Le paludisme est lโinfection parasitaire la plus rรฉpandue dans le monde. Elle est redoutable en zone tropicale oรน le parasite Plasmodium falciparum est trรจs abondant. Elle est aussi difficile ร รฉradiquer totalement ร cause des formes hรฉpatiques dormantes de Plasmodium vivax trรจs rรฉpandu responsables des accรจs de reviviscence palustre. Dโun cรดtรฉ, le seul mรฉdicament efficace contre la forme hรฉpatique de P. vivax actuellement est la primaquine qui prรฉsente des effets secondaires. De lโautre cรดtรฉ, P. falciparum est devenu rรฉsistant ร lโartรฉmisinine, menacant lโefficacitรฉ des combinaisons thรฉrapeutiques ร base dโartรฉmisinine, traitement de premiรจre intention recommandรฉ. Il est donc urgent de trouver de nouvelles molรฉcules possรฉdant de nouveaux mรฉcanismes dโaction pour rรฉpondre ร ces besoins.
Paludisme, la situation en 2013ย
Le paludisme est une maladie infectieuse dรฉvastatrice. En 2013, il a รฉtรฉ recensรฉ 198 millions de cas et 584 000 dรฉcรจs. Les femmes enceintes et les enfants sont les plus vulnรฉrables. Les pays de lโAfrique sont les plus menacรฉs avec 450 000 dรฉcรจs dโenfants de moins de cinq ans en 2013 parmi les 525 600 dรฉcรจs recensรฉs. Dans le cas de Madagascar, 30% des 23 000 000 habitants prรฉsentent un risque รฉlevรฉ de transmission ; environ 400 000 cas et 641 dรฉcรจs ont รฉtรฉ recensรฉs en 2013 (WHO, 2014). Cette maladie y reprรฉsente la huitiรจme cause de morbiditรฉ. Sa rรฉpartition est hรฉtรฉrogรจne, dรฉfinissant quatre faciรจs รฉpidรฉmiologiques :
– le faciรจs รฉquatorial sur la cรดte caractรฉrisรฉ par une forte et pรฉrenne transmission ;
– le faciรจs tropical sur la cรดte ouest avec une transmission longue de plus de 6 mois ;
– le faciรจs subdรฉsertique dans le sud oรน la transmission est รฉpisodique et courte ;
– le faciรจs des Hautes Terres Centrales oรน le paludisme est รฉpidรฉmique.
Le rapport de lโOrganisation Mondiale de la Santรฉ (OMS) en 2014 note un progrรจs dans la rรฉduction des cas de paludisme et des dรฉcรจs. Cinquante cinq pays sont en bonne voie pour rรฉduire de 75% leur taux dโincidence de la maladie dโici 2015, par rapport ร 227 000 000 de cas estimรฉs en 2000. Douze pays avec transmission du paludisme en 2000 rapportent zรฉro cas en 2013. De 2000 ร 2013, le taux de mortalitรฉ a diminuรฉ de 47% ร lโรฉchelle mondiale par rapport ร 882 000 dรฉcรจs en 2000. Ces progrรจs ont รฉtรฉ obtenus grรขce ร la prรฉvention (moustiquaires, pulvรฉrisation intra-domiciliaire dโinsecticides, traitements prรฉventifs intermittents pour les femmes enceintes) et ร la prise en charge des tests de diagnostic et des traitements antipaludiques. Ceci a รฉtรฉ possible grรขce ร une augmentation importante des soutiens financiers. En 2013, le financement atteint 2,7 milliards de dollars dont plus de la moitiรฉ est destinรฉ aux pays dโAfrique. Cependant, ce montant est loin dโatteindre les 5,1 milliards de dollars nรฉcessaires (WHO, 2014).
La prรฉvention est le premier niveau de lutte contre le paludisme. Malheureusement, une partie de la population nโy a pas accรจs ร cause de manques de moyens et dโรฉducation. Les moustiquaires imprรฉgnรฉes dโinsecticides sont utilisรฉes dans 97 pays dont 45 pays africains. La moitiรฉ de la population africaine subsaharienne a eu accรจs aux moustiquaires en 2013. La pulvรฉrisation intra-domiciliaire est pratiquรฉe par 7% des populations ร risque. Cependant dans plus de deux tiers des pays et depuis 2010, on observe une rรฉsistance aux insecticides parmi lesquels les pyrรฉthrinoรฏdes qui sont les plus utilisรฉs. Les traitements prรฉventifs intermittents pendant la grossesse ont augmentรฉ bien que ce soit encore insuffisant. En 2013, seulement six pays parmi 16 ont adoptรฉ la chimioprรฉvention du paludisme saisonnier chez les enfants รขgรฉs de moins de 5 ans recommandรฉ par lโOMS. Les tests de diagnostic sโintensifient. Dans le cas de lโAfrique, 40% des patients suspectรฉs de paludisme ont reรงu un test de diagnostic en 2010, et ce chiffre atteint les 62% en 2013. Un meilleur accรจs au traitement est rapportรฉ. Plus de 70% de patients avaient bรฉnรฉficiรฉ de traitements combinรฉs ร base dโartรฉmisinine (ACT) en 2013. Cependant, on note une moindre efficacitรฉ et une rรฉsistance ร lโartรฉmisinine dans la rรฉgion du Grand Mรฉkong (WHO, 2014). A Madagascar, le programme de contrรดle du paludisme a รฉtรฉ basรฉ sur la gรฉnรฉralisation de la prise en charge des cas avec les ACT associรฉes ร lโutilisation de Test de Diagnostic Rapide (TDR) dans presque la totalitรฉ des formations sanitaires publiques. Afin dโรฉliminer cette maladie, un plan stratรฉgique de lutte a รฉtรฉ mis en place en 2013 dans le but de rรฉduire le taux de mortalitรฉ ร zรฉro dโici fin 2017.
Paludisme, la pathologie
Le parasite responsable du paludisme est le Plasmodium. Il se transmet par des piqรปres de moustique du genre Anopheles. Cinq espรจces sont actuellement connues pour infecter lโhomme : Plasmodium falciparum (P. falciparum), Plasmodium vivax (P. vivax), Plasmodium ovale (P. ovale), Plasmodium malariae (P. malariae) et Plasmodium knowlesi (P. knowlesi) (White, 2008). Seule lโespรจce P. falciparum est mortelle chez lโhomme. Les symptรดmes (fiรจvre, maux de tรชte et vomissements) apparaissent 10 ร 15 jours aprรจs lโinfection. Dans le cas du neuropaludisme, les complications neurologiques peuvent aboutir au coma. Le cycle de vie du parasite comprend deux รฉtapes : un cycle sexuรฉ chez le moustique et un cycle asexuรฉ chez lโhomme qui comprend la phase hรฉpatique et la phase รฉrythrocytaire .
La phase hรฉpatique dรฉmarre avec la pรฉnรฉtration des formes sporozoรฏtes dans la cellule hรฉpatique provenant de la piqรปre de lโanophรจle et ayant migrรฉ via la circulation sanguine vers le foie. Le sporozoรฏte dans lโhรฉpatocyte se dรฉveloppe sous forme schizonte sphรฉrique multinuclรฉรฉe contenant des milliers de nouveaux parasites appelรฉs mรฉrozoรฏtes. Ce processus de maturation des schizontes peut prendre plusieurs annรฉes dans le cas dโinfection par P. vivax et P. ovale donnant des formes quiescentes de parasites appelรฉes hypnozoรฏtes. Les mรฉrozoรฏtes sont libรฉrรฉes aprรจs รฉclatement des hรฉpatocytes et migrent dans le sang .
La phase รฉrythrocytaire commence par la pรฉnรฉtration des mรฉrozoรฏtes dans les globules rouges oรน ils se dรฉveloppent. Un mรฉrozoรฏte รฉvolue, dโune part, en forme anneau, en trophozoรฏte puis en schizonte. Ce dernier contient 8 ร 36 mรฉrozoรฏtes qui seront libรฉrรฉs aprรจs รฉclatement de lโรฉrythrocyte pour infecter dโautres รฉrythrocytes. Un mรฉrozoรฏte se transforme, dโautre part, en gamรฉtocyte uninuclรฉรฉ capable de produire, une fois ingรฉrรฉ par un moustique, des gamรจtes mรขles et femelles. Le stade asexuรฉ รฉrythrocytaire chez lโhomme est le plus รฉtudiรฉ et ciblรฉ par la majoritรฉ des mรฉdicaments.
Paludisme, les mรฉdicaments
Lโhistoire de la pharmacie antipaludique (Figure 2) dรฉmarre en 1820 avec la dรฉcouverte de la quinine par Pierre-Joseph Pelletier et Joseph Bienaime Caventou (Pelletier, 1820). La dรฉcouverte du bleu de mรฉthylรจne, un composรฉ redox, marque une nouvelle รฉtape en 1891 (Guttman, 1891). Le papyrus Ebers dโEgypte datant de 1600 av. J.-C. a recommandรฉ lโutilisation de lโArtemisia annua (ou wormwood ou qinghao) contre les symptรดmes du paludisme (Baker, 2001), mais ce nโest quโen 1971 que lโartรฉmisinine est isolรฉe par des scientifiques chinois (Qinghaosu Antimalaria Coordinating Research Group, 1979 ; Tu, 2011). Depuis de nombreux nouveaux composรฉs ont รฉtรฉ synthรฉtisรฉs de novo ou isolรฉs de plantes.
Antifolates
La comprรฉhension du rรดle de lโacide folique et ses dรฉrivรฉs chez lโhomme a permis dโidentifier et de dรฉvelopper des antifolates. Les agents antifolates utilisรฉs pour le traitement du paludisme se divisent en deux groupes.
