OUTIL DE PHÉNOTYPAGE EN MILLIFLUIDIQUE DIGITALE

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L’apport d’outils expérimentaux quantitatifs

Parmi les mécanismes participant à la diversité phénotypique présentée dans la partie précédente, plusieurs ont été particulièrement bien mis en évidence grâce à des approches expérimentales nouvelles ou modernisées. Nous allons en présenter deux afin de souligner l’intérêt de l’observation en temps réel et de la mesure quantitative sur des bactéries individualisées. Elles ont permis d’explorer certaines questions sur la diversité phénotypique. Elles apportent un éclairage sur l’adaptabilité des bactéries.
L’un des points de départ, commun à ces approches expérimentales, est le souci d’aller au-delà de l’information moyenne collectée lors des mesures sur des cultures macroscopique. Les paramètres mesurés comme le temps de division, le rendement de biomasse, une activité enzymatique, ou l’expression d’une protéine, peuvent dissimuler une variabilité significative d’un individu à l’autre. Pour réussir à observer individuellement les bactéries d’une colonie, il convient de les disperser et de les immobiliser tout en maintenant des conditions de croissance favorables. La mise en œuvre de méthodes expérimentales plus ou moins complexes dans ce but n’est pas nouvelle comme l’indique l’article de revue d’Hoffman en 1964. Certaines techniques de microfabrications apportent effectivement de nouvelles possibilités (Whitesides et al. 2001) mais l’avancée majeure vient des moyens modernes d’imagerie, de traitement d’images, et d’automatisation, et de la volonté de quantifier les observations.
Observation directe de bactéries en dormance: Une des manifestations évidentes de la diversité qui existe au sein d’une population de micro-organismes est l’observation d’inflexions dans certaines courbes de létalité de traitements antimicrobiens. Dans certains cas, la courbe atteint même un minimum qui correspond à une fraction qui n’est pas sensible au traitement. On parle de persistance pour cette fraction. La dormance est un des mécanismes de persistance identifiés. Certaines bactéries sont dans un état végétatif ou de croissance lente qui leur permet de survivre à l’attaque d’un agent chimique par exemple (Lewis 2006).
La détection des microorganismes viables qui ne se divisent pas est délicate (Oliver 2009). Par conséquent, l’étude de ces sous-populations en dormance afin d’identifier comment elles se constituent, posait un problème expérimental. La solution mise en œuvre par Balaban, sur un mutant à haut taux de persistants, consiste à isoler les bactéries et à les suivre individuellement au cours du temps en microscopie (2004). Il est ainsi possible de mesurer la croissance de chaque individu avant et après un traitement antibiotique. On peut ainsi identifier certaines bactéries qui ne se divisent pas au début de l’expérience, mais peuvent commencer à se multiplier en fin d’expérience. Balaban et al. ont ainsi montré, en suivant le devenir individuel d’un grand nombre de bactéries, que les bactéries qui persistaient lors d’un traitement antibiotique à l’ampicilline étaient les bactéries dans un état végétatif avant le traitement (Figure 1-5).

Évolution expérimentale sur les micro-organismes

La biologie de l’Évolution s’est longtemps limitée à l’observation et l’interprétation de la diversité dans la nature. Elle s’est également intéressée de préférences aux organismes « supérieurs ». Dans le même temps, les microorganismes ont servi à l’avancée rapide de la biologie moléculaire, sans qu’on s’intéresse à leur évolution. Pourtant ces vingt dernières années, les expériences d’évolution en laboratoire ont produit de nombreux résultats et ont permis de tester certaines hypothèses des théories de l’Évolution (Kawecki et al. 2012). Le cas particulier des expériences sur des microorganismes, possède de nombreux avantages. Les microorganismes se reproduisent rapidement ce qui est décisif pour suivre l’évolution sur un grand nombre de générations. Il est ainsi possible d’observer l’évolution significative de populations sur un temps à l’échelle d’une vie humaine. Les cultures sont également peu encombrantes et peuvent donc être parallélisées. La connaissance génétique et moléculaire de ces organismes modèles permet une maîtrise fine des paramètres de l’expérience et une analyse détaillée. L’exploration a posteriori du processus d’évolution est enfin rendue possible grâce à la possibilité de stocker les populations au cours du temps, figées dans leur état d’avancement. Elles peuvent être relancées en culture ultérieurement, pour des expériences supplémentaires (Elena et Lenski 2003). Enfin les expériences d’évolution sur les 20 000 générations, ralentit (graphe A, extrait de Cooper et Lenski 2000). D’autre part une des populations atteint des rendement de biomasse, une turbidité plus importante, en raison de l’émergence d’un mutant métabolisant le citrate (photo B, Brian Baer et Neerja Hajela, site internet du laboratoire de Lenski).
microorganismes se sont également développées en raison de l’émergence rapide de résistances aux antibiotiques. L’apparition de souches résistantes est en effet le fruit des mécanismes de l’Évolution (Hall 2004).
Pour illustrer différentes facettes de la démarche d’évolution expérimentale sur les bactéries, nous allons présenter quelques exemples.
Expérience à long terme: Si l’on met de côté le cas des souches domestiquées pour diverses transformations agroalimentaires depuis de nombreux siècles, l’expérience d’évolution de microorganismes en laboratoire la plus connue et la plus longue à l’heure actuelle a été lancée par Richard Lenski en 1988. Douze populations d’E. coli issues d’un unique clone sont propagées par dilution quotidienne depuis 25 ans. Il s’agit d’une adaptation à un environnement nouveau, en partie pour sa composition chimique, mais surtout pour sa très grande stabilité (Lenski 2004). Nous ne détaillerons pas tous les résultats issus de cette expériences ni tous les travaux qu’elle a inspiré, mais simplement deux résultats frappants. Elle a permis de mesurer le rythme de l’adaptation à un environnement constant sur 20 000 générations (Cooper et Lenski 2000). L’augmentation de l’avantage semble ralentir au cours du temps (Figure 1-7 A). Ce ralentissement est interprété comme signe d’une probabilité de plus en plus faible de maintien d’une mutation produisant un avantage minimum. En effet, pour être maintenue, une mutation doit non seulement être bénéfique, mais elle doit aussi avoir la chance d’être conservée lors de la dilution quotidienne qui peut exclure les mutants faiblement représentés. Par ailleurs, une des douze populations propagées en parallèle, a exprimé une innovation fonctionnelle majeure après 31 500 générations (Figure 1-7 B). Une lignée est capable de métaboliser le citrate en conditions aérobie, ce qui n’était pas le cas de la population ancestrale (Blount, Borland, et Lenski 2008). Il s’agit d’un exemple frappant de divergence phénotypique majeure impliquant plusieurs mutations génétiques.

Microfluidique diphasique ou digitale

La parallélisation est une étape qui ne découle pas simplement de la miniaturisation. En microfluidique, les dispositifs de pilotage et de mesure constituent le coût et l’encombrement principal. Pour multiplier les microréacteurs de manière réaliste, il convient donc de mutualiser cette part du dispositif pour le plus grand nombre d’enceintes réactionnelles possibles. Dans le même temps, il faut s’assurer que les réacteurs restent parfaitement indépendants malgré l’homogénéisation rapide par diffusion et les contaminations par adsorption sur les parois des dispositifs. Le nombre de réacteurs est finalement limité dans cette approche car la complexité augmente rapidement.
L’utilisation de deux phases immiscibles possède certains avantages par rapport aux systèmes monophasiques. On disperse la phase réactionnelle sous forme de gouttes dans un fluide immiscible. La phase extérieure est choisie pour sceller ou maîtriser la composition des gouttes. On obtient ainsi autant de microréacteurs fermés et indépendants que de gouttes. La phase continue évite également que la phase réactionnelle entre en contact avec le matériau du dispositif dans lequel on peut faire circuler et mesurer les gouttes (Choi et al. 2012).
En 1998, Tawfik et Griffiths avaient identifié et exploité les avantages de la compartimentalisation et la parallélisation de processus biologiques dans des gouttes d’émulsion (Tawfik et Griffiths 1998). Depuis 10 ans, les techniques de microfluidique pour fabriquer, manipuler et mesurer individuellement de grandes collections de gouttes se sont développées. Elles appartiennent à ce qu’on appelle la microfluidique digitale. Elles ont ouvert la voie à de nombreuses applications de plus en plus sophistiquées. Dans cette approche, le multiplexage ne nécessite plus d’efforts spécifiques. Une fois qu’un dispositif est conçu pour réaliser une opération élémentaire sur les gouttes, alors cette opération peut être réalisée avec ce seul dispositif sur autant de gouttes qu’on le souhaite. Il constitue un module qui peut être combiné avec d’autres (Kintses et al. 2010). Le nombre de réacteurs ne modifie pas la complexité du système. La vitesse de traitement des gouttes devient la seule limite.

Millifluidique digitale

Nous avons présenté les avantages de la microfluidique et de la microfluidique digitale. Cependant, cette technologie et la course à la miniaturisation impliquent certaines contraintes et limitations que nous cherchons à éviter.
Les techniques de microfabrication utilisées pour la microfluidique sont efficaces pour le développement des dispositifs car le prototypage est rapide grâce aux techniques de lithographie utilisant des polymères réticulables (S. K. Tang et Whitesides 2009). Mais cette technique de fabrication reste relativement lourde pour une utilisation répétée, une fois la conception terminée. Or, les systèmes microfluidiques sont difficilement réutilisables, car ils sont difficiles à nettoyer. Les propriétés de surfaces sont très importantes, il faut donc absolument les régénérer et les canaux de petites tailles sont susceptibles de s’obstruer. Par conséquent, chaque expérience nécessite le plus souvent une nouvelle microfabrication. Cette étape est contraignante pour un outil que nous souhaitons utiliser en routine (Becker et Gärtner 2000).
Pour la culture de microorganismes, la réduction des volumes des bioréacteurs n’est pas sans conséquences. En premier lieu pour un système fermé, la quantité de milieu nutritif disponible limite la durée de l’expérience et le nombre de générations observables. Pour un chemostat ou un système perfusé, la durée de l’expérience n’est plus limitée par l’apport de nutriments, cependant la taille de la population observable est déterminée par le volume du réacteur. Le mode de croissance observé dans les microréacteurs peut alors être sensiblement différent de celui observé dans des volumes macroscopiques. Par exemple, le rapport surface-volume élevé dans ces environnements miniaturisés et l’agitation souvent faible favorisent le développement de biofilms. La pertinence ou la généralité des mesures réalisées en microfluidique doivent être évaluées avec précautions. Enfin, la manipulation de petits volumes est facilitée en microfluidique mais lorsqu’on veut extraire un échantillon en fin d’expérience, sa dilution inévitable et les risques de contamination rendent l’opération très difficile.
L’aspect pratique d’une part, et la nécessité d’un volume suffisant d’autre part, ont conduit le laboratoire à développer, à partir de 2006, la millifluidique digitale. L’outil peut servir pour le phénotypage, des expériences d’évolution dirigée ou la détermination de concentrations minimales d’inhibition (CMI) sur différents microorganismes (Baraban et al. 2011).
En millifluidique, les dimensions caractéristiques vont de la centaine de microns au millimètre. Les écoulements en millifuidique conservent en grande partie les mêmes particularités et avantages qu’en microfluidique. Le changement d’échelle augmente principalement les effets de la gravité et les temps caractéristiques de diffusion. Mais les techniques développées en microfluidique digitale sont entièrement transposables en millifluidique. On peut donc former et manipuler des gouttes de quelques centaines de nanolitres qui font jusqu’à 1mm de diamètre (Wilfried Engl et al. 2005).
Il est possible de concevoir les dispositifs de millilfuidique avec la grande diversité de matériels développés et commercialisés pour la chromatographie liquide. La technologie est facilement adaptable puisque le dispositif peut être modifié simplement en vissant et dévissant les pièces utilisées (W. Engl et al. 2007). Chaque élément est remplaçable facilement et individuellement.

