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Les machines électriques
Les phénomènes mis en évidence jusqu’au début des années 1830 et rapportés précédemment, utilisent tous comme source d’énergie électrique, une pile analogue à celle de Volta. De nouveaux générateurs sont alors créés, ouvrant la voie à de nouvelles applications. Dans certains cas ces générateurs sont réversibles : ils transforment l’énergie électrique en énergie mécanique : c’est la définition du moteur électrique38. La distribution d’énergie électrique est un problème difficile, ayant donné lieu à de nombreuses études liées aux développements de l’électromagnétisme et s’éloignant des origines voltaïques de la production électrique. À partir de 1890 environ, la production d’énergie électrique progresse, et si certaines peintures représentent toujours la lumière électrique, elles ne montrent pas comment l’énergie électrique est produite. Celle-ci provient alors des machines électriques dont il est question ici. Auparavant, la source d’énergie était constituée par des batteries ou des piles39.
En 1832, Ampère fait réaliser une première « génératrice à courant continu » par un constructeur français d’instruments de physique, Hippolyte Pixii (1808-1835)40. À partir de 1835 de nombreuses machines apparaissent et elles se distinguent souvent les unes des autres par des astuces techniques. Elles portent le nom de leurs inventeurs. Il faut relever parmi les noms connus, celui de l’Allemand Werner von Siemens qui construit peu avant 1856 une « magnéto »41. Si la machine est située trop loin du lieu d’utilisation, ce qui implique donc une grande longueur de conducteur, alors l’énergie disponible est trop faible. Il y a un problème de rendement entre l’énergie disponible pour l’utilisateur et l’énergie à fournir pour que la machine fonctionne. Ce problème ne sera résolu que progressivement42. Pour un historique sur les machines, on peut consulter par exemple [Multon 1995]. La conception des machines électriques, ainsi que leur commande est toujours un problème d’actualité aujourd’hui.
Des scientifiques aux inventeurs
Au-delà des découvertes scientifiques permises grâce à une instrumentation propre au laboratoire, il est nécessaire, pour les transférer à l’ensemble de la société, d’avoir des fabricants, des inventeurs ou des ingénieurs pour mettre au point un « produit » acceptable. Parfois ce transfert s’effectue en proximité avec le monde académique, c’est le cas de Pixii et d’Ampère. L’histoire des sciences retient
peine les noms des personnages impliqués. Potier43, professeur à l’École Polytechnique, écrit en 1882 : « La première machine de Pixii et ses dérivés directs, Saxton, Clarke, Nollet, Holmes, utilisent les courants qui se produisent dans une hélice entourant un noyau de fer doux, dont le magnétisme est excité dans un sens, puis renversé un grand nombre de fois par minute; on produit ainsi un très grand nombre de courants alternati s, q ’ n c mm tate r pe t redresser s’il est nécessaire. » [Potier 1882]. Nollet, cité également par Figuier [Figuier 1867], Saxton ou Holmes n’ont pas laissé de traces notables dans l’élaboration des lois de l’électromagnétisme44.
Plus tard dans l’histoire apparaissent des hommes, et il n’y a pas de femmes dans les exemples développés, bien au fait des découvertes scientifiques et qui inventent de nouveaux dispositifs tout en développant une activité commerciale pour la diffuser. En même temps, ils protègent leurs découvertes au moyen de brevets et de nombreuses batailles juridiques s’ensuivent. Siemens, Edison et Tesla en sont les protagonistes les plus connus.
Werner von Siemens (1816-1892) constitue un premier cas célèbre associant science, technologie et entrepreneuriat. C’est un industriel dont la première entreprise est fondée avec Johann Georg Halske, fabricant d’instruments scientifiques. L’entreprise traite de la télégraphie en 1847. Il met en place en mai 1881 le premier tramway45 électrique dans un quartier de Berlin, à Lichterfelde. En entrepreneur voulant protéger ses inventions, il prend de nombreux brevets. Avec ses frères, il développe une entreprise perdurant encore aujourd’hui. Son nom a été donné à l’unité de conductance électrique en 197146.
Edison possède les mêmes caractéristiques que Siemens avec un caractère mégalomaniaque affirmé en plus. Son activité est sommairement décrite dans le paragraphe suivant I-1-2.
