Ouvrir la boîte noire du système d’irrigation au goutte à goutte

Ouvrir la boîte noire du système d’irrigation au goutte à goutte

Le goutte à goutte au Maroc : tous actionnaires ?

Au début, une technique intéressant quelques grands agriculteurs et des chercheurs L’introduction de la technique d’irrigation au goutte à goutte au Maroc était, à l’origine, essentiellement due aux initiatives privées. Plusieurs auteurs témoignent de son introduction par des agriculteurs privés à différents endroits au Maroc au milieu des années 1970, par exemple en 1974, dans la région d’Oulmès à 100 km à l’Est de Rabat (Ababou, 1979). Dans le Souss au sud du Maroc, Popp (1984, p. 231) mentionne l’installation de 125 ha d’agrumes, irrigués en goutte à goutte en 1976. En 1979 la superficie équipée était de 700 ha pour l’ensemble du pays (Ababou, 1979), et concernait essentiellement les agrumes (80%) dans les régions de Meknès, Marrakech et Agadir. L’introduction du goutte à goutte intéressait en majorité (78%) les grandes exploitations supérieures à 40 ha, mais l’Etat jouait déjà un rôle important à l’époque en exonérant les importateurs des taxes d’importation (ibid).

Vers la fin des années 1980, l’introduction du goutte à goutte dans la zone côtière du Gharb était également due aux initiatives privées, et ce avec l’arrivée d’investisseurs espagnols vers la fin des années 1980 pour la production de fraises (Poncet, 2010). Dans cette région, le goutte à goutte a rapidement pris de l’ampleur avec une augmentation sensible des superficies de bananier et de fraisier. Motivés par l’expérience acquise dans les exploitations espagnoles, les gérants de ces exploitations se sont progressivement installés à leur compte. Les ouvriers des grandes exploitations quant à eux adoptaient aussi le goutte à goutte sur leurs propres parcelles maraîchères, avec parfois du matériel d’irrigation récupéré sur les fermes espagnoles. Ce n’est qu’en 2002, après la mise en place effective d’un nouveau programme de subventions, que cette dynamique sera renforcée (Benouniche et al, 2011). Nous analyserons ces dynamiques dans le deuxième chapitre de cette thèse.

Du côté de la recherche, l’intérêt accordé à la technique d’irrigation au goutte à goutte au Maroc remonte également aux années 1970. Tabet (1972) mentionne un exposé sur le goutte à goutte au Maroc d’un scientifique de l’Université de Californie en 1972, alors que des échanges sur les avantages du goutte à goutte ont eu lieux lors de la conférence de la Commission Internationale de l’Irrigation et du Drainage (CIID) à Varna en 1972. Le thème de la micro-­‐irrigation avait ensuite fait l’objet de plusieurs communications lors des journées scientifiques organisées en septembre 1977 à Rabat par les Comités 11 Nationaux Marocains et Français de la CIID. Le but était de présenter la technique et son importance dans le contexte marocain, d’en évaluer les avantages et les inconvénients, et d’encourager des recherches sur ce thème (Ababou, 1979).

A partir des années 1980, des recherches ont effectivement été menées au Maroc sur l’irrigation au goutte à goutte, en particulier sur le pilotage de l’irrigation (e.g. Sirjacobs et Slama, 1983) et la normalisation des équipements (Laiti et al., 2005). D’une pluralité de motivations vers l’objectif unique : l’économie d’eau D’après Ababou (1979), trois grandes motivations étaient mises en avant pour promouvoir le goutte à goutte au Maroc : i) l’économie de main d’oeuvre et la diminution de la pénibilité du travail grâce à l’automatisation du système d’irrigation ; le suivi d’irrigation demande moins de main d’oeuvre, en comparaison avec le gravitaire et l’automatisation des arrosages des différentes parcelles facilite l’organisation du travail, ii) l’amélioration des produits agricoles en qualité et en quantité ; ceci est assuré par la rationalisation des apports d’eau et d’éléments fertilisants et une meilleure distribution intra-­‐parcellaire, et conséquemment les rendements en seraient améliorés, iii) l’économie d’eau d’irrigation. Progressivement, une orientation semble être prise par le gouvernement marocain, de se centrer sur la valorisation et l’économie de l’eau dans un contexte où la quasi-­‐totalité des ressources en eau de surface sont mobilisées et où la surexploitation des eaux souterraines est généralisée : « Le contexte de rareté croissante des ressources hydriques nationales, accentuée par des sécheresses de plus en plus fréquentes et aiguës, a amené le Maroc à accorder un intérêt particulier à l’amélioration des performances des systèmes d’irrigation » (El Gueddari, 2004).

