Historiquement perรงu comme un moteur de croissance, des doutes sโinstallent sur la capacitรฉ du capital-investissement ร soutenir une croissance pรฉrenne et vertueuse. Cette classe dโactif, loin dโรชtre homogรจne, revรชt actuellement une pluralitรฉ de pratiques qui laisse ร supposer des influences variรฉes sur la croissance. Ces deux constats soulรจvent dรฉjร une sรฉrie de questions : lโindustrie du capital-investissement a-t-elle effectivement soutenue la croissance ? Quelle est la forme de croissance visรฉe aujourdโhui ? Les modรจles classiques du capital-investissement permettent-ils de la soutenir ?
Le capital-investissement regroupe aujourdโhui une myriade dโacteurs organisรฉs en segments dโinvestissement donc les limites ne sont pas stabilisรฉes. Pour rรฉussir ร saisir le lien entre capitalinvestissement et croissance, nous commenรงons donc par en rรฉaliser une gรฉnรฉalogie. Le premier chapitre trace ainsi lโรฉmergence et lโessor de trois grands modรจles de capital-investissement. Nous montrons quโhistoriquement, cette industrie semble intimement liรฉe aux problรฉmatiques de croissance des entreprises.
Toutefois, dโun point de vue acadรฉmique, le lien entre capital-investissement et croissance reste confus, notamment faute dโune modรฉlisation claire de la croissance. Le second chapitre sโappuie sur les travaux issus des recherches en gestion de lโinnovation pour proposer un modรจle alternatif de croissance susceptible de rรฉpondre aux enjeux contemporains. Ce modรจle permet de sโaffranchir des approches quantitatives classiques, et en particulier basรฉes sur les seuls indicateurs accessibles dans les bases de donnรฉes existantes. Il introduit une dimension clรฉ : la rรฉgรฉnรฉration.
Lโindustrie du capital investissement, qui rรฉunit les investisseurs prenant des participations au capital dโentreprises non cotรฉes (France Invest) , est aujourdโhui perรงue comme un acteur incontournable du financement de la croissance. Il sโagit pourtant dโune industrie rรฉcente qui regroupe, sous une mรชme classe dโactifs, une diversitรฉ de pratiques dโinvestissement qui ont รฉmergรฉ ร partir du milieu du 20รจme siรจcle.
Face au foisonnement des pratiques actuelles du capital-investissement, nous cherchons, dans ce premier chapitre, ร tracer les principaux modรจles de capital-investissement et leur interaction avec les enjeux de croissance et dโinnovation. Nous commenรงons donc par explorer les conditions dโรฉmergence du capital-investissement. Nous constatons quโelles reposent sur deux dimensions clรฉs : le soutien รฉtatique et une innovation financiรจre. Puis nous รฉtudions lโรฉmergence de deux outils de gestion distinct : le capital-risque, qui comble une faille de marchรฉ sur lโoffre de financement et le buyout qui palie ร une dรฉfaillance de gestion limitant un potentiel de croissance. Nous les caractรฉrisons ร partir du cadre dโanalyse des outils de gestion proposรฉ par Hatchuel et Weil (Hatchuel and Weil 1992). Enfin, nous montrons que lโindustrie du capital investissement sโest structurรฉ autour du cycle de vie de lโentreprise.
Lโรฉmergence du capital-investissement
De nombreux articles de recherche retracent aujourdโhui les grandes รฉtapes de lโessor du capital investissement moderne ร partir de la Seconde Guerre Mondiale. Il nโen va pas de mรชme pour ses origines qui รฉclairent pourtant les diffรฉrents modรจles actuels (Demaria 2013). Lโindustrialisation de lโinvestissement en fonds propres, remonte ร moins dโun siรจcle. Toutefois, lโinvestissement de grรฉ ร grรฉ est une pratique sรฉculaire tant pour la crรฉation que le dรฉveloppement ultรฉrieur dโune entreprise.
La prise de participation est longtemps restรฉe marginale car le risque associรฉ ร un investissement en actions dรฉpassait largement les rendements espรฉrรฉs. La dette a donc occupรฉ une place prรฉรฉminente dans lโhistoire des sources de financement. Deux conditions liรฉes ร la forme juridique et ร lโaccessibilitรฉ de lโinformation sur lโentreprise en restreignaient lโessor (Colin 2016). Dโune part, la forme sociale impliquait la responsabilitรฉ illimitรฉe des associรฉs, les contraignant originellement aux pertes รฉventuelles sur leur patrimoine personnel. Au dรฉbut du 19รจme siรจcle, lโapparition de sociรฉtรฉs ร responsabilitรฉ limitรฉe comme la sociรฉtรฉ anonyme rรฉglementรฉe pour la premiรจre fois par le Code de commerce en France en 1807 (ou par le Limited Liability Act au Royaume-Uni en 1855) dans lesquelles les associรฉs ne ยซ supportent les pertes qu’ร concurrence de leurs apports ยป a rรฉduit drastiquement le risque liรฉ ร une prise de participation. Cette limitation de la responsabilitรฉ ; et notamment des pertes financiรจres, a induit un relรขchement des contraintes sur laย des informations nรฉcessaires ร un investissement et sur le contrรดle ร posteriori. Dโautre part, alors quโร รฉchรฉance dรฉterminรฉe, une dette est due avec ses intรฉrรชts prรฉfixรฉs, une prise de participation requiert lโexistence de systรจmes dโinformation internes sur lโentreprise permettant de suivre les coรปts et distribuer les bรฉnรฉfices รฉventuels. De plus, comment dรฉterminer la valeur dโune entreprise et la part due au nouvel associรฉ ? Le systรจme historique, basรฉ sur la confiance, souffrait dโune difficultรฉ matรฉrielle ร dรฉterminer prรฉcisรฉment le taux de profit. Le dรฉveloppement conjoint de la finance et de la technologie a vu รฉclore ร partir de la rรฉvolution comptable de la fin du 15รจme siรจcle et du traitement en partie double, toute une sรฉrie dโinnovations financiรจres qui ont permis dโallรฉger cette contrainte (Laeven, Levine et al. 2014).
Il existe une exception historique majeure ร cette prรฉdominance du financement par dette, celle des expรฉditions maritimes. Nรฉ de la nรฉcessitรฉ de partage des risques particuliรจrement รฉlevรฉs, le ยซ prรชt ร la grosse aventure ยป a permis aussi bien le financement du commerce maritime ร partir de la Grรจce antique que celui des grandes expรฉditions de la Renaissance. Quelques riches individus parient alors sur des entreprises ร haut couple risque-gain. Ce nโest pas un hasard si cette forme de prise de participation est apparue en premier dans le domaine maritime. En effet, celui-ci possรฉdait ses propres rรจgles de responsabilitรฉ (rรจgle des avaries communes) et systรจmes dโinformation (contrรดle conjoint de la marchandise par le capitaine et lโรฉquipage).
Au dรฉbut du 19รจme siรจcle, simultanรฉment ร la levรฉe de cette double contrainte lรฉgale et informationnelle, et au dรฉveloppement du marchรฉ des actions, les prรฉmices de pratiques sousjacentes au capital investissement commencent ร voir le jour aux Etats-Unis. Se mettent alors en place progressivement un รฉcosystรจme dโacteurs et des philosophies gestionnaires au fondement des pratiques ultรฉrieures. Lโintensification des รฉchanges commerciaux engendre lโapparition dโun nouvel acteur financier, la banque dโinvestissement (investment bank) et la transformation de lโactivitรฉ de ยซ marchand-banquier ยป (banque dโaffaire ou merchant bank). Le premier sert ร lโorigine de fonction support en prenant en charge les activitรฉs de conseil, dโintermรฉdiation et dโexรฉcution dโopรฉrations liรฉes au capital telles quโintroduction en bourse, รฉmission de dette, fusion et acquisition. Ces banques telles que la pionniรจre Alex Brown & Sons (Brown 1909), se tournent ensuite vers les marchรฉs de change et sโappuient sur des banques de dรฉpรดt (commercial bank) pour augmenter leur capacitรฉ dโinvestissement. Les banques dโaffaires, au dรฉpart spรฉcialisรฉes dans le commerce international, sโouvrent quant ร elles ร lโassurance et au placement de dettes grรขce aux ressources financiรจres dรฉgagรฉes de dรฉlais de paiement accordรฉs par certains de leurs fournisseurs ou clients. Quelques associรฉs, entrepreneurs ou riches industriels, fondent, donnent leur nom et dirigent ces institutions รฉponymes principalement installรฉes ร Londres et ร New York.
