Le paludisme est une érythrocytopathie fébrile due à des hématozoaires du genre Plasmodium et transmise par la piqûre d’un moustique, l’anophèle femelle. C’est la plus grande endémie parasitaire à travers le monde. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, en 2012, 207 millions de cas de paludisme ont été enregistrés et ont été à l’origine de 627 000 décès [1]. Les efforts réalisés ces dernières années sur le plan diagnostique, thérapeutique et préventif ont permis de réduire la prévalence de cette affection dans de nombreux pays d’Afrique et d’Asie. Malgré ces bons résultats observés, le paludisme demeure un problème majeur de santé publique. Parmi les cinq espèces pathogènes chez l’homme, Plasmodium falciparum est celle qui est responsable du paludisme grave. Cependant des formes sévères multiviscérales ont été décrites avec Plasmodium Knowlesi [2]. Ces formes graves de paludisme constituent des urgences médicales majeures et sont redoutables. Elles se caractérisent par une défaillance multiviscérale et métabolique responsable d’un fort taux de létalité allant de 10 à 30% selon les études [3;4;5]. L’Afrique paie le plus lourd tribut avec 97% des cas de décès enregistrés, constitués pour la majorité de jeunes enfants [6]. Au Sénégal, le paludisme sévit de manière endémique, avec une transmission saisonnière essentiellement en période d’hivernage. Avec le passage aux combinaisons thérapeutiques à base de dérivés d’arthémisinine (CTA) et la mise en place des Tests de Diagnostic Rapide (TDR), la morbidité palustre a beaucoup baissé [7;8;9]. Les patients souffrant de paludisme peuvent présenter d’autres maladies que ce soit des surinfections ou des co-infections [10;11]. Il existe une grande superposition des tableaux cliniques de septicémie, de pneumonie et du paludisme grave, et ces affections peuvent être concomitantes. Les coinfections peuvent avoir des répercussions sur l’évolution de la maladie, sur les signes cliniques et sur les choix thérapeutiques. Les données de la littérature 3 suggèrent que chez les enfants, dans les zones d’endémie, le paludisme grave prédispose fortement les enfants aux co-infections bactériennes, qui elles même compliquent le paludisme grave [12;13;14;15]. C’est ainsi que l’OMS recommande chez un enfant présentant une présomption de paludisme grave associé à une altération de l’état de conscience, de démarrer immédiatement un traitement antibiotique à large spectre, en même temps que le traitement antipaludique [16]. Chez l’adulte, ces co-infections bactériennes seraient peu fréquentes. Néanmoins, les antibiotiques sont recommandés s’il y a des signes de coinfection bactérienne (par exemple une hypotension ou une pneumonie) [16]. Une meilleure connaissance de la comorbidité et de la pathogénie entre paludisme grave et co-infections bactériennes associées est nécessaire et permettrait une meilleure prise en charge et améliorerait le pronostic. A la Clinique des Maladies Infectieuses du Centre Hospitalier National Universitaire de Fann-Dakar, le paludisme grave constitue la première urgence médicale. Les études antérieures réalisées dans ce service n’ont pas mis l’accent sur l’association des infections bactériennes au cours du paludisme grave.
DEFINITION DU PALUDISME GRAVE
Le paludisme grave se définit par la présence de formes asexuées de Plasmodium falciparum à l’examen sanguin associée à au moins un critère de gravité clinique ou biologique édité par l’OMS en 2000.
Critères de gravité OMS 2000
Manifestations cliniques
– Prostration : en règle, extrême faiblesse
– Troubles de la conscience : score de Glasgow modifié < 10
– Convulsions répétées : au moins deux par 24h
– Détresse respiratoire : dyspnée, cyanose, sueurs
– Œdème pulmonaire (radiologique)
– Etat de choc : pression artérielle systolique < 80mmhg en présence de signes périphériques d’insuffisance circulatoire
– Saignement anormal : définition purement clinique
– Ictère : clinique ou bilirubine totale > 50micromol/L
– Hémoglobinurie macroscopique.
Manifestations biologiques
– Anémie profonde : hémoglobine < 5g/dL
– Hypoglycémie : glycémie < 2,2mmol/L
– Acidose : pH < 7,35 ou bicarbonates < 15mmol/L
– Hyperlactatémie : lactates plasmatiques > 5mmol/L
– Hyperparasitémie : parasitémie ≥4% chez le non immun
– Insuffisance rénale : créatininémie >265micromol/L avec diurèse < 400ml/24h .