Outil de phénotypage en millifluidique digitale

Le dispositif millifluidique pour le phénotypage

La millifluidique digitale offre un moyen de générer et de manipuler efficacement un grand nombre de gouttes d’eau dans une phase porteuse non miscible (Figure 2-1). Ces gouttes d’eau peuvent constituer autant de réacteurs indépendants parallélisés (Funfak et al. 2009). Le laboratoire LCMD a donc développé un dispositif de millifluidique digitale pour le phénotypage et l’analyse des croissances bactériennes (Baraban et al. 2011). Le dispositif est modulaire (Figure 2-2). Il permet de créer une collection de bioréacteurs, dont on peut faire varier la composition. Les bioréacteurs sont ensuite chargés dans un module incubateur dans lequel ils sont analysées en continu (Figure 2-3). Il permet d’enregistrer la cinétique de croissance d’un millier de colonies simultanément. Le dispositif de mesure est détaillé séparément dans la partie suivante (2.3). Grâce à un troisième système autonome, nous pouvons adresser individuellement chaque goutte servant de bioréacteur vers un puits collecteur (Figure 2-2).
Dans cette partie, nous présentons la technologie et la physico-chimie qui sont à la base du dispositif. Chaque paragraphe correspond à l’explication détaillée d’un module. Une grande part du savoir-faire associé à cette machine millifluidique a été développé avant le début de cette thèse. Un soin particulier a été apporté pour améliorer les points suivant : la préparation des gradients de composition (2.2.1.3), la thermalisation homogène pour l’incubation des gouttes, et les paramètres de la mesure optique (2.3). Enfin, au fil de cette thèse, deux dispositifs existants ont été utilisés et modifiés, et un troisième a été monté.

Physico-chimie et choix des matériaux

En microfluidique digitale, le choix de la phase continue doit permettre de limiter au maximum les fuites de molécules hors de la phase dispersée. Les huiles fluorocarbures ou les huiles silicones sont donc souvent utilisées car généralement les composés hydrophiles et les composés hydrophobes y sont peu solubles (Chu, Yu, et Curran 2007). Nous utilisons l’huile NovecTM 7500 commercialisée par 3MTM, dont la formule est représentée Figure 2-5
Nous souhaitons utiliser la phase dispersée comme bioréacteur. Il s’agit donc d’une phase aqueuse. Différents milieux de cultures bactériennes ont été utilisés. Le plus souvent nous utilisons le milieu Lisogeny Broth (LB).
Pour limiter les risques de contamination, il faut éviter les contacts entre la phase aqueuse et, les tuyaux et les jonctions. Le matériau de ces derniers doit donc être en permanence recouvert par la phase continue. Il faut que le matériau ait une plus grande affinité pour l’huile fluorée NovecTM 7500. L’énergie de surface entre le milieu de culture et le tube doit être supérieure à celle entre la phase continue et le tube. Pour éviter tout contact, il faudrait que l’énergie de surface entre le tuyau et l’eau soit supérieure à la somme des deux énergies de surfaces impliquant la phase continue. On choisit donc les tubes et les connectiques en polytétrafluoroéhtylène (PTFE) qui sont commercialisés par un frabriquant. La tension de surface entre les deux phases fluorées (solide et liquide) est très faible ce qui favorise le mouillage de la surface des tuyaux par la phase continue. Le volume des gouttes en millifluidique rend l’effet de la gravité non négligeable comparé aux tensions de surface. Si le système est statique, la gravité est responsable de la création d’un contact croissant entre l’eau et le tube. Cependant, les gouttes sont constamment en mouvement. Cette circulation assure l’entretien d’un film de lubrification qui évite tout contact entre le bioréacteur et le tuyau.
Lors de la circulation prolongée du train de bioréacteurs, la distance entre chaque goutte n’est pas constante car la variabilité, même faible, sur le volume des gouttes entraîne des différences de vitesses. La diminution de la distance entre gouttes successives nuit à la stabilité et elle limiterait la durée des expériences. Si deux gouttes sont en contact, il devient difficile de les discerner lors de la détection et de la mesure des bioréacteurs et surtout elles finissent par fusionner. Étant donnée la taille des gouttes, pour éviter la fusion des gouttes, aussi appelée coalescence, l’utilisation de tensioactif ne suffit pas. Une autre solution technique a été utilisée. Une troisième phase fluide non miscible est ajoutée dans le système, elle est appelée phase séparatrice. Elle est également dispersée en gouttes ou bulles qui sont intercalées entre chaque bioréacteur et jouent le rôle de séparateurs. Immiscible avec l’eau et l’huile fluorée elle empêche tout contact entre deux gouttes d’eau. Dans le cadre de cette thèse nous avons exclusivement utilisé une huile minérale comme phase séparatrice (Sigma M5904).
Paradoxalement, l’utilisation de cette huile minérale comme phase séparatrice impose l’ajout d’un tensio-actif dans la phase continue. En effet la tension de surface mesurée entre la phase continue et la phase séparatrice est très faible, 4 mN.m-1. Les tensions de surface sans tensio-actif, du milieu LB avec l’huile minérale et l’huile fluorée sont comparables, et proches de 25 mN.m-1. Par conséquent, on observe une importante surface de contact entre l’huile minérale la phase aqueuse. Cela peut même conduire à une émulsion double, eau dans huile minérale dans huile fluorée, la phase séparatrice ne joue alors plus son rôle. En ajoutant un surfactant dans la phase fluorée, on abaisse l’énergie de surface entre la phase continue et les bioréacteurs, 15 mN.m-1, ce qui favorise l’interface eau-huile fluorée et réduit la création d’interface eau-huile minérale. Le surfactant utilisé est un polymère « triblock » alliant du polyéthylène glycol (PEG) pour la partie hydrophile et du polyperfluoropropylene glycol (PFPE) pour les deux parties « fluorophiles ». Ce tensio-actif PFPE-PEG-PFPE a été développé par RaindanceTM Technologies pour ses applications en microlfuidique digitale utilisant une phase continue fluorée (Holtze et al. 2008).
La formation des gouttes a été décrite dans le paragraphe précédent pour un système diphasique. L’alternance de gouttes dans le système à trois phases que nous venons de décrire s’obtient simplement en plaçant face à face les arrivées des deux phases dispersées qui sont toujours orthogonales à la phase continue. Il y a donc deux « jonction T » face à face. L’hydrodynamique de formation des gouttes est similaire mais les régimes de fonctionnement d’un tel dispositif n’a pas été étudiée de manière exhaustive (Wang et al. 2013). Ce dispositif pour la formation de gouttes alternées a cependant été utilisé pour d’autres applications (S. K. Y. Tang et al. 2009).

Incubation et manipulation du train de gouttes

Les gouttes formées sont chargées dans le module d’incubation et de mesure. Ce module va permettre de stocker les gouttes en préservant leur intégrité et de mesurer chaque bioréacteur toutes les 10 minutes. Pour maîtriser les conditions de culture, il est placé dans une enceinte thermalisée.
Nous avons discuté l’intérêt du déplacement des gouttes pour maintenir la lubrification. Ce flux assure également le mélange à l’intérieur de chaque bioréacteur en raison des recirculations induites pas la différence de vitesse entre la goutte et la phase continue (Figure 2-9). Ce mélange est équivalent dans toutes les gouttes et assure des conditions homogènes dans le petit volume du bioréacteur. Pendant l’incubation les gouttes vont donc être maintenues en mouvement.
Afin de combiner mesures périodiques de tous les bioréacteurs et mouvement sans fin, la collection de gouttes fait des allers-retours devant le système de mesure. Ce dernier est donc placé au milieu d’un long tuyau de telle sorte que tous les bioréacteurs soient dans une moitié du tuyau, puis tous dans l’autre moitié. Entre temps, ils sont tous passés devant le détecteur.
Le mouvement des gouttes est obtenu en appliquant une différence de pression aux extrémités du tuyau dans un sens puis dans l’autre. Chaque extrémité du tuyau est plongée dans son réservoir d’huile fluorée dont la pression est contrôlée (Figure 2-10). Pour maintenir une vitesse constante, la pression est ajustée grâce à un manostat commandé par le programme de pilotage (Labview®) en fonction du débit mesuré dans le tuyau.
Pour assurer l’intégrité du train nous maintenons les gouttes dans un tuyau. Elles sont donc sur une seule ligne. Leur arrangement à une dimension est immuable. Ainsi chaque goutte est définitivement identifiée par sa position dans la séquence.

Mesure dans les bioréacteurs

Le dispositif de phénotypage millifluidique permet donc de préparer, d’incuber et mesurer 1000 réacteurs en parallèle. Il est aussi possible de trier et récupérer certains réacteurs en fin d’expérience. Le dispositif de mesure est très facilement adaptable en fonction de l’application souhaitée sans modifier le principe général décrit dans le paragraphe précédent. Dans la partie qui suit nous décrivons la mesure mise en œuvre pour notre étude sur E. coli.

La bactérie MC4100 YFP

Nous avons utilisé une souche de l’espèce E. coli qui est fluorescente. Elle a été construite par Hegreness pour étudier l’apparition de mutations bénéfiques. Dans son expréience deux couleurs de fluorescences différentes sont co-cultivées. L’apparition d’une mutation procurant un avantage à l’une des deux populations est révélée par un déséquilibre sur le rapport des deux fluorescences (Hegreness 2006).
Le fond génétique utilisé est une souche MC4100. Elle est largement utilisée en laboratoire. La souche BW2952 dérivée de MC4100 a été séquencée intégralement (T. Ferenci et al. 2009). La souche est résistante à la streptomycine. MC4100 est aussi un mutant nul pour l’opéron lactose (Peters, Thate, et Craig 2003).
La construction de Hegreness profite de l’absence d’opéron lactose fonctionnel. En effet, le gène YFP qui code pour une protéine fluorescente a été placé par construction génétique sous le contrôle d’un promoteur appartenant à l’opéron lactose. En l’absence d’opéron lactose, comme chez MC4100, le promoteur est très peu régulé et l’expression du gène est constitutive, c’est-à-dire permanente et quasi constante. Le gène yfp est inséré au chromosome de la souche MC4100 avec un gène de résistance à l’ampicilline ampR placé sous la régulation du même promoteur. Ces deux gènes insérés sont issus d’un plasmide de Lutz et Bujard (1997).
La protéine fluorescente YFP est dérivée de la protéine fluorescente verte (GFP). La GFP a été identifiée au début des années 60 par Osamu Shimomura chez une méduse (Shimomura, Johnson, et Saiga 1962). Martin Chalfie est le premier à exploiter ce gène pour l’étude de cellules bactériennes (Chalfie et al. 1994). Enfin Roger Y. Tsien a développé des allèles de la GFP aux propriétés de fluorescence différentes dont fait partie YFP (Tsien 1998). Tous les trois ont reçu conjointement le Prix Nobel de Chimie 2008 pour leurs travaux.
Les autres souches utilisées dans le cadre de cette thèse ont été modifiées par Christophe Beloin à partir de la souche MC4100 YFP AmpR présentée ci-dessus (Da Re et al. 2007).

Mesure dans les bioréacteurs

Mesure de fluorescence

La souche que nous utilisons exprime une fluorescence constitutive. Pour suivre la croissance des bactéries dans les bioréacteurs nous utilisons donc une mesure de fluorescence. La protéine YFP présente un pic d’excitation à la longueur d’onde de 515 nm et son émission maximum se situe à 530 nm (Figure 2-13). La source d’excitation est une diode électro luminescente (LED) dont le maximum d’émission est à 505 nm (Thorlab® M505L3). On sélectionne l’excitation avec un filtre centré à 497 nm (Thorlab® MF497-16) et de largeur 16nm. Le miroir dichroïque utilisé coupe à 515nm (Thorlab® MD515) et enfin le filtre d’émission transmet entre 525 et 545 nm (Thorlab® MF535-22). L’émission collectée est mesurée avec un photomultiplicateur (Hamamatsu H10722-01).
Des méthodes plus générales pour mesurer la biomasse, basées sur la diffusion de lumière et l’analyse d’image, sont développées pour une application plus générale du dispositif. Elles n’ont pas encore atteint les mêmes niveaux de performance.

