En 1498 paraissait à Venise la première traduction latine de la poétique d’Aristote. Au cours du XVIe siècle, cette Poétique est plusieurs fois rééditée en Italie, avec des notes qui cherchent à l’éclaircir. D’ailleurs, les commentaires qu’en font les théoriciens italiens, notamment Lodovico, Castelvetro , réalisent ce tour de force de dégager un « art », une somme de préceptes, d’un traité tout philosophique où le poème est étudié aussi objectivement qu’un être.
Ce sont notamment les ouvrages de Castelvetro et de Scaliger qui ont alimenté en France les réflexions et discussions d’où est sortie, aux environs de 1650, l’esthétique classique, en général. Et Chapelain a été un principal artisan de cette esthétique. Ainsi, Il en a donné un exposé d’ensemble, mais sa parole qui était d’une très grande autorité, sa correspondance abondante, les écrits que lui inspiraient au jour le jour les événements littéraires, en répandaient et en imposaient les principes. Il parle, écrit, lit, et conseille à ses amis de lire tous les auteurs italiens « qui ont traité excellemment toutes les sciences et qui nous ont laissé en toutes matières de quoi nous entretenir délicieusement ».
Ainsi, vers 1640, dans le cercle de Richelieu, l’abbé d’Aubignac avait mis sur le chantier sa Pratique du théâtre à laquelle, le cardinal portait un vif intérêt. Ce traité ne parut pourtant qu’en 1657. On y trouve exposés avec beaucoup de méthodes et de forces, les préceptes qui touchent à l’esthétique que les érudits avaient dégagés de la Poétique d’Aristote. Les exposés d’ensemble que nous avons de l’esthétique classique ont été rédigés à une époque où cette doctrine était fixée depuis longtemps et ne soulevait plus de discussions. En effet, les réflexions sur la poétique d’Aristote de Rapin et l’Art poétique de Boileau vont suivre le même plan. Ils n’ont rien négligé pour que leurs traités en vers plaisent aux honnêtes gens, qui les jugeaient admirables.
Les origines
Les efforts faits par Ronsard, Malherbe et Balzac sur la langue, le vers, le sujet et le style étaient infiniment fructueux, mais insuffisants. Ils étaient dispersés, souvent contradictoires. De ce fait, l’unité morale, sociale et politique de la France du XVIIe siècle demandait son pendant dans le domaine de l’art ; Il fallait donc isoler les indépendants de la littérature et offrir aux écrivains un dogme tout à fait universel qui, répondra à leurs besoins. C’est à quoi s’employèrent une série de doctes dont la plupart, s’ils furent des poètes, ne furent guère des artistes, mais des esthéticiens, studieux et réfléchis. Notons d’ailleurs qu’en fait, c’est de poésie surtout qu’il s’agissait.
La nouveauté de la méthode de ces théoriciens consiste d’abord à ne plus chercher les règles dans les œuvres d’art des anciens, mais dans leurs écrits théoriques mêmes, quitte ensuite à les illustrer et à les justifier par les œuvres.
Le culte d’Aristote
Au milieu de la deuxième moitié du XIIIe siècle, l’aristotélisme rénové était le pilier de la pensée de l’occident. Ceci révèle chez les théologiens une parfaite compréhension de la portée de l’aristotélisme. En France, depuis l’époque de la Renaissance, le domaine de la littérature se fonde sur la Poétique d’Aristote, dans la mesure où il répondait aux exigences de l’époque mais aussi et surtout à ses commentateurs italiens, pour percer le secret des règles qui y sont élaborées. Ses analyses sur la tragédie, et plus généralement sur la représentation en art, gardent toute leur pertinence et leur actualité. En d’autres termes, on peut noter que le texte de base, le code intangible, la source d’inspiration de la littérature classique, d’où sortira, en France au XVIIe siècle, l’essentiel de la doctrine classique est la poétique d’Aristote :
je vais traiter de la poésie en elle-même, de ses espèces, de l’effet que doit produire chaque espèce, et de la manière dont les fables doivent être composées pour avoir la meilleure forme : j’examinerai quelle est la nature des parties et leur nombre ; et enfin je parlerai de tout ce qui a rapport à cet art en commençant selon l’ordre naturel, par les principes .