Modรจles du capital-investissement moderne
Une premiรจre rupture sโopรจre lors de la Seconde Guerre mondiale. Naรฎt alors aux Etats-Unis un nouveau modรจle dโinvestissement, le capital-risque ou ยซ venture capital ยป en anglais. Il sโagit de financer une entreprise en phase de crรฉation ou au dรฉbut de son activitรฉ qui prรฉsente un risque intrinsรจque รฉlevรฉ. Plus tard, dans les annรฉes 1980, sโindustrialisent les pratiques de buyout. Dans le courant du 21รจme siรจcle, deux modรจles se structurent autour de philosophies gestionnaires et dโacteurs pionniers distincts mais qui partagent des outils dโinvestissement et des similitudes dans leurs formes dโorganisation.
Le soutien initial de lโEtat au capital-investissementย
Lโรฉmergence de la forme moderne de capital-risque est dรฉcrite dans de nombreux ouvrages et articles de recherche, notamment en รฉconomie et gestion. Tous sโaccordent sur une chronologie constituรฉe dโune philosophie commune dans la logique dโinvestissement et dโacteurs marquants (Meade 1977, Rind 1981, Bygrave and Timmons 1992, Gompers 1994, W.Fenn and Prowse 1995, Gompers and Lerner 2001, Gompers and Lerner 2004, O’Sullivan 2005, Metrick and Yasuda 2007, Cendrowski, Petro et al. 2012). La philosophie sous-jacente est hรฉritรฉe des pratiques de financement des expรฉditions maritimes permettant de rรฉpartir le risque important inhรฉrent ร ces entreprises.
Avant la Seconde Guerre mondiale, le capital investissement reste marginal, largement รฉclipsรฉ par le crรฉdit pour le financement de la croissance des jeunes entreprises. Les rares opรฉrations ne conduisent pas toujours ร des succรจs, les investisseurs pouvant se montrer frileux. La Ford Motor Company en est un exemple emblรฉmatique. Henry Ford sโassocie au dรฉbut du 20รจme siรจcle avec onze investisseurs qui lui permettent dโamorcer lโentreprise. Sโinstalle rapidement un dรฉsaccord entre lโactionnaire gestionnaire souhaitant rรฉinvestir les profits et les autres, dรฉsireux de percevoir des dividendes. Contraint par la justice amรฉricaine ร verser des dividendes, Ford finira parsโendetter pour racheter leurs actions (The editors of Encyclopaedia Britannica 2018).
Cependant, dans les annรฉes 1940 aux Etats-Unis, la Seconde Guerre mondiale rassemble plusieurs รฉlรฉments catalytiques. Tout dโabord, de nombreux chercheurs talentueux รฉmigrent aux Etats-Unis, accรฉlรฉrant les avancรฉes en recherche dans les universitรฉs du pays. Puis, le retour de nombreux ingรฉnieurs militaires ร la fin de la guerre forme un rรฉservoir de compรฉtences ร exploiter. Enfin, la Guerre froide fait naรฎtre un besoin en innovations technologiques ร visรฉe militaire (Hambrecht 1984) alors que lโarmรฉe est confrontรฉe ร des difficultรฉs dans le recrutement des meilleurs chercheurs qui prรฉfรจrent rester ร lโuniversitรฉ. Cโest pourquoi lโEtat dรฉcide de pousser au dรฉveloppement dโentreprises technologiques.
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Table des matiรจres
Sommaire
INTRODUCTION
1. La recherche dโune nouvelle doctrine de financement pour la croissance durable
2. Le lien entre innovation, investissement et croissance aux interstices des disciplines
3. Questions et itinรฉraire de recherche
PARTIE I โ ORIGINES ET LIMITES DU MODELE CLASSIQUE DE CAPITALINVESTISSEMENT ?
Chapitre 1. Une nouvelle classe dโactifs au service de la croissance des entreprises
1. Lโรฉmergence du capital-investissement
2. Modรจles du capital-investissement moderne
3. Lโoffre de capital-investissement structurรฉe par le cycle de vie des entreprises
Chapitre 2. Quelle croissance attendre du capital investissement ? La caractรฉrisation dโune croissance gรฉnรฉrative
1. Des corrรฉlations entre financement et croissance introuvables
2. Quels indicateurs pour suivre lโimpact du capital-investissement ?
3. Lโapproche gestionnaire : croissance agrรฉgative versus croissance gรฉnรฉrative
Chapitre 3. La rรฉgรฉnรฉration : un angle mort des recherches sur le capital-investissement
1. La rรฉgรฉnรฉration dans les entreprises matures : un enjeu clรฉ peu รฉtudiรฉ
2. Des stratรฉgies dโinvestissement dรฉcouplรฉes des enjeux de rรฉgรฉnรฉration
3. Le buyout entrepreneurial : managers providentiels et rรฉgรฉnรฉration ponctuelle
PARTIE II – CARACTERISATION DU CAPITAL-REGENERATION : ELEMENTS DE METHODE
Chapitre 1. Capital-rรฉgรฉnรฉration : le choix dโune recherche sur les ETI
1. Les ETI : un potentiel de croissance non actualisรฉ
2. ETI : des enjeux particuliers de rรฉgรฉnรฉration
3. Synthรจse : les ETI, un objet pertinent
Chapitre 2. Capital rรฉgรฉnรฉration : lโintรฉrรชt dโun partenariat de recherche avec Bpifrance
1. Rรดle et expertise de Bpifrance pour lโinvestissement dans les ETI
2. Difficultรฉs des recherches empiriques sur le capital-investissement qui renforcent lโintรฉrรชt dโun partenariat avec Bpifrance
PARTIE III โ LES BESOINS EN FINANCEMENT DES ETI : UN SOUTIEN AUX DYNAMIQUES DE REGENERATION
Chapitre 1. Le diagnostic dโun equity gap au fondement des fonds ETI
1. Lโequity gap au cลur de lโintervention รฉtatique dans les ETI
2. Fondements thรฉoriques de lโequity gap
3. Lโequity gap est-il avรฉrรฉ ?
Chapitre 2. La thรจse de lโequity gap invalidรฉe empiriquement
1. Des capitaux disponibles en excรจs
2. Une demande en levรฉe de fonds limitรฉe ?
Chapitre 3. Liquidity gap : les problรจmes de transmission propres aux ETI
1. Etude de cas sur le portefeuille de Bpifrance : mise en รฉvidence dโun liquidity gap
2. Caractรฉrisation du liquidity gap comme difficultรฉ de transmission actionnariale
Chapitre 4. Capital transmission : des risques pour la rรฉgรฉnรฉration ?
1. Nรฉcessitรฉ de rรฉtablir un modรจle cognitif de lโinvestisseur
2. Risque dโassรจchement en cas de rรฉpรฉtition dโun modรจle dโinvestissement standard
3. Cas de crise potentielle pour lโETI innovante
PARTIE IV – DE NOUVELLE VARIABLES DE CROISSANCE GENERATIVE ET LEURS EFFETS DANS LE RAISONNEMENT DES INVESTISSEURS
Chapitre 1. Quelles variables pour tracer la rรฉgรฉnรฉration ?
1. Limites des traceurs issus de la littรฉrature รฉconomique : nouveaux produits, quantitรฉ de R&D, brevets
2. Le financement de lโinnovation dans le cadre du manuel de Frascati : indissociabilitรฉ entre renouvellement des connaissances et des concepts
3. Rรดle de la promesse dans la relation entre stratรฉgie dโinvestissement et croissance gรฉnรฉrative
4. Construction du modรจle C, U, K
Chapitre 2. Etude de cas empirique : รฉlรฉments de mรฉthode et donnรฉes collectรฉes
1. Pertinence du terrain et de lโobjet de recherche
2. Critรจres de sรฉlection des cas
3. Recueil des donnรฉes : processus et contenu
4. Traitement des donnรฉes
Chapitre 3. Le modรจle C, U, K et sa portรฉe interprรฉtative sur des cas empiriques
1. BUILD
2. ENERGIE
3. PAINT
Chapitre 4. Discussion
1. Deux raisonnements dโinvestissement : investisseur concepteur et investisseur rationalisateur
2. Les mรฉthodes du capital-rรฉgรฉnรฉration
3. Portรฉe du modรจle de capital-rรฉgรฉnรฉration
CONCLUSION
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