Oxydation à haute température des métaux et alliages

Dans le cadre de notre étude, l’oxydation correspond à la corrosion sèche de matériaux métalliques, métaux ou alliages, au contact d’une atmosphère oxydante contenant de l’oxygène. Si l’on considère la réaction d’oxydation :

2A + O2 = 2AO (1.1)

où A est un métal pur ou un élément oxydable d’un alliage, l’oxydation correspond à la formation d’un oxyde en surface du matériau métallique.

Oxydation à haute température

Le terme « Haute température » désigne, en oxydation, un domaine de températures pour lesquelles les mécanismes mis en jeu sont accélérés par la température. Ce domaine n’est pas le même en fonction du matériau étudié ; on parle par exemple d’oxydation à haute température de 400 à 650 ◦C pour l’aluminium [9] et de 450 à 1400 ◦C pour le nickel [10, 11]. Birks et al. [12] définissent cependant une température de 500 ◦C comme limite inférieure du domaine des hautes températures. Au-dessus de cette température, les conséquences de l’oxydation sur le matériau oxydé sont significatives, notamment car les mécanismes de diffusion sont activés thermiquement [13]. En effet, à température ambiante, les mécanismes d’oxydation sont très lents et l’oxydation n’altère généralement pas les propriétés des matériaux développés pour une meilleure résistance à l’oxydation (par exemple, les alliages chromino-formeurs ou alumino-formeurs [14]). Entre 100 et 500 ◦C, la plupart des alliages forment des couches d’oxyde très minces qui croissent très lentement, mais les oxydes formés à ces températures peuvent obéir aux mêmes mécanismes de formation qu’à une plus haute température (cas de l’aluminium cité ci-dessus). En conséquence, les modélisations des mécanismes d’oxydation à haute température peuvent être étendues à des températures inférieures à 500 ◦C, comme nous le verrons pour l’oxydation de l’alliage 690 (cf. Partie 4.2).

L’oxydation est influencée par de nombreux facteurs environnementaux tels la température, la nature et la pression de l’atmosphère oxydante. Lorsque ces derniers sont constants et/ou homogènes, la géométrie du substrat ou son état de surface peuvent également conduire à des comportements différents. Il est donc difficile de présenter une théorie générale sur l’oxydation des métaux et alliages à haute température. L’étude de l’oxydation des métaux purs permet dans un premier temps d’identifier les couches d’oxydes les plus couramment rencontrées. On retrouve généralement ces couches d’oxydes à la surface des alliages sous des formes plus ou moins complexes, en fonction de l’affinité des différents éléments de l’alliage avec l’atmosphère oxydante.

Oxydation des métaux

Lorsque l’oxyde se forme sur la surface du métal, on parle d’oxydation externe Au contraire, lorsque l’oxyde se forme sous la surface, on parle alors d’oxydation interne. Les oxydes formés peuvent avoir différentes morphologies ; les plus couramment rencontrées à la surface des métaux oxydés à haute température sont définis ici.

Oxydation externe
Dans la plupart des cas, l’oxyde, produit de la réaction d’oxydation, se forme à la frontière entre le métal et l’atmosphère oxydante pour créer une couche externe plus ou moins compacte et protectrice. Lorsque la couche d’oxyde formée ne présente pas de porosité et constitue un film continu à la surface du métal, on parle de couche compacte. Au sein des couches d’oxydes compactes, il faut alors distinguer les couches minces des couches épaisses. Les couches minces sont d’épaisseurs généralement inférieures à quelques dizaines de nanomètres, pour lesquelles les zones de charge d’espace  jouent un rôle important dans les mécanismes d’oxydation [12]. Les couches minces comprennent également la couche de germination qui correspond à la première couche d’oxyde entièrement recouvrante, ainsi que les couches de passivation  , pour lesquelles se sont plutôt les mécanismes aux interfaces qui pilotent la cinétique d’oxydation. Ces dernières se forment généralement avant l’utilisation du matériau à haute température. Les couches épaisses sont d’épaisseur suffisamment élevée pour que les zones de charge d’espace ne recouvrent pas entièrement l’épaisseur de l’oxyde. Les effets électrostatiques deviennent négligeables et n’entrent généralement plus en jeu dans les mécanismes d’oxydation. On parle alors de couche épaisse à partir de 50 à 100 nm en fonction de l’oxyde étudié.