Les potentialités hydrauliques mobilisables au Maroc sont estimées à 20 milliards de m3 dont 4 milliards de m3 de ressources en eau souterraine (El Gueddari, 2001), alors que plus de 80% des ressources en eau mobilisées sont utilisées (Belghiti, 2009). D’après le Ministère chargé de l’eau, délégué auprès du Ministère de l’énergie et des mines, de l’eau et de l’environnement, le potentiel en eaux souterraines renouvelables s’élève à un peu plus de 3,8 milliards de m3 répartis sur 80 grandes nappes et le volume des ressources en eau souterraine prélevée est estimé à 5 milliards de m3 par an depuis 2005, ce qui est considéré comme excessif. Ce chiffre sous-­‐estime probablement les prélèvements réalisés dans des zones où les puits et les forages ne sont pas déclarés. Selon le même Ministère, aujourd’hui les nappes phréatiques arrivent à saturation et le seuil critique est d’ores et déjà atteint dans la majorité des bassins versants.

Economie d’eau 

Un non objectif pour tous les acteurs ? Le concept d’économie d’eau revient dans tous les discours officiels et dans les entretiens avec les agriculteurs. Il est souvent évoqué pour justifier la promotion de la technique d’irrigation au goutte à goutte, comme l’illustre l’intitulé du vaste Programme National d’Economie d’Eau en Irrigation. Ce concept ancien est apparu dans les débats 16 sur la gestion de la demande en eau à la fin des années 1990 (Margat et Vallée, 1999). Il s’agissait de « modérer la croissance des demandes et même à les diminuer en favorisant les économies d’eau, en améliorant les efficiences d’usage » (Margat et Vallée, 1999). L’idée étant que la réduction des pertes constituait un « gisement » compétitif -­‐ 130 km3/an d’ici 2025 à l’échelle mondiale, très intéressant si on le compare à la difficulté de mobilisation de nouvelles ressources en eau (gestion de l’offre). Cependant, le concept d’économie d’eau a suscité de vives critiques dans la littérature de par son ambiguïté (e.g. Seckler et al., 2003). Les pertes et les degrés d’efficience à l’échelle locale influencent la disponibilité de l’eau à l’échelle d’un bassin versant. Quand un agriculteur améliore l’efficience d’irrigation à la parcelle, par exemple, et utilise cette eau pour adopter des cultures plus consommatrices en eau ou pour étendre sa superficie irriguée, il restitue moins d’eau aux dépens d’autres utilisateurs.

En replaçant l’eau d’irrigation dans le cycle global de l’eau d’un bassin versant, l’économie d’eau observée à la parcelle ne représente souvent qu’un transfert de l’eau d’un utilisateur vers un autre, et non pas une économie d’eau à des échelles plus importantes (Molle et al., 2004). Le Programme National d’Economie d’Eau en Irrigation (PNEEI) fait référence à une diminution des pertes à l’échelle de la parcelle : « c’est d’abord au niveau de la parcelle que les économies d’eau doivent être le plus recherchées, car c’est à ce niveau que le gisement se trouve » (Ministère de l’Agriculture et de la Pêche Maritime, 2007).

C’est ainsi que l’effort de l’Etat sera désormais focalisé sur la promotion de l’irrigation localisée : « Le grand gisement d’économie d’eau étant identifié dans l’exploitation agricole, l’incitation à l’économie d’eau constitue un levier déterminant pour concrétiser les objectifs d’amélioration de l’efficience de l’irrigation » (El Gueddari, 2004). Le PNEEI se réfère à une diminution des pertes à la parcelle dans l’utilisation de l’eau par l’agriculture, basée sur l’efficience supposée du goutte à goutte. Le PNEEI considère l’irrigation au goutte à goutte comme la technique « la plus efficiente avec des résultats atteignant les 90% d’efficience sinon plus » comparée à l’irrigation en gravitaire considérée comme la moins efficiente, généralement créditée au Maroc de ne pas dépasser les 50 à 60%. Le programme prévoit une économie d’eau globale de 826 millions de m3/an, repartie entre les périmètres de grande hydraulique et les zones d’irrigation privée. Selon le PNEEI, les périmètres de petite et moyenne hydraulique ne sont pas exclus du programme car les subventions sont « ouvertes pour tout le territoire national pour les trois types d’irrigation », i.e. grande hydraulique, petite et moyenne hydraulique et l’irrigation privée. Cependant, le PNEEI considère la reconversion vers l’irrigation localisée dans ces périmètres peu probable car « pénalisée dans ce domaine par la nature des tours d’eau traditionnels ».

La plus grande partie de la réduction des pertes se trouve dans les périmètres de grande hydraulique, estimée à 514 millions de m3/an. Mais d’après le PNEEI, la grande hydraulique se trouvant déjà dans un déficit structurel : « l’économie d’eau ne permettra pas… de dégager un excédent, mais… un usage plus productif ». Seuls les 312 millions de m3/an économisés dans des zones d’irrigation privée contribueraient à diminuer la pression sur les ressources en eau (en particulier les eaux souterraines), ce qui correspond à moins de 2% du volume d’eau annuel 17 mobilisable au Maroc (estimé à 17 milliards de m3). Le chiffre avancé de 826 millions de m3/an est certes ambitieux, mais en réalité trompeur, car l’économie d’eau ne représente qu’une partie infime du programme. L’objectif principal semble surtout lié à la productivité agricole et à la valorisation de l’eau : « le véritable gisement d’économie d’eau… se situe au niveau de l’amélioration de la productivité et de la valorisation de l’eau. En d’autres termes, il s’agit de produire d’avantage de richesse (de production agricole, de valeur ajoutée, d’emplois…) par m3 d’eau » (Belghiti, 2009).

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Table des matières

Résumé Abstract
Chapitre 1 : Introduction générale
1.1. Le goutte à goutte au Maroc : tous actionnaires ?
1.2. Le goutte à goutte et le chercheur
1.3. Les concepts théoriques qui m’ont inspirée tout au long de la thèse
Références
Chapitre 2. Analyse croisée des initiatives locales et programmes étatiques de développement du goutte à goutte : cas du Gharb au Maroc Quand les petites exploitations adoptent le goutte-­‐à-­‐goutte : initiatives locales et programmes étatiques dans le Gharb (Maroc)
Introduction
Méthode
Résultats
Installations issues d’initiatives locales
Programmes étatiques : une aide financière mais aussi un accès à l’expertise et au matériel de qualité
Reconversion collective : une conception sous forte impulsion de l’Etat, peu adaptée aux petites exploitations
Discussion et conclusion
Références
Chapitre 3. Le bricolage comme innovation : Ouvrir la boîte noire du système d’irrigation au goutte à goutte
BRICOLAGE AS INNOVATION: OPENING THE BLACK BOX OF DRIP IRRIGATION SYSTEMS
INTRODUCTION
METHODOLOGY AND STUDY AREA
RESULTS
The process of bricolage on drip irrigation in the Saiss
A FILTER SYSTEM CROSSING THE THREE INSTANCES OF BRICOLAGE
FROM INTERNATIONAL TO LOCAL STANDARDS: TOWARDS A NEW STANDARDIZATION OF DRIP IRRIGATION EQUIPMENT?
ACCEPTING BRICOLAGE AS A VALID PRACTICE
DISCUSSION
Bricolage as a creative process of learning and adaptation
Engineers as ’bricoleurs’?
CONCLUSIONS
REFERENCES
Chapitre 4 : Analyse des pratiques et logiques des agriculteurs pour expliquer la performance d’irrigation des systèmes au goutte à goutte
Making the user visible: analysing irrigation practices and farmers’ logic to explain actual drip irrigation performance
Introduction
Methodology
2.1 Study area
2.2 Research approac
3.Results
3.1 Drip irrigation performance

3.2 Farmers’ irrigation practices

3.3 Logic behind farmers adopting and using drip irrigation

3.4 Interactions between logics, and groups, evolving logics
Discussion: Beyond water saving, putting drip irrigation performance in a wider perspective
Conclusion: Putting the user at the heart of the irrigation performance debate
References
Chapitre 5 : L’enrôlement des acteurs non-­‐conventionnels dans la communauté du goutte à goutte au Maroc
The seductive power of an innovation: enrolling non-­‐conventional actors in a drip irrigation community in Morocco
Introduction
Methodology
Results
3.1 The enrolment of non-­‐conventional actors in three innovation periods
3.2 The pathways of four non-­‐conventional innovation actors
3.3 Explaining the engagement of non-­‐conventional actors in diffusing drip irrigation
Discussion
4.1 Model of “interessement” versus model of diffusion
4.2 Change and be changed: interplay between non-­‐conventional innovation actors and drip irrigation technology
Conclusion
Références
Chapitre 6. Conclusion générale : Le goutte à goutte, une innovation portée par plusieurs acteurs où l’économie d’eau parait une mystification

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