Panorama des théories de Floer actuelles
Les techniques utilisées par Floer pour définir les deux homologies précédentes se sont avérées fécondes, et ont permis de définir de nombreux groupes d’homologie associés à des fonctionnelles définies sur des espaces de dimension infinie. Le raisonnement d’Atiyah a inspiré également la définition de nombreux invariants très riches.
Homologie des monopoles Quelques années après l’introduction des instantons en topologie, Seiberg et Witten proposent une nouvelle équation aux dérivées partielles linéaire plus simple à manipuler, qui permettra de retrouver de nombreux résultats, et de définir des invariants similaires aux invariants de Donaldson, voir [Wit94]. Puis, Kronheimer et Mrowka définissent des groupes d’homologie faisant intervenir cette équation, qu’ils appellent « homologie des monopoles ». Cela leur permet notamment de démontrer la propriété P pour les nœuds [KM04].
Le raisonnement d’Atiyah inspire alors des variantes symplectiques de ces groupes, parmi lesquels l’homologie de Heegaard-Floer d’ Ozsváth et Szabó et les « Lagrangian matching invariants » de Perutz [Per07].
Homologies de Heegaard-Floer L’homologie de Heegaard-Floer est un ensemble de théories. La première, introduite dans [OS04d] et [OS04b], associe des invariants pour des 3-variétés closes connexes orientées. C’est une homologie d’intersection Lagrangienne associée à un diagramme de Heegaard de genre g : la variété symplectique considérée est le g-ième produit symétrique, dans laquelle vivent deux tores Lagrangiens, correspondants aux produits des courbes du diagramme. Peu après, Ozsváth et Szabó [OS04a] et Rasmussen [Ras03] définissent indépendamment des invariants analogues associés aux nœuds, puis Juhász unifie ces deux théories en définissant une homologie associée à certaines variétés suturées, appelées « Balanced ».
Du fait de leur richesse structurelle (structures SpinC, graduations absolues, structure de Z[U]-module, applications induites par cobordismes), de leur calculabilité (suite exacte de chirurgie, formule d’adjonction, versions combinatoires), et de leurs relations avec des invariants antérieurs (invariant de Casson, norme de Thurston, polynome d’Alexander), ces invariants suscitent une grande activité chez les topologues. Parmi les applications frappantes de ces invariants on peut mentionner une caractérisation des nœuds fibrés (Ghiggini [Ghi08], et Ni [Ni07]), ou le calcul de la norme de Thurston d’une 3-variété ([OS08] et [Ni09]). Dans ce contexte la version correspondante de la conjecture d’AtiyahFloer a été démontrée par Kutluhan, Lee et Taubes. Dans [KLT10] et une série de papiers ils construisent un isomorphisme de l’homologie de HeegaardFloer vers l’homologie des monopoles.
Variantes de l’homologie des instantons L’homologie des instantons n’a été définie par Floer que pour certaines 3-variétés (sphères d’homologie entières, et d’autres en utilisant des SO(3)-fibrés non-triviaux), en raison de singularités apparaissant au niveau des connexions réductibles. Kronheimer et Mrowka, en considérant une somme connexe avec un 3-tore, définissent des généralisations pour toutes les 3-variétés, ainsi que des versions nouées et suturées, voir [KM11] et [KM10].
Pillowcase homology Récemment, dans l’espoir d’obtenir une version symplectique des variantes de Kronheimer et Mrowka de l’homologie des instantons, Hedden, Herald et Kirk ont défini dans [HHK15] des invariants pour certains nœuds, comme une hommologie d’immersions Lagrangiennes dans la « variété des caractères SU(2) sans traces » de la sphère privée de quatre points, variété homéomorphe à une « taie d’oreiller ». Ils appellent cet invariant « pillowcase homology ».
Théorie des quilts Dans [WW16] et [WW15c], Wehrheim et Woodward proposent un nouveau cadre général pour construire les différentes versions symplectiques d’invariants de théorie de jauge : leur construction part non plus d’un scindement de Heegaard, mais d’une décomposition de Cerf de la 3-variété et utilise la théorie des « quilts pseudo-holomorphes » développée dans [WW09a]. Ils appliquent leur théorie et construisent des invariants en utilisant des espaces de modules de connexions à courbure centrale sur des U(N)-fibrés de degrés premiers à N.
Brève présentation de l’homologie instantonsymplectique
Nous présentons l’homologie Instanton-Symplectique, définie par Manolescu et Woodward dans [MW12], et qui est l’objet principal de cette thèse. Rappelons que la version symplectique de l’homologie des instantons suggérée par Atiyah devrait être définie comme une homologie d’intersection Lagrangienne dans la variété des caractères d’un scindement, qui est une variété symplectique singulière. Jeffrey a remarqué dans [Jef94] que la variété des caractères peut se réaliser comme le quotient symplectique d’une variété symplectique de dimension finie munie d’une action Hamiltonienne de SU(2), dont le niveau zéro du moment est contenu dans la partie lisse. Cet espace, appelé « espace des modules étendu », correspond à un espace des modules de connexions plates sur le SU(2)-fibré principal trivial au dessus de la surface privée d’un disque, présentant une forme particulière au voisinage du bord. L’idée de Manolescu et Woodward est alors de définir l’homologie Lagrangienne dans un ouvert de cet espace. Ils y parviennent, et conjecturent que leur invariant est isomorphe à la version « chapeau » de l’homologie de Heegaard-Floer, ainsi qu’à une version de l’homologie des instantons définie par Donaldson, correspondant au cône de l’application u (après produit tensoriel avec Q).
Résultats dans cette thèse, perspectives
Dans l’optique de pouvoir calculer l’homologie HSI, cette thèse est motivée par les questions suivantes :
(A) Décrire l’homologie HSI d’une somme connexe de deux 3-variétés à partir de l’homologie HSI des variétés initiales,
(B) Décrire l’influence d’une chirurugie de Dehn sur l’homologie HSI,
(C) Définir des invariants associés à des 4-cobordismes.
Rappelons que d’après le théorème de Lickorish-Wallace, toute 3-variété peut s’obtenir par chirurgie de Dehn sur un entrelacs, ce qui souligne l’importance de (B). Un résultat central pour le calcul de ce type d’invariants est le « triangle de Floer » : une suite exacte longue entre les invariants d’une triade de chirurgie, [Flo95] pour les instantons, puis dans les autres théories [OS04b] [KMOS07b]. De plus, les morphismes intervenant dans de telles suites exactes ont généralement une interprétation topologique : ils sont souvent associés aux trois cobordismes correspondants aux attachements d’anses entre les trois 3-variétés. En théorie des instantons, ces applications sont définies en comptant des instantons sur les cobordismes correspondants. De telles interprétations permettent parfois d’obtenir des critères d’annulation, facilitant les calculs, notamment des formules d’adjonction et des formules d’éclatement.
L’existence d’un tel triangle de chirurgie pour l’homologie des instantons est confrontée au problème suivant : trois variétés formant une triade ne peuvent être simultanément des sphères d’homologie entière. Floer contourne ce problème en utilisant un SO(3)-fibré principal non-trivial sur la variété ayant l’homologie de S2 × S1 , afin de pouvoir y définir une homologie des instantons. Bien que l’homologie HSI soit définie pour toutes les 3-variétés, nous verrons que le même phénomène apparait dans cette théorie, ce qui, suivant une suggestion de C. Woodward, nous a conduit à introduire une variante HSI(Y, c) de l’homologie HSI, associée à une 3 variété Y munie d’une classe c dans H1(Y, Z2), ou de manière équivalente, d’une classe d’isomorphisme de fibrés SO(3) au-dessus de Y .
Soit Σ ⊂ Y un scindement de Heegaard de genre g, séparant Y en deux corps à anses H0 et H1, et C0, C1 deux nœuds dans H0 et H1 respectivement, tels que la classe de leur réunion dans H1(Y ; Z2) vaut c. Soit Σ′ la surface à bord obtenue en retirant un disque à Σ, et ∗ ∈ ∂Σ′ un point base. On considère N (Σ′) un certain espace des modules de connexions au-dessus de Σ′ , admettant la description suivante :
N (Σ′) = {ρ ∈ Hom(π1(Σ′, ∗), SU(2)) : ρ(∂Σ′) ≠ −I}.
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Bref historique
1.2 Panorama des théories de Floer actuelles
1.3 Brève présentation de l’homologie instanton-symplectique
1.4 Résultats dans cette thèse, perspectives
2 Théorie des champs de Floer
2.1 Grandes lignes, idée générale de la construction
2.2 Quilts, Homologie de Floer matelassée, Catégorie symplectique
2.2.1 Définition de l’homologie matelassée
2.3 Cobordismes à bords verticaux et théorie de Cerf connexe
3 Construction de l’homologie Instanton-Symplectique d’une variété munie d’une classe
3.1 Espace des modules étendu
3.2 Compactification par découpage symplectique
3.3 Correspondances Lagrangiennes
3.3.1 Reformulation en termes de fibrés SO(3) non-triviaux
3.3.2 Correspondance associée à un cobordisme élémentaire
3.4 Invariance par mouvements de Cerf
3.5 Homologie Instanton-Symplectique d’une variété munie d’une classe d’homologie
4 Premières propriétés
4.1 Calcul à partir d’un scindement de Heegaard
4.2 Renversement d’orientation
4.3 Somme connexe
4.4 Caractéristique d’Euler
4.5 Variétés de genre de Heegaard 1
5 Chirurgie
5.1 Twists de Dehn généralisés et homologie matelassée
5.1.1 Rappels sur les twists de Dehn généralisés
5.1.2 Homologie à coefficients dans l’anneau du groupe R
5.1.3 Suite exacte courte au niveau des complexes de chaînes
5.1.4 Fibrations de Lefschetz matelassées
5.1.5 Construction des flèches
5.1.6 La composée est homotope à zéro
5.1.7 Contributions de basse énergie
5.1.8 Preuve du triangle
5.2 Action d’un twist de Dehn sur la surface
5.2.1 Groupes fondamentaux de Σ et Σcut
5.2.2 Lien entre N (Σ) et N (Σcut)
5.2.3 Description du twist de Dehn dans les espaces de modules
5.2.4 Preuve du triangle de chirurgie
5.3 Applications de la suite exacte
5.3.1 L’observation d’Ozsváth et Szabó
5.3.2 Quelques familles de variétés HSI-minimales
6 Applications associées à un cobordisme
6.1 Construction
6.1.1 Ajout d’une 1-anse ou d’une 3-anse
6.1.2 Ajout d’une 2-anse
6.2 Indépendance de la décomposition
6.2.1 Naîssance/mort
6.2.2 Interversion de points critiques
6.3 Flèches dans le triangle de chirurgie
6.4 Exemples, propriétés élémentaires
7 Perspectives
8 Conclusion