Parallèle de l’architecture antique avec la moderne

Les recherches, mesures et acquisitions ayant trait à l’antique : carnet de Pirro Ligorio, relevés d’antiques et la collection Ludovisi

L’amour de l’Antique chez les « Intelligents » est issu d’une longue tradition humaniste qui remonte au XIV° siècle. Il se traduit de bien des manières, mais il entre toujours en sympathie avec les recherches des « antiquaires ». Loin d’être réactionnaire, l’étude de l’antique dans la tradition «antiquiste», est liée aussi bien au désir de création d’un répertoire encyclopédique cumulatif qu’au désir d’une reconstruction idéale, d’un point de vue esthétique, moral comme politique. Le mouvement est également connu en France où il réunit érudits et philologues, tels que Peiresc ou de Poldo d’Albenas. Or, la publication des traités d’architecture leur permet de mieux maîtriser les éléments du langage à l’antique, leurs relevés et indications se font donc de plus en plus précis. C’est ainsi que dans le Parallèle, R. Fréart de Chambray fait grand cas des études menées par un antiquaire du XVIe siècle : Pirro Ligorio. Le théoricien français avoue volontiers s’être fondé sur ses dessins et relevés et le mentionne directement à six reprises. À une exception près, toutes ces références à l’artiste romain sont élogieuses : Ligorio est dit « célèbre », « grand antiquaire », « trois fois grand antiquaire, peintre et architecte », « fameux », autant de caractéristiques qui montrent l’estime dans laquelle Chambray le tient.
Pirro Ligorio est un antiquaire et architecte romain qui a travaillé pour le pape Pie IV, avant d’être démis de ces fonctions d’architecte en chef de la cour papale, au profit de Nanni Di Baccio. En 1568, il intègre la cour du duc de Ferrare, Alphonse II d’Este, en tant qu’érudit et antiquaire. Ligorio est également l’auteur de nombreux manuscrits, aujourd’hui conservés dans les bibliothèques de Turin et de Naples, et d’un traité intitulé : Traité de Pirro Ligorio, praticien napolitain, citoyen romain, sur certaines choses relevant de la noblesse des Arts anciens. Ce traité développe le concept de jugement artistique en établissant ce que l’auteur pense être le « bon » et le « mauvais » art par l’analyse d’exemples. Il pose pour principes du jugement artistique les concepts de « naturelle » et de « justesse » et caractérise plus particulièrement cette dernière par la connaissance de l’art antique. En 1639, ces manuscrits sont en possession de Christine de France, régente du duché de Savoie, et c’est probablement à l’occasion d’une mission dans le Piémont de Paul Fréart de Chantelou que ces écrits ont été portés à la connaissance de son frère et du surintendant. La correspondance de Poussin nous apporte une preuve de l’intérêt que suscitent ces manuscrits en France en 1641 : « Le seigr de Noyers me dit l’autre jour avoir écrits à Madame de Savoie pour obtenir d’elle les originaux de Pirro Ligorio, et qu’il les attendait à la première occasion. Il y en a, à ce qu’il dit, 15 volumes… »

Une des voix du parti des Anciens dans la Querelle des Anciens et des Modernes appliqué aux beaux-arts

Dans le cadre de ce mémoire, employer l’expression de la Querelle des Anciens et des Modernes, c’est inscrire les beaux-arts dans un rapport d’équivalence avec les belles-lettres. Puisqu’elle désigne avant tout les débats qui ont agité l’Académie française sous le règne de Louis XIV. Cependant, l’opposition entre partisans de l’Antiquité et zélateurs de la Modernité ne saurait être limitée à cette seule dispute. Marc Fumaroli, dans son analyse qu’il a consacré à la dite Querelle, a démontré que le différend plonge ses racines dans l’humanisme de la République des Lettres, plus exactement dans la cohabitation entre références antiques et pensée chrétienne. Il y a donc plusieurs « querelles des Anciens et des Modernes » selon les époques, les pays et les média concernés. La problématique, comme le fonds du débat, se déplace selon ces différents temps : celle qui prend place en Italie n’a pas les mêmes ressorts que celle qui agite les gens de lettres français. Selon M. Fumaroli : « La Querelle française en revanche est le fait d’hommes de lettres qui ont les yeux fixés sur leur roi ; ils font ou feront partie de la constellation d’Académies domiciliant la République française des Lettres dans l’État royal. Au cœur de leur âpre débat, on n’est pas surpris de reconnaître qu’ils rivalisent à qui détient la meilleure méthode de louer leur roi.»
Autrement dit, la Querelle française contient un arrière-plan politique spécifique qui tient à l’institution académique et à ses rapports au pouvoir royal. Dans le même essai, démonstration est faite que le parti des Modernes est apparu, en France, dans l’entourage direct de Richelieu. La création de l’Académie française est alors décrite comme celle d’un organe d’État au service d’un idéal de grandeur, lié à l’absolutisme en construction. L’un de ces buts est l’affirmation de la langue française comme langue universelle en lieu et place du latin. On retrouve ici le même principe que celui développé dans la politique artistique : l’affirmation de la prééminence française dans toute l’Europe et par tous les moyens.

La théorie architecturale inspirée de l’antique : les modèles de la trattatistica italienne et leurs adaptations françaises

Dès le XVe siècle, la littérature architecturale est multiple et variée, comme le montrent de nombreuses études. Au XVIe et au XVIIe siècle, elle recouvre de larges champs de compétences et prend diverses formes : recherche philologique sur le texte de Vitruve, examen de techniques particulières (charpente, stéréotomie, fortification, etc.), anthologie de monuments antiques, recueils de plans et d’élévations ou d’ornements. L’ensemble de cette production, soutenue par le développement de l’imprimerie et de la gravure, témoigne de l’effervescence théorique autour de la pratique architecturale. Elle nous permet surtout de mieux saisir la teneur et la nature du discours sur l’architecture à l’époque moderne, au moins du point de vue des architectes et des commanditaires : elle répond à une demande pédagogique précise et correspond à une rationalisation de la pratique qui se manifeste principalement dans le choix des modèles antiques ou contemporains, selon des principes esthétiques définis. La première moitié du XVIe siècle voit se diffuser en France les grands traités architecturaux italiens langue originale tout d’abord avant qu’ils ne soient traduits. Ainsi, le De re aedificatoria d’Alberti est publié à Paris dès 1512, avant même la première publication française du texte de Vitruve, éditée à Lyon en 1523. Paru en latin, ces deux ouvrages touchent essentiellement un cercle de lettrés, « studieux » d’architecture.
L’architecte qui, le premier, a marqué et la pratique, et la théorie architecturale en Europe de son empreinte est indubitablement Sebastiano Serlio. Son traité d’architecture devait être composé de sept livres. Les livres III et IV (Regole generali di architetura) ont été publiés en italien à Venise, en 1537 puis en 1540 ; ils ont été suivis d’une édition bilingue (français / italien) des livres I et II et V, imprimés après l’installation en France de l’architecte. Le livre VI n’a jamais paru, tandis que le septième a été édité de manière posthume par des imprimeurs de Francfort. On peut lire dans l’avertissement au lecteur du livre IV, le premier à paraître, que la division en sept livres était prévue dès l’origine. L’auteur affirme ainsi avoir construit sa pensée grâce au savoir tiré des mathématiques, par le biais d’un livre de géométrie (livre I) et d’un traité de perspective (livre II), puis proclame s’être appuyé sur ’observation des édifices antiques (livre III). S’ensuit un développement sur les ordres (livre IV), puis sur les constructions religieuses (livre V) et privées (livre VI). Enfin, le traité se conclut par la mention « de plusieurs accidents, qui peultent survenir a l’Archietcte en divers lieux, & estranges formes de situations… » dans le livre VII.

La forme du Parallèle : un ouvrage polémique et profondément novateur

Roland Fréart de Chambray a choisi d’écrire son traité d’architecture sous la forme d’un parallèle, genre littéraire inspiré des Vies parallèles de Plutarque. Dans les Vies, Plutarque met en relation les biographies de personnalités grecques et romaines et les compare par paires, exercice rhétorique déjà bien codifié à l’époque hellénistique. Pour les commentateurs, la structure narrative adoptée par Plutarque témoigne d’un patriotisme panhellénique : il s’agit de prouver qu’à tout homme illustre de Rome, la Grèce pouvait opposer un rival dont la valeur, positive ou négative, était égale ou supérieure. Le choix d’un genre littéraire illustré par Plutarque est tout à fait logique si l’on prend en compte l’excellente réception de son œuvre dès le XIV° siècle et les nombreuses traductions qui ont été proposées, tant en latin qu’en langues vernaculaires, dans l’ensemble de l’Europe.
Le Parallèle de l’architecture antique avec la moderne est remarquable par la clarté et la lisibilité de sa présentation. Dans sa première partie, l’auteur expose d’abord trois exemples antiques prestigieux qu’il érige en modèle avant de faire état du modèle théorique de dix architectes modernes, regroupés en cinq paires. Dans la seconde partie, la présentation des ordres latins s’articule selon cette même dualité, mais l’auteur ne présente plus qu’un ou deux modèles antiques et propose seulement les dessins de quatre des dix auteurs.
L’utilisation et la référence explicite au genre littéraire du « Parallèle » induit un jugement de valeur qui proclame la supériorité des Anciens sur les Modernes, comme c’était le cas dans le texte de Plutarque. Fréart souligne cette évidence de la structure argumentative à plusieurs reprises dans son texte, notamment dans l’avant-propos où il affirme : « Voulons-nous bien faire, ne quittons point le chemin que ces grands maîtres nous ont ouvert, et suivons leurs traces, avouant de bonne foi que le peu de ces belles choses qui a passé jusqu’à nous est encore de leur propre bien. C’est le sujet qui m’a convié de commencer ce recueil par les ordres grecs, que je suis allé puiser dans l’antique même, avant que d’examiner ce qu’en écrivent les auteurs modernes. »

Les mathématiques comme fondement du jugement du goût architectural

Roland Fréart de Chambray est un érudit pour qui les mathématiques tiennent un rôle fondamental. Géomètre de formation, l’auteur considère cette discipline mathématique comme le fondement, « la base et le magasin général de tous les arts ». Pour lui, la géométrie donne les connaissances nécessaires pour juger de la qualité de l’architecture.
Mais elle est également un outil de mesure qui donne à ceux qui la maîtrisent les moyens de parvenir aux justes proportions et de créer une harmonie plaisante à l’œil. Sous la plume de Fréart, la géométrie est une discipline mathématique qui a pour objet l’étude de l’espace et des figures qui peuvent l’occuper. Il écrit dans son avant-propos que : Ce n’est pas dans le détail des parties qu’on voit le talent d’un architecte, il le faut juger à la distribution générale de son œuvre.
Autrement dit, l’architecture, en tant qu’art tridimensionnel, est une discipline qui organise l’espace. Par conséquent, elle est une véritable géométrie appliquée, matérialisée.
De la science dure découle un certain nombre de règles qui sont applicables directement à l’architecture. Chambray fait de la connaissance de ces lois le principe de son jugement de goût en matière d’architecture. Ainsi, avoir de l’entendement en matière d’optique géométrique s’avère essentiel pour qui veut juger de l’effet d’une architecture. Fréart écrit donc pour : ceux qui […] pourraient s’étonner de voir ici quelques membres extraordinairement éloignés de leur proportion accoutumée, je les avertis que c’est par un effet de l’optique, laquelle ne montre jamais à l’œil les choses avec précision, mais les va changeant selon les divers aspects et les distances d’où elles sont vues. Les corrections qu’il est nécessaire d’apporter à certains membres d’un édifice en fonction du point de vue de l’observateur sont plusieurs fois soulignées par l’auteur, notamment lorsqu’il aborde les modèles tirés du théâtre Marcellus. Dans ce cadre, c’est la connaissance des principes et propriétés de l’optique qui permet à l’architecte d’évaluer et de guider son choix parmi les différents modèles proposés par Chambray. Néanmoins, il faut souligner que Fréart n’est pas très précis lorsqu’il aborde « la raison de l’optique » et qu’il ne semble pas connaître les développements apportés à cette science par Descartes.

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Table des matières

Introduction
Première partie : Le contexte de création : une commande du pouvoir royal à la fin du règne de Louis XIII
I. Les « Intelligents »: intellectuels et artistes réunis autour du surintendant des Bâtiments, François Sublet de Noyers 
1. Le commanditaire : François Sublet de Noyers, secrétaire d’État à la Guerre et surintendant des Bâtiments
2. Les artistes : Charles Errard, Etienne Martellange et Abraham Bosse
3. Les intellectuels : Roland Fréart de Chambray, Paul Fréart de Chantelou et Girard Desargues
II. L’inscription dans une politique d’émulation de la Rome antique souhaitée par le pouvoir
1. Une démarche d’antiquaire destinée à favoriser la translatio imperii et studii
i. Les recherches, mesures et acquisitions ayant trait à l’antique : carnet de Pirro Ligorio, relevés d’antiques et la collection Ludovisi
ii. Les missions des Fréart à Rome
2. Une des voix du parti des Anciens dans la Querelle des Anciens et des Modernes appliqué aux beaux-arts
III. Refonder la théorie architecturale française : rupture avec la tradition architecturale de la Renaissance de Serlio à Bullant
1. La théorie architecturale inspirée de l’antique : les modèles de la trattatistica italienne et leurs adaptations françaises
2. La production théorique architecturale française : les traités de Philibert de l’Orme et de Jean Bullant
i. Philibert de l’Orme, Les nouvelles inventions et Le premier tome de l’Architecture
ii. Jean Bullant, Reigle généralle d’architecture des cinq manières de colonnes
Synthèse
Conclusion
Seconde partie : Principes et critères d’une théorie architecturale sans concrétisation monumentale
I. Les ordres antiques : les trois manières de bâtir qui contiennent toutes les autres
1. Du bon usage des ordres de l’architecture antique
i. Modèles idéals des ordres grecs
ii. Convenances et bon emploi des ordres
iii. La place des ordres latins : toscan et composite
2. Le statut de l’antique chez Fréart
i. Vitruve et le traité antique
ii. Le primat des vestiges
II. Évaluation, comparaison, hiérarchisation : critères méthodologiques mis en œuvre et rationalisation des concepts esthétiques
1. La forme du Parallèle : un ouvrage polémique et profondément novateur
2. Les mathématiques comme fondement du jugement du goût architectural
3. Les planches gravées par Charles Errard : corrections, assemblages, approximations. Les limites de la méthode de Chambray
III. L’architecture « régulière » bâtie : un impact réduit
1. L’église du Noviciat des Jésuites, un exemple d’architecture régulière ?
2. Une théorie à contre-courant du goût dominant
Conclusion
Troisième partie : la pensée architecturale de Chambray, de l’atticisme à l’académisme 
I. La clarté, un idéal partagé par les artistes « atticistes ». Relations entre la pensée architecturale et la pratique picturale et sculpturale française des années 1640-1660
1. Élégance et dépouillement, l’art de composer pour atteindre la noble sobriété
2. L’Antiquité comme matière
i. Éduquer pour rivaliser
ii. …avec une pureté grecque fantasmée
II. « Convenance, justesse, correction » : l’éthique, la morale et la place de l’amateur éclairé
1. « Ogni pittore dipinge sé » : l’art comme reflet de la morale de l’artiste et de son jugement
2. La convenance ou le décorum : une notion fondamentale que partagent artistes et publics
3. « Libertins » et « cabalistes », des critiques qui illustrent un changement dans la conception du Beau
III. Rationalisation de la pratique artistique, un ouvrage précurseur de l’académisme
1. Abraham Bosse et la théorie perspective de Girard Desargues, outils mathématiques pour le Parallèle et soutiens d’un goût rationaliste
2. L’importance de la théorie de Fréart sur les débats de l’Académie royale d’Architecture
3. Une définition des règles « positives » de l’art fondé sur une rationalité analytique : postérité du modèle dans les Académies de beaux-arts françaises et place dans le discours politique
Conclusion
Conclusion 
Bibliographie 

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