De l’échelle cellulaire à l’échelle humaine, la biomécanique joue un rôle essentiel dans le vivant. On retrouve ces forces mécaniques à tous les niveaux de vie cellulaire : au moment de la différenciation, dans sa structure interne, dans son mode de régulation et d’interaction, et enfin dans sa fonction même. Dès les tous premiers instants de la vie, les contraintes mécaniques ont un rôle primordial dans le développement du vivant. Chaque cellule se différencie en effet non seulement par le biais d’indicateurs chimiques mais aussi par son environnement mécanique [1] [2] [3] [4]. Ce rôle essentiel des contraintes mécaniques dans l’embryogenèse est étudié, par exemple, par des essais réalisés en apesanteur[5] [6] afin de supprimer les effets de la gravité. Mais la cellule ne fait pas que subir des contraintes physiques extérieures, elle est aussi caractérisée par ses propriétés mécaniques intrinsèques, liées à sa structure et à sa fonction[7]. Par exemple, les cellules osseuses ou du derme ont chacune une dureté différente, grande rigidité pour l’os[8] et souplesse pour le derme[9]. Ces caractéristiques mécaniques des cellules et donc des tissus peuvent être modifiées par certaines pathologies et ainsi refléter l’état de santé cellulaire. Ainsi, pour le sein, les tumeurs apparaîtront généralement plus dures que le tissu sain avoisinant, ce qui permet en clinique un dépistage du cancer du sein basé, entre autre, sur la palpation mammaire. En plus de la structure, les forces mécaniques interviennent aussi dans l’action et la régulation des cellules, notamment par leur influence sur l’ouverture ou la fermeture des canaux ioniques de la membrane [10]. Cette mécanosensitivité cellulaire ferait partie des systèmes de régulation de la fréquence et de la contractilité cardiaque[11] et permettrait aux artères de se contracter par réflexe myogénique au passage du pulse sanguin [10] [12] . Cette sensibilité de la membrane aux forces mécaniques est aujourd’hui exploitée dans les laboratoires de biologie, que ce soit pour délivrer une substance active à travers la membrane par sonoporation [13] [14] ou, plus expérimentalement, pour moduler l’activité électrique des neurones[15] ou des nerfs[16] . Enfin certaines cellules génèrent aussi leur propre force mécanique. C’est le cas par exemple des myocites, cellules musculaires, qui se contractent au passage d’un potentiel d’action et permettent la contraction musculaire par l’intermédiaire du raccourcissement des sarcomères.
Le corps humain constitue ainsi un matériau complexe pour l’ensemble des vibrations mécaniques. Il est, à la fois, source active de telles vibrations, milieu propice à leur propagation et enfin matériau vivant réagissant aux forces mécaniques. Nous verrons dans le cadre de cette thèse, d’une part, comment les vibrations mécaniques artificielles permettent une caractérisation tissulaire en nous renseignant sur les propriétés viscoélastiques des tissus et, d’autre part, comment certaines vibrations mécaniques naturelles peuvent être liées à la biologie et la physiologie sous-jacentes des tissus. Dans la pratique, nous nous intéresserons aux aspects de cette problématique ayant un fort impact en terme de santé publique comme la mesure des propriétés viscoélastiques sur le sein, le foie et le muscle mais aussi à des aspects plus exploratoires comme l’étude du mouvement généré lors d’une contraction musculaire élémentaire. Pour cela, de nouvelles techniques s’appuyant sur l’élastographie par « Supersonic Shear Imaging » (SSI) et l’imagerie ultrarapide sont présentées et validées in vivo. L’objectif est donc à la fois la validation des techniques, la réalisation de premières mesures in vivo et la préparation de futurs essais cliniques à des fins de diagnostic.
Introduction à l’échographie et l’élastographie
L’échographie constitue aujourd’hui un des piliers de l’imagerie médicale. Appliquée en clinique depuis plus de quarante ans, elle est très prisée pour sa facilité d’utilisation et son faible coût. Basée sur la physique des ondes mécaniques et plus particulièrement des ondes de compression, elle permet d’obtenir une image de type morphologique des organes mais n’apporte pas d’informations quantitatives sur les propriétés mécaniques des tissus, le contraste étant trop faible pour le module de compression. L’élastographie, développée depuis une quinzaine d’année, permet de donner accès à cette information par l’étude des déformations générées lors de l’application d’une force ou directement par la mesure des ondes de cisaillement.
Les ondes mécaniques
Les ondes mécaniques sont les vecteurs d’information qui nous permettent de sonder les propriétés mécaniques des tissus. Ces ondes, naturelles ou artificielles, vont se propager à travers les tissus avec des paramètres dépendants de ces propriétés. Plus particulièrement l’échographie utilise les ondes de compression pour sonder le corps et réaliser une image de type morphologique car les ondes de compression sont en partie réfléchies par les interfaces locales entre milieux de compressibilité différentes. L’élastographie repose sur un second type d’onde, les ondes de cisaillement dont la vitesse de propagation (quelques mètres par seconde) est reliée à l’élasticité du milieu. Nous allons rappeler ici la dérivation de ces deux types d’onde à travers l’établissement de l’équation d’onde en milieu purement élastique.
Loi de Hooke
La loi de Hooke a été formulée en 1678 par Robert Hooke [17] sous la forme ut tensio sic vis (telle extension telle force) en d’autres termes, que la force est toujours proportionnelle à l’allongement. Originellement développé pour décrire le comportement des ressorts, cette loi a ensuite été appliquée par les physiciens à l’élément de solide mou dans le cas des faibles déformations.