Acquisition du signal de fluorescence

Le signal du PMT est enregistré en continue sur l’ordinateur grâce à une carte d’acquisition National InstrumentTM. Les gouttes sont détectées grâce à leur signal de fluorescence. L’inoculum est généralement inférieur au seuil de détection de notre dispositif de mesure. Afin de compter les gouttes à chaque passage tout au long de l’expérience et ainsi conserver leur identité, on s’assure que chaque goutte soit fluorescente. L’autofluorescence du milieu Lisogeny Broth (LB) est généralement suffisante, sinon 5nM d’Isocyanate de Fluorescéine sont ajoutés à la phase aqueuse.
La zone d’excitation est plus petite que la goutte. Le passage d’une goutte se traduit donc par une augmentation temporaire du signal de fluorescence (Figure 2-14).
L’analyse du signal a posteriori permet d’extraire, pour chaque goutte, à chaque passage, une mesure de fluorescence. On peut alors reconstituer, pour chaque goutte, l’évolution temporelle du niveau de fluorescence. L’échantillonnage dépend de la fréquence des allers-retours de la file de bioréacteurs.
Le résultat d’une expérience avec ce dispositif est donc un ensemble de courbes de fluorescence en fonction du temps. Chaque courbe décrit la variation de la fluorescence, sur toute la durée de l’expérience, pour une goutte identifiée par sa position dans la file. La fluorescence est due à l’expression stable d’une protéine fluorescente dans chaque bactérie. Elle serait sensible à une altération de l’expression de la fluorescence (voir fin 2.4.3), mais en première approximation, elle rend compte de l’évolution de la quantité de bactéries dans la goutte. La quantité de bactéries dépend du nombre et de la taille des bactéries. Cette courbe de fluorescence, ou de nombre de bactéries, est notre lecture phénotypique. Il s’agit du caractère que nous mesurons.
Signal du photomultiplicateur (PMT) acquis lors du passage de trois gouttes avec un échantillonnage à 210 Hz. Les images illustrent le défilement des gouttes vers la gauche et le champ d’excitation, avant, pendant et après le passage d’une goutte.

Analyse des données

Pour interpréter la mesure phénotypique permise par le dispositif, il faut évaluer si la mesure et les conditions dans les gouttes sont comparables aux méthodes classiques. Par ailleurs, pour réaliser le phénotypage d’une population avec cette mesure, il faut mesurer le caractère, la courbe de croissance, pour des bactéries uniques. La manière dont les bactéries se distribuent dans les gouttes dépend de la densité de bactérie utilisée. Pour obtenir une distribution adaptée au phénotypage dans les gouttes, nous verrons que l’échantillon doit donc être ajusté à la bonne densité de bactéries. Enfin, les courbes de croissance constituent notre lecture de phénotype, nous pouvons aussi en extraire des paramètres pertinents et analyser la précision et la « résolution phénotypique » accessible sur ces paramètres.

Conditions de culture, calibration et seuil de détection

Nous souhaitons évaluer d’une part la mesure, et d’autre part les conditions de croissance en gouttes. Une culture macroscopique sous agitation, d’un volume total de 5mL, est suivie en mesurant la fluorescence dans des gouttes préparées au moment de la mesure. La densité de cellules initiale pour la culture macroscopique correspond à celle préparée pour la croissance en goutte. La dynamique de croissance est équivalente à celle observée pour les croissances dans les gouttes. Cela indique que les conditions de croissance lors de l’incubation en gouttes ne sont pas très différentes de celles dans une culture macroscopique usuelle (Figure 2-15).
La mesure de fluorescence en gouttes est étalonnée vis-à-vis de la méthode plus classique de turbidimétrie à 600nm appliquée à la même culture macroscopique (Figure 2-15). Les deux mesures sont linéairement reliées même jusqu’à des valeurs élevée de turbidité. La mesure de densité optique maximum de 4,6 est obtenue avec une dilution par dix pour rester dans le domaine de linéarité du spectromètre. La mesure de fluorescence en gouttes est peu altérée par cette turbidité car les trajets optique dans les gouttes sont très court (<250µm). Il s’agit ici d’un autre atout de la miniaturisation.

Analyse des courbes de croissance

Nous avons montré qu’une grande quantité d’informations quantitatives est acquise en parallèle sur 100 à 1000 croissances de microcolonies initiées par des bactéries uniques.
La collection de courbes ainsi acquise pour des clones issus d’une unique colonie prélevée sur un gel LB-agar est présentée sur la Figure 2-17. À notre connaissance, une telle répétabilité de la croissance mesurée à partir de cellules uniques n’est obtenue avec aucune autre technologie. L’homogénéité des conditions de culture sur 1000 bioréacteurs en parallèles n’est pas facile à obtenir. Il faut assurer une thermalisation homogène et éviter l’évaporation du milieu de culture, deux problèmes couramment rencontrés dans les systèmes de mesures sur microplaques. Dans notre dispositif, les réacteurs sont concentrés dans un espace restreint ce qui facilite la thermalisation. Il n’y a pas d’interface avec l’air, ce qui évite tout problème d’évaporation. Pour obtenir des résultats homogènes il faut également assurer de bonnes conditions d’agitations reproductibles pour prévenir notamment la sédimentation ou la formation de gradients dans le réacteur. Nous avons vu que la recirculation assure l’homogénéisation dans les gouttes (Figure 2-9). Enfin, la formation de biofilm sur les surfaces solides peut également nuire à la fiabilité d’une mesure. Or, notre système ne présente que des interfaces liquides.
L’ensemble des propriétés du dispositif, sans que cela ait été nécessairement anticipé, contribue à l’homogénéité remarquable des courbes de croissance obtenues.

Dynamique de population de la variation de phase du gène ag43

La diversité au sein d’une population joue un rôle important pour l’adaptation et la survie. Plus une population comporte de variations, plus elle a de chances qu’au moins un individu soit viable et/ou performant après un changement environnemental (Aertsen et Michiels 2005).
Le génome est le support de l’information et de l’hérédité du vivant. Dans les années 50, Jacob et Monod ont mis en évidence la régulation génétique de la synthèse des protéines, sur le cas de l’opéron lactose notamment (Jacob et Monod 1961), ce qui leur a valu le prix Nobel en 1957. Cette découverte a profondément marqué et orienté la manière de penser le lien entre l’information génétique, l’environnement et le phénotype exprimé. Puis, les efforts et les progrès réalisés pour le séquençage de l’ADN, c’est-à-dire la lecture de l’information portée par la séquence de l’ADN, ont abouti avec succès ces vingt dernières années, et ont produit une grande quantité de données (Hutchison 2007). Cet accès à l’information génétique a d’abord renforcé la vision déterministe de l’expression des gènes en réponse à l’environnement suivant un programme établi. Les autres supports d’information et d’hérédité qui existent dans le monde du vivant ont été négligés (Danchin et al. 2011). De même, l’aléatoire et la variabilité intrinsèque de l’expression des gènes avaient difficilement leur place dans l’idée de programmation génétique (Fraser et Kaern 2009)(Silva-Rocha et de Lorenzo 2010).
Évidemment la recherche des sources de diversité si favorable à la survie des espèces a subit le même biais. Ainsi, la capacité d’adaptation du vivant se réduirait, à court terme, à la régulation de l’expression génétique en réponse à l’environnement, puis, à plus long terme, à l’émergence d’une variation du code génétique qui procure un avantage sélectif.
La stratégie évolutive de « bet hedging », minimisation des risques, consiste au contraire à entretenir, à tout moment, une diversité sans relation avec l’environnement présent. Certains variants peuvent permettre la survie en cas de changement environnemental. Il s’agit alors de la survie du génome ou de la population qui est assurée et non plus celle de l’individu. De nombreuses validations théoriques de cette stratégie depuis les années 70 (Seger et Brockmann 1987) ont précédé les validations expérimentales. En 2009, Beaumont et al. ont montré l’émergence d’une stratégie de « bet-hedging » dans une expérience d’évolution dirigée. Ils ont appliqué à une population des changements d’environnement répétés, combinés à un fort rétrécissement de la population (Beaumont et al. 2009). Un mécanisme de bet-hedging apparaît dans deux lignées sur douze.
Dans cette partie, nous nous sommes intéressés à un système simple de « bet-hedging » avec deux états phénotypiques accessibles. Il s’agit de valider notre approche expérimentale pour la mesure de la diversité phénotypique sur un système simple. Nous avons cherché à montrer, par l’expérience et grâce à notre dispositif de phénotypage, comment la compétition entre les phénotypes et les transitions aléatoires de l’un vers l’autre régissent la dynamique de population dans différents environnements. Nous verrons qu’ils permettent à la colonie de s’adapter à son environnement alors que le système de régulation ne répond à aucun signal environnemental. Nous illustrerons également que la variation de phase permet de préserver la fonction dans un environnement où elle représente un coût sélectif, un désavantage, dont il vaudrait donc mieux se défaire.
Nous présenterons d’abord la variation de phase du gène antigen43 (ag43), le système modèle que nous avons étudié. Puis, nous détaillerons comment le dispositif de phénotypage présenté au chapitre précédent nous a permis de suivre la dynamique de population de deux phénotypes associés au gène ag43 sans introduire de gène rapporteur spécifique. Enfin, nous présenterons les résultats obtenus sur la dynamique de population dans différentes conditions. Ils mettent en évidence la compétition intra-clonale et mesurent les avantages sélectifs associés.

Variation de phase du gène ag43 : état de l’art

Nous souhaitons étudier un système de diversification phénotypique simple ainsi que la stratégie de bet-hedging. Afin d’avoir de bons repères nous avons choisi de travailler sur une source connue et documentée de variabilité chez E. coli : la variation de phase du gène ag43. Nous allons présenter le phénomène de variation de phase avant de décrire en particulier le cas du gène ag43. Enfin, nous exposerons les techniques utilisées jusqu’à aujourd’hui pour étudier ce mécanisme.

Variation de phase

La variation de phase a été observée dès 1922 par Andrewes. Il décrit une « salmonelle diphasique » qui est présente sous deux états d’agglutination différents (Andrewes 1922). Depuis, de nombreux autres systèmes ont été décrits pour une grande variété d’espèces (Henderson, Owen, et Nataro 1999). Les phénotypes sujets à des variations de phase sont la motilité, qui se rapporte aux mouvements, la synthèse de structures extra-membranaires ou la production d’antifongique. Une variation de phase est un mécanisme qui produit, à partir d’un seul génome, des états phénotypiques distincts partiellement héréditaires. Ces différents états permettent généralement l’adaptation à différentes niches ou d’échapper à une menace. La variation sur certains traits antigéniques peut ainsi permettre d’échapper au système immunitaire d’un organisme hôte. Dans ce cas, il s’agit plus précisément d’une variation antigénique. La variation de phase permet de passer d’un état phénotypique à un autre, généralement de manière réversible. L’idée de « switch », ou d’interrupteur phénotypique, rend cette idée d’aller retour entre deux états.
Un réseau de régulation bistable (Chapitre 1 Ingrédients de l’adaptatibilité), peut créer deux états phénotypiques différents qui peuvent être hérités (Veening, Smits, et Kuipers 2008). Cette bistabilité n’est pas considérée comme appartenant aux variations de phase (Dubnau et Losick 2006) bien qu’elle constitue un système tout à fait équivalent. Cette distinction peut se justifier par les mécanismes moléculaires différents qui sont à l’œuvre, mais elle est surtout historique et communautaire.
Enfin, la variation de phase est définie par les bornes imposées aux probabilités, ou fréquences, de transition entre les états phénotypiques. Cette grandeur rend compte des chances, pour une bactérie, de passer d’un état à l’autre. Elle est exprimée par unité de temps ce qui en fait une fréquence. Tout d’abord, chaque phénotype d’une variation de phase doit être au moins partiellement héréditaire. Cela signifie que la fréquence de transition doit rester faible par rapport à la fréquence de reproduction du microorganisme considéré : 10-1 ou 10-2 par cellule par génération. Ainsi, la descendance a de grande chance d’avoir le même phénotype et de le conserver pour quelques générations. Ensuite, la probabilité de transition doit être supérieure à celles de mutations aléatoires de l’ADN. Elle est donc supérieure à 10-6 par cellule par génération (Van Der Woude et Bäumler 2004). Le mécanisme de variation de phase peut être génétique. Il fait alors intervenir des modifications de la séquence ADN qui sont favorisées, c’est à dire qu’elles se produisent plus souvent que les autres mutations (Chapitre 1 « Points chauds »). Un mécanisme qui ne modifie pas la séquence de l’ADN est dit épigénétique (Casadesus et Low 2006). C’est le cas de la variation de phase du gène ag43 que nous allons étudier.

Identification et comptage des phénotypes

Comme nous l’avons vu dans la présentation d’ag43, la variation de phase est observable grâce à la différence de morphologie des colonies sur boîte de Petri. Il est donc possible de comptabiliser le nombre de colonies de chaque type et d’en déduire la composition phénotypique de la population inoculé sur la boîte. En effet, la morphologie de la colonie est déterminée par la bactérie ancestrale unique tant que les fréquences de transitions sont faibles car son phénotype reste majoritaire.
Il serait possible de suivre la dynamique de population des phénotypes en identifiant les morphologies. En pratique, distinguer les morphologies n’est pas évident et donc pas très précis. Pour palier à ce problème, les équipes qui se sont intéressées à la variation de phase ont eu recours à des constructions génétiques pour avoir un rapporteur de l’état d’expression du gène ag43. Ce rapporteur convertit l’état ON ou OFF en une information facile à lire. On peut remplacer la séquence codante d’ag43 par celle d’une protéine fluorescente dont l’expression devient alors régulée par le domaine de régulation d’ag43 (Figure 3-4 A) (Lim et van Oudenaarden 2007). Un autre rapporteur couramment utilisé est le gène lacZ qui code pour l’enzyme β-galactosidase (Chauhan et al. 2013). L’expression du gène peut être révélée en introduisant un substrat chromogénique dans le milieu. L’hydrolyse de ce substrat par la β-galactosidase libère un composé coloré. Le plus utilisé est appelé X-gal et donne une couleur bleu (Figure 3-4 B).

Fréquences de transition

La fréquence de transition est une probabilité par unité de temps que l’on assimile à une fréquence. Elle ne décrit pas des événements régulièrement distribués dans le temps mais un nombre moyen d’événements par unité de temps. Dans la suite, nous utiliserons deux unités de temps : la génération, le temps entre deux divisions cellulaire, ou la seconde. La génération est souvent utilisée comme unité de temps car elle est pertinente pour décrire une dynamique de population, mais aussi parce que certains mécanismes de transition dépendent effectivement du cycle cellulaire. Nous préférerons, à certains moments, utiliser la seconde comme unité de temps, pour pouvoir comparer des situations où le temps de génération n’a pas de sens évident. Pour une conversion de l’un à l’autre, on considère un temps de génération de 25 minutes soit 1500 secondes. Enfin, cette fréquence, ou probabilité, s’applique au génome de chaque individu. On ajoute donc la précision «par génome » car elle donne du sens bien qu’elle ne soit pas nécessaire.

Phénotypage d’ag43 en millifluidique

Nous avons présenté la variation de phase du gène ag43 que nous souhaitons étudier comme modèle d’une stratégie de « bet-hedging ». Les techniques couramment utilisées pour identifier les états phénotypiques du gène ag43 nécessitent l’introduction d’un système rapporteur. Pour étudier la dynamique de population des deux phénotypes nous souhaitons éviter tout biais. En effet, en introduisant un gène rapporteur l’un des états phénotypiques se trouve désavantagé car il exprime une fonction qui est inutile pour la croissance ou la survie, puisqu’elle ne sert qu’à l’expérimentateur. Dans notre cas, le gène yfp introduit dans le chromosome, pour suivre la croissance par fluorescence, est totalement indépendant du gène ag43 et représente donc strictement le même fardeau sélectif pour les deux états phénotypique du gène ag43. Nous avons exploité le signal récolté dans notre outil millifluidique de phénotypage pour identifier les deux phénotypes.

Discriminer les états phénotypiques

Comme lors de la croissance sur boîte de Petri, il est probable que le phénotype de l’ancêtre unique encapsulé détermine et modifie significativement la signature de la colonie dans la goutte. Nous analysons les courbes temporelles de fluorescence acquises pour chaque bioréacteur comme décrit au chapitre précédent. Les courbes acquises pour le phénotype Ag43 ON sont très différentes de celles obtenues pour ag43 OFF (Figure 3-6). La signature du phénotype est simple et quantitative, elle nous permet de dénombrer les phénotypes dans la population analysée.
Dans notre dispositif de détection, le champ d’excitation est plus petit que la goutte (Figure 3-6) : la mesure devient très variable si la distribution des bactéries n’est pas homogène dans la goutte. À chaque passage devant le détecteur, la biomasse d’une goutte, c’est-à-dire l’ensemble des bactéries de la goutte, peut être répartie différemment et la quantité qui passe dans le champ d’excitation varie. Le signal de fluorescence mesuré dépend donc de la répartition dans la goutte. La mesure est sensible aux hétérogénéités de densité de bactéries dans la goutte. On peut quantifier cette hétérogénéité grâce aux valeurs enregistrées à chaque passage dans le plateau de la courbe de fluorescence. En effet, au niveau du plateau la biomasse totale dans la goutte est constante. Si la répartition de la biomasse est différente d’un passage à l’autre, la fluorescence mesurée peut varier très fort autour d’une valeur moyenne constante. En revanche, si la biomasse est idéalement distribuée, la mesure sera à chaque fois identique. Par conséquent, en calculant l’écart type de la collection de mesures faites dans le plateau de la courbe de fluorescence, on obtient une valeur numérique qui quantifie l’hétérogénéité de la distribution de biomasse dans la goutte.
Nous avons vu que le gène ag43 induit l’auto-adhésion des bactéries lorsqu’il est exprimé. Des agrégats peuvent donc se former. Si une bactérie Ag43 ON est encapsulée, la colonie qui se développe forme essentiellement un agrégat car, après la division, les bactéries restent collées. L’hétérogénéité dans la goutte est donc très grande. À l’inverse, une colonie initiée par un individu Ag43 OFF est très majoritairement planctonique, donc uniformément distribuée dans la goutte. Il y a bien une signature du phénotype encapsulé dans le signal mesuré pour sa descendance. On peut discriminer les gouttes suivant les fluctuations constatées dans le plateau final de la courbe et déterminer ainsi la composition phénotypique de la population encapsulée (Figure 3-6).

