Paludisme et bioécologie d’Anopheles gambiae s.l.
Bref aperçu sur le paludisme et le cycle du parasite
Le Paludisme (ou malaria) est une maladie endémique qui sévit de façon continuelle dans les régions tropicales et subtropicales de l’Afrique, de l’Asie du sud et du sud-est et de l’Amérique du sud. Il constitue à l’échelon mondial une préoccupation majeure de Santé Publique: 102 pays y sont exposés et plus de 40% de la population mondiale, soit plus de deux milliards de personnes, vivent dans des régions à risque. L’Afrique est le continent qui paye le plus lourd tribut. Cliniquement, l’affection est caractérisée par des accès fébriles intermittents, par différents signes d’accompagnement non spécifiques, et par le risque de complications dont certaines sont mortelles. Cette parasitose implique trois acteurs: le parasite, le vecteur et l’homme qui sont en fait liés par le cycle de développement du parasite (Figure 1). Ce cycle comporte une phase chez le moustique et une autre chez l’homme. Le parasite est un sporozoaire hématozoaire appartenant au genre Plasmodium. Il existe de très nombreuses espèces de Plasmodium (plus de 140), touchant diverses espèces animales mais seulement quatre de ces espèces sont retrouvées en pathologie humaine. Il s’agit: Plasmodium falciparum, Plasmodium vivax, Plasmodium malariae, Plasmodium ovale (Rozendaal 1999). Une cinquième espèce, Plasmodium knowlesi, connue antérieurement chez le singe a été découverte récemment chez l’homme en Malaisie (Singh et al. 2004, Collins 2012). Plasmodium falciparum est l’espèce la plus répandue et est à l’origine des infections les plus graves (Breman et al. 2007).
L’homme, hôte intermédiaire est le réservoir du parasite. Le vecteur est un moustique du genre Anopheles, seul capable de pouvoir transmettre les quatre espèces de Plasmodium responsables des paludismes humains. Lors de son repas sanguin, l’anophèle ingère les formes sexuées qui libèrent des gamètes mâles et femelles. Ces derniers se conjuguent, forment un ookinète qui se transforme dans la paroi de l’estomac en oocyste puis sporocyste. Le sporocyste éclate, libérant des milliers de sporozoïtes qui migrent jusqu’aux glandes salivaires du moustique anophèle femelle et seront injectés à un nouvel individu lors de la prochaine piqûre.
La lutte contre le paludisme
La lutte antipaludique a été définie comme l’ensemble des mesures destinées à supprimer, ou tout au moins à réduire la mortalité et la morbidité dues au paludisme (OMS 1974). Elle s’articule autour de trois volets: la lutte contre le parasite, la lutte antivectorielle et le développement de stratégies vaccinales. La lutte antiparatisaire repose sur la chimiothérapie antiplasmodique des malades et la chimioprophylaxie pour les groupes à risques (femme enceinte, enfant de moins de 5 ans et les personnes provenant de zones non impaludées). Quant à la lutte antivectorielle, elle vise à supprimer ou limiter le contact homme-vecteur pour prévenir l’infection par les plasmodiums. Elle repose actuellement sur les moustiquaires imprégnées d’insecticide, l’aspersion intradomiciliaire d’insecticides rémanents et, dans une moindre mesure, sur la lutte antilarvaire. En matière vaccinale, malgré des avancées significatives ces dernières années, il n’existe toujours pas de vaccin opérationnel contre le paludisme et la prophylaxie reste souvent coûteuse et inaccessible aux plus nécessiteux. Ces moyens de lutte sont mis en péril par des problèmes de résistances, d’une part chez les pathogènes vis-à-vis des médicaments habituels (Robert et al. 2011), et d’autres part chez les insectes vecteurs vis-à-vis des insecticides disponibles (Diabaté et al. 2004, Dabire et al. 2009, Namountougou et al. 2012). Toutefois, une lutte antivectorielle efficace et ciblée ne peut se mettre en place sans la caractérisation préalable, précise et intégrée, de l’écologie et la physiologie du vecteur (Fontenille and Simard 2004).
Les anophèles
Position taxonomique et bioécologie
Les anophèles sont des Arthropodes appartenant à la classe des Insectes, à l’ordre des Diptères, du sous-ordre des Nématocères et à la grande famille des Culicidae. La famille des Culicidae est subdivisée en trois sous-familles: les Anophelinae, les Culicinae et les Toxorhynchitinae. Sur plus de 500 espèces d’anophèles connues dans le monde (Harbach 2004), 70 seulement sont capables de transmettre les quatre agents de paludisme. Parmi les 70 espèces d’anophèles, 41 sont considérées comme des vecteurs ayant un impact majeur en santé publique. Leur développement passe par une phase larvaire aquatique avant le stade adulte aérien entrecoupé d’une courte phase nymphale (Figure 2). Les œufs du genre Anopheles sont pondus individuellement à la surface de l’eau par les femelles fécondées. Cependant chaque espèce anophélienne de rôle vecteur majeur comme An. gambiae et An. funestus ou de rôle vecteur accessoire tel An. nili a des préférences écologiques particulières (Hamon 1963).
Après l’éclosion des œufs, la phase larvaire se divise en quatre stades distincts séparés par trois mues successives (insectes holométaboles). Les larves de moustiques sont généralement considérées comme détritivores bien qu’elles se nourrissent aussi de micro-organismes vivants tels que les bactéries et les algues (Clements 1992). Les anophèles ont tendance à rester en surface et à filtrer les fines particules à l’interface air/eau (« filtreurs de surface»). Après les quatre stades larvaires, s’ensuit le stade nymphal ou pupal au cours duquel de profonds changements permettent à l’insecte de passer de l’état aquatique à l’état aérien. Au cours de ce stade qui dure en moyenne 1 à 3 jours, l’insecte ne se nourrit pas.
Comportement des anophèles et cycle gonotrophique
Pendant la vie imaginale, les femelles d’anophèles montrent une succession de comportements, sans que la succession dans le temps soit précisément déterminée: elles recherchent une source de sucre, s’accouplement, recherchent un hôte pour leur repas sanguin, un site de repos, et enfin, un lieu de ponte. Les réserves accumulées pendant la vie préimaginale étant très faibles chez l’anophèle (Fernandes et Briegel 2005), le jus sucré, recherché préférentiellement dès l’émergence (Foster et Takken 2004) est supposé apporter les ressources énergétiques nécessaires à la femelle jusqu’à ce qu’elle trouve son repas sanguin, et notamment pour accomplir l’acte d’accouplement, supposé survenir avant la recherche de l’hôte (Foster 1995). Seules les femelles sont hématophages. Les mâles dont les seules activités sont la reproduction de l’espèce et voler de-ci de-là pour se nourrir de jus de plantes et de nectar ne transmettent pas la maladie. Chez les espèces d’An. gambiae s.l. jusqu’ici étudiées, les mâles forment un essaim de taille variable, qui attire les femelles. L’accouplement se passe au crépuscule ou à l’aube et a lieu à l’intérieur de ces essaims (Charlwood et al. 2002). En général les femelles ne s’accouplent qu’une fois au cours de leur vie. Après copulation, la femelle conserve les spermatozoïdes dans un réceptacle, la spermathèque, de façon à ce que lors de toutes les pontes qu’elle effectuera, les œufs puissent être fécondés lors de leur passage dans l’oviducte. Les spermatozoïdes conservent leur pouvoir fécondant durant toute la vie du moustique (Bruce-Chwatt et De Zulueta 1985). Chez les anophèles, le sang est indispensable à la maturation des ovaires. Les protéines de l’hémoglobine sont une source d’acides aminés nécessaires au développement des œufs. A la fin du repas de sang, le processus de digestion se met en place et la maturation ovarienne commence. Le moustique passe successivement du stade gorgé à semi-gravide puis à gravide. La femelle n’est gravide que 36 à 48 heures après le repas de sang (Clements 1999). Elle va alors à la recherche d’un site favorable à la ponte. Après la ponte, la femelle part à la recherche d’un autre repas de sang pour le cycle suivant. La séquence repas sanguin, maturation ovarienne et ponte est répétée plusieurs fois au cours de sa vie et est appelée cycle trophogonique ou cycle gonotrophique. Par définition, la durée du cycle gonotrophique est égale au temps séparant deux pontes successives. Ce cycle est d’environ quarante huit (48) heures chez les anophèles à une température de 23 à 25°C (Bruce-Chwatt et De Zulueta 1985). La vie de l’imago dure une vingtaine de jours en moyenne et elle ne dépasserait pas un mois dans les conditions naturelles (Gillies et Meillon 1968, Lehmann et Diabaté 2008). Les femelles anophèles sont anautogènes, c’est-à-dire qu’à l’émergence, la femelle a besoin d’un repas sanguin de manière à initier le processus de maturation des ovaires (Sawabe et Moribayashi 2000). Ainsi, le développement des oocystes s’arrête au stade prévitellogénique et ne reprendra qu’après la prise d’un repas sanguin. Le développement des follicules au stade prévitellogénique est sous le contrôle des hormones, 20-hydroxyecdysone et de l’hormone juvénile (Hagedorn 1994, Klowden 1997, Hernandez-Martinez et al. 2007). Le sang est une source protéique nécessaire à la vitellogènese. Le développement des follicules ovariens chez les moustiques non capables d’autogénie consiste en deux phases: 1) développement jusqu’au stade de repos; 2) développement pour former l’œuf mature (Clements 1999). Chez les anophèles, Christopher a divisé le développement ovarien en 5 principaux stades encore appelés stades de Christopher, identifiables en fonction des critères comprenant la taille du follicule, la visibilité du noyau dans le follicule, et la quantité de vitellus qui y est déposée au cours du développement. Le dernier stade (V) est identifiable grâce à l’apparition de flotteurs sur l’œuf mature.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
Introduction
Objectifs
CHAPITRE 1: REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
1.1) Paludisme et bioécologie d’Anopheles gambiae s.l.
