Origine et gestion des déchets nucléaires
En France, la grande majorité des déchets radioactifs sont d’origine électronucléaire. Ils proviennent de la production d’électricité dans les réacteurs REP et du cycle du combustible. Le cycle fermé, mis en œuvre en France notamment, consiste à traiter les combustibles usés afin de séparer la matière encore énergétiquement valorisable (U, Pu), qui sera recyclée, et les déchets ultimes (PFA : Produits de Fissions et Actinides mineurs), qui seront quant à eux conditionnés de façon sûre et durable.
Le cycle du combustible UOX actuel
Les combustibles « Eau Légère » utilisés en France ont évolué d’un combustible nommé UOX1 vers un combustible nommé UOX2. Ils sont constitués d’oxyde d’uranium UO2 : 238U enrichi en 235U à hauteur respectivement de 3,5 et 3,8 % (contre 0,7 % 235U présent naturellement dans les minerais d’uranium). Les noyaux fissiles 235U permettent d’initier spontanément des réactions de fission au sein du combustible pour produire respectivement 33 GWj et 45 GWj d’énergie par tonne pour les deux combustibles précédents. Après trois ans en réacteur, le combustible UOX1 usé contient, en plus d’une grande quantité de 238U, et de 0,9 % 235U, des transuraniens (1 % de plutonium et 0,1 % d’actinides mineurs (Np, Am, Cm)) et des produits de fission (4 %) .
Les produits de fission et les actinides mineurs présentent une radiotoxicité très importante (émetteurs de rayonnements α, β, γ) et nécessitent donc des précautions de gestion mobilisant des moyens industriels puissants. Le risque qu’ils peuvent présenter pour l’homme et l’environnement a conduit à la mise en place d’une gestion particulière et très contrôlée de leur devenir variant suivant les pays. Aujourd’hui, deux politiques coexistent à travers le monde : le stockage direct du combustible usé (cycle ouvert) mis en place aux Etats-Unis ou en Suède par exemple et le retraitement pour valoriser l’uranium et le plutonium présents dans le combustible usé en fabricant de nouveaux combustibles mixtes uranium-plutonium MOX (Mixed Oxide fuel) comme c’est le cas en France (cycle fermé) (ainsi qu’au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suisse, au Japon et en Russie) [3].
Stratégie de gestion des déchets nucléaires issus du retraitement des combustibles usés (cycle fermé)
Les déchets ultimes : les produits de fission et actinides mineurs
Après trois ans d’entreposage dans une piscine de désactivation, le combustible usé est retraité par extraction de l’uranium et du plutonium, matière énergétiquement valorisable, via le procédé PUREX (Plutonium Uranium Refining by Extraction) [4,5]. L’ensemble des déchets est alors isolé sous forme de solutions qui sont entreposées pendant un an dans des cuves de stockage en acier avant d’être conditionnées (vitrification). A ces déchets viennent s’ajouter des éléments provenant du rinçage alcalin des installations (Na), de la dégradation des solvants (P), ou encore de la corrosion des appareillages de dissolution et d’extraction en acier inoxydable (Fe, Ni, Cr).
Les produits de fission sont principalement constitués d’alcalins (Cs, Rb), d’alcalino terreux (Sr), de chalcogènes (Se, Te), de métaux nobles (ou platinoïdes : Ru, Pd, Rh), d’éléments de transition (Mo, Tc, Zr) et de lanthanides. Ces derniers constituent une des familles les plus abondantes, puisqu’ils représentent environ 20 % de la masse totale des oxydes présents dans les solutions de produits de fission. Il est également intéressant de noter que les teneurs des quatre premières terres rares de la série (La, Ce, Pr et Nd) représentent environ 90 % de la masse de l’ensemble des lanthanides.
Ceci peut être confirmé par l’évolution de l’inventaire radiotoxique au cours du temps d’un combustible usé UOX1 non retraité (Figure 1). Sans retraitement du combustible usé, il faut attendre près de 200000 ans pour que l’ensemble du combustible usé retrouve la radiotoxicité du minerai d’uranium naturel extrait pour fabriquer ce combustible. Dans ce cas, la radiotoxicité du combustible est principalement induite par le plutonium. En revanche, lorsque le combustible est retraité (uranium et plutonium extraits), la radiotoxicité à long terme des solutions de produits de fission et actinides est alors très largement dominée par les actinides mineurs et leur descendants. Ainsi, pour un combustible UOX actuel, au-delà de 500 ans, la contribution des actinides mineurs à la radioactivité représente plus de 93 % de la radioactivité totale et il faut attendre environ 2000 ans pour que l’ensemble des déchets ultimes retrouve une radiotoxicité inférieure ou égale à celle du minerai d’uranium naturel extrait pour fabriquer ce combustible.
Après extraction de l’uranium et du plutonium par le procédé PUREX et entreposage pendant un an dans des cuves de stockage, les solutions de déchets sont ensuite calcinées et vitrifiées . En effet, pour assurer un confinement sur des échelles de temps géologiques compatibles avec la durée de vie des radionucléides à vie longue et faire en sorte que les radionucléides n’entrent pas en contact avec la biosphère, les déchets doivent être immobilisés dans des matrices solides et durables tels que les verres [6,7].
Le verre comme matériau de confinement
Parmi les différents matériaux de conditionnement, les matrices vitreuses tels que les verres aluminoborosilicatés présentent un certain nombre d’avantages pour le confinement des déchets nucléaires de haute activité à vie longue [5]. Le principal avantage des verres vient du fait que ce sont des matériaux amorphes qui possèdent donc un désordre structural leur conférant un certain nombre de propriétés remarquables :
♦ Les verres peuvent dissoudre la plupart des éléments, en quantités relativement importantes suivant les éléments, et ce sans perdre leurs propriétés intrinsèques. Ils peuvent donc confiner des radionucléides de natures chimiques très diverses. De plus, par leur souplesse structurale liée à l’absence d’ordre à grande distance, ils autorisent des fluctuations relativement importantes des compositions des solutions de déchets à confiner.
♦ Les verres sont faciles à élaborer, par simple fusion-coulée d’un mélange de déchets avec de la fritte de verre .
♦ Les matériaux obtenus sont massifs, sans joints de grains, ce qui diminue d’autant la surface de contact avec d’éventuels milieux agressifs (arrivée d’eau dans le site de stockage).
♦ Les verres présentent une très bonne durabilité chimique (résistance à l’altération par l’eau). Ainsi, en condition de stockage géologique profond, ils constituent la première barrière au relâchement des radionucléides dans la biosphère.
♦ Enfin, les verres présentent une bonne tenue à l’auto-irradiation.
Cependant, les verres sont des solides hors équilibre. Ainsi, au cours du refroidissement de la fonte après la coulée en conteneur métallique (avec une vitesse de refroidissement de l’ordre de 60°C/h au cœur des colis) des phases cristallines sont susceptibles de se former au sein de la matrice vitreuse [8]. Cette dévitrification – prévue par la thermodynamique – est considérée comme néfaste pour plusieurs raisons :
♦ Certaines phases cristallines sont hydrosolubles (comme la phase Na2MoO4 par exemple, voir § 4.1.2.) et donc totalement proscrites.
♦ La formation d’une phase cristalline s’accompagne le plus souvent d’un changement de composition du verre résiduel englobant les cristaux, avec appauvrissement en éléments constitutifs de la phase cristalline, ce qui peut affecter la durabilité chimique de la matrice [9-13].
♦ Le coefficient de dilatation des phases cristallines étant différent de celui du verre résiduel entourant les cristaux, des contraintes peuvent apparaître et induire des fissurations au sein du colis de verre [10].
♦ Enfin, à long terme, les phases cristallines formées et incorporant des éléments radioactifs tels que les actinides sont susceptibles de s’amorphiser et de gonfler sous l’effet de l’auto-irradiation α, ce qui peut entraîner des fissurations au sein du colis de verre et donc augmenter la surface de contact avec l’eau au cours du stockage (voir chapitre 1 de la partie B de la thèse) [9,14-21].
Le choix d’une matrice vitreuse adaptée au confinement d’un type de déchet particulier résulte d’un compromis entre toutes les propriétés du verre (taux de cristallinité, température de transition vitreuse, comportement à long terme…) et sa faisabilité technologique (température de fusion, volatilité) [22]. Actuellement, en France, les verres aluminoborosilicatés sont utilisés à l’échelle industrielle pour confiner les déchets de haute activité à vie longue. La matrice de référence dédiée au confinement des solutions de déchets issues du retraitement du combustible usé UOX1 (33 GWj/t) (et UOX2 à 45 GWj/t) est le verre « R7T7 » (voir sa composition dans l’annexe 1) dont le nom provient des deux ateliers de vitrification de l’usine de retraitement de La Hague : R7 (mis en service en 1989) et T7 (mis en service en 1992). Il renferme une trentaine d’éléments et est composé d’une part par une fritte de verre aluminoborosilicatée et d’autre part par l’ensemble des déchets.
Le verre R7T7 présente une très faible tendance à la cristallisation, aussi bien au cours du refroidissement de la fonte qu’au cours de traitements thermiques isothermes [8], ce qui lui confère sur le long terme de bonne propriétés de stabilité thermique, de durabilité chimique et de résistance à l’auto-irradiation α (pas de gonflement localisé au niveau de cristaux susceptibles d’accueillir des actinides). Actuellement, le taux de charge en déchets dans ce verre est compris entre 4,2 et 18,5 % massiques en PFA.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 – PROBLEMATIQUE DU CONFINEMENT DES DECHETS NUCLEAIRES DE HAUTE ACTIVITE
1. ORIGINE ET GESTION DES DECHETS NUCLEAIRES
1.1. Le cycle du combustible UOX actuel
1.2. Stratégie de gestion des déchets nucléaires issus du retraitement des combustibles usés (cycle fermé)
1.3. Tendance actuelle d’évolution du combustible dans les REP et des matrices vitreuses de confinement
2. ETAT DE L’ART SUR LES VERRES DE CONFINEMENT A HAUT TAUX DE CHARGE
3. LE MOLYBDENE, LES TERRES RARES ET LES PLATINOÏDES DANS LES VERRES ALUMINOBOROSILICATES
3.1. Structure des verres aluminoborosilicatés
3.2. Le molybdène dans les verres
3.3. Les terres rares dans les verres
3.4. Effets des platinoïdes sur la structure des verres nucléaires
4. LES PRINCIPALES PHASES CRISTALLINES SUSCEPTIBLES DE SE FORMER DANS LES VERRES A HAUT TAUX DE CHARGE
4.1. Les phases molybdates
4.2. La phase apatite Ca2TR8(SiO4)O2 (TR : terres rares)
4.3. Les platinoïdes
5. ENJEU DE CETTE ETUDE
6. CONCLUSIONS DU CHAPITRE 1
7. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CHAPITRE 2 – SYNTHESES ET METHODES EXPERIMENTALES
1. STRATEGIE
1.1. Objectifs
1.2. Les différentes séries de verres
2. SYNTHESES DES VERRES ET DES CERAMIQUES
2.1. Les verres
2.2. Les céramiques
3. TECHNIQUES D’ANALYSES EMPLOYEES
3.1. Densité
3.2. Analyse thermique différentielle (ATD)
3.3. Diffraction des rayons X (DRX)
3.4. Microscopie électronique à balayage à effet de champ (MEB-FEG)
3.5. Microscopie électronique en transmission (MET)
3.6. Microsonde électronique
3.7. Résonance magnétique nucléaire (RMN)
3.8. Raman
3.9. Absorption optique
4. CONCLUSIONS DU CHAPITRE 2
5. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CHAPITRE 3 – ETUDE DES PROCESSUS DE CRISTALLISATION DANS UN VERRE ALUMINOBOROSILICATE RICHE EN MOLYBDENE OU EN NEODYME
1. ETUDE DE LA CRISTALLISATION DES MOLYBDATES DANS UN VERRE ALUMINOBOROSILICATE RICHE EN OXYDE DE MOLYBDENE
1.1. Description microstructurale et structurale du verre Mo refroidi lentement à 1°C/min depuis l’état fondu
1.2. Effet de la température de croissance du traitement isotherme
1.3. Discussion sur la séparation de phase et la cristallisation des molybdates
1.4. Effet des platinoïdes sur la cristallisation des molybdates
2. ETUDE DE LA CRISTALLISATION DE L’APATITE SILICATEE DANS UN VERRE ALUMINOBOROSILICATE RICHE EN OXYDE DE NEODYME
2.1. Description microstructurale et structurale du verre Nd refroidi lentement à 1°C/min depuis l’état fondu
2.2. Effet de la température de croissance du traitement isotherme
2.3. Discussion sur la cristallisation de l’apatite
2.4. Effet des platinoïdes sur la cristallisation de l’apatite
3. CONCLUSIONS DU CHAPITRE 3
4. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CHAPITRE 4 – EFFET DES TERRES RARES SUR LA SEPARATION DE PHASE ET LA CRISTALLISATION D’UN VERRE ALUMINOBOROSILICATE RICHE EN MOLYBDENE
1. EFFET DES TERRES RARES SUR LA SOLUBILITE DU MOLYBDENE DANS LE VERRE
1.1. Disparition de la séparation de phase dans les verres trempés
1.2. Evolution de la cristallisation des phases molybdates dans les verres refroidis lentement à 1°C/min
1.3. Relation entre la concentration en Nd2O3 et la solubilité du molybdène dans le verre
1.4. Effet cinétique de Nd2O3 sur la cristallisation de la powellite CaMoO4
1.5. Conclusion sur l’effet des terres rares sur la solubilité du molybdène dans le verre
2. ROLE STRUCTURAL DES TERRES RARES DANS LE VERRE ET IMPACT SUR L’ENVIRONNEMENT DU MOLYBDENE
2.1. Impact des terres rares sur la structure du réseau aluminoborosilicaté et sur la distribution des cations compensateurs de charge
2.2. Impact des terres rares sur l’environnement du molybdène dans le verre
2.3. Impact de la concentration en néodyme sur son environnement dans le verre
3. DISCUSSION : ORIGINES POSSIBLES DE L’EFFET DES TERRES RARES SUR LA SOLUBILITE DU MOLYBDENE DANS LE VERRE
4. CONCLUSIONS DU CHAPITRE 4
5. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CHAPITRE 5 – EFFET DU MOLYBDENE SUR LA CRISTALLISATION D’UN VERRE ALUMINOBOROSILICATE RICHE EN OXYDE DE TERRE RARE
1. ROLE STRUCTURAL DU MOLYBDENE DANS LE VERRE ET IMPACT SUR L’ENVIRONNEMENT DE LA TERRE RARE
1.1. Impact du molybdène sur la structure du réseau aluminoborosilicaté et sur la distribution des cations compensateurs de charge
1.2. Impact du molybdène sur l’environnement du néodyme dans le verre
1.3. Conclusion sur les modifications structurales induites par l’ajout de teneurs croissantes en MoO3 dans le verre
2. EFFET DU MOLYBDENE SUR LA CRISTALLISATION DE L’APATITE
2.1. Evolution de la cristallisation dans les verres refroidis lentement à 1°C/min
2.2. Apport de la spectroscopie Raman
2.3. Apport de la spectroscopie d’absorption optique
2.4. Mise en évidence de l’effet nucléant de MoO3 sur la cristallisation de l’apatite
3. CONCLUSIONS DU CHAPITRE 5
4. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CONCLUSION GENERALE
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