Les aubes de turbine
Dans un moteur d’avion, la turbine, placée à la sortie de la chambre de combustion est constituée de roues alternativement fixes et mobiles recevant les gaz chauds sortant de cette chambre de combustion. Par détente partielle des gaz de combustion, la turbine transforme la puissance thermique des gaz traversant ses aubes mobiles en puissance mécanique, afin d’entraîner en rotation le compresseur auquel elle est attelée. Les aubes sont des obstacles profilés plongés dans l’écoulement des fluides, servant à les guider. Les aubes de turbine haute pression sont situées dans la partie la plus chaude du moteur et fonctionnent sous une atmosphère oxydante et corrosive, dont la température peut atteindre près de 1600°C. De plus, elles subissent des contraintes mécaniques fortes (elles tournent à plusieurs milliers de tours par minute). Dans cet environnement particulièrement sévère, des superalliages à base de nickel sont utilisés. Ils possèdent en effet de bonnes propriétés mécaniques à haute température, qui ont été optimisées en modifiant leur composition et leur microstructure. En particulier, les superalliages monocristallins présentent une excellente résistance au fluage à chaud. Néanmoins, leur utilisation reste limitée à des températures de surface de l’ordre de 1100°C environ. Pour rester dans ce domaine de température, des aubes refroidies ont été conçues. La circulation d’air « froid » (prélevé au niveau du compresseur haute pression, à 600°C environ) à l’intérieur de l’aube, permet de refroidir le métal (Figure 1.2a). Mais les circuits de refroidissement internes, qui sont réalisés selon des schémas de plus en plus sophistiqués, sont très coûteux, et les gains attendus en terme de température sont désormais limités. Pour maintenir la température du métal à 1100°C, des systèmes barrière thermique ont donc été développés.
Approche énergétique de l’écaillage
Le niveau de contraintes dans la couche d’oxyde n’est pas le seul facteur qui détermine son écaillage. Selon une approche énergétique, proposée aussi bien pour des films minces [Klokholm, 1987] que pour des couches d’oxyde développées thermiquement [Lipkin, 1997] et qui a également été étudiée dans le cas de systèmes barrière thermique pour aubes de turbine [Théry, 2007] (elle permet de prévoir leur durée de vie), la force motrice qui provoque la propagation des fissures interfaciales conduisant in fine à l’écaillage, est l’énergie emmagasinée dans la couche d’alumine. Cette énergie augmente à la fois avec l’élévation de son niveau de contrainte, et avec son épaississement au fil du temps. La rupture de l’interface peut survenir spontanément lorsque l’énergie emmagasinée dans le système, croissante au cours des cycles d’oxydation, atteint l’énergie d’adhérence de l’interface, qui, elle, diminue au fil du temps. En effet, l’énergie d’adhérence de l’interface métal/oxyde diminue progressivement du fait de l’apparition de cavités, de décohésions locales liées aux ondulations de surface du métal qui génèrent des contraintes hors plan, ou encore par l’action d’un élément chimique néfaste, tel que le soufre.
Effets du dopage de NiAl par des éléments réactifs, notamment le zirconium
Les éléments réactifs tels que Hf, Y, Zr, ont une très grande affinité vis-à-vis de l’oxygène, et, introduits en très faible quantité dans les aluminiures de nickel, ils modifient considérablement les propriétés de l’alumine formée thermiquement,la rendant plus protectrice. Ainsi, l’amélioration de l’adhérence de la couche d’oxyde par le dopage de NiAl avec des éléments réactifs (Y, Hf ou Zr) a été mise en évidence depuis de nombreuses années dans le cas de matériaux massifs [Smialek, 1987], [Barrett, 1988]. Les mécanismes avancés par différentes études pour expliquer cephénomène sont : un renforcement des liaisons chimiques mises en jeu à l’interface, une diminution de l’influence du soufre, une inhibition de la formation des cavités interfaciales, une réduction de la cinétique de croissance de l’oxyde, et un ralentissement de la transition de l’alumine thêta en alumine alpha.
Influence des éléments réactifs sur l’interface métal/oxyde
Les éléments réactifs modifieraient la nature des liaisons chimiques créées à l’interface métal/oxyde. Dans le cas d’un alliage Ni-Al-Y recouvert de α-Al2O3, Anderson et al. ont trouvé (par calcul) que l’alumine se liait très fortement à l’yttrium présent en surface du NiAl [Anderson, 1985]. Des calculs plus récents effectués par Carling et al. indiquent, dans le cas d’hafnium ségrégé à l’interface NiAl/alumine alpha, que de nouvelles liaisons métal-dopant et dopant-oxyde se forment [Carling, 2007]. Les fortes liaisons Hf-O, alors créées, renforcent l’adhésion de l’oxyde sur le métal d’un facteur 3. Par ailleurs, les éléments réactifs piègeraient le soufre au sein de l’aluminiure de nickel [Smialek, 1987] [Bennett, 2006], probablement sous forme de sulfures stables, l’empêchant de ségréger à l’interface entre le métal et l’oxyde, et améliorant ainsi l’adhérence. L’effet bénéfique du zirconium vis à vis du soufre dépend toutefois des concentrations respectives en ces deux éléments [Smialek, 1987]. Enfin, selon plusieurs auteurs, les éléments réactifs entraînent une diminution de la formation des cavités à l’interface métal/oxyde [Pint, 1998], [Choux, 2008]. Ils ne semblent pas empêcher leur nucléation mais réduisent leur croissance, ce qui accroît l’adhérence de la couche d’oxyde.