Tesla (1856-1943) est souvent qualifié à la fois d’ingénieur et d’inventeur. Il pourrait être qualifié aujourd’hui de « physicien appliqué ». Pendant les années 1884-1885, il travaille chez Edison. Celui-ci développe, depuis 1882, la distribution d’énergie électrique sous la forme de tensions et de courants continus à New York. Les câbles électriques de cette époque ne supportaient pas les tensions supérieures à 110 V, et à cause de la perte d’énergie dans les lignes électriques, les usines d’Edison doivent se situer à proximité des utilisateurs. Y a-t-il une autre possibilité pour acheminer l’énergie électrique des usines vers les consommateurs ? À partir de 1882, Tesla s’intéresse à la production de courants alternatifs et brevète ses idées. L’entreprise de Georges Westinghouse les rachète en 1888 et l’embauche. Celui-ci invente le moteur triphasé et imagine la distribution sous forme de tensions et de courants sinusoïdaux permettant, tout en augmentant légèrement la tension, d’avoir des usines éloignées des consommateurs47. La bataille « continu versus alternatif » fait rage et les conceptions de Westinghouse et de Tesla ont le dernier mot48. Cette controverse a également lieu en France [Baro 2014].
Les premières applications de l’électricité
Trois applications sont mentionnées ici. Les deux premières, l’argenture et le télégraphe, le sont brièvement, alors que la troisième concerne l’application de l’électricité à l’éclairage, ce qui constitue l’arrière-plan de ce qui est développé dans les parties II et III. Le point commun tient d’abord en leurs origines : elles sont liées non pas à des savants académiques, mais à trois inventeurs nommés Ruolz, Morse et Edison. Ces applications concernent des techniques existant préalablement au développement de l’électricité. Mais celle-ci apporte une meilleure hygiène pour l’argenture, une plus grande rapidité pour la télégraphie, et une lumière plus intense pour l’éclairage.
Georges Claude
Georges Claude (1870-1960) ingénieur de « L’École Municipale de Physique et de Chimie Industrielle »78, commence sa carrière comme ingénieur électricien dans une compagnie de tramway parisien. Le 25 mai 1902, il met au point un nouveau procédé de liquéfaction de l’air79. Il s’associe alors avec Paul Delorme, camarade de promotion, et à des souscripteurs pour créer la société Air Liquide80.
En 1895 Daniel McFarlan Moore brevète une de ses inventions : il s’agit d’un tube, analogue à un tube de Geissler, rempli de dioxyde de carbone. La décharge établie dans le gaz sous basse pression est accompagnée par une lumière blanche [Damelincourt 2010]. Georges Claude introduit dans le tube du néon81, sous-produit de la liquéfaction de l’air. En 1910 il montre sa lampe néon au Mondial de l’automobile de Paris, se tenant au Grand Palais [Magnien 1979]. Plus précisément, il s’agit de quatre tubes en verre 15 mm de diamètre et de 36m de longueur chacun. Ces tubes ont été installés par la société de la lumière Moore82. La tension nécessaire est de 1000 V. Le Figaro du 12 décembre 1910 écrit « Succès immense pour la lumière rouge Georges Claude ! Les tubes à « néon » ont triomphé hier. Effet sensationnel du reste ! »83. Georges Claude dépose en 1911 un brevet aux États Unis, qui est promulgué en janvier 1915. Ces tubes seront souvent utilisés pour des enseignes lumineuses à des fins commerciales. Dans certaines peintures, cet éclairage sera montré dans la partie III. L’« invention » de Georges Claude est typique de l’intrication de découvertes scientifiques, le néon, et d’une technologie développée par un industriel Moore. Sa réactivité a fait sa fortune. Georges Claude est largement oublié aujourd’hui : son attitude pronazie pendant la seconde guerre mondiale a largement contribué à ternir son image84.
Des lieux pour les scientifiques et les inventeurs : (dé)monstrations diverses
Cadre général
Le fait que les scientifiques puissent s’exprimer dans des lieux ad-hoc et débattre apparaît aujourd’hui comme naturel. Des cadres institutionnels nombreux existent : congrès, journaux scientifiques, livres, expositions, académies. Il n’en a pas toujours été ainsi, et l’histoire des sciences montre aussi des périodes pour lesquelles le débat est âpre et débouche sur la violence. Un moment significatif pour l’expression des sciences et la confrontation avec un pouvoir en place est le XVIIe siècle.
