Oxydation à haute température des aciers inoxydables
Cette première section vise à connaître les différents scénarii et morphologies possibles lors de la formation d’oxydes sur les aciers inoxydables. L’influence des paramètres sur l’obtention de telle ou telle morphologie sera également discutée. Ceci permettra de mieux contrôler les couches d’oxyde en termes d’homogénéité, composition et structure avant réduction.
Généralités
La corrosion à haute température, autrement appelée corrosion « sèche » est l’oxydation produite par des gaz à haute température sur un matériau métallique. Le terme haute température s’applique généralement au-delà de 400 °C mais les études se portent plus volontiers entre 600 °C et 1200 °C pour le cas des aciers inoxydables. Dans cette gamme de température, l’alliage résistant à la corrosion à température ambiante perd ses propriétés. L’acier inoxydable tient en effet son nom de sa capacité, contrairement au fer pur et aux aciers au carbone, de résister à la corrosion dans un environnement ambiant. Cette capacité provient de sa composition, composée au minimum de 13 % massique de chrome pour être considéré comme inoxydable. Comme on peut le voir sur le diagramme d’Ellingham Richardson (figure 1.1), l’enthalpie libre de formation ∆G° du couple chrome / oxyde de chrome est plus négative que chacun des couples concernant les oxydes de fer, et ceci quelle que soit la température. L’oxyde de chrome Cr2O3 (également appelé chromine) est plus stable. Le chrome va donc s’oxyder préférentiellement au fer à la surface de l’alliage. De plus, l’oxyde de chrome est dit passivant dans la mesure où, par ses propriétés d’étanchéité et de faible diffusivité, il empêche l’oxydation ultérieure du matériau. Pour que cette couche se forme, il faut cependant que la présence de chrome dans le volume soit suffisante pour diffuser vers la surface. Ceci explique le prérequis des 10 % en composition massique de cet élément.
Mécanismes
Dans cette sous-partie sont abordés les différents mécanismes observables lors de l’oxydation d’aciers inoxydables, en cas d’exposition à une atmosphère corrosive à haute température.
Protection par l’oxyde de chrome : couche passive
Lorsque la température s’élève au-delà de plusieurs centaines de degrés, nombre d’alliages inoxydables conservent leur propriété acquise à température ambiante.
En effet, comme vu sur le diagramme d’Ellingham-Richardson, à toute température le chrome s’oxyde préférentiellement. Il est donc normal que, lorsque les conditions ne sont pas trop corrosives en termes de température ou de composition atmosphérique, notamment en présence de vapeur d’eau, les propriétés de passivation soient conservées. C’est d’ailleurs pourquoi ces aciers sont souvent utilisés dans de telles conditions [Han10, Ghe12].
Breakaway
Quand les conditions d’oxydation deviennent trop sévères pour que la mince couche d’oxyde de chrome Cr2O3 protège l’alliage, un phénomène brutal apparaît : l’oxydation catastrophique, ou encore « breakaway » en anglais, schématisé figure 1.2. Ce phénomène présente plusieurs caractéristiques :
• Un épaississement rapide de l’oxyde sur plusieurs microns
• Une constitution spécifique :
o Une couche interne d’oxydes, souvent de type spinelles, riches en chrome obtenus par croissance interne, souvent mélangés au volume et dû à la diffusion des anions (O2-) [Han10]
o Une ou plusieurs couches d’oxydes, riches en fer, obtenues par croissance externe dues à la diffusion des cations Fe2+/3+ notamment. Ces couches externes peuvent potentiellement se décoller.
Les causes d’un tel comportement peuvent être multiples :
• La première cause que l’on peut aborder est la rupture mécanique représentée figure 1.3. En effet, lors de la croissance de l’oxyde de chrome, il peut y avoir localement des pertes d’adhérence entre l’oxyde formé et l’alliage sain sous-jacent. De cette perte de contact peut s’en suivre une rupture partielle de la couche qui engendre une mise en contact de l’atmosphère oxydante avec la zone appauvrie en chrome sous-jacente [Mac04, Per04]. En effet le chrome fourni pour former le Cr2O3 vient à manquer pour le reformer. Le chrome restant étant insuffisant, le fer commence également à s’oxyder [Sae12] pour former des nodules.
