Origines et potentiel évolutif des intercastes chez la fourmi Mystrium rogeri

Le modèle d’évolution par recombinaison développementale

Les origines de la variation en évolution 

La question de l’inné et de l’acquis est une problématique fondamentale en biologie et en évolution. Charles Darwin (1859) a pu proposer un modèle crédible d’évolution des organismes parce qu’il a distingué la part innée des déterminants biologiques, c’est-à-dire ceux qui sont hérités des parents par une transmission obligatoire, de ceux qui sont acquis à l’échelle individuelle et n’ont un effet que sur la génération présente. C’est en discriminant l’héréditaire du non héréditaire qu’on comprend que les variations dans le programme génétique vont être transmises de génération en génération, relativement à l’augmentation ou à la diminution du succès reproducteur qu’elles induisent chez les individus qui les portent. La théorie synthétique de l’évolution des années 1940 a ainsi formalisé la distinction entre les différents déterminants du phénotype d’un individu par la relation « P = G + E ». Autrement dit, le phénotype (P) est le produit du développement de l’organisme suivant les instructions du génome (G) hérité de ses parents, dans un environnement donné (E) acquis par l’individu. Comme les déterminants génétiques et environnementaux varient d’un individu à l’autre, à l’échelle de la population, on peut dériver la formule ainsi : Var(P) = Var(G) + Var(E) (Encart 1). Seule l’information génétique étant transmissible, seul l’apport de variation génétique est susceptible d’être filtré par la sélection naturelle de génération en génération, et va de ce fait influencer l’évolution. La sélection stabilisante (c.-à-d. la contresélection des phénotypes trop éloignés de la valeur optimale pour un caractère donné) va se traduire soit par l’élimination des déterminants génétiques qui produisent des phénotypes inadaptés soit par le développement de mécanismes de canalisation génétique (cf. Encart 2) qui va rendre cette variation délétère silencieuse. L’environnement est alors plutôt considéré comme une source de bruit aléatoire vis-à-vis duquel le génome n’a de cesse d’augmenter la robustesse de ses programmes pour en atténuer les effets sur le phénotype. L’ensemble des mécanismes qui permettent au développement de résister à une partie de la variation environnementale pour produire des phénotypes stabilisés autour des valeurs de trait optimales est appelé la canalisation environnementale (Debat and David 2001) (Cf. Encart 2).

Décomposition de la variation phénotypique 

La variation d’origine génétique correspond à la variation induite par la diversité des génomes au sein d’une population. Elle se divise en deux composantes : une composante additive (Ga) correspondant à la partie héritable de la variation (héritabilité), et une composante de dominance (Gd), non héritable, qui correspond à l’interaction entre les différents allèles et les relations épistatiques entre locus. La variabilité génétique a pour source les différents processus de mutation aléatoire, duplication/insertion de fragments de génome, et de recombinaison (Barton and Keightley 2002; David and Samadi 2011).

Des individus génétiquement identiques produits dans des environnements différents aboutissent à des phénotypes différents. Cette variation est dite environnementale (E). Elle correspond à la plasticité phénotypique. Tous les génotypes n’ont pas la même sensibilité vis à vis de la variation de l’environnement et peuvent ainsi présenter des normes de réactions différentes. La variation entre les normes de réaction des différents génotypes correspond à l’interaction entre les variations génétiques et environnementales (GXE) (Debat and David 2001; Whitman and Agrawal 2009).

Les expérimentations en laboratoire montrent que même pour des lignées d’individus génétiquement identiques élevées dans des conditions environnementales contrôlées, il y a une variation phénotypique interindividuelle(Varintra). Elle est issue de perturbations aléatoires affectant les processus physiologiques cellulaires, la communication entre cellules ou leurs taux de croissance, de division et d’élongation. Ce type de variation se traduit notamment par de l’asymétrie fluctuante (différences aléatoires entre le côté gauche et le côté droit des organismes bilatériens) (Møller and Swaddle 1997).

Cependant, les avancées de la génétique évolutive du développement tendent à nuancer cette vision « génocentrique » et suggèrent que les facteurs environnementaux et développementaux peuvent avoir des implications importantes en évolution. En effet, les influences des gènes et de l’environnement sont inextricablement liées dans la production d’un phénotype par le biais du développement. Les effets conjoints des gènes et de l’environnement sont particulièrement évidents dans les cas de plasticité phénotypique. La plasticité phénotypique est la faculté d’un génotype à produire différents phénotypes en réponse à des facteurs environnementaux différents (Debat and David 2001; Whitman and Agrawal 2009). Plasticité phénotypique et dé-canalisation environnementale (l’inverse de la canalisation environnementale) sont donc des concepts interchangeables (Debat and David 2001). Il s’agit d’une caractéristique fondamentale du vivant qui se retrouve chez tous les organismes, du simple fait que l’ensemble des contraintes physiques et chimiques auxquelles sont confrontés les organismes au cours du développement affecte à des échelles variées les réactions moléculaires, les processus cellulaires et l’ontogénie des différents tissus (Sultan 1992). Au cours de l’évolution, cette plasticité, qui au départ n’est qu’un simple effet secondaire non adaptatif des processus biologiques a été assimilée au programme développemental des organismes en tant que réponse adaptative, par le biais d’une sensibilité des processus développementaux à des facteurs environnementaux spécifiques. Parmi les exemples classiques de plasticité phénotypique, on peut citer la capacité des végétaux à ajuster le développement du système aérien et racinaire en fonction de la disponibilité des ressources (Fig. 1.1) (Sultan and Bazzaz 1993; Sultan 2003), l’augmentation compensatoire de la taille du tube digestif en réponse à un appauvrissement de la qualité nutritive du milieu chez une espèce de criquet (Yang and Joern 1994), les différences saisonnières de patrons alaires de certaines espèces de papillons en réponse à la température de leur milieu (Windig 1994) et le développement des individus selon des castes morphologiques différentes chez les hyménoptères sociaux en fonction des conditions d’élevage des larves (Oster and Wilson 1978; Wheeler 1986). La plasticité phénotypique permet ainsi une adaptation à des environnements hétérogènes en leur associant des phénotypes alternatifs (Stearns 1989; Schlichting and Pigliucci 1998). La plasticité phénotypique est susceptible d’influencer le cours de l’évolution des organismes de différentes façons. En permettant aux individus de s’adapter en une seule génération elle va très fortement influencer leur capacité de survie lors de changements brutaux de l’environnement, et ce en fonction de l’intensité et de la direction (c.-à-d. la gamme des phénotypes produits) de la plasticité phénotypique (c.-à-d. le “Baldwin effect”; Baldwin 1896, 1902; Crispo 2007). D’autre part, comme elle permet de compenser les effets  de la variation génétique par une réponse plastique adaptative, certains gènes vont être soumis à une pression de sélection relâchée, favorisant l’accumulation de variation génétique non exprimée (Sangster et al. 2004; Lahti et al. 2009; Van Dyken and Wade 2010). Cette variation génétique cryptique pourra alors être impliquée ultérieurement dans l’adaptation à de nouvelles conditions environnementales (Moczek 2008; Pfennig et al. 2010).

L’influence des facteurs environnementaux dans le cours de l’évolution n’implique en aucun cas l’hérédité des caractères acquis. Elle est possible parce que la plasticité phénotypique repose sur des voies développementales comprenant des bases génétiques qui peuvent répondre à la sélection. Ces bases génétiques sont particulièrement mises en évidence dans le phénomène d’assimilation génétique (Encart 2). Une découverte importante de Waddington (1942, 1953) montre en effet que, s’ils sont sélectionnés, certains traits induits par des facteurs environnementaux peuvent secondairement être assimilés dans le répertoire développemental des organismes. Au bout de quelques générations de sélection, ils peuvent être exprimés chez tous les individus, même en l’absence des facteurs environnementaux initiaux. Le mécanisme sous-jacent à ce type d’évolution est appelé assimilation génétique. L’explication de ce phénomène est que la perturbation environnementale a pour effet de faire s’exprimer dans le phénotype une partie de la variation génétique qui n’était pas exprimée dans les conditions initiales et ainsi de la soumettre à la sélection naturelle. Si la perturbation environnementale perdure assez longtemps pour qu’il y ait une sélection sur plusieurs générations, et que les nouveaux phénotypes associés sont bénéfiques, alors les allèles qui ont des effets quantitatifs conjoints sur la stabilisation de l’expression de ces nouveaux phénotypes vont être sélectionnés. Il s’agit en fait d’un réajustement de la canalisation autour d’une nouvelle valeur de trait. Des études ont par la suite donné d’autres exemples d’assimilation génétique et démontré son importance en évolution (Pigliucci et al. 2006; Suzuki and Nijhout 2006; Crispo 2007). De manière plus générale, cet ajustement de la canalisation autour de nouvelles valeurs de traits peut également accompagner la déstabilisation des phénotypes suite à des perturbations génétiques (p.ex. mutations). On parle alors d’accommodation génétique (Nijhout and Suzuki 2008; Suzuki and Nijhout 2008).

Les origines de la nouveauté en évolution 

La définition de la nouveauté en évolution est une problématique difficile (Gould 2002). Comment concilier la notion de nouveauté, qui implique un aspect du phénotype qui n’était pas présent chez les ancêtres immédiats, avec un cadre théorique basé sur la descendance avec modification ? Où commence la nouveauté le long d’une série de modifications graduelles ? On aurait pu penser s’en sortir en écartant les caractères pour lesquels on trouve un état homologue chez les ancêtres. Cependant pour une innovation aussi évidente que les différents types d’yeux qui furent longtemps considérés comme des cas d’apparition indépendantes chez divers taxons (Land and Fernald 1992), on sait maintenant qu’ils sont tous issus de l’exploitation de gènes et de circuits de régulation déjà présents chez un ancêtre commun (Gehring and Ikeo 1999). D’autres cas d’« homologies profondes » (cf. « deep homology concept » ; Shubin et al. 2009) concernant les membres des tétrapodes ou certains appendices chez les arthropodes (Prud’homme et al. 2011) montrent que l’évolution procède en recyclant le matériel issu des évolutions passées (Jacob 1977; Shubin et al. 2009; Moczek 2011). West-Eberhard (2003) parle alors d’évolution combinatoire pour décrire la réorganisation du phénotype, certaines parties pouvant être exprimées plusieurs fois au cours du développement ou perdues indépendamment du reste de l’organisme (Raff 1996). L’évolution combinatoire est rendue possible par la modularité des organismes.

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Table des matières

I- CONTEXTE GENERAL
Les origines de la variation en évolution
Les origines de la nouveauté en évolution
Evolution de nouvelles castes par recombinaison développementale
II-ORIGINES DEVELOPPEMENTALES DES INTERCASTES
Abstract
Introduction
Material and Methods
Collection
Digitalization
Queen-likeness index calculation
Reaction norms / variation norms
Allometry
Results
Queen-likeness indexes
Mosaicism
Shape of variation norms
Discussion
Tables
Acknowledgments
III- VARIABILITE COMPORTEMENTALE DES INTERCASTES
Introduction
Material and Methods
Biological material
Behavioral data
Multivariate analyses of location and task
Specialization calculation
Dominance scores
Gyne, worker and intercaste comparisons
Results
Behavioral profiles
Behavioral specialization
Dominance hierarchy
Discussion
Figures
Tables
Acknowledgments
Données complémentaires
IV- POTENTIEL EVOLUTIF DES PHENOTYPES INTERCASTES
Introduction
Matériel et méthodes
Matériel biologique
Tests d’accouplements
Suivi de la ponte d’une intercaste
Dissections
Résultats
Tests d’accouplements
Suivi de la ponte de l’intercaste accouplée et observations
Taille de la spermathèque, nombre d’ovarioles et d’oocytes
Discussion
V- DISCUSSION
VI- CONCLUSIONS GENERALES

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