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Table des matières

CHAPITRE 1 ADAPTATION : L’ENJEU DE LA DIVERSITÉ
1.1 THÉORIES DE L’ÉVOLUTION : DARWIN, LAMARCK ET LA NOTION D’ADAPTATION
1.1.1 Lamarck
1.1.2 Darwin
1.1.3 Lamarckisme et Darwinisme
1.1.4 Le verdict du début du XXe siècle
1.1.5 Hérédité non-génétique : l’épigénétique
1.2 LA BOÎTE À OUTILS DE L’ADAPTATION DE LA BACTÉRIE E. COLI
1.2.1 Présentation de la bactérie E. coli
1.2.1.1 Bactéries
1.2.1.2 Multiplication et expression des gènes
1.2.1.3 Escherichia coli
1.2.2 Les ingrédients de l’adaptabilité.
1.2.2.1 Adaptation et adaptabilité
1.2.2.2 Mécanismes de diversification
1.2.2.3 La diversification non-génétique
1.2.2.4 La diversification génétique
1.3 APPROCHES EXPÉRIMENTALES DE L’ADAPTATION ET DE LA DIVERSITÉ
1.3.1 L’apport d’outils expérimentaux quantitatifs
1.3.2 Évolution expérimentale sur les micro-organismes
1.4 CONCLUSION
CHAPITRE 2 OUTIL DE PHÉNOTYPAGE EN MILLIFLUIDIQUE DIGITALE
2.1 VERS LA MILLIFLUIDIQUE DIGITALE
2.1.1 Microfluidique
2.1.2 Microfluidique diphasique ou digitale
2.1.3 Millifluidique digitale
2.2 LE DISPOSITIF MILLIFLUIDIQUE POUR LE PHÉNOTYPAGE
2.2.1 Fabrication des micro-bioréacteurs
2.2.1.1 Formation de gouttes
2.2.1.2 Physico-chimie et choix des matériaux
2.2.1.3 Gradients de composition
2.2.2 Incubation et manipulation du train de gouttes
2.2.3 Tri et distribution des gouttes
2.3 MESURE DANS LES BIORÉACTEURS
2.3.1 La bactérie MC4100 YFP
2.3.2 Mesure de fluorescence
2.3.3 Acquisition du signal de fluorescence
2.4 ANALYSE DES DONNÉES
2.4.1 Conditions de culture, calibration et seuil de détection
2.4.2 Encapsulation et inoculum
2.4.2.1 Encapsulation simple
2.4.2.2 Co-encapsulation
2.4.3 Analyse des courbes de croissance
2.5 CONCLUSION
CHAPITRE 3 DYNAMIQUE DE POPULATION DE LA VARIATION DE PHASE DU GÈNE AG43
3.1 VARIATION DE PHASE DU GÈNE AG43 : ÉTAT DE L’ART
3.1.1 Variation de phase
3.1.2 Le gène ag43
3.1.3 Identification et comptage des phénotypes
3.1.4 Fréquences de transition
3.2 PHÉNOTYPAGE D’AG43 EN MILLIFLUIDIQUE
3.2.1 Discriminer les états phénotypiques
3.2.2 Vérifier le rôle d’ag43
3.2.2.1 Western Blot
3.2.2.2 Analyse protéomique LC-MS2
3.2.2.3 Immunofluorescence
3.3 DYNAMIQUE PHÉNOTYPIQUE D’UNE POPULATION CLONALE
3.3.1 Contribution de la variation de phase
3.3.1.1 Protocole
3.3.1.2 Détermination des fréquences de transition
3.3.1.3 Croissance en milieu homogène
3.3.1.4 Famine en milieu homogène
3.3.2 Compétition intra-clonal
3.3.2.1 Dynamique de population en milieu statique
3.3.2.2 Modèle incluant la compétition
3.3.2.3 Colonisation de niche et préservation de fonction
3.4 CONCLUSION
CHAPITRE 4 ADAPTATION À UNE FAIBLE CONCENTRATION D’AMPICILLINE
4.1 INTRODUCTION
4.1.1 Contexte
4.1.2 Objectifs
4.1.3 Méthode expérimentale
4.2 ADAPTATION À UNE FAIBLE CONCENTRATION D’ANTIBIOTIQUE
4.2.1 Ajuster le défi adaptatif
4.2.2 Résistance à l’antibiotique acquise par la population
4.3 DYNAMIQUE PHÉNOTYPIQUE DE LA POPULATION
4.3.1 La population initiale
4.3.2 Apparition de diversité
4.3.3 Relaxation en milieu permissif
4.4 ANALYSE DES PHÉNOTYPES.
4.4.1 Analyse de la fluorescence du phénotype isolé
4.4.2 Résistance à l’ampicilline des classes phénotypiques
4.5 CONCLUSION
CHAPITRE 5 DYNAMIQUE DE POPULATION PENDANT LA PHASE STATIONNAIRE
5.1 LA PHASE « STATIONNAIRE »
5.2 PRÉSENTATION DE L’EXPÉRIENCE
5.2.1 Cultures en phase stationnaire
5.2.2 Dynamique globale de population
5.2.3 Modification de l’environnement
5.2.4 Croissance dans l’environnement modifié
5.3 RÉSULTATS DE L’ANALYSE PHÉNOTYPIQUE
5.3.1 Phénotype initial et identification de la diversité
5.3.2 Diversification dans l’environnement homogène
5.3.3 Diversification dans l’environnement hétérogène
5.3.4 Convergence vers un phénotype ?
5.3.5 Dynamiques variables et divergence
5.3.6 Relaxation en croissance exponentielle
5.4 CONCLUSION
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE

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