Elaboration des systèmes étudiés
Les systèmes étudiés sont obtenus à partir d’un superalliage à base de nickel, sur lequel on dépose de l’aluminium. La formation du composé NiAl s’effectue par interdiffusion de Ni et Al au cours du procédé d’élaboration, à haute température. Les substrats utilisés sont des disques de superalliage à base de nickel AM1 (Tableau 1-1, § 1.2.1) d’épaisseur millimétrique, dont les faces sont polies au papier SiC grade 600 (26 µm). Le procédé d’obtention du revêtement – l’aluminisation en phase vapeur (Annexe 1) – est un dépôt thermochimique d’aluminium qui s’effectue en 5 heures à 1100°C sous atmosphère d’hydrogène (atmosphère réductrice). L’aluminium est fourni par le cément, alliage de chrome et d’aluminium, sous forme d’halogénure qui se dismute à la surface du superalliage ; l’aluminium diffuse ensuite en phase solide. La différence dans les procédés de formation des revêtements NiAl et NiAl(Zr) obtenus par diffusion, réside dans le type d’activateur utilisé. L’activateur est le composé chimique qui va réagir avec le cément pour former des halogénures d’aluminium gazeux. Dans le cas du revêtement non dopé, on utilise du NH4F,HF alors que l’activateur utilisé pour le revêtement dopé au zirconium est du ZrOCl2 hydraté. Ce dernier fournit en plus de l’halogénure d’aluminium gazeux, du chlorure de zirconium gazeux qui va se dismuter en zirconium sur le superalliage. On réalise alors un co-dépôt thermochimique d’aluminium et de zirconium. Dans les deux cas, le procédé d’élaboration conduit à la formation du revêtement constitué de la phase β-NiAl, par interdiffusion de l’aluminium vers l’intérieur du substrat et du nickel vers la surface externe. Cette aluminisation est suivie d’un traitement thermique de 1 heure à 1100°C sous vide (~ 3.10-4 Pa) qui vise à homogénéiser le revêtement en atténuant les gradients de concentration en nickel et aluminium. Il permet ainsi d’éviter la présence d’une zone externe sur-stœchiométrique en aluminium (plus fragile que les composés sous-stœchiométriques). Par la suite, le système sera dit « brut d’aluminisation » avant ce traitement d’homogénéisation et « brut d’élaboration » après celui-ci.
Etude par XPS de la ségrégation superficielle du zirconium
Comme nous l’avons vu dans le paragraphe précédent, Zr est localisé, à l’issue de l’aluminisation, en profondeur dans le revêtement. Or, pour jouer un rôle dans les mécanismes d’oxydation du NiAl, le zirconium doit être là où a lieu l’oxydation, c’est-àdire en surface du revêtement. Nous avons donc cherché à savoir si une ségrégation superficielle du zirconium pouvait se produire dans notre système AM1/NiAl(Zr). Nous avons pour cela soumis ce système à des traitements thermiques sous ultravide (<10–6 Pa), in situ dans un bâti XPS, et suivi l’évolution de la composition chimique de sa surface. Cette technique (Annexe 5) permet en effet d’identifier les éléments présents en extrême surface (~ 10 nm) d’un matériau, et de déterminer leurs degrés d’oxydation et leurs concentrations. L’échantillon utilisé pour cette expérience est un disque d’AM1 de 8 mm de diamètre et 2 mm d’épaisseur, revêtu de NiAl(Zr) par le procédé décrit précédemment. L’objectif est ici d’étudier la migration du zirconium dès lors que le système brut d’aluminisation est exposé à des traitements thermiques. Pour cette expérience, nous avons donc utilisé un échantillon n’ayant pas subi, après aluminisation, le traitement thermique d’homogénéisation de 1 heure à 1100°C. Celui-ci aurait provoqué une migration du Zr sans analyse de surface couplée. Par ailleurs, cet échantillon a été polimiroir (pâte diamant 0,25 µm), cette contrainte étant imposée par la technique d’analyse de surface. L’appareil XPS utilisé pour ces travaux est un Escalab Mark II (VG Scientific). La source de rayons X utilisée dans cette étude est l’aluminium Al Kα qui émet à 1486,6 eV. Divers traitements (chauffage, décapage ionique) sont imposés à l’échantillon dans la chambre de préparation de l’appareil, avant son transfert dans la chambre d’analyse (où règne une pression de l’ordre de 10-8 Pa) pour acquisition des spectres XPS. L’échantillon est fixé au porte-échantillon par des fils en W insérés dans son épaisseur. Ce dispositif permet de maintenir l’échantillon, et de le chauffer par effet Joule. Avant d’effectuer les traitements thermiques, il est nécessaire de dégazer le montage (et plus particulièrement les fils chauffants) pour que la vapeur d’eau soit évacuée. Cette opération est réalisée dans la chambre de préparation, par augmentation progressive de la température jusqu’à 800°C, en une demi-heure environ, de manière à ne pas dépasser une pression de 10-5 Pa dans la chambre de préparation. Puis la surface de l’échantillon est décapée par bombardement d’ions argon afin d’éliminer autant que possible la couche d’oxyde native présente sur tout aluminoformeur exposé à l’air ambiant, et susceptible de se développer également pendant la phase de dégazage. Des traitements thermiques sont ensuite effectués successivement dans la chambre de préparation de l’XPS : la séquence réalisée comportait un premier traitement de 6 min à 750°C3, suivi d’un traitement de 30 min à 800°C, de cinq traitements de 1 heure à 800°C, puis deux traitements de 1 et 2 heures à 850°C, et enfin un traitement de 1 heure à 900°C. Cette séquence a été définie au fur et à mesure de l’exploitation des résultats, et en tenant compte de contraintes de durée d’expérience et de puissance de chauffe des fils. Une analyse XPS a été effectuée après chaque traitement.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Contexte de l’étude et revue bibliographique
1.1. Problématique et objectifs de cette étude
1.1.1. Les aubes de turbine
1.1.2. Le système barrière thermique
1.1.3. Recherche d’une alternative au système industriel actuel
1.1.4. Objectifs de l’étude
1.2. Revue bibliographique
1.2.1. Le superalliage AM1
1.2.2. Elaboration et composition du revêtement protecteur
1.2.3. La couche d’oxyde formée par oxydation
1.2.4. Facteurs et mécanismes responsables de l’écaillage de la couche d’oxyde
1.2.5. Modifications de l’aluminiure de nickel par un ajout de platine
1.2.6. Effets du dopage de NiAl par des éléments réactifs, notamment le zirconium
Chapitre 2 : Caractérisation du système superalliage AM1 / revêtement NiAl(Zr)
2.1. Elaboration des systèmes étudiés
2.2. Caractéristiques chimiques et structurales du revêtement en aluminiure de nickel
2.3. Etude de la mobilité de Zr dans le revêtement NiAl
2.3.1. Etude par XPS de la ségrégation superficielle du zirconium
2.3.2. Etude de la diffusion de Zr dans le système AM1/NiAl(Zr)
2.3.3. Etude de la solubilité et de la diffusion de Zr dans un NiAl massif modèle
2.4. Synthèse sur la caractérisation du système superalliage AM1 / revêtement NiAl(Zr)
Chapitre 3 : Etude du système AM1/NiAl(Zr) en oxydation cyclique à 1100°C
3.1. Résistance en cyclage thermique à 1100°C
3.2. Evolution microstructurale des systèmes en oxydation cyclique
3.2.1. Evolution de la couche d’oxyde
3.2.2. Evolution du revêtement
3.3. Modification de la localisation de Zr au cours d’oxydations
3.3.1. Mise en évidence d’une ségrégation interfaciale après une oxydation de courte durée, à température modérée, et à basse pression
3.3.2. Observation de la répartition de Zr dans le couple métal/oxyde après une oxydation de 50 cycles
3.4. Synthèse sur les effets liés à la présence de zirconium observés en oxydation cyclique
Chapitre 4 : Détermination des mécanismes d’action du zirconium sur l’oxydation à 1100°C du système superalliage/revêtement
4.1. Influence de Zr sur les prises de masse au cours d’oxydations isothermes à 1100°C
4.2. Influence de Zr sur les cinétiques d’oxydation à 1100°C
4.3. Influence de Zr sur la transition θα Al2O3
4.4. Etude microstructurale des systèmes oxydés de manière isotherme
4.5. Observation des systèmes oxydés dans le régime de formation d’alumine transitoire
4.6. Synthèse sur les effets liés à la présence de zirconium observés en oxydation isotherme
Chapitre 5 : Application de l’aluminiure de nickel dopé au zirconium comme couche de liaison du système barrière thermique pour aubes de turbine
5.1. Influence d’un pré-traitement sur la localisation du zirconium et sur les cinétiques d’oxydation
5.1.1. Localisation du zirconium après une phase de pré-oxydation
5.1.2. Influence de la préparation de surface et de la pré-oxydation sur les types d’oxyde formés
5.2. Oxydations cycliques du système barrière thermique
5.2.1. Rappels des résultats de travaux antérieurs : comparaison des systèmes avec couche de liaison (Ni,Pt)Al et NiAl(Zr)
5.2.2. Résultats de cette étude : comparaison des systèmes avec couche de liaison NiAl et NiAl(Zr)
5.3. Synthèse des résultats obtenus en utilisant NiAl(Zr) en tant que couche de liaison de barrière thermique
Chapitre 6 : Synthèse des effets du zirconium sur le comportement en oxydation d’un système superalliage à base de nickel revêtu d’aluminiure de nickel dopé au zirconium
6.1. Synthèse de l’étude du NiAl(Zr) en tant que revêtement
6.2. Synthèse de l’étude du NiAl(Zr) en tant que couche de liaison de barrière thermique
Conclusion et perspectives
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