HISTORIQUE
L’histoire du paludisme se confond dans la réalité avec de l’humanité qui a établi un lien entre certaines fièvres et les eaux stagnantes des marais [18]. On trouve des références sur les fièvres paludiques dés 2700 avant J.C en Chine [19]. Dans les années 1500 après J.C, la traite négrière a été considérée comme le principal facteur d’introduction dans les continents américain et européen [20]. En 1820, Pierre Joseph Pelletier et Joseph Bienaimé Caventou séparent les alcaloïdes cinchonine et quinine de la poudre de l’écorce de «l’arbre à fièvre» ou quinquina, permettant la création de doses standardisées des composants actifs. Alphonse Laveran, prix Nobel de physiologie en 1907, découvrit le protozoaire responsable de la maladie le 06 novembre 1880 à l’hôpital Constantine en Algérie. En 1880, Ettore Marchiafava et Angelo Celli, à la demande d’Alphonse Laveran, étudient, au microscope, le cycle de reproduction du protozoaire dans le sang humain et observent qu’il se divise à peu prés simultanément à intervalles réguliers et que la division coïncide avec les attaques de fièvre. En 1885, ils appellent ce protozoaire Plasmodium [21]. Il a fallu attendre 1897, pour que Welch découvre l’espèce Plasmodium falciparum. Au cours de la même année, Ronald Ross découvre que les corps en croissant, présents dans le sang périphérique de sujets humains, se développaient et se retrouvaient sous forme de corpuscules arrondis dans l’estomac des moustiques et que la transmission des parasites se faisait par l’intermédiaire de la piqûre d’un moustique. Dans les années 1930, aux laboratoires Eiberfield de IG Farben en Allemagne, Hans Andersag et ses collègues synthétisent et testent environ 12000 composants différents et arrivent à produire en 1939 la Resochine. Ce médicament est plus tard appelé Chloroquine. En 1948, la synthèse de l’Amodia quine est réalisée par l’américain Burkhalter. Pendant la guerre du Vietnam, en réponse à une demande expresse des « Viet Cong », une étude systématisée de plus de 200 plantes médicinales chinoises est entreprise sous la direction de la pharmacologue Youyou Tu et de son groupe de recherche à Pékin en 1972. Le « qing hao su », appelé artémisinine en occident, est extrait à faible température dans un milieu neutre de plantes de qing hao séchées [21]. Il est partie intégrante du traitement anti palustre de nos jours. Le paludisme était jadis plus étendu, mais il a été éliminé dans de nombreux pays tempérés au milieu du XXesiècle et touche aujourd’hui les régions tropicales et subtropicales d’Afrique et d’Asie en majorité.
EPIDÉMIOLOGIE DU PALUDISME
Le paludisme demeure une pathologie préoccupante dans le monde. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a estimé qu’en 2012, environ 207 millions de cas de paludisme avec 627.000 décès soit une létalité de 0, 3%. La plupart des décès estimés (90 %) ont lieu en Afrique subsaharienne et touchent les enfants de moins de cinq ans (77 %). Entre 2000 et 2012, les taux de mortalité estimés imputables au paludisme ont diminué de 45 % dans le monde et de 49 % dans la Région Afrique ; chez les enfants de moins de cinq ans, les décès ont diminué de 51% dans le monde et de 54% dans la Région Afrique, selon les estimations. Les interventions essentielles recommandées actuellement par l’OMS pour lutter contre le paludisme sont : l’utilisation de moustiquaires imprégnées d’insecticide (MII) et/ou les pulvérisations intradomiciliaires d’insecticides à effet rémanent pour la lutte antivectorielle, ainsi que l’accès rapide aux épreuves de diagnostic en cas de suspicion du paludisme grâce aux TDR et le traitement précoce des accès palustres simples par les Combinaisons Thérapeutiques à base d’Artémisinine (CTA). Les interventions supplémentaires recommandées dans les zones de forte transmission pour certains groupes à haut risque sont le traitement préventif intermittent pendant la grossesse (TPIg) et le traitement préventif intermittent du nourrisson (TPIn). Ces mesures ont permis de diminuer de façon drastique la morbi-mortalité palustre.
En effet ; 3,3 millions de décès imputables au paludisme ont été évités entre 2001 et 2012. Par conséquent, les diminutions du nombre de décès dus au paludisme ont considérablement contribué à progresser vers la réalisation de l’OMD 4, qui est de réduire de deux tiers, entre 1990 et 2015, le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans.
Au Sénégal, le paludisme est endémique tout au long de l’année, avec un pic saisonnier de transmission pendant la période de pluies. L’incidence du paludisme est passée de 130 cas pour 1000 habitants en 2006 à 14 cas pour 1000 en 2009. Cette faible incidence peut s’expliquer par la mise en œuvre d’une série de stratégie à efficacité prouvée et recommandée par l’OMS, et aussi par le fait que les populations ont une meilleure compréhension de la maladie. Chez les enfants de moins de 05 ans, le nombre de cas de paludisme a diminué de 408.588 cas en 2006 à 30.800 cas en 2009. Le nombre de décès dus au paludisme dans le même groupe cible est passé de 650 en 2006 à 216 en 2009. Pour les femmes enceintes, le nombre de cas de paludisme a diminué de 47.859 en 2006 à 6.749 en 2009. Le nombre de cas de mortalité liée au paludisme chez les femmes enceintes a chuté de 50 à en 2006 à 10 en 2009 . En 2013, l’OMS a enregistré 366.912 cas de Paludisme avec 649 décès (0,18%) .