Echographie
Principe
L’échographie repose exclusivement sur les ondes de compression et sur leur réflexion aux cours de leur propagation dans le milieu, elle permet ainsi de réaliser des images morphologiques des organes par reconstruction des échos réfléchis par les tissus biologiques. Les ondes de compression utilisées en échographie sont des ultrasons, c’est à dire des ondes de compression dont la fréquence est trop élevée pour être audibles par l’oreille humaine. Typiquement, on utilise des ultrasons de fréquence supérieure au mégahertz, ce qui permet d’obtenir des longueurs d’onde et donc des résolutions d’imagerie inférieures au millimètre. Découverts par le physiologiste anglais Francis Galton, les ultrasons n’ont pu être étudiés qu’après la mise au point des céramiques piézo-électriques par les frères Curie à la fin du 19 ème siècle dans les laboratoires de l’ESPCI. Ce n’est que pendant la première guerre mondiale que les premières applications utilisant les ultrasons se développent avec l’invention du Sonar par Paul Langevin, toujours à l’ESPCI[25]. Le sonar est conçu pour détecter la présence de sous marins et navires ennemis en détectant la réflexion sur la coque des bâtiments ennemis des ultrasons émis par une céramique piézo-électrique qui fait ensuite office de récepteur. Il faut attendre les années 50 et les britanniques Wild et Reid[26] pour qu’une première application médicale voit le jour, c’est la naissance de l’échographe. Cet appareil utilise une sonde constituée d’un réseau de plusieurs céramiques piézo-électriques jouant tour à tour le rôle d’émetteurs et de récepteurs. Le principe, proche du sonar, est d’émettre des ultrasons et d’enregistrer les échos des différents organes. L’étude de ces échos à partir d’un réseau d’émetteurs et de récepteurs permet d’en déduire la forme et finalement de former une image de l’échogénéicité des organes, c’est à dire leur faculté à rétrodiffuser les ultrasons. L’échogénéicité dépend des variations d’impédance acoustique (ρc) entre deux milieux. Ainsi une interface entre deux milieux d’impédances acoustiques différentes rétrodiffusera d’autant plus l’onde ultrasonore incidente que le contraste d’impédance acoustique sera grand. La présence de diffuseurs sub longueurs d’ondes (diffuseurs de Rayleigh) entraîne un jeu subtil d’interférences et se traduit par un bruit de speckle qui donne une texture propre à chaque milieu. Cette texture est une information utile pour les échographistes qui les renseigne qualitativement sur la nature du tissu. Aujourd’hui l’échographie repose toujours sur ce même principe [27] :
– Emission d’une onde ultrasonore par un réseau de céramiques piézo-électriques
– Réception des échos sur ce même réseau
– calcul de l’image d’échogénéicité par application d’un algorithme de beamforming qui compense les retards géométriques des différents échos arrivés sur le réseau pour en déterminer l’origine (temps de vol à vitesse du son constante).
Evidemment les progrès techniques ont été gigantesques et l’échographie s’est répandue au point d’être une des premières modalités d’imagerie médicale. Ses principaux atouts sont :
– indolore et non ionisante pour les tissus.
– résolution d’imagerie très bonne.
– mobile, facile à utiliser et avec une cadence d’imagerie « temps réel ».
– peu coûteuse.
Ses principaux inconvénients restent :
– image de qualité inférieure à d’autres techniques (bruit de speckle, échogénéicité).
– incapacité d’imager derrière les os ou les poches de gaz et limitée aux organes superficiels (< 10 cm de profondeur).
– Interprétation « examinateur dépendante » et parfois complexe.
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Table des matières
Introduction
1 Introduction à l’échographie et l’élastographie
Introduction
A Les ondes mécaniques
1 Loi de Hooke
2 Equation d’onde
B Echographie
1 Principe
2 Formation d’image
3 Utilisation en clinique
C Elastographie
1 Principe général
2 Les techniques d’élastographie
Conclusion
2 Supersonic Shear Imaging : Vers l’in vivo
Introduction
A Rappels et principe du SSI
1 Excitation par pression de radiation
2 Acquisition par imagerie ultrarapide
3 Inversion locale
B Vers l’imagerie in vivo
1 Nouveau problème inverse : le temps de vol
2 La reconstruction d’une image
3 Stratégies d’estimation
4 De nouveaux échographes
C Perspectives
1 Imagerie compound et SSI
2 Imagerie compound ou fréquence d’imagerie élevée ?
Conclusion
3 Premiers essais cliniques
Introduction
A Elastographie du sein
1 Enjeux cliniques
2 Protocole
3 Les résultats
4 Discussion
B Elastographie du foie
1 Enjeux cliniques
2 Protocole
3 Résultats
4 Discussion
C Elastographie du muscle
1 Les oedèmes
2 Les maladies neuromusculaires
Conclusion
4 Shear Wave Spectroscopy
Introduction
A La dispersion
1 Onde plane
2 Modèles rhéologiques et dispersion
3 Potentiel pour le diagnostic
B Méthode et validation
1 Etat de l’art
2 Estimation de la vitesse de phase
3 Validation sur des gels
C Résultats In Vivo
1 Protocole SSI
2 Dispersion dans le foie
3 Dispersion dans le muscle
4 Mesures semi locales
Conclusion
5 Imagerie rapide du muscle
Introduction
A La contraction musculaire
1 Physiologie de la contraction
2 Propriétés de la contraction
B Méthode
1 Etat de l’art
2 écho-Mécanomyographie
3 Protocole
C Resultats In Vivo
1 Expérience initiale
2 Dynamique temporelle
3 Sommation spatiale
4 Sommation temporelle
5 Acquisition 3D
D Discussion
1 Propagation et couplage
2 Aspect clinique
Conclusion
Conclusion
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