Introduction
Le cancer du col de l’utérus demeure un véritable problème de santé publique à travers le monde entier. En termes de fréquence et de mortalité, il occupe le quatrième rang au niveau mondial chez la femme et le premier dans les pays en développement (1). En France, il occupe la onzième position parmi les cancers féminins pour le nombre de cas incidents, avec 2 797 nouveaux cas et près de 1 092 décès annuels projetés pour 2015 (2). En Martinique, entre 2006 et 2010, 147 nouveaux cas ont été recensés, et cela représente avec 5,8% de l’ensemble des tumeurs solides, le quatrième cancer chez la femme (3). Ce cancer est causé par une infection persistante à Papillomavirus humains dont nous utiliserons le terme générique international de Human Papillomavirus (HPV) (4). Les HPV infectent les cellules épithéliales de la peau ou des muqueuses, et sont répartis en 3 classes principales selon leur tropisme (cutané, muqueux, ou mixte) (5). Au sein des HPV à tropisme muqueux, on distingue les HPV à bas risque entrainant des lésions bénignes, des HPV à haut risque qui sont responsables de cancers (5). Plus d’une centaine de génotypes a été identifiée dont une vingtaine comme étant oncogène (5-6). Les HPV 16 et 18 sont responsables d’un peu plus de 70% des cancers du col et des lésions précancéreuses, et les HPV 31, 33, 45, 52, 58 de 15 à 20% de ces cancers (4). Les HPV affectant les muqueuses génitales sont transmis par voie sexuelle et sont fréquents dès le début de la vie sexuelle, puisqu’ils sont détectés chez un tiers des femmes entre l’adolescence et le début de la vingtaine (7). Les infections qu’ils génèrent disparaissent souvent spontanément et sans signe clinique (7). Cependant, l’infection persiste chez 10% des femmes parmi lesquelles certaines développeront une lésion précancéreuse appelée néoplasie cervicale intra-épithéliale, qui est un précurseur du cancer du col de l’utérus (8). L’intervalle entre la première transformation cellulaire liée à un HPV oncogène et l’apparition d’un tel cancer est en moyenne de 13 ans (9). La prévention du cancer du col de l’utérus repose actuellement sur la détection des lésions pré-néoplasiques du col utérin par la réalisation de frottis cervico-utérins (FCU) (prévention secondaire) (10-11). En France il existe un dépistage individuel du cancer du col de l’utérus, et depuis 2014 l’Institut National du Cancer (INCa) a recommandé la mise en place d’un programme national de dépistage organisé avec une généralisation prévue en 2018 (12). La Martinique, en tant que département pilote depuis 1991, participe activement à ce dépistage organisé, via l’Association Martiniquaise pour la Recherche Epidémiologique en Cancérologie (AMREC), ce qui a contribué à une baisse de l’incidence du cancer du col de l’utérus qui reste cependant plus élevée qu’en France métropolitaine (12). L’AMREC participe aux campagnes de dépistage des lésions du col utérin mises en place par l’INCa (12). La recherche d’HPV en cas de lésion du col a permis de mieux connaître l’écologie virale et d’appréhender la possibilité et l’efficacité attendue de la vaccination. En Europe et en Amérique du Nord, l’accès à une vaccination est proposée en prévention primaire par les vaccins CERVARIX® contenant les génotypes à haut risque 16 et 18, et GARDASIL® contenant les génotypes à haut risque 16 et 18 et bas risque 6 et 11 (1). Le nouveau vaccin GARDASIL 9®, contenant cinq génotypes d’HPV additionnels (31, 33, 45, 52, 58) par rapport au GARDASIL®, est disponible dans certains pays mais n’est pas encore commercialisé en France (13). La disparité géographique des HPV montre que cette politique de vaccination se heurte à des limitations, notamment dans les territoires français d’Amérique où les HPV 16 et 18 ne sont pas les principaux génotypes oncogènes circulants (14-15). En effet plusieurs études concernant ces territoires ont montré que les principaux HPV 16 et 18 étaient retrouvés dans moins d’un quart des cas. L’objectif principal de cette étude est d’analyser la répartition des différents génotypes d’HPV à partir de frottis présentant des anomalies cytologiques, diagnostiquées entre janvier 2014 et décembre 2016, au Centre Hospitalier Universitaire de Martinique (CHUM). L’objectif secondaire est de vérifier si les génotypes oncogènes retrouvés, correspondent à ceux pris en compte par les différents vaccins disponibles.
Répartition des différents génotypes d’HPV selon l’âge
Parmi les HPV-HR, l’HPV 16 est le plus souvent retrouvé avec un taux de prévalence de 19,1%, et dans la moitié des cas chez des patientes âgées de moins de 30 ans. Les deux autres HPV les plus fréquents sont l’HPV 35 et l’HPV 53 avec des taux de prévalence de 13,2% et 12,5%. Les HPV 31, 52, 56, et 58 ont tous des taux de 10,5%. L’HPV 68 est retrouvé dans 9,2%, et les HPV 39, 51, 66 dans 8,6%. L’HPV 18 n’est retrouvé que dans 7,9% des cas. Parmi les HPV-BR, l’HPV 42 est de loin le plus fréquent avec une prévalence de 19,7%, atteignant dans la majorité des cas les femmes de moins de 40 ans. Les HPV 44/55 sont retrouvés dans 8,6% des cas. Les HPV 6 et 11 sont minoritaires avec des prévalences de 3,9% et 2% (Tableau 5).
Papillomavirus humain : description et pathogénicité
Le papillomavirus humain appartient à la famille des Papillomaviridae, et est à l’origine de nombreuses pathologies cutanéo-muqueuses bénignes (verrues vulgaires) et malignes (néoplasies intra-épithéliales et cancers) (19). Sa résistance dans le milieu extérieur (froid et chaleur) et son tropisme exclusif pour les épithéliums malpighiens, en font le responsable de la plus fréquente des infections sexuellement transmissibles (entre 70 et 80% de la population ayant déjà été en contact avec au moins un HPV) ; l’atteinte pouvant être anogénitale ou orale (4-5-19). Au sein des HPV à tropisme muqueux, on distingue les HPV à haut risque et les HPV à bas risque de cancer. Les HPV à haut risque sont en cause dans la majorité des cancers du col de l’utérus. Ils sont également impliqués dans la survenue d’autres cancers : 88% des cancers de l’anus, 70% des cancers du vagin, 50% des cancers du pénis, 43% des cancers de la vulve et selon les régions géographiques entre 13% et 56% des cancers de l’oropharynx (13). Les HPV sont des petits virus nus dont la capside, constituée de 72 capsomères à symétrie icosaédrique, abrite un ADN double brin circulaire d’environ 8 000 paires de bases (4). L’organisation de l’information génétique est compacte et un seul des brins est codant (5). Le génome est divisé en trois régions principales de lecture (4-5) :
une région codante E (Early) comportant 6 phases ouvertes de lecture (POL) qui codent huit protéines non structurales dont les protéines précoces de fonction :
∘ E1 : protéine responsable de la réplication de l’ADN viral,
∘ E2 : localisation nucléaire ; protéine responsable de l’activation de la réplication de l’ADN viral en synergie avec E1, et de la répression de la transcription de E6 et E7. Localisation cytoplasmique : protéine responsable d’une induction d’apoptose et d’instabilités génomiques,
∘ E3 : cette protéine n’a pas de fonction connue,
∘ E4 : protéine responsable de la maturation des virions et du cytosquelette en facilitant l’encapsidation du génome,
∘ E5 : protéine responsable de la stimulation de la prolifération cellulaire (protéine anti-apoptose),
∘ E6 : protéine oncogène favorisant la dégradation de la protéine p53 (apoptose cellulaire) par le protéasome,
∘ E7 : protéine oncogène favorisant la dégradation de la protéine de susceptibilité au rétinoblastome (pRb),
∘ E8 : cette protéine n’a pas de fonction connue
une région codante L (Late) comportant 2 POL qui codent les protéines tardives de capside L1 (protéine majeure) et L2 (protéine mineure),
une région non codante URR (Upstream Regulatory Region) contenant des éléments nécessaires au contrôle de la réplication de l’ADN viral et de la transcription des gènes précoces, et impliquée dans l’empaquetage du génome viral dans les capsides (figure 1) Le cycle réplicatif complet des papillomavirus se déroule sur toute la hauteur de l’épithélium malpighien du col utérin (figure 2). L’épithélium métaplasique de la zone de transformation du col utérin, de par sa complexité, sa fragilité mécanique et ses micro-érosions dues aux relations sexuelles, est particulièrement sensible aux infections à HPV. Ce sont d’ailleurs les microlésions présentes sur ce site qui permettent aux virus d’accéder aux cellules cibles qui sont les cellules souches des couches basales. Après pénétration dans ces cellules, les virus sont transportés à proximité du noyau et l’ADN alors décapsidé est transloqué dans le noyau. La réplication virale peut débuter (4). Le cycle viral, étroitement lié à la différenciation des cellules, peut être schématiquement divisé en 2 phases distinctes (4) :
une phase non productive dans les cellules basales et parabasales, avec réplication de l’ADN viral au rythme des divisions cellulaires ; au cours de cette phase, seules les protéines précoces sont exprimées. Les protéines E1 et E2 agissent en synergie pour activer la réplication. Par ailleurs, la protéine E2 par son action transinhibitrice limite l’expression des protéines E6 et E7 qui sont nécessaires pour maintenir les cellules en cycle ;
une phase productive dans les cellules superficielles différenciées, avec amplification de l’ADN viral ; au cours de cette phase, les protéines tardives L1 et L2 sont exprimées et permettent la formation de virions complets qui sont libérés lors de la desquamation cellulaire. L’infection est alors très contagieuse et peut se propager à un (des) partenaire(s). Les cellules immunitaires présentes dans le chorion et qui ne sont donc pas en contact avec les virus, ne peuvent pas protéger d’une infection naturelle. Les cellules de Langerhans présentes dans l’épithélium malpighien, ne sont pas activées par l’antigène de capside L1, ce qui pourrait expliquer la tolérance immunitaire qui semble exister vis-à-vis de ces pathogènes chez certains sujets. Dans certaines cellules le processus de réplication virale s’arrête et l’ADN viral peut s’intégrer au génome de l’hôte. La cancérogénèse débute, avec une expression constitutive d’E6 et E7. Cette intégration, qui concerne exclusivement les HPV à haut risque, est une étape importante dans la progression lésionnelle vers le cancer et peut être un phénomène précoce survenant dès les stades précancéreux. Il s’agit d’un événement terminal dans le cycle de vie du virus car la multiplication virale complète n’est plus possible. L’intégration fait suite à une coupure au niveau de la POL codant la protéine E2. Cette protéine, dont l’expression est modifiée voire abolie, n’exerce plus son effet transinhibiteur sur l’expression des oncoprotéines E6 et E7. L’intégration de l’ADN viral dans le génome de la cellule hôte se fait en général au hasard et préférentiellement au niveau de sites fragiles (4). Le pouvoir oncogénique des HPV est lié à ces protéines mais aussi à des facteurs endogènes, comme le contrôle d’une réponse immunitaire adaptée et le déterminisme génétique, et à des facteurs exogènes comme l’association d’autres facteurs de risque tel que le tabac (19).
Quel vaccin choisir ?
Le vaccin GARDASIL 9® contient neuf génotypes d’HPV (6, 11, 16, 18, 31, 33, 45, 52, 58) dont cinq HPV à haut risque additionnels (31, 33, 45, 52, 58) par rapport au vaccin GARDASIL® quadrivalent (6, 11, 16, 18), CERVARIX® contenant les génotypes à haut risque 16 et 18. Nos résultats montrent que le nouveau vaccin GARDASIL 9® a un taux de protection totale estimé à 30,3% comparé aux 9,9% des vaccins CERVARIX® et GARDASIL® (Tableau 9). De même pour la couverture d’au moins un HPV-HR, le taux de protection est estimé à 59,2% pour le GARDASIL 9®, versus 26,3% pour les vaccins CERVARIX® et GARDASIL® (Tableau 9). Au total, GARDASIL 9® est 2,29 fois supérieur à CERVARIX® et GARDASIL® [IC 95 (1,47;3,84)] (p < 0,05) pour la couverture totale, et 2,09 fois supérieur [IC 95 (1,58;2,80)] (p < 0,05) pour la couverture d’au moins un HPV-HR. L’apport du nouveau vaccin nonavalent apparaît évident par rapport au GARDASIL® et au CERVARIX®. La couverture totale d’HPV-HR par ce vaccin semble plutôt basse à 30%, tandis que la couverture d’au moins un HPV-HR avoisine les 60%. Cependant, du fait de l’existence de protections croisées déjà connues, et que le vaccin GARDASIL 9® contient déjà les HPV reconnus les plus oncogènes (16 et 18), ainsi que plusieurs HPV-HR fréquemment retrouvés dans notre étude, laissent présager une efficacité améliorée de ce vaccin. Au vu de l’hétérogénéité de la distribution des génotypes HPV dans notre étude, le vaccin GARDASIL 9® semble plus adapté à l’écologie virale retrouvée dans la population étudiée au sein de notre travail en Martinique. Il serait le vaccin de choix à proposer en prévention primaire dans notre département.
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Table des matières
Introduction
Méthode
◦ Population
◦ Collecte des données
◦ Analyse statistique
◦ Aspects réglementaires et financement
Résultats
Discussion
◦ Papillomavirus humain : description et pathogénicité
◦ Papillomavirus humain dans les territoires français d’Amérique
◦ Vaccination anti-papillomavirus : population cible et actualités
◦ Retombées de notre étude sur la pratique vaccinale en ville
◦ Limites et points forts de notre étude
Conclusion
Annexes
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