• Une autre cause potentielle [Riq04] est la trop forte augmentation de la diffusivité des atomes de fer aux très hautes températures telles que supérieures à 1000 °C, en particulier sous atmosphère contenant de la vapeur d’eau [Han10, Ess08]. Les atomes de fer, trop mobiles pour la couche passive, finissent par s’oxyder. Les paramètres influant sur la formation d’un tel mécanisme seront présentés plus loin (section 1.1.3) mais peuvent tous se résumer en la mise en échec de la couche passive.
Couche semi-passive
Dans un dernier scénario, il existe une alternative à la couche passive et au breakaway : la couche semi-passive. C’est ce scénario, plus rarement observé, qui a été notre source du travail sur les aciers ferritiques. Dans cette configuration, contrairement à la couche passive généralement nanométrique, il y a un épaississement de la couche de Cr2O3 sur plusieurs microns [Ess07, Ham07, Bra12]. Cet épaississement peut être accompagné par la présence de manganèse sous la forme de spinelles [Ham07, Han05, Gon08, Iss12a, Ngu13]. C’est le cas figure 1.4 dans un exemple sur des aciers inoxydables à la composition riche en chrome. La cinétique de réaction est donc plus lente que lors du breakaway, mais se poursuit au-delà de la passivation.
Paramètres influents
Le scénario emprunté par l’oxydation dépend de nombreux facteurs. Cette souspartie présente donc l’impact de chacun et le scénario qu’il favorise.
Composition
• Principaux éléments d’alliages et structures
Les aciers inoxydables sont principalement composés de fer et de chrome. Ils sont également généralement pauvres en carbone afin de limiter la corrosion intergranulaire [Ted71]. La teneur en chrome est la principale source de résistance à la corrosion [Lac90, Gob06, Oth09]. Un alliage trop faiblement allié sera donc faiblement résistant à l’oxydation de type breakaway lorsque les conditions extérieures deviennent plus corrosives. Lorsque les deux éléments principaux sont les seuls en présence, la structure atomique de l’alliage est celle du fer pur : c’est à dire cubique centrée (phase α). Ce sont les aciers ferritiques.
Lorsqu’il existe un apport conséquent en nickel, de l’ordre de 10 % massique, la structure devient cubique à face centrée. Ce sont les aciers austénitiques (phase γ). Les éléments tels que le nickel qui favorisent cette phase sont appelés «gammagènes » tandis que ceux favorisant la phase ferritique sont appelés «alphagènes ». Les domaines de stabilités de la phase α et γ sont représentés figure 1.5 en fonction de la température et de la composition en chrome et nickel. La maille atomique de l’austénite est plus dense. La conséquence est la plus faible diffusivité du chrome dans l’alliage austénitique à haute température par rapport à l’alliage ferritique figure 1.6. Au-delà de 600 °C, la capacité du chrome à venir régénérer la couche passive (tel qu’après rupture mécanique par exemple) est donc plus grande pour les alliages ferritiques. La différence de comportement peut être observée figure 1.7. où l’apport de 10% de Ni est la seule différence entre les deux essais. Dans le cas de l’alliage ferritique, l’oxyde de chrome protège l’acier, alors que dans le cas de l’alliage austénitique, on remarque le breakaway.
Enfin, lorsque l’apport en nickel est plus important (de l’ordre de 20%), l’alliage présente la particularité de présenter la coexistence des phases ferritique et austénitique : ce sont les aciers inoxydables duplex. Dans ce cas de figure, les zones ferritiques se comportent de la même façon que des alliages ferritiques et les zones austénitiques comme des alliages austénitiques. Comme on peut le voir sur la figure 1.8, dans certaines conditions, on peut donc observer à la fois le breakaway et la couche semi-passive sur un même échantillon. Les zones austénitiques résistent mieux en premier lieu, puis sont sujettes au breakaway pour une durée de traitement plus longue, tandis que les zones ferritiques ne changent pas de mécanisme d’oxydation car la couche semi-passive résiste mieux une fois sa prise d’épaisseur initiale.