Les batailles des scientifiques contre certains dogmes religieux se déroulent jusqu’au début du XVIIe siècle. Giordano Bruno est brûlé vif en 1660 pour notamment son soutien au système de Copernic. Celui-ci établit que les astres du système solaire tournent autour du soleil et non de la Terre comme le considère alors l’Église. Galilée fait paraître, à soixante-huit ans en 1632 à Florence, ses Dialogues sur les deux grands systèmes du monde dans lesquels il se prononce contre le géocentrisme de Ptolémée. En 1633, son procès commence et se termine par sa condamnation devant un tribunal ecclésiastique et son abjuration sous peine de mort85.
la fin du XVIIe siècle, une partie de la société commence à être moins empreinte de religion grâce à l’engouement des élites pour la Raison et Les Sciences. De nombreuses « Académies » à vocation scientifique sont créées et soutenues par les autorités publiques. La Royal Society de Londres apparaît officiellement en 166286 sous l’égide de Charles II. En 1666, Colbert crée à Paris une Académie qui se consacre au développement des sciences. En province des lieux de discussion sur les sciences et les belles lettres s’organisent également en académie : c’est le cas de Lyon en 170087.
Il existe ainsi de nombreux lieux de discussion et de monstration des sciences bien avant le développement de l’électricité. Cette science se prête bien à des expérimentations publiques. Avant l’apparition de l’électricité « dynamique », c’est-à-dire celle des courants électriques, Nollet est un des grands « passeurs » de l’électricité en France au XVIIIe siècle. Puis au XIX e siècle les foires nationales ou internationales permettent à un public beaucoup plus large d’avoir accès à des (dé)monstrations des applications de l’électricité.
Nollet ou l’électricité à la cour
Jean Antoine Nollet (1700-1770), dit l’abbé Nollet, contribue à répandre en France le goût et l’étude de la physique, notamment par ses premiers travaux sur l’électricité. Maître de physique et d’histoire naturelle des enfants du roi Louis XV, c’est un excellent orateur, un fabricant d’appareils de démonstration et un grand vulgarisateur. Ses compétences scientifiques et techniques lui ouvrent les portes des laboratoires et des salons parisiens. Dès 1735, il donne à Paris un cours de physique expérimentale ouvert à des hommes et à des femmes de tous âges et de toutes conditions, qui rencontre un grand succès, avec de spectaculaires expériences d’électrostatique88. Ses Leçons de physique expérimentale paraissent en 1743 et connaissent sept rééditions. L’abbé Nollet s’intéresse à la foudre et pressent sa filiation avec l’électricité. Pour expliquer ses leçons, il devient fabricant et fournisseur des très beaux instruments qui servent à ses démonstrations. La physique expérimentale tient une place de la première importance dans les écrits de Mme du Châtelet. Dans ses Institutions de physique, elle avertit d’emblée son fils, à qui est destiné l’ouvrage:
Souvenez-vous, mon fils, dans toutes vos Ét des, q e l’Expérience est le bât n q e la Nat re a donné à nous autres aveugles, pour nous conduire dans nos recherches; nous ne laissons pas avec son secours de faire bien du chemin, mais nous ne pouvons manquer de tomber si nous cessons de nous en servir ». Elle ajoute, cependant, que bien que ce soit à « l’Expérience à nous faire connaître les qualités Physiques », c’est « à notre raison à en faire usage & à en tirer de nouvelles connaissances & de nouvelles lumières » [Émilie du Châtelet 1740].
Première Exposition internationale d’électricité en 1881
Jusqu’en 1881 l’électricité est présente dans certains stands des expositions nationales ou universelles. Ici c’est la première fois qu’une exposition internationale est entièrement consacrée à l’électricité et à ses applications. Cette rencontre prendra une importance particulière avec l’organisation, pendant l’exposition, du premier congrès international des électriciens117 qui se tient dans les salles du Palais du Trocadéro. Près de 900 000 personnes visitent l’exposition entre le 11 août et le 20 novembre [Carré 1989]. Elle rassemble près de 1800 exposants.
L’exposition présente une grande revue des sources disponibles de lumière électrique : les arcs avec des régulateurs, des bougies de Jablochkoff et des lampes à incandescence118. Edison présente un ensemble complet: ses lampes à incandescence, la génératrice capable d’alimenter des lampes consommant une intensité de 0,7 A sous une tension de 100 volts, le réseau de câbles nécessaires. Hospitalier [La Nature, n°443, 1881, p. 411] énonce : « Il serait peut-être prématuré de penser que le système Edison résout complètement le problème de la distribution et de la divisi n de la l mière. […] et il nous faudra attendre, pour conclure, que les installations qui se font à New York soient terminées et fonctionnent] ». Edison occupe deux grandes salles éclairées à la lumière électrique par des ampoules incandescentes119. Le catalogue officiel120 mentionne (p. 178) « Avec quelle netteté cette délicieuse lumière ne fait-elle pas ressortir toutes les couleurs des beaux tableaux qui ornent le premier salon d’Edison ». Le nom Edison revient 91 fois dans ce catalogue, signe d’un marketing particulièrement efficace121.
L’intérieur du bâtiment
Trois tableaux sont montrés dans ce paragraphe dans lequel les coulisses du bâtiment sont mises en évidence. Le premier présente une couleur très froide associée à un éclairage minimum dans un couloir de l’Opéra. Dans le second au contraire, une couleur très chaude correspond à l’éclairage intense de la salle de l’opéra. Le troisième décrit un contraste très fort clair/obscur entre la scène fortement éclairé et un promenoir sombre.
Dans le tableau de Jean Béraud, Altercation dans les couloirs de l’Opéra de 1888, des lampes très blanches donnent une ambiance gris bleuté à la toile. Ce tableau pourrait-il s’appeler « les turpitudes de la bourgeoisie à l’Opéra » ? Outre « l’altercation » située sur la partie droite du tableau, un homme essaye d’embrasser une femme, visiblement contre son gré, sur la partie gauche127. Dans Les coulisses de l’Opéra du même auteur, une lumière analogue recouvre une scène montrant les protecteurs avec leurs jeunes protégées. Montrer l’hypocrisie de la société bourgeoise de l’époque, n’est-ce pas la dénoncer ? Même s’il faut voir essentiellement de l’ironie chez Jean Béraud et non une attitude véhémente contre l’injustice sociale128.
La lumière électrique sous les premières critiques
Il est bien admis que la lumière électrique fait évoluer la nature même de la mise en scène par son éclairage inédit (par exemple pour un large tour d’horizon historique voir [Gröndahl 2014]). Faut-il le regretter ? Déjà Trudelle en 1914132 se pose la question de l’éclairage :
Aujourd’hui, dans un théâtre de moyenne grandeur, ayant au moins une ouverture de cadre de 10 mètres, on met environ 60 lampes blanches de 16 bougies133 à la rampe, ce qui donne un éclairage de 960 bougies ; à cette époque134, pouvait-on mettre au moins 10 chandelles par mètre, c’est-à-dire 100 environ pour nos rampes de théâtres actuels en deux ou trois rangées, cela est à supposer ; il y aurait donc une différence énorme d’éclairage en faveur de la lumière actuelle ; y voyait-on assez à cette époque ? Faute de mieux, il faut croire que oui. ».
Dès lors la question « à quoi bon ? » se pose. Si les règlements le permettent, certains metteurs en scène n’utilisent pas la lumière électrique. Ainsi Henry Irving, acteur, metteur en scène et directeur du théâtre Lyceum de Londres n’utilise pas la lumière électrique dans les années 1880-1900, préférant le gaz et le limelight : « For Irving, stage lighting meant gaslight and limelight, and irving developed an increasingly sophisticated means of lighting by applying coloured lacquers to the limelight mediums, and dividing the footlights into independently controlled colour circuits » [Richards 2005]. Irving pense que la lumière du gaz est plus douce et crée plus d’ombres permettant de mieux moduler l’éclairage de la scène.
Louis Jouvet en 1937 [Jouvet 1937]135 regrette la mainmise de l’électricité sur l’éclairage théâtral. Il dénonce la disparition des ombres et de la pénombre pour cause d’éclairage trop violent : « La scène, née dans une obscurité savamment aménagée, s’est dépouillée petit à petit de sa pénombre et apparaît aujourd’hui distincte en toutes ses parties pour le spectateur. Cette mise en évidence brutale du lieu dramatique tel qu’il s’offre à nous de nos jours a contraint le metteur en scène et surtout le décorateur à une technique nouvelle. ». Pour Jouvet, dans les années 1887, l’électricité suit la tradition de l’éclairage au gaz « même distribution, mêmes jeux de lumière. ». Cependant en 1892 apparait Loïe Fuller que Jouvet renvoie au music-hall avec un peu de condescendance : « En fait, les éclairages de Loïe Fuller, comme les décors transparents, sont restés une expérience isolée qui ne pouvait rien apporter au théâtre, et dont seul le music-hall a profité. ». Cela est bien loin des appréciations de Mallarmé sur la danseuse (v. II-1-3). Il est vrai que dans un livre de 1893 sur le théâtre [Moynet 1893], le texte est précédé d’une gravure représentant la danse serpentine de « La Loïe Fuller », lui établissant ainsi un rôle au moins précurseur. Ainsi Jouvet regrette-t-il un théâtre qui, selon lui, « a perdu sa pénombre et partant un peu de son mystère et de sa magie »136 ?
Lorsqu’une nouvelle technologie apparaît, comme un nouvel éclairage ou de nouveaux pigments nés de la chimie organique au XIXe siècle, détruit-elle, au moins en partie, l’art préexistant ?137. En tout cas, elle fournit de nouveaux moyens pour cet art afin de se développer dans son époque138.
Éclairage des musées
La question de l’éclairage des musées se pose à cause de la dangerosité plus ou moins effective des sources d’illumination. Dans la section précédente, il a été rappelé que les nombreux incendies se produisant dans les théâtres, ont entraîné l’utilisation de la lumière électrique. Quid des musées ? Ce sujet est connexe à celui présenté dans cette étude : les peintres se forment notamment à travers l’observation, voire la copie, dans les musées des peintures de leurs prédécesseurs. Pour le public, il s’agit du lieu d’observation, d’interrogation, de plaisir intellectuel des œuvres présentées. Il paraît donc nécessaire d’étudier l’introduction de la lumière électrique dans l’éclairage muséal, d’autant plus qu’en France un grand décalage s’établit, tant dans l’utilisation de cette lumière dans des lieux où le public est présent, qu’avec d’autres musées notamment britanniques. C’est aussi la perception de ce que doit représenter un musée qui est en jeu dans le choix de l’éclairage réalisé par leurs directeurs. La question du bien-fondé de l’éclairage électrique dans les musées apparaît dans les années 1880 et perdure jusque dans les années 1950. La question de l’éclairage est toujours d’actualité, notamment lors de la construction de nouveaux musées.
La notion de musée, dans l’acception d’aujourd’hui impliquant l’ouverture au public, date du XVIIIe siècle. En 1746 le mot « museum » apparaît comme «lieu de conservation et d’étude de collections artistiques, scientifiques»139.L’inauguration du « Museum central des arts », c’est-à-dire du musée du Louvre, a lieu le 10 août 1793. Seule la grande galerie est alors accessible « gratuitement pour les artistes et les étrangers les six premiers jours de chaque décade et au public les trois derniers » [Rosenberg 2007]. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la notion de musée souvent citée est celle de Porphyre Labitte140 : « Un musée est une collection d’objets rares et curieux, appartenant à l’histoire naturelle, à la science, à l’industrie, aux beaux-arts ou à l’antiquité. Ces objets sont réunis dans un édifice public, pour être offerts à l’admiration des connaisseurs, pour servir de jouissance aux amis de la science et des arts, enfin comme spécimens utiles à consulter pour les maîtres et les élèves » [Labitte 1869]. Cette ancienne formulation est assez proche de celle qui prévaut aujourd’hui141. La contrainte de conservation et le dilemme lumière/conservation, rendent particulières les questions d’éclairage des musées.
Des salons précurseurs
De nombreux salons de peinture en France ont été éclairés avec la lumière électrique bien avant les musées. Comment s’effectue la réception de cet éclairage ? Les informations concernant ce sujet sont fragmentaires. Quatre événements sont rapportés ici (1879-1883-1902-1903) ; ils montrent l’évolution de l’éclairage et sa perception par le public. Une étude exhaustive reste à effectuer.
En 1879 le salon annuel des Beaux-arts se tient au Palais de l’Industrie à partir du 7 juin. La nef et les salles occupées sont éclairées par des bougies Jablochkoff142. Charles Boissay, un des rédacteurs de La Nature, écrit d’abord une appréciation positive : « Les peintures, exposées dans les salles du premier étage, sont parfaitement éclairées par les globes semi-dépolis armés de réflecteurs ». Mais plus loin il ajoute : « La flamme des bougies Jablochkoff se colore, il est vrai, assez souvent de nuances roses pourpres passagères, mais elles projettent sur les tableaux un ton chaud qui généralement ne leur est pas désavantageux », ce qui pourrait ou devrait être lu comme une critique de l’éclairage143,
moins qu’il ne s’agisse d’une critique des tableaux. L’auteur, les trouvant si mauvais, pense qu’une
coloration artificielle ne peut que les améliorer. Frank Géraldy, secrétaire du comité de rédaction de la revue La Lumière électrique, titre « La Lumière électrique au salon »144. Il énonce que « L’éclairage du palais de l’Industrie est un succès, le public s’y porte déjà en grand nombre et tout annonce que l’affluence ne fera que s’accroître ». Il faut distinguer les sculptures situées dans le jardin pour lesquelles l’éclairage n’est pas suffisant, de l’intérieur où les tableaux sont exposés et, malgré les heures d’ouverture, de 20h à 23h, « on oublie volontiers l’heure et l’on se livre à l’examen des peintures avec la même quiétude que dans le jour ». Les changements de couleurs de la lumière sont aussi notés, mais l’effet est déclaré « peu sensible ». Les journaux sont plus directement laudatifs : « Le système de l’éclairage de l’exposition des Beaux-Arts, au moyen de la lumière électrique, a
pleinement réussi », et devant l’affluence il a été décidé que « l’exposition resterait ouverte tous les soirs jusqu’à minuit »145. Le 16 juin, plus de quarante mille personnes ont visité le palais de l’Industrie146.
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Table des matières
I) Panorama du phénomène électrique
I-1 De la reconnaissance de l’électricité à ses premières monstrations
I-1-1 Les scientifiques
I-1-2 Les premières applications de l’électricité
I-1-3 Des lieux pour les scientifiques et les inventeurs : (dé)monstrations diverses
I-2 Diffusion du paradigme électrique
I-2-1 Nature et fonction de l’écrit
I-2-2 Enseignements du fait électrique
I-2-3 Incarnations de l’électricité
I-2-4 Visibilité des chercheurs en électricité
I-3 Le souci de comprendre
I-3-1 La question du vocabulaire
I-3-2 Du merveilleux au côté obscur
I-3-3 Cas de la théosophie
II) La société imprégnée d’électricité
II-1 Les lieux de socialisation
II-1-1 Les cafés
II 1-2 Bar et Salle de spectacle : Un bar aux Folies-Bergère de Manet
II-1-3 La danse avec Loïe Fuller
II-1-4 Bals et cabarets
II-1-5 Théâtres
II-1-6 Eclairage des musées
II-2 Les territoires partagés, la nuit.
II-2-1 Paysages nocturnes urbains
II-2-2 Nouveaux paysages nocturnes : la ville
II-2-3 Faisceaux lumineux
II-3 Le lieu domestique
II-3-1 Sous la lampe
II-3-2 La fête à la maison
II-3-3 Intérieurs et scènes de travail
II-3-4 Anciens sujets sous la lumière électrique
Document connexe : Rosenthal au Musée des beaux-arts
Volume II
III) Conceptualisations
III-1 Le temps des abstractions
III-1-1 Nature du courant électrique
III-1-2 Construction Art/science : l’apport de Helmholtz (acoustique/musique & vision/art pictural)
III-1-3 Réalité-abstraction-non figuration
III-2 Le temps des manifestes et des utopies
III-2-1 L’électricité composante de la modernité exacerbée
III-2-2 L’électricité en butte à la politique : cas de la révolution d’Octobre 1917
III-2-3 Trop de lumière ! Le retour de l’ombre
III-3 De la consécration officielle aux remises en cause
III-3-1 La consécration officielle de la fée électricité
III-3-2 La violence sous la lumière électrique
Document connexe : C’est quoi un courant ? Analyses historiques et scientifiques
Document connexe : Ludwig Meidner
Conclusion
Documents
RéférencE
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