une volatilisation de la couche de silice significative dès 1200°C. L’espèce volatile principalement formée est Si(OH)4 avec une constante linéaire de volatilisation kl qui augmente avec la pression partielle en eau, la température et la vitesse des gaz oxydants [Quemard2005].
Ainsi, sous atmosphère oxydante humide, la formation de l’oxyde d’évolution parabolique (limité par la diffusion) est en compétition avec la volatilisation de cet oxyde de cinétique linéaire (réaction de surface). L’épaisseur de la couche d’oxyde suit ainsi une loi de type paralinéaire (Figure I.7) [Opila1997] dépendant des constantes cinétiques kp et kl.
Bilan de l’oxydation des constituants du composite SiC/[Si-B-C]
Les différents mécanismes décrits précédemment sont présentés sur la Figure I.8 en fonction de leur activation sur une échelle de température. Il est intéressant de noter que l’interphase PyC peut être consommée dès 400°C par oxydation et que les fibres Nicalon sont également sensibles à l’oxydation dès 450°C, donnant lieu au phénomène de fissuration sous-critique. A ces températures, la formation du B2O3 est très lente voire inexistante. Il s’agit donc d’un niveau de température critique pour le matériau pour lequel les durées de vie du matériau seront les plus faibles. Ainsi, en vue de l’accélération d’essais, la température de 450°C présente un fort intérêt et sera sélectionnée comme condition sévérisée pour effectuer des essais de durée de vie réduite.
COMPORTEMENT THERMOMECANIQUE D’UN CMC A MATRICE AUTO-CICATRISANTE
Les conditions d’applications visées pour les composites SiC/SiC comprennent des niveaux de contrainte élevés sous conditions hautement oxydantes, ce qui entraîne des processus thermomécaniques et thermochimiques variés dans un matériau à l’architecture et au comportement mécanique déjà complexes. Il est indispensable de connaître les bases du comportement mécanique de ces composites à température ambiante avant d’appréhender leur vieillissement aux températures élevées.
Comportement mécanique en traction à température ambiante
Les matériaux SiC/SiC sont composés de constituants fragiles assemblés de manière à former un composite non fragile capable de s’endommager en absorbant de l’énergie, notamment grâce aux propriétés de l’interphase. Ils présentent ainsi un comportement non-linéaire élastique endommageable.
Un composite SiC/[Si-B-C] soumis à un essai de traction uniaxiale dans le sens des fibres présente trois domaines d’endommagement successifs (Figure I.9). Dans le premier domaine élastique linéaire, le matériau ne s’endommage pas, et revient à une déformation nulle une fois déchargé. Le module du composite peut être estimé à partir du module de la matrice Em et celui des fibres Ef par une simple loi des mélanges (Em > Ef pour ces composites).
Le second domaine débute avec la fissuration matricielle, qui s’amorce souvent aux zones anguleuses des macro-porosités présentes dans le composite, sources de concentration de contrainte (Figure I.10). Le comportement devient alors non-linéaire à cause de la multi-fissuration de la matrice qui dissipe de l’énergie. Des scénarios d’endommagement en plusieurs séquences ont été proposés [Guillaumat1994, Carrère1996, Forio2000, Lamon2001]. La fissuration se développe dans un premier temps au sein de la matrice inter-fils et de la matrice intra-fils des torons transverses. Des micro-fissures apparaissent ensuite dans la matrice intra-fils des torons longitudinaux. Ces fissures dans les torons longitudinaux ne se propagent pas au reste du composite : la matrice de ces torons se fragmente avec une diminution du pas de fissuration jusqu’à saturation de la fissuration matricielle. Les premières familles de fissures sont déviées à la périphérie des torons longitudinaux alors que la dernière est déviée par l’interphase entre fibre et matrice.
Enfin, le dernier domaine apparaît lorsque la fissuration matricielle est saturée : la charge est alors entièrement reprise par les fibres longitudinales, ce qui se vérifie par les valeurs très proches entre le module du composite et celui des fibres multiplié par la fraction volumique des fibres longitudinales. La contribution de la matrice est alors négligeable et le comportement mécanique contrôlé par les fibres longitudinales. La rupture ultime est ainsi dictée par les fibres, avec une première phase de rupture stable, puis une seconde phase instable [Lamon2001]. Avec l’augmentation de la charge, certaines fibres (présentant probablement des défauts) rompent individuellement, entraînant un report de la charge vers les fibres survivantes. La rupture finale intervient lorsqu’un nombre critique de fibres a rompu, et que les fibres survivantes ne peuvent pas supporter l’incrément de charge généré par la rupture d’une fibre supplémentaire. Pour des fibres Nicalon considérées seules et sans interaction, cette fraction critique de fibres est d’environ 17% [Lissart1994], mais elle est plus faible dans le composite à cause des interactions inter-fibres qui favorisent leur rupture (13% environ).
Il est à noter que le troisième domaine n’est pas présent pour tous les CMC, et n’est pas observé lors d’essais de traction hors-axes ou de cisaillement puisqu’il est lié aux fibres longitudinales. Des cycles de décharge/recharge interposés durant un essai de traction forment des boucles d’hystérésis en contrainte-déformation qui donnent accès entre autres à l’évolution du module, aux déformations résiduelles et à l’énergie dissipée durant ces cycles. En effet, les cycles sont très fermés pour les faibles déformations (peu d’énergie dissipée) et s’ouvrent de plus en plus avec l’endommagement du matériau. Cette dissipation d’énergie plus importante est liée aux phénomènes de glissement et frottement aux différentes interfaces frottantes du matériau, notamment entre fibres longitudinales et matrice.
Pour que la déviation de fissure s’effectue efficacement dans l’interphase, il faut que l’énergie de rupture des liaisons fibre-matrice soit environ quatre fois plus faible que l’énergie de rupture d’une fibre [Budianski1986]. Sinon, la fissure se propage dans le matériau entraînant une rupture fragile catastrophique. Les interphases BN et PyC usuellement sélectionnées remplissent efficacement cette condition grâce à leur structure en feuillets.
La déviation d’une fissure transverse par l’interphase engendre une décohésion entre fibre et matrice sur une longueur ld. Ainsi, au voisinage de la fissure, la matrice est localement déchargée, provoquant un glissement interfacial gouverné par la contrainte de cisaillement interfacial τ, alors que la fibre devient surchargée. Lors des décharges et recharges, la fibre s’allonge en réaction à la contrainte alors que la matrice déchargée se déforme beaucoup moins, ce qui engendre des glissements avec frottements et usure, à cause de la rugosité aux interfaces (Figure I.11) [Evans1991, Evans1994].
Le transfert de charge aux interfaces fibre/matrice est contrôlé par la contrainte de cisaillement interfacial τ : (I.20)
où σf est la contrainte à laquelle la fibre est localement soumise, x l’abscisse le long de la fibre et R le rayon de la fibre. Dans le cas d’une interface où des déplacements relatifs entre fibre et matrice sont possibles, τ peut être considéré constant [Arnault1989], ce qui conduit à des profils de charge linéaires (Figure I.12). Plus l’interface est faible, plus la longueur sur laquelle la fibre est surchargée augmente, et plus la probabilité de trouver un défaut de taille critique augmente.
La contrainte de cisaillement interfacial τ a également une forte influence sur le pas de fissuration. Avec un τ faible, la matrice sera déchargée sur une plus grande longueur et ne se fissurera plus dans cette zone, ce qui entraînera une distance plus grande entre les fissures. Selon le pas de fissuration, deux cas de profil de contrainte sont envisageables (Figure I.12) [Rouby1993, Curtin1991]:
• Si le pas de fissuration d est supérieur à une distance critique, les zones de glissement n’interagissent pas et la zone surcontrainte est entourée de sections à contrainte constante.
• Si ce pas est trop faible et les fissures trop denses, les zones de glissement se superposent et ne sont plus indépendantes. L’instabilité liée à la rupture de la fibre n’est plus locale et doit être étudiée sur toute la longueur du spécimen.
Plusieurs modèles théoriques d’endommagement ont été développés pour relier les paramètres microstructuraux comme τ et la densité de fissuration aux propriétés mécaniques du matériau [Aveston1971, Marshall1985, Rouby1990, Hutchinson1990]. Les modèles d’interfaces les plus simples couramment utilisés sont ceux de type shear-lag dont ACK (Aveston-Cooper-Kelly) sont les précurseurs.
Le comportement mécanique du matériau est présenté ici seulement en traction dans les axes du renfort, ce qui n’est pas tout à fait représentatif des conditions d’utilisation. Ainsi, quelques travaux se sont attachés à caractériser les propriétés de CMC en cisaillement hors plan et dans le plan [Tableau2014].
Comportement mécanique à haute température
Lorsque le composite est soumis à un chargement mécanique au-delà de sa limite élastique (i.e. avec fissures matricielles) sous des températures supérieures à celles pour lesquelles les premiers mécanismes d’oxydation entrent en jeu (vers 400°C), les espèces oxydantes peuvent pénétrer dans les fissures et dégrader fibres et interphase. Les propriétés mécaniques du matériau sont donc largement affectées, et il est indispensable de prendre en compte les effets liés à la température dans ce cas. Les phénomènes thermomécaniques et physico-chimiques en jeu dépendent fortement de la température considérée, ainsi nous limiterons-nous ici à considérer les températures intermédiaires (400°C à 900°C).
Propagation sous-critique de fissures
L’un des mécanismes prépondérants menant à la rupture du composite sous charge en atmosphère oxydante est la propagation sous-critique de fissures, ou « Slow Crack Growth ».
Les céramiques, matériaux fragiles, ont une ténacité KIC très faible. Elles rompent lorsque le facteur d’intensité en fond de fissure (Y : paramètre dépendant de la forme du défaut) atteint la valeur critique de la ténacité KIC. KI augmente avec la contrainte imposée σ ainsi qu’avec la taille de défaut ou longueur de fissure a. Ainsi, la contrainte de rupture du matériau est abaissée avec l’augmentation de la taille des défauts.
Ce phénomène peut également faire intervenir des réactions avec l’environnement en fond de fissure, notamment dans le cas des fibres SiC. Plusieurs travaux menés au LCTS [Bertrand1998, Forio2004] ont montré que la propagation sous-critique des fibres Nicalon et Hi-Nicalon à 600°C et 700°C était liée à l’oxydation du carbone libre présent aux joints de grains (Figure I.13a). Des fronts de fissures successifs observés sur des faciès de rupture de fibres mettent en évidence une propagation lente de fissures (Figure I.13b) [Forio2004]. Lorsque la fissure atteint une taille critique, le facteur KI dépasse la ténacité et la fibre rompt brutalement.
Des essais de fatigue statique à 700°C sur paquets de 500 fibres ont été menés sur plusieurs types de fibres [Bertrand1998] et ont permis de les classer selon leur résistance à la propagation sous-critique : les Hi-Nicalon S sont plus résistantes que les Hi-Nicalon, elles-mêmes plus performantes que les Nicalon.
Dans un composite, plusieurs autres mécanismes peuvent mener à une propagation lente des fissures [Jones2000, Jones2005]. Pour les températures considérées ici (400°C à 900°C), il s’agit principalement d’ouverture de la fissure à cause de la dégradation du pyrocarbone provoquant des transferts de charge (fibres pontantes plus chargées et donc plus déformées), ainsi que la fragilisation par oxydation. L’oxydation de certains constituants du matériau entraîne une liaison locale par collage entre les fibres et la matrice [Glime1995, Evans1996]. La rupture s’amorce à cette position à cause de fortes concentrations locales de contraintes [Glime1998] et d’une dégradation locale de la résistance de la fibre [Takeda1998]. Les faciès de rupture résultant de ce phénomène comportent des zones typiques d’une rupture fragile, c’est-à-dire un faciès quasiment lisse avec très peu d’extraction de fibres.
En fatigue statique
La fatigue statique consiste à appliquer une charge constante à une éprouvette, généralement en température, avec l’interposition de cycles de décharge/recharge permettant de caractériser l’évolution des propriétés mécaniques. Elle est parfois également appelée « fluage » bien que les mécanismes en jeu soient très différents de ceux du fluage des métaux (mais dans tous les cas, un accroissement des déformations répond à l’imposition d’une contrainte). L’« oxydation sous contrainte » peut également être évoquée dans le cas où une atmosphère oxydante est impliquée. Dans des conditions de contrainte et d’atmosphère similaires, la durée de vie des fibres seules en fatigue statique est plus courte que celle du composite complet, car les fibres y sont protégées des attaques des espèces oxydantes par la matrice. La durée de vie en fatigue statique du composite est plus élevée à 750°C qu’à 450°C grâce aux propriétés auto-cicatrisantes de la matrice [Moevus2007].
Plusieurs études menées sur la fatigue statique des composites SiC/[Si-B-C] ([Farizy2002, Moevus2007, Laforêt2009, Loseille2010]) ont montré que la densité de fissuration dans la matrice augmente avec le niveau de contrainte imposée, et que celle-ci prend place principalement durant la mise en charge initiale. Ainsi, le module élastique diminue fortement dans les premiers instants de l’essai et beaucoup moins par la suite (Figure I.14). En effet, la diminution du module n’est alors plus liée à l’augmentation de la densité de fissuration qui reste quasiment constante, mais à la propagation de décohésions, accrue par la consommation de l’oxydation de l’interphase de pyrocarbone.
La rupture finale du composite est alors pilotée par les mécanismes de fissuration sous-critique précédemment décrits.
En fatigue cyclique
La fatigue cyclique consiste à appliquer un chargement cyclique variant généralement sinusoïdalement avec le temps. Elle est caractérisée par la contrainte maximale appliquée, le rapport R de charge minimale sur charge maximale et par la fréquence de chargement (ainsi bien sûr que par l’atmosphère considérée). Les frottements aux interfaces répétés durant la fatigue cyclique entraînent une évolution des paramètres microstructuraux et notamment une évolution de la contrainte de cisaillement interfacial τ [Evans1995, Reynaud1996].
Des essais de fatigue à température ambiante menés à 1 Hz et R = 0 ont montré qu’avec une contrainte maximale inférieure à la limite élastique du matériau, le module ne diminue pas et le matériau ne s’endommage donc pas [Reynaud1996]. Pour des contraintes maximales plus élevées, la propagation du réseau de fissuration et l’usure aux interfaces entraînent une diminution du module, une augmentation des déformations résiduelles et du frottement (lié à la largeur des boucles d’hystérésis) ainsi qu’une baisse de la contrainte de cisaillement interfacial τ (Figure I.15a et b) [Rouby1993, Evans1995, Reynaud1996]. Les glissements et frottements répétés le long des zones de décohésion entre fibre et matrice entraînent un émoussement des aspérités et la formation de micro-débris. La diminution de τ a une influence sur les profils de contrainte dans les fibres au voisinage des fissures, différents au déchargement et rechargement (Figure I.15c et d) [Rouby1993]. Elle engendre une augmentation de la longueur nécessaire au transfert de charge de la matrice vers la fibre, pouvant potentiellement mener à une rupture prématurée des fibres. Les effets décrits s’accentuent avec la valeur de la contrainte maximale appliquée.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I – SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
Introduction
1. Accélération d’essais
1.1. Contexte et définition
1.2. Différents types d’essais accélérés
1.3. Principes et hypothèses de base
1.4. Modèles de vie accélérée
1.4.1. Modèles statistiques de vie accélérée: principes
1.4.2. Modèles d’accélération usuels (relation durée de vie – contrainte)
1.4.3. Modèle Step-Stress et loi de Miner
1.5. Limitations
2. Propriétés des Composites à Matrice Céramique
2.1. Constituants d’un composite SiC/[Si-B-C] et comportement sous conditions oxydantes
2.1.1. Les fibres Nicalon NL207
2.1.2. L’interphase PyC
2.1.3. La matrice auto-cicatrisante basée sur le système [Si-B-C]
2.1.4. Bilan de l’oxydation des constituants du composite SiC/[Si-B-C]
2.2. Comportement thermomécanique d’un CMC à matrice auto-cicatrisante
2.2.1. Comportement mécanique en traction à température ambiante
2.2.2. Comportement mécanique à haute température
2.3. Paramètres influençant les cinétiques d’endommagement sur CMC
2.3.1. La pression partielle d’eau et le rapport P(H2O)/P(O2)
2.3.2. La température (sous atmosphère oxydante)
2.3.3. Le type de chargement statique/cyclique
2.3.4. La fréquence de cyclage mécanique
3. Méthodes de suivi en temps réel de l’endommagement sur CMC
3.1. Résistivité électrique
3.1.1. Suivi d’endommagement par mesure de résistance électrique sur les composites à matrice organique (CMO)
3.1.2. Valeurs de résistivités des constituants de CMC
3.1.3. La résistance électrique : suivi d’endommagement à température ambiante
3.1.4. Mesure de résistance à haute température
3.1.5. Modélisation
3.2. Emission acoustique
3.2.1. Présentation du suivi d’endommagement par émission acoustique
3.2.2. Apports de l’émission acoustique modale
3.2.3. Emission acoustique et évaluation de l’endommagement
CHAPITRE II – MATERIAU & METHODES
Introduction
1. Présentation du matériau Cerasep® A40C
2. Méthodes d’évaluation du comportement thermomécanique du matériau
2.1. Moyens d’essais mécaniques
2.1.1. Machine de traction électromécanique à température ambiante (Instron 4505)
2.1.2. Machine de traction hydraulique à haute température (Instron 8501)
2.1.3. Machine de traction électromécanique à haute température en atmosphère contrôlée (Instron 8861)
2.1.4. Machine de traction électromécanique à haute température sous vide ou gaz neutre (Instron 8562)
2.2. Analyse des résultats d’essais mécaniques
2.2.1. Caractérisation morphologique
2.2.2. Analyse du comportement mécanique
3. Instrumentations spécifiques pour un suivi en continu de l’endommagement
3.1. Emission acoustique
3.1.1. Système d’acquisition EA utilisé au LCTS
3.1.2. Système d’acquisition EA utilisé à Akron (EA modale)
3.2. Résistance électrique
3.2.1. Elaboration des contacts électriques
3.2.2. Montage électrique
3.2.3. Validation
4. Stratégie d’accélération d’essais basée sur le cycle avion
CHAPITRE III – INFLUENCE DES CONDITIONS DE VIEILLISSEMENT MECANIQUES ET ENVIRONNEMENTALES SUR L’ENDOMMAGEMENT ET LA DUREE DE VIE DUMATERIAU
Introduction
1. Conditions d’essai sélectionnées avec une contrainte maximale de 100 MPa
1.1. Matrices d’essais
1.2. Etat de fissuration de l’A40C après chargement à 100 MPa
2. Influence de la pression partielle d’eau en fatigue statique
2.1. Analyse mécanique
2.2. Analyse acoustique
2.3. Analyse de la résistance électrique
3. Influence des conditions de sollicitation mécanique à contrainte maximale de 100 MPa
3.1. Influence du type de chargement (cyclique / statique)
3.1.1. Analyse mécanique
3.1.2. Analyse acoustique
3.1.3. Analyse de la résistance électrique
3.2. Influence de la fréquence de cyclage mécanique
4. Influence de la température
CHAPITRE IV – MODELISATION DE L’AUTO-CICATRISATION ET DE L’INFLUENCE DE L’ENDOMMAGEMENT SUR LA RESISTANCE ELECTRIQUE
Introduction
1. Modélisation des phénomènes simultanés d’oxydation et de volatilisation dans un matériau multi-phasique auto-cicatrisant
1.1. Développement du modèle d’oxydation-volatilisation
1.1.1. Oxydation sous atmosphère sèche
1.1.2. Introduction des effets de l’humidité
1.2. Résultats et analyses
1.2.1. Application à un composite avec une matrice de 5 couches de SiC et de B4C sous atmosphère humide
1.2.2. Application du modèle de matériau moyenné
2. Modélisation de l’effet de l’endommagement sur la résistance électrique du matériau
2.1. A température ambiante
2.1.1. Résultats expérimentaux
2.1.2. Développement du modèle électro-mécanique
2.1.3. Validation du modèle
2.2. Sous conditions oxydantes
2.2.1. Résultats expérimentaux
2.2.2. Développement du modèle d’évolution globale de résistance
2.2.3. Validation du modèle
3. Applications combinant oxydation, endommagement mécanique et résistance électrique
3.1. Efficacité de l’auto-cicatrisation en fatigue mécanique à différentes températures : Application du modèle d’oxydation à l’évolution de résistance électrique
3.2. Justification à l’aide du modèle d’oxydation de l’hypothèse de cinétique linéaire considérée dans le modèle d’évolution de résistance sous conditions oxydantes
CHAPITRE V – VERS UNE METHODOLOGIE POUR L’ACCELERATION D’ESSAIS
Introduction
1. Indicateurs d’endommagement basés sur les techniques de suivi non destructif
1.1. Maximum local de module à la recharge
1.2. Emission acoustique et sévérité
1.3. Indicateurs liés a la résistance électrique
1.3.1. Evolution globale de résistance électrique
1.3.2. Résistance électrique durant les cycles de décharge-recharge
2. Essais supplémentaires complétant la stratégie d’accélération d’essais
2.1. Influence de la contrainte maximale des cycles mécaniques : Catégorie de contraintes intermédiaires
2.2. Catégorie de contraintes faibles
3. Synthèse vers une méthodologie pour l’accélération d’essais Bilan
CONCLUSION GENERALE ET PERSPECTIVES
Publications et communications
Références bibliographiques
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