– Les inhibiteurs de la dihydrofolate rรฉductase (DHFR)
La proguanil 12 est le premier antifolate ร visรฉe antipaludique. Sa combinaison avec un naphtoquinone est utilisรฉe comme mรฉdicament de prรฉvention. La pyrimรฉthamine 13 est un dรฉrivรฉ 2,4-diaminopyrimidine inhibant รฉgalement DHFR. La rรฉsistance du parasite ร ces antifolates est due ร quatre mutations de DHFR (N51I/C59R/S108N/I164L). Une seule mutation de S108N nโest pas suffisante pour crรฉer la rรฉsistance ร la pyrimรฉthamine 13 (Sirawaraporn, 1997).
– Les inhibiteurs de la dihydropteroate synthase (DHPS)
La sulfadoxine 14 appartient ร cette classe dโinhibiteurs. Sa combinaison avec la pyrimรฉthamine 13 est trรจs efficace comme traitement prophylactique et curatif. Deux mutations de DHPS (A437G et K540E) chez des parasites sont responsables de la rรฉsistance ร la sulfadoxine 14 (Sirawaraporn, 1997).
8-aminoquinolines
La primaquine 15 faisant partie de cette classe est le seul mรฉdicament pour traiter P. vivax ou P. ovale. Elle tue les hypnozoites รฉvitant les phรฉnomรจnes de reviviscences. Son inconvรฉnient est sa toxicitรฉ pour les personnes dรฉficientes en glucose-6-phosphate dรฉshydrogรฉnase (G6PD) provoquant chez ces patients une anรฉmie hรฉmolytique (Ganesan, 2012). Son mรฉcanisme dโaction est trรจs peu connu mais une รฉtude montre que son activitรฉ dรฉpend de sa mรฉtabolisation dans le foie par le cytochrome P450 CYP 2D6 en mรฉtabolites phรฉnoliques (Pybus, 2013). Ces mรฉtabolites sont oxydorรฉductibles et vont gรฉnรฉrer des espรจces rรฉactives de lโoxygรจne (ROS) (Vรกsquez-Vivar, 1992) (Vรกsquez-Vivar, 1994). Il nโexiste pas de cibles validรฉes pour prรฉvenir la rechute. Aussi, aucune rรฉsistance รฉvidente nโa รฉtรฉ reportรฉe. Le manque dโรฉtudes approfondies sur la rรฉsistance ร la primaquine pose un problรจme pour la conception de nouvelles molรฉcules antihypnozoรฏtes. Un autre inconvรฉnient est le polymorphisme gรฉnรฉtique provoquant une non-rรฉponse au mรฉdicament pour certains patients (Pybus, 2012). Nรฉanmoins, des analogues de ce mรฉdicament sont actuellement en phase clinique de dรฉveloppement tel que la tafรฉnoquine 16 et le NPC-1161-B 17.
La tafรฉnoquine 16 est un dรฉrivรฉ 5-phรฉnoxyle de la primaquine plus efficace et moins toxique que celle-ci (Brueckner, 1998). Elle est en phase de dรฉveloppement menรฉe par lโArmรฉe des USA et Glaxo Smith Kline (GSK) pour le traitement prophylactique du paludisme. La phase clinique III a dรฉmarrรฉ en 2014. Avec la chloroquine, elle permet de traiter et prรฉvenir la rechute avec P. vivax (Llanos-Cuentas, 2014). NPC 1161-B 17 est un autre dรฉrivรฉ, candidat prometteur mais ses effets indรฉsirables ne sont pas encore connus. Comme la primaquine 15, ses dรฉrivรฉs requiรจrent รฉgalement les enzymes CYP2D pour leur activitรฉ antipaludique (Marcsisin, 2014). Il est donc proposรฉ que leurs mรฉtabolites soient รฉgalement oxydorรฉductibles.
|
Table des matiรจres
I. INTRODUCTION
II. REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
A. Paludisme, la situation en 2013
B. Paludisme, la pathologie
C. Paludisme, les mรฉdicaments
D. Composรฉs antipaludiques en dรฉveloppement
E. Nouvelles approches et structures dans la recherche de molรฉcules antipaludiques
F. Rรฉsumรฉ des cibles des antipaludiques
III. INDOLONE-N-OXYDES, SERIES DERIVES ET ACTIVITES ANTIPALUDIQUES
A. Introduction
B. Pharmacomodulation des indolone-N-oxydes
1. Synthรจse
2. Activitรฉs biologiques in vitro
3. Fonctionnalisation du noyau indolone-N-oxyde par un fluorophore
4. Conclusion
C. Dรฉrivรฉs 2-aryl-3H-indol-3-ones
1. Interactions des 2-aryl-3H-indol-3-ones avec lโalbumine
2. Activitรฉs biologiques in vivo
D. Conclusion
IV. PRODUITS NATURELS ANTIPALUDIQUES
A. Introduction
B. Clitocybines et dรฉrivรฉs
C. Extraits issus de plantes malgaches
D. Conclusion
V. CONCLUSION GENERALE
VI. PARTIE EXPERIMENTALE
VII. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
VIII. LISTE DES ILLUSTRATIONS (figures, schรฉmas, tableaux)
IX. ANNEXES