1.1.1) Bref aperçu sur le paludisme et le cycle du parasite
1.1.2) La lutte contre le paludisme
1.1.3) Les anophèles
1.1.4) Le complexe An. gambiae s.l
1.2) Facteurs de stress et adaptation des insectes à leur milieu
1.2.1) La diapause
1.2.2) La quiescence
1.2.3) Migration
1.2.4) Réponses phénotypiques apportées par les insectes aux contraintes
environnementales
1.2.5) Survie des anophèles pendant la saison sèche
CHAPITRE 2: MATERIEL ET METHODES
1) Cadre de l’étude
1.1) Le Burkina Faso
1.2) Sites d’étude
2) Méthodologie
2.1) Approche de terrain: étude en conditions naturelles
2.1.1) Collecte des moustiques sur le terrain
2.1.2) Mesure des paramètres environnementaux
2.1.3) Détermination des stades de développement ovarien et présence/absence de graisse sous-cuticulaire chez les femelles
2.1.4) Détermination du statut d’insémination des femelles
2.1.5) Identification moléculaire des espèces
2.1.6) Dissection des ailes et morphométrie géométrique
2.1.7) Dosage des réserves nutritionnelles
2.2) Approche expérimentale: étude en conditions contrôlées à partir de colonies
d’insectarium
2.2.1) Protocole expérimental
2.2.2) Analyse métabolomique
2.2.3) Analyse des hormones ecdystéroïdes
2.2.4) Analyse morphologique des spiracles par microscopie électronique à balayage
(MEB)
2.3) Approche en conditions semi-naturelles: études in situ de la dynamique des
populations d’anophèles dans une serre grillagée
2.3.1) Construction et aménagement de la serre
2.3.2) Suivi actif des populations d’anopheles
2.4) Analyses statistiques des données
2.5) Synthèse des activités réalisées au cours de cette thèse
CHAPITRE 3: RESULTATS ET DISCUSSIONS
PARTIE 1: Physiologie et traits morphométriques chez les populations naturelles d’An. gambiae s.l. au début de la saison sèche
1.1) Introduction
1.2) Résultats
1.2.1) Paramètres climatiques
1.2.2) Recherche des symptômes de stratégies de survie dans les populations naturelles adultes
1.2.3) Effectifs et composition spécifique des populations naturelles
1.2.4) Effet des saisons sur le développement ovarien et l’accumulation des graisses souscuticulaires
1.2.5) Morphométrie géométrique des ailes
1.2.6) Variations des réserves énergétiques accumulées à l’émergence
1.3) Discussion
1.4) Conclusion partielle
PARTIE 2: Métabolomique et variations du taux d’hormones ecdystéroïdes chez An.
gambiae s.l. exposés aux conditions stressantes de la saison sèche
2.1) Introduction
2.2) Résultats
2.2.1) Analyse des métabolites par GC-MS chez les mâles et les femelles d’An. gambiae s.l
2.2.2) Analyse des ecdystéroïdes
2.3) Discussion
2.4) Conclusion partielle
PARTIE 3: Variations morphologiques des spiracles mésothoraciques d’An.gambiae
s.l. exposés aux conditions stressantes de la saison sèche
3.1) Introduction
3.2) Résultats
3.3) Discussion
3.4) Conclusion partielle
PARTIE 4: Variation temporelle et persistance en saison sèche des populations d’ An. gambiae s.l. dans une serre grillagée, la malariasphère
4.1) Introduction
4.2) Résultats
4.2.1) Paramètres environnementaux, effectifs et réalisation du cycle de développement
des anophèles dans la serre grillagée
4.2.2) Suivi temporel des populations adultes
4.2.3) Variation des fréquences relatives et présence des populations pré-imaginales à l’intérieur de la malariasphère
4.3) Discussion
4.4) Conclusion partielle
CONCLUSION GENERALE
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