• Additifs
Au-delà des principaux éléments constituant l’alliage, de nombreux éléments chimiques sont rajoutés dans la formulation jusqu’à hauteur de quelques pourcents en général. Ces éléments sont utiles pour améliorer les propriétés mécaniques, mais ils ont également des conséquences sur le comportement à l’oxydation. Le plus notable est le silicium. Quasi omniprésent dans les aciers inoxydables à hauteur d’environ 1% massique, le silicium accroît sensiblement la résistance à la corrosion à haute température. En créant un film mince de silice amorphe entre l’oxyde de chrome et le volume, il sert de barrière de diffusion et donc ralentit l’épaississement de la couche [Atk81, Gob06, Iss12b]. Cependant, avant cela, il accélère les premiers stades d’oxydation du chrome [Jep09]. Vient ensuite le manganèse. Il forme des oxydes de type spinelles tel que (Mn,Cr)3O4 qui viennent modifier le comportement à l’oxydation. Sous atmosphère contenant de la vapeur d’eau, il est protecteur car il transforme une partie de l’oxyde de chrome, sujet à la volatilisation (voir section 1.1.3.3), en un oxyde qui ne se volatilise pas [Hol09, Ham07]. Il est donc au cœur de la couche semi-passive. Le titane et le niobium jouent un rôle indirect : ils sont alphagènes et favorisent la phase ferritique [Iss12b]. Ils permettent à ce type d’alliage de ne pas souffrir d’un changement de phase à haute température comme vu sur la figure 1.5. Permettre à haute température à l’alliage ferritique de rester sous cette forme permet de préserver ses propriétés de plus forte diffusion du chrome, et donc de résistance à la corrosion aux très hautes températures.
Température et durée de traitement thermique
De façon générale, la température et la durée de traitement font évoluer le comportement à l’oxydation de l’acier de la même façon : plus elles sont élevées, et plus la couche d’oxyde s’épaissit. Un des objectifs pour l’industriel étant évidemment la notion de coût, pour accélérer la vitesse d’oxydation, les longues durées, tels que la centaine d’heure ou plus, souvent observées dans la littérature ne sont donc pas considérées. Pour les temps plus courts, afin d’obtenir des oxydes en épaisseur suffisante, il faut donc élever la température pour obtenir une cinétique suffisante.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Synthèse bibliographique
1.1. Oxydation à haute température des aciers inoxydables
1.1.1 Généralités
1.1.2 Mécanismes
1.1.2.1 Protection par l’oxyde de chrome : couche passive
1.1.2.2 Breakaway
1.1.2.3 Couche semi-passive
1.1.3 Paramètres influents
1.1.3.1 Composition
1.1.3.2 Température et durée de traitement thermique
1.1.3.3 Environnement
1.2 Réduction gazeuse
1.2.1 Réduction des oxydes de fer
1.2.2 Réduction en phase gazeuse et cinétiques
1.2.3 Mécanismes et morphologies
1.2.4 Applications à d’autres oxydes
1.3 Synthèse du chapitre 1
Chapitre 2 : Techniques expérimentales
2.1 Matériaux
2.2 Préparation des échantillons
2.3 Conditions expérimentales
2.2.1 Oxydation
2.2.2 Réduction
2.4 Techniques de caractérisation
Chapitre 3 : Etape d’oxydation
3.1 Aciers austénitiques
3.1.1 Résultats
3.1.1.1 Cas 1 : wüstite
3.1.1.2 Cas 2 : magnétite
3.1.2 Discussion
3.2 Acier ferritique
3.2.1 Résultats
3.2.2 Discussion
3.3 Comparaison
3.4 Aciers duplex
3.5 Synthèse des résultats du chapitre 3
Chapitre 4 : Etape de réduction
4.1 Aciers austénitiques
4.1.1 Observations générales
4.1.1.1 Morphologies
4.1.1.2 Analyse de la matière
4.1.2 Influence du temps
4.1.3 Influence de la température
4.1.4 Compréhension du phénomène
4.2 Aciers ferritiques
4.2.1 Observations générales
4.2.1.1 Morphologies
4.2.1.2 Analyse de la matière
4.2.2 Influence du temps
4.2.3 Compréhension du phénomène
4.3 Synthèse des résultats du chapitre 4
Conclusion générale
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