CYCLE ÉVOLUTIF
Le cycle évolutif du Plasmodium comprend deux phases :
➤ la schizogonie ou cycle asexué qui se déroule chez l’homme et
➤ la sporogonie ou cycle sexué chez l’anophèle femelle.
Au cours de leur cycle biologique, les plasmodii changent sans cesse d’aspect, de taille, par alternance de phases de croissance et de phases de division.
➤ Chez l’anophèle, les gamétocytes ingérés par le moustique lors d’un repas sanguin chez un sujet infecté, se transforment en gamètes mâle et femelle, qui fusionnent en un œuf libre et mobile, appelé ookinéte. Cet ookinéte quitte la lumière du tube digestif pour se fixer à la paroi externe de l’estomac et se transforme en un oocyste. Les cellules parasitaires se multiplient à l’intérieur de cet oocyste produisant des centaines de sporozoïtes qui migrent ensuite vers les glandes salivaires du moustique. Ces sporozoïtes sont des formes infectantes prêtes à être inoculées par la salive lors d’un prochain repas sanguin. Le cycle sporogonique des plasmodii varie en fonction des conditions climatiques (allant de 9 à 20 jours pour Plasmodium falciparum, entre respectivement 30°C et 20°C).
➤ Chez l’homme
– La schizogonie hépatique survient après le passage dans la circulation sanguine et lymphatique des sporozoïtes inoculés par le moustique. Beaucoup sont détruits par les macrophages mais certains parviennent à gagner les hépatocytes [23]. Après sa pénétration hépatique, le sporozoïte s’arrondit, se transforme en un élément uni-nucléé appelé trophozoïte [24]. Ce dernier se transforme en schizonte pré érythrocytaire après quelques jours de maturation. Le schizonte éclate ensuite, et libère des milliers de mérozoïtes.
– La schizogonie érythrocytaire survient après pénétration des mérozoïtes dans les globules rouges [25]. Ils se transforment en trophozoïtes qui dégradent l’hémoglobine en pigment malarique ou hémozoïne. Suite à plusieurs fragmentations nucléaires, le trophozoïte donne un élément multinucléé appelé schizonte. Ce dernier fragmente son cytoplasme autour de chaque noyau, donnant les mérozoïtes, éléments uni-nucléés. Les mérozoïtes se disposent régulièrement autour des grains de pigment et forment un corps de rosace. La pénétration du mérozoïte dans l’érythrocyte et sa maturation en trophozoïte puis en schizonte prend 48 ou 72 heures (en fonction de l’espèce). Il aboutit à la destruction du globule rouge hôte ainsi qu’à la libération de 8 à 32 nouveaux mérozoïtes. Ces mérozoïtes pénètrent dans de nouveaux globules rouges et commencent une nouvelle réplication. Cette partie du cycle correspond à la phase clinique : la parasitémie s’élève, le sujet devient fébrile, c’est l’accès palustre. Après plusieurs cycles érythrocytaires, la reproduction sexuée débute : des gamétocytes se forment. Ces derniers ne pourront évoluer que chez l’anophèle.
|
Table des matières
INTRODUCTION
1. DEFINITION DU PALUDISME GRAVE
2. HISTORIQUE
3. EPIDÉMIOLOGIE DU PALUDISME
4. CYCLE ÉVOLUTIF
5. Physiopathologie du paludisme grave
5.1. Théorie mécanique
5.2. Théorie humorale
6. SIGNES
6.1. Type de description : Le neuropaludisme de l’enfant dans sa forme comateuse fébrile : forme cérébrale majeure
6.2. Formes cliniques du paludisme grave
6.2.1. Formes symptomatiques
6.2.2. Forme selon l’âge
6.2.3. Formes selon le terrain
6.2.4. Formes associées
7. DIAGNOSTIC
7.1. Diagnostic positif
7.1.1. Arguments épidémiologiques
7.1.2. Arguments clinico-biologiques
7.1.3. Arguments parasitologiques
7.2. Diagnostic différentiel
7.3. Diagnostic étiologique
7.3.1. Agent pathogène : Protozoaire hématozoaire: Plasmodium falciparum
7.3.2. Transmission
7.3.3. Terrain
8. TRAITEMENT
8.1. Traitement curatif
8.1.1. Buts
8.1.2. Moyens
8.1.2.1. Etiologiques
8.1.2.2. Mesures adjuvantes
8.1.3. Indications [Recommandations OMS, mémento]
8.2. Traitement préventif
8.2.1. Prévention primaire
8.2.2. Prévention secondaire
CONCLUSION