Il peut arriver que l’oxyde continu ne forme pas une couche compacte. On parle alors de couche poreuse dès lors que le transport de molécules auxquelles on peut appliquer l’équation d’état du gaz est possible en leur sein [15]. Une couche poreuse se forme généralement lorsque les contraintes induites dans l’oxyde par la réaction conduisent à la rupture ou au décollement de la couche [12].

Oxyde monocouche 

Nous appelons ici oxyde monocouche toutes les couches d’oxyde formées d’un unique produit de la réaction d’oxydation (Équation (1.1)). C’est le cas, entre autre, de l’oxyde de nickel (NiO) à la surface de Ni, de l’oxyde de zinc (ZnO) à la surface de Zn, de Al2O3 à la surface de Al et de Cr2O3 à la surface de Cr, dans les conditions de température et de pression les plus courantes [12]. En revanche, malgré la formation d’un oxyde monocouche, l’oxyde n’est pas forcement homogène.

Prenons pour exemple l’oxyde de nickel NiO à la surface de Ni, très largement étudié [10,11,17], qui peut avoir une morphologie composée de plusieurs types d’oxydes parmi ceux présentés ci-dessus (compact et poreux). En effet, à la surface du nickel de haute pureté, il se forme une couche externe compacte et uniforme de NiO. Mais lorsque le nickel contient une faible concentration d’impuretés (à partir de 0,1% [12]), il est observé un oxyde compact NiO à l’extérieur et un oxyde poreux NiO au contact du métal. Le mécanisme proposé pour expliquer la formation d’une telle couche suppose que la croissance rapide de l’oxyde de nickel conduit à son décollement au niveau l’interface métal/oxyde, suite à des phénomènes de flambement de la couche initiale compacte induits par des contraintes de compression et une plasticité insuffisante de l’oxyde [18]. Ce phénomène est d’autant plus marqué que la concentration en impuretés est élevée, ce qui augmente la concentration en lacunes cationiques et par conséquent la mobilité des ions nickel dans l’oxyde, et accélère la croissance de l’oxyde [19]. Après décollement de l’oxyde compact de la surface du métal, l’activité et la pression partielle de l’oxygène au niveau de la surface interne de l’oxyde augmente, jusqu’au « détachement » sous forme gazeuse de l’oxygène. Celui-ci va ensuite diffuser à travers l’espace intermédiaire pour former un nouvel oxyde qui croît en formant une couche poreuse. La mobilité de l’oxygène gazeux à travers les pores et les espaces libres n’empêche pas la mobilité des cations métalliques dans l’oxyde formé ; les deux morphologies d’oxyde continuent ainsi de se développer [12].

Cas particulier : Oxydation du chrome 

L’oxyde de chrome figure parmi les oxydes les plus protecteurs et les plus utilisés pour cette propriété [20]. En effet, l’alumine et la chromine constituent la majorité des oxydes protecteurs à la surface des alliages, SiO2 n’étant jamais utilisée comme oxyde protecteur monocouche [15]. Par conséquent, grâce à sa forte affinité avec l’oxygène, le chrome est un élément d’alliage de choix pour élaborer des aciers inoxydables à haute température ou des alliages réfractaires ; ce sont les alliages chrominoformeurs. Pour comprendre le comportement de cette couche de chromine, l’étude de l’oxydation du chrome pur est l’approche la plus simple. En effet, le chrome pur s’oxyde en général en formant une monocouche compacte de chromine Cr2O3 [12]. Cette couche joue un rôle protecteur face à l’oxydation en formant une barrière entre l’atmosphère oxydante et la surface du chrome. En revanche, suivant les conditions de température et de pression partielle en oxygène de l’environnement oxydant, cette couche peut se dégrader, ce qui affecte son caractère protecteur. Les deux altérations de la couche de chromine les plus importantes sont la volatilisation de l’oxyde (cf. Partie 2.4.4 traitant de la cinétique paralinéaire de formation de la chromine) et le flambement de la couche d’oxyde suite au développement de contraintes de compression trop importantes (exemple ci-après).

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Table des matières

Introduction
1 Oxydation à haute température des métaux et alliages
1.1 Oxydation à haute température
1.1.1 Oxydation des métaux
1.1.2 Oxydation des alliages
1.2 Modification des propriétés du substrat
1.2.1 Évolution de la composition chimique
1.2.2 Évolution des propriétés mécaniques
1.3 Méthodes expérimentales pour l’étude de l’oxydation
1.3.1 Mesure de la cinétique d’oxydation
1.3.2 Analyse des produits de la réaction d’oxydation
1.3.3 Analyse du régime d’oxydation : formation interne ou externe de l’oxyde
1.4 Conclusion
2 Mécanismes et modèles d’oxydation
2.1 Réaction d’oxydation et germination de l’oxyde
2.2 Phénomène de transport dans l’oxyde et réactions aux interfaces
2.3 Phénomène de transport dans le substrat
2.3.1 Définitions du coefficient de diffusion dans les métaux et alliages
2.3.2 Modèle d’oxydation basé sur la diffusion et les flux de lacunes
2.4 Modélisation des cinétiques de croissance des couches d’oxyde
2.4.1 Cinétique parabolique
2.4.2 Cinétique linéaire
2.4.3 Cinétique logarithmique
2.4.4 Cinétiques mixtes
2.4.5 Autres cinétiques
2.5 Modèles d’appauvrissement du substrat
2.5.1 Modèle analytique d’appauvrissement du substrat : modèle de Wagner
2.5.2 Modèle numérique d’appauvrissement du substrat
2.6 Modèles « complets » d’oxydation
2.6.1 Modélisation de l’oxydation à l’échelle des milieux continus
2.6.2 Modèle basé sur une approche thermodynamique de la diffusion
2.7 Conclusion
3 Modélisation de l’appauvrissement du substrat lors de l’oxydation
3.1 Modèle 1D d’appauvrissement du substrat
3.1.1 Diffusion des espèces chimiques dans le substrat
3.1.2 Mobilité de l’interface alliage/oxyde
3.1.3 Flux d’élément oxydable à travers l’interface alliage/oxyde
3.1.4 Appauvrissement du substrat lors de l’oxydation
3.2 Résolution numérique du modèle d’appauvrissement
3.2.1 Discrétisation spatiale du substrat
3.2.2 Forme discrétisée de l’équation de diffusion
3.2.3 Discrétisation temporelle
3.2.4 Conditions limites
3.3 Stabilité du schéma numérique et validation du modèle d’appauvrissement
3.3.1 Stabilité et convergence théoriques du schéma numérique
3.3.2 Validation du modèle : Oxydation du Pt-30%atNi à 850 ◦C
3.3.3 Validation de la concentration à l’interface et extension à d’autres alliages binaires
3.4 Conclusion
4 Simulation de l’appauvrissement du substrat lors de l’oxydation
4.1 Oxydation d’un alliage binaire Pt-X à 850 ◦C
4.1.1 Effet d’un appauvrissement initial en élément oxydable du substrat
4.1.2 Augmentation locale de la vitesse de diffusion de l’élément oxydable dans le substrat
4.2 Oxydation de l’alliage base-Ni 690 en milieu REP
4.2.1 Mesure de la déchromisation du substrat
4.2.2 Cinétique d’oxydation parabolique
4.2.3 Cinétique d’oxydation logarithmique
4.2.4 Simulation de l’évolution de la déchromisation de 0 à 5000 h d’oxydation
4.2.5 Discussion
4.3 Conclusion
5 Conclusion générale

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