Elle consiste en des règles codifiées par le théoricien, pour une utilisation technique à la littérature. Autrement dit, c’est au nom d’Aristote que s’instaure le classicisme français car, il est le fondateur de la poésie et l’initiateur d’une certaine manière, en apportant la règle et l’exemple à sa guise. Son autorité dans le domaine des lettres reste incontestée. Sa philosophie transmise d’abord par les commentateurs arabes devient une référence capitale : « Aristote nous présente ainsi la pure formule de l’esprit classique, sont état accompli ; il reconduit ainsi le classicisme de l’examen duquel nous sommes partis à sa source ou à son essence ».
Aristote est connu des lettrés en Italie dès la première moitié du XVIe siècle. En France, les écrivains l’ignoraient complétement jusqu’à 1552. Et c’est à partir de cette date que dans le domaine de la création littéraire tout va commencer notamment avec Jodelle, dans la Cléopâtre captive et Jacques Grévin en 1562 dans la préface de César qui, empruntent à la poétique quelques définitions. Mais, ce n’est qu’au XVIIe siècle qu’Aristote jouit d’un crédit général, dans la mesure où, il n’ait plus un traité théorique, plus une dissertation critique, si courte soit-elle, presque plus une préface qui ne le cite. D’ailleurs Boileau a même structuré son Art poétique à partir de ses préceptes. Tout le monde reconnait son autorité, et accepte sans réserve :
Qu’Aristote même avec sa grande réputation, ni Homère, ni le Tasse, ni Jules Scaliger, ni Vossius, ni tous les autres excellents hommes en ces sortes de connaissances qui les ont suivis, ne sont pas infaillible ; Que chacun qui se trouve né pour les délices des muses et des grâce poétique doit suivre son génie et s’accommode à la portée de son sujet, pourvu qu’il soit bien choisi ; qu’il y faut rechercher une grande variété pour ne pas toujours faire la même chose et que c’est un grand abus de s’imaginer qu’il ne soit besoin que de changer les noms et les aventures des personnes de l’Énéide ou de l’Odyssée pour faire un poème épique .
L’œuvre d’Aristote, ou du moins ce qui nous a été transmis sous son nom est énorme . Sur ce fait, il demeure longtemps la principale ressource des scolastiques et sa Poétique sera la base sur laquelle s’édifiera l’argumentation de la littérature du XVIIe siècle. Son œuvre revêt une très grande importance car, elle fournit le matériel à partir duquel les écrivains de la littérature classique doivent travailler. Elle devient l’instrument et l’expression de la connaissance. Bon nombre d’écrivains voit en lui le premier critique du monde et le maitre infaillible de la poétique : « Il faut que celui qui veut devenir poètes, s’applique à la lecture de la Poétique d’Aristote et celle d’Horace, ensuite il est nécessaire qu’il aille feuilleter leurs commentaires…» .
Le grand penseur, dont l’influence au XVIIe siècle est considérable, a fourni aux auteurs de tragédie de nombreuses techniques, dont le classicisme français fera son profit. Ce sage écrivain leur a enseigné l’art de bien composer les œuvres selon des normes universelles de la beauté et du bon goût, ainsi que les opinions qu’ils devraient avoir des poèmes d’autrui et ce qu’il fallait suivre dans les leur. Ainsi, selon Aron Kibédi Varga : « l’art du XVIIe siècle est toujours synonyme d’imitation » . Il a influencé la réflexion occidentale sur l’art pendant des siècles et a suscité de nombreux débats.
Son œuvre est donc fortement pratique, technique, tout en étant systématique et théorique parce que, certains éléments de sa structure tendent à donner un sens à la fois rationaliste et systématique : Scaliger, par exemple, est parmi les premiers à soutenir que la Poétique est fondée sur la raison et que, par conséquent, on peut en tirer de véritables lois, des préceptes qui permettent de juger tous les types possibles de poésie. Les poètes de ce genre sont marqués par l’aristotélisme, en ce sens qu’ils suivent fidèlement les enseignements de la Poétique. D’ailleurs, le Pape Rapin dira que : « la Poétique est l’unique source d’où il faut prendre les règles quand on se mêle d’écrire » et il sera également rejoint dans cette optique par Jules de La Mesnardière qui, dans sa poétique, lui a fait un éloge remarquable : « […] et même pour y travailler à prés selon les maximes de ce merveilleux philosophe qui nous en a laissé les règles ».
Cependant, à la fin du XVIe siècle, la poétique avait déjà été amplement étudiée, analysée, prolongée surtout et parfois déformée par les critiques italiens. Et c’est justement par-là qu’a été si utile le rôle d’Aristote. Il a servi de trait d’union entre la France et l’Italie. C’est en cherchant Aristote que Chapelain a trouvé Castelvetro. C’est sous le drapeau de l’aristotélisme que l’italianisme a pu pénétrer en France et a pu faire sentir sa féconde influence. Le prestige philosophique d’Aristote fut, ne l’oublions pas aussi, considérable et prépondérant jusqu’au début du XVIIIe siècle ; il était tout naturel de donner force de loi à des préceptes littéraires émis par l’un des plus grands penseurs de l’humanité.
Il faut enfin réserver une place à la foisonnante production théorique des italiens que les auteurs français ont bien connue et y ont puisée abondamment pour constituer la leur.
L’influence des théoriciens italiens
L’esthétique classique s’était formée en France durant la première moitié du XVIIe siècle, sous l’influence d’un mouvement d’idées qui avait commencé dans l’ouest avec la découverte de la Poétique d’Aristote. En se basant sur la Poétique, les commentateurs italiens du XVIe siècle ont créé un système de règles cohérentes. Parmi ceux-là, on peut citer principalement Vida, Scaliger, Castelvetro, qui vont à travers leurs productions, livrer des modèles de créations esthétiques qui éclairent ceux de leurs lointains imitateurs notamment Jean Chapelain, L’abbé d’Aubignac, Scudéry , etc. Mais, c’est Chapelain qui a découvert principalement ces règles dans les ouvrages italiens sur Aristote et qui a réussi à les imposer en France. Non seulement il connait tous les théoriciens italiens mais également tous ses écrits en sont nourris : « Vida, écrit-il à son ami Balzac , un homme qui a fait une poétique où il y a des endroits dignes de l’antiquité », et à Balzac de répondre : « Sa poétique qui m’a plu extrêmement… ».
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE: ORIGINES, PRINCIPES ET RÈGLES DE L’ESTHÉTIQUE CLASSIQUE
Chapitre : Les origines
A. Le culte d’Aristote
B. L’influence des théoriciens italiens
C. L’influence de François de Malherbe
Chapitre II : Les principes
A. La raison
B. La nature
C. L’antiquité
Chapitre III : Les règles
A. La bienséance
B. La vraisemblance
C. Les trois unités
DEUXIÈME PARTIE : LA PRISE EN CHARGE LITTÉRAIRE DE L’ESTHÉTIQUE CLASSIQUE
Chapitre I : Les convergences
A. Avec Jean Racine dans la perfection
B. Avec Molière dans la morale
Chapitre II : Les divergences
A. Avec Jean Chapelain en poésie
B. Avec Pierre Corneille au théâtre
TROISIÈME PARTIE: LA REPRÉSENTATION DE L’ESTHÉTIQUE CLASSIQUE DANS L’ART POÉTIQUE
Chapitre I : Une représentation idéologique
A. Un discours critique
B. Un discours analytique
Chapitre II : Une représentation stylistique
A. La langue
B. La versification
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE