Origine et fabrication des ciments sulfo-alumineux bélitiques

La production d’énergie nucléaire actuelle française conduit à l’obtention de résines échangeuses d’ions boratées et lithiées faiblement contaminées qui constituent un déchet qu’il faut alors conditionner. La matrice la plus utilisée pour le conditionnement des déchets de faible activité à vie courte est aujourd’hui une matrice cimentaire. Les ions borate étant de puissants retardateurs de prise des ciments Portland, