Naissance de la « qualité de l’eau »
L’eau a longtemps été considérée comme un bien surabondant sans valeur économique qu’il n’était pas envisageable de protéger ou de réguler. Elle servait principalement à l’évacuation des déchets produits par l’Homme vers les milieux naturels dont les microorganismes jouaient le rôle de dépollueurs. D’après Kneese (1967), les premières observations de l’état de pollution de ces eaux usées datent du Moyen-Âge et étaient fondées sur des dépréciations esthétiques comme des odeurs insupportables ou des matières en suspension provenant des processus anaérobies (se produisant en l’absence d’oxygène) concentrés à proximité des points de rejet des eaux d’égout. Cela donna lieu à la fin du XVIIème siècle au développement de l’idéologie hygiéniste qui avait pour objectif de bannir l’eau stagnante et l’humidité des villes pour des raisons sanitaires. En France, la thématique de l’eau a d’abord été abordée en termes de propriété et non de pollution avec des textes datant du XVIIIème siècle. Ces derniers étaient issus des codes Napoléoniens, qui furent au nombre de cinq, consistants en des codes juridiques décrétés sous le règne de Napoléon Ier.
Puis, avec le phénomène croissant d’urbanisation et le début de l’industrialisation en Europe au début du XIXè siècle, les déchets produits devenaient trop importants tant au niveau quantitatif que qualitatif, d’autant plus qu’ils devenaient de plus en plus spatialement concentrés ce qui a alors entraîné la congestion des mécanismes d’épuration naturels. S’ajoute à cela l’utilisation récréative de l’eau qui se développe en premier lieu en fonction de son apparence, avec des activités telles que la natation, la pêche ou les sports nautiques qui participent à l’exigence croissante de la population à propos de la qualité des cours d’eau. L’opinion publique prend alors conscience de l’état de dégradation des cours d’eaux avec certains signes faisant de nouveau appel à la sensibilité esthétique de l’Homme comme la turbidité, le goût, l’odeur ou encore les matières flottantes telles que des poissons, des algues, des déchets qui participent à la diminution de l’attractivité des cours d’eau. Kneese (1967) rappelle tout de même que les effets de la pollution les plus dangereux pour l’environnement ne sont pas nécessairement perceptibles par l’œil humain.
Premières réglementations
Ainsi, avec les risques d’épidémies grandissants, la qualité de l’eau destinée à la consommation est rapidement devenue un enjeu important de santé publique mais ce n’est qu’au milieu du XXème siècle que le problème de pollution de l’eau a été introduit dans le domaine législatif et réglementaire Français. Ceci commença en 1959 avec la création de la part du gouvernement de la Commission de l’eau au Commissariat Général du Plan et le vote de la première loi sur l’eau le 16 décembre 1964 par le Parlement. Cette dernière prévoyait la création sur la totalité du territoire national de bassins versants gérés par des agences de l’eau et des comités de bassin, ainsi que le classement des rivières selon leur état de pollution et la détermination d’objectifs en matière de qualité des cours d’eau. Une seconde loi sur l’eau a été votée le 3 janvier 1992 et consiste en la caractérisation de l’eau comme patrimoine commun de la Nation et le renforcement des objectifs quantitatifs et qualitatifs concernant cette ressource. Deux outils ont également été créés à cette occasion afin de permettre une meilleure gestion et planification de l’eau par bassin sur le territoire. Il s’agit du Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE) et de sa déclinaison à une échelle plus locale, à savoir le Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE).
La troisième et dernière loi date du 30 décembre 2006 et est intitulée Loi sur l’Eau et les Milieux Aquatiques (LEMA) et a pour but la prise en compte de l’adaptation aux changements climatiques dans la gestion des ressources en eau. Elle fixe notamment les objectifs à atteindre à l’horizon 2015 avec en particulier le retour à un bon état des eaux, la garantie de l’accès à l’eau pour tous ainsi qu’une gestion locale, concertée, renforcée et plus transparente et la modernisation de la pêche en eau douce. Cette loi est également à l’origine de la création de l’Office National de l’Eau et des Milieux Aquatiques (ONEMA) ayant pour mission de “favoriser une gestion globale, durable et équilibrée de la ressource en eau, des écosystèmes aquatiques, de la pêche et du patrimoine piscicole” (source : eaufrance.fr). A l’échelle Européenne, la prise en compte de la dégradation des cours d’eau débuta avec la conférence du 3 mars 1961 sur le thème de la pollution des eaux en Europe, tenue par la Commission Economique des Nations Unies pour l’Europe fondée en 1947. Celle-ci fut suivie de nombreuses réunions d’experts ciblées sur les problèmes liés aux grands fleuves internationaux, à savoir le Danube, le Rhin et le Rhône. La réglementation Française en ce qui concerne la gestion de l’eau, et notamment la LEMA, résulte pour la majeure partie des orientations européennes dont la plus importante est la Directive Cadre sur l’Eau (DCE) datant du 23 octobre 2000 qui fut convertie à la législation française le 21 avril 2004. Cette dernière a en effet pour vocation d’organiser un cadre législatif pour une gestion globale et cohérente des différents bassins hydrographiques à l’échelle européenne. Pour ce faire, quatre documents composent la méthodologie de travail collective des états membres : l’état des lieux, le plan de gestion, le programme de mesures et le programme de surveillance, les trois premiers étant à reproduire tous les 6 ans. (source : eaufrance.fr) La DCE définit notamment les objectifs à atteindre en termes de préservation et de restauration des eaux douces, côtières et souterraines d’ici 2015. Elle vise ainsi à favoriser la protection de l’environnement et l’utilisation durable de la ressource en eau pour en éviter la dégradation qualitative. Ceci passe par la réduction des rejets de 33 substances dites “prioritaires” et l’abolition des rejets de 8 substances qualifiées de “dangereuses”, ces deux types de substances incluant des métaux, des pesticides ou encore des hydrocarbures. (source : developpement durable.gouv.fr) Les réglementations citées précédemment marquent un tournant majeur et récent dans la prise en compte des polluants altérant la qualité de l’eau car ces derniers ont longtemps été classés en fonction de leur possible dégradation par des mécanismes naturels et non en fonction de leurs impacts environnementaux d’après Kneese (1967). De plus, il est à noter que les décisions réglementaires concernant l’amélioration qualitative des cours d’eau découlent des observations esthétiques de leur dégradation. En d’autres termes, il semblerait que les critères de qualité objective des cours d’eau furent élaborés à partir de leur qualité subjective.
Définition
Selon Bonnet et al. (1989), la perception désigne “l’ensemble des mécanismes et des processus par lesquels l’organisme prend connaissance du monde et de son environnement sur la base des informations élaborées par ses sens”. Autrement dit, la perception est la représentation que se fait un individu ou une communauté à propos d’un objet ou d’un environnement et qui peut être fondée à partir d’un ou plusieurs descripteurs. Les descripteurs font appel à l’imaginaire personnel ou collectif et sont caractérisés par le fait qu’ils ne sont pas quantifiables ni mesurables scientifiquement ce qui induit une importante variabilité de perception d’un individu à un autre pour un même descripteur. A partir des différents articles et ouvrages que nous avons lu, et notamment « Les grands fleuves : entre nature et société » de Jacques BETHEMONT (1999) et « Elaboration d’indicateurs socio-économiques liés à la qualité de l’eau » de la station d’économie rurale de rennes (1976), nous définissons la qualité subjective d’un fleuve, et plus généralement d’un cours d’eau, comme étant la combinaison de la perception et de la relation entretenue avec celui ci par un individu ou une communauté. Cette définition inclut ainsi les caractéristiques environnementales, sociales et économiques associées à un cours d’eau spécifique qui peuvent influencer les représentations et les possibles usages qu’un individu peut assimiler à ce dernier. Ces caractéristiques seront présentées plus en détails dans la partie suivante. A l’inverse, la qualité objective d’un cours d’eau désigne l’ensemble des valeurs des différentes variables, appelées indicateurs, qui sont directement mesurables de manière scientifique et qui caractérisent l’état réel du milieu. Plus précisément, la qualité objective d’une eau est définie par la DCE comme étant la combinaison son état écologique et de son état chimique. L’état chimique d’une eau désigne la valeur des 41 substances définies plus haut par la DCE, chacune ayant une valeur seuil permettant de différencier un état « bon » d’un état « pas bon » selon les normes de qualité environnementales en vigueur. L’état écologique désigne quant à lui la composition et le fonctionnement du fleuve en tant qu’écosystème. Ceci consiste alors en la comparaison des caractéristiques biologiques (biodiversité, état des populations faunistiques et floristiques…), hydromorphologiques (débit, profondeur, largeur…) et physicochimiques (pH, taux de concentration de polluants et de nutriments…) de l’écosystème concerné avec un état de référence défini comme étant l’état du fleuve sans impacts d’interventions humaines. L’état écologique d’un fleuve peut ainsi être qualifié de très bon, bon, moyen, médiocre ou mauvais. (source : eaufrance.fr) La qualité objective d’un fleuve peut notamment être analysée grâce au système d’évaluation de la qualité de l’eau (SEQEau), consistant en une grille d’interprétation des indicateurs physico-chimiques des cours d’eau révisée en 2003 suite à la deuxième loi sur l’eau de 1992.
La différence entre les définitions de qualité subjective et objective d’un cours d’eau peut être illustrée avec les notions de propreté et de pureté de l’eau présentées dans le livre “Elaboration d’indicateurs socio-économiques liés à la qualité de l’eau” (1976). La propreté d’une eau fait référence à ses caractéristiques physico-chimiques telles que la nature et la quantité d’éléments polluants (métaux lourds, phosphates, pesticides…) et est ainsi en relation avec sa qualité objective, son état réel. Une eau est qualifiée de pure en fonction de son caractère sacrée et fait ainsi référence à sa qualité subjective, c’est-à-dire l’état perçu de cette eau à partir de jugements souvent religieux. L’ONEMA (2014) indique que la connaissance des perceptions des acteurs et des usagers rattachées aux milieux aquatiques est aussi importante que de connaître leur fonctionnement et caractéristiques scientifiques car cela permet d’appréhender la façon dont les individus s’approprient ces milieux ainsi que leurs attentes vis-à-vis des projets à venir.
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Table des matières
Introduction
I. Naissance de la « qualité de l’eau »
1. Premières réglementations
2. Définition
II. Paramètres influençant la qualité subjective des fleuves
1. Social
2. Environnemental
3. Économique
III. Lien entre descripteurs objectifs et subjectifs
1. Pureté et propreté
2. Turbidité et perception
3. Aménagement des berges et qualité réelle
Conclusion
Méthodologie
Bibliographie
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