PARADIGME DE LA MISE EN VALEUR DES PARCS NATIONAUX HAITIENS
PROBLÉMATIQUE
En tant que processus qui exige une planification rigoureuse, la mise en valeur du patrimoine -qu’il soit naturel et culturel, matériel ou immatériel -repose sur une démarche scientifique et fait appel à l’interprétation pour optimiser les ressources d’un site et transmettre les valeurs qu’il traduit. L’interprétation du patrimoine se retrouve donc dans toutes les opérations qui visent à proposer aux visiteurs des codes de lecture pour comprendre et apprécier les paysages naturels d’un milieu ainsi que les référents culturels et historiques d’une communauté. Elle contribue à construire une vision claire et permet d’évaluer si celle-ci est conforme aux objectifs fixés et aux exigences techniques. Ainsi, les programmes d’interprétation figurent parmi les instruments techniques d’application des politiques culturelles nationales et sont utilisés dans les options de valorisation des ressources patrimoniales. Ils sont de plus en plus utilisés afin d’évaluer si la vision définie pour la mise en valeur du patrimoine est conforme aux résultats attendus, notamment par rapport à l’industrie touristique.
Dans cette conjoncture, les parcs nationaux constituent des espaces de choix participant dans l’offre touristique et sont considérés comme les terrains privilégiés d’application des programmes d’interprétation du patrimoine. L’interprétation devient alors une stratégie essentielle pour « préserver le caractère particulier des parcs nationaux » (Chabanis. 2011). De nombreux exemples internationaux montrent que les pays qui s’intéressent au tourisme ont accordé une importance particulière à la dimension de loisirs dans les parcs nationaux et ont développé des programmes d’interprétation en vue de diversifier leurs produits et d’assurer une mise en valeur viable des ressources dont ils disposent et qui constituent leurs patrimoines.
Cependant, la plupart des études portant sur le rapport entre l’interprétation et les parcs nationaux ont été développées dans des pays riches, principalement en Amérique du Nord (Colin. 1989 ; Whatley 1995. Hugues. 2000 ; Barbelli et Ildos. 2009 ; Larrère et al. 2009; Frost et Hall. 2009). En effet, comme le précise Héritier et Laslaz, le travail pionnier de Freeman Tilden publié en 1957, réalisé dans le cadre des parcs nationaux américains et répliqué dans les parcs nationaux canadiens, constitue une référence incontournable qui a largement influencé les méthodes pour construire des outils de terrain, installer un circuit d’interprétation et concevoir la définition des messages cohérents d’interprétation qui seront transmis par des guides interprètes formés (Héritier et Laslaz. 2008). À l’instar des États-Unis d’Amérique et du Canada, des pays d’Europe et d’Asie se sont également efforcés de promouvoir des stratégies interprétatives en vue d’assurer une valorisation efficiente et optimale de leurs parcs nationaux (Lachaux. 1980. Richez. 1992). En créant des « parcs récréatifs à thématique culturelle » (Lazzarotti. 2009 : 107 ; Patin. 2012 : 29), ces pays misent beaucoup sur les loisirs et l’interprétation patrimoniale.
C’est ainsi que les gestionnaires de ces parcs nationaux ont découvert que ces derniers revêtent une signification spirituelle et culturelle profonde qu’il convenait de transmettre aux générations actuelles et futures. Ils ont pu se rendre compte que l’interprétation fournit aux visiteurs des outils pour apprécier, comprendre et aller vers une meilleure compréhension des patrimoines naturels et culturels. Outre leur valeur scientifique en tant que dépositairedeconnaissance sur la biodiversité, la géomorphologie, l’archéologie et l’histoire, les parcs nationaux constituent des espaces pour la protection des ressources naturelles et culturelles patrimoniales, l’éducation aux patrimoines et le renforcement de l’identité nationale.
Champ, techniques et calendriers
La recherche s’inscrit dans le champ des études en Ethnologie et Patrimoine. Elle se différencie d’une simple recherche fondamentale puisqu’elle s’oriente d’emblée dans le courant de l’ethnologie appliquée, une science qui se veut pragmatique, dans la logique des sciences engagées. Son but n’est pas uniquement de produire des connaissances générales sur un sujet donné mais de proposer un outil d’aide à la décision afin de résoudre certains problèmes spécifiques d’usages pratiques. L’étude fait appel à une méthode mixte en combinant des éléments qualitatifs (entrevue, enquête d’observation participante) et quantitatifs (collecte de données et analyses statistiques, graphiques, tableaux, etc.). Cette recherche utilise une approche pluridisciplinaire. En effet, elle mobilise des théories de la préservation en architecture, des postulats en aménagement du territoire et en environnement, des données en économie et en tourisme, des principes de la mise en valeur en muséologie, des données historiques complétées par des recherches ethnographiques.
La recherche repose sur corpus composé de documents historiques et ethnographiques. Ces documents de natures différentes (ouvrages, journaux, revues, dictionnaires, encyclopédies, etc) ont été utilisés pour soutenir le cadre théorique et méthodologique de la recherche. Les éléments du corpus ont également contribué au repérage de modèles de programme d’interprétation et de supports à la visite (dépliants, guide de visite) à titre illustratif. Aussi, le programme de mise en valeur qui soutient l’étude prend en compte des représentations théâtrales et musicales, des expositions muséales virtuelle et réelle, des brochures, des panneaux d’interprétation et de signalisation ainsi que des guides locaux formés sur le site. Ce programme met l’accent sur la participation locale à travers des activités d’animation, la transmission des valeurs du site, des produits d’interprétation et des services culturels essentiels destinés au développement du tourisme durable sur le site. Ce faisant, nous inscrivons notre démarche d’interprétation autour de trois grandes orientations théoriques.
Aspect participatif et éthique de la recherche
Cette recherche a fait appel à environ 250 personnes; elle s’est effectuée auprès de différents types de participants dans les deux communes de la zone (Milot et Dondon), des visiteurs du parc et des actuels ou anciens gestionnaires du site. Au total, nous avons mené cinquante entrevues et cinquante enquêtes d’observations. Quinze des cinquante informateurs ont été (ou sont encore) des gestionnaires du site (soit 30 % des répondants), quinze sont des acteurs impliqués directement dans les activités touristiques au parc (soit 30 %) ce sont principalement des guides, des marchands, meneurs et propriétaires de chevaux. Vingt de ces entrevues ont été réalisées auprès des visiteurs du site (soit 40 %), dont dix Haïtiens et dix étrangers. Sur les cinquante enquêtes d’observation réalisées, vingt portaient sur les guides (soit 40 %) et trente sur les visiteurs (60 %). Ainsi, parmi les visiteurs, vingt ont fait l’objet d’enquêtes semi directives et trente autres d’enquêtes d’observation. Les autres participants de l’étude sont tous des acteurs, particulièrement les jeunes, des communautés locales qui se sont impliqués, d’une manière ou d’une autre, dans la démarche d’interprétation et d’animation expérimentale du site.
En ce sens, ont été mis à profit les porteurs de traditions reconnus, les guides de l’Association des Guides Touristiques de Milot et les employés / techniciens de l’ISPAN, les membres des associations communautaires existantes (Scouts, Croix Rouge, Brigadiers de la Protection Civile, associations des jeunes des églises, et autres). Ces jeunes ont reçu une formation de manière à assurer un travail d’animation et de redynamisation du parc, de transmission des traditions, de diffusion des messages, d’utilisation des outils d’interprétation, et de durabilité des actions. De même, dix étudiants de l’Université d’État d’Haïti, de la licence en Patrimoine et Tourisme de l’Institut d’Études et de Recherches Africaines d’Haïti (IERAH) nous ont aidés à appliquer les grilles d’observation sur le terrain dans le cadre d’un stage qu’ils ont réalisé sur le site sous notre direction.
Limites de la recherche Bien que la méthodologie développée a mené aux résultats attendu, la recherche paraissait au départ trop ambitieuse en visant de proposer un programme complet d’interprétation autour du Parc National Historique : Citadelle, Sans-Souci, Ramiers. Ce programme est dit complet car il incarne une vision « globale » et « intégrée ». L’aspect global de la recherche 22 prend en compte toutes les potentialités du site : naturel, historique, ethnologique, archéologique, social et culturel du parc. Ces potentiels sont traduits par des exemples concrets de mise en valeur du site, adaptés à l’industrie touristique. L’aspect intégré signifie que la recherche s’appuie sur l’implication des communautés locales dans le processus d’interprétation et de mise en valeur du site. Étant planifiée pour et avec les populations locales, cette approche s’est inscrite dans une logique de durabilité des actions. L’expérimentation de terrain n’a touché que quelques éléments du programme d’interprétation. En raison de l’étendue des deux communes (Milot et Dondon) retenues pour l’expérimentation du programme d’interprétation sur le site, l’étude s’est concentrée prioritairement sur la commune de Milot. Des contraintes logistiques et financières ont restreint l’extension de l’étude à la commune de Dondon. De fait, les interventions réalisées sur cette commune ont été très limitées (prospections des grottes, visites de lieu, rencontres communautaires, colloques de sensibilisation).
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Table des matières
RÉSUMÉ
ABSTRACT
TABLE DES MATIÈRES
TABLE DES FIGURES
TABLE DES TABLEAUX
TABLE DES GRAPHIQUES
LISTE DES ACRONYMES
DÉDICACES
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
PROBLÉMATIQUE
MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
CHAPITRE I. ENJEUX DE L’INTERPRÉTATION DU PATRIMOINE DANS LES PARCS NATIONAUX DANS LE MONDE
1.1. DU PARC NATIONAL EN TANT QU’OBJET DU PATRIMOINE
1.1.1. Définition et évolution du concept de parc national
1.1.2. Définitions et évolution du concept de patrimoine
1.1.3. Réflexions autour de la patrimonialisation
1.2. INTERPRÉTATION DU PATRIMOINE : PRINCIPES ET MÉTHODES
1.2.1. Interprétation du patrimoine : Définition et principes
1.2.2. Méthodes et moyens d’interprétation
1.2.3. Programme, concept et plan d’interprétation : définition, contenu et utilités
1.3. INTERPRÉTATION DU PATRIMOINE ET TOURISME
1.3.1. Tourisme : Définition et évolution
1.3.2. Tendance(s) actuelle(s) du tourisme patrimonial
1.3.3. Tourisme et interprétation dans les parcs nationaux
CHAPITRE II. PARADIGME DE LA MISE EN VALEUR DES PARCS NATIONAUX HAITIENS
2.1. LES PARCS NATIONAUX EN HAITI viii
2.2. PRÉSENTATION DU PARC NATIONAL HISTORIQUE : CITADELLE, SANS-SOUCI, RAMIERS
2.2.1. Localisation, limites administratives et juridiques
2.2.2. Composition et caractéristiques du PNH-CSSR perché sur un arbre au parc
2.2.3. Énoncé d’intégrité et motifs de classement par l’État haïtien et par l’UNESCO
2.3. APERCU HISTORIQUE ET ÉVOLUTIF DE LA SITUATION DE LA MISE EN VALEUR DU PARC NATIONAL HISTORIQUE : CITADELLE, SANS-SOUCI, RAMIERS.
CHAPITRE III. CONCEPT D’INTERPRÉTATION PROPOSÉ EN RAPPORT AU PARC NATIONAL HISTORIQUE : CITADELLE, SANS-SOUCI, RAMIERS
3.1. RESSOURCES ET POTENTIELS D’INTEPRÉTATION DU PARC
3.1.1. Potentiel historique et archéologique
3.1.2. Potentiel naturel et géographique
3.1.3. Potentiel socioculturel
3.2. CYCLE DE VISITE
3.2.1. Accessibilité au site et moyens de transport
3.2.2. Accueil des visiteurs, politique de tarification et offre de service
3.2.3. Période de forte fréquentation
3.3. ORIENTATION, MESSAGES ET ACTIVITÉS D’INTERPRÉTATION
3.3.1. Orientation stratégique
3.3.2. Thèmes et messages d’interprétation
3.3.2.1. Messages thématiques liés au patrimoine naturel du parc
3.3.2.2. Messages thématiques liés au patrimoine culturel matériel du parc
3.3.3. Activités d’interprétation liées au patrimoine culturel immatériel du parc
CHAPITRE IV : PLAN D’INTERPRÉTATION DU PARC NATIONAL HISTORIQUE : CITADELLE, SANS-SOUCI, RAMIERS
4.1. ORIENTATION DE L’EXPÉRIENCE DE VISITE SUR LE SITE
4.1.1. Les circuits et activités d’interprétation proposés
4.1.1.1. Circuits de l’Axe Nature
4.1.1.2. Circuits de l’axe Histoire
4.1.1.3. Circuits et activités d’interprétation de l’Axe Culture
4.1.2. Programmation et calendrier
4.2. SUPPORTS DE COMMUNICATION
4.2.1. Choix des supports de communication
4.2.2. La signalisation et les panneaux d’interprétation
4.2.3. Des outils de communication et d’aides à la visite
4.3. DÉPART ET ÉVALUATIONS
4.4. STRATÉGIE MARKETING ET CONDITIONS DE MISE EN OEUVRE DU PROGRAMME D’INTERPRÉTATION PROPOSÉ
4.4.1. La stratégie marketing (le modèle des 5 M)
4.4.2. Les infrastructures d’interprétation de base
4.4.3. Mise en place du centre de documentation du parc
CHAPITRE V : RÉSULTATS DE LA PHASE EXPÉRIMENTALE
5.1. DÉROULEMENT DE LA PHASE EXPÉRIMENTATLE
5.1.1. Retombées des entrevues et des observations
5.1.2. L’aspect participatif et festif de la phase expérimentale
5.1.3. Application des outils d’interprétation proposés
5.2. STATISTIQUES, PROFILS ET MOTIVATIONS DES VISITEURS
5.2.1. Statistiques des visiteurs
5.2.2. Profil des visiteurs du parc
5.2.3. Motivations et attentes
5.3. ÉVALUATION DE L’APPLICATION DU PROGRAMME D’INTERPRÉTATION PROPOSÉ
5.3.1. Caractéristiques culturelles et perceptions de la démarche interprétative
5.3.2. Points forts et faiblesses de la démarche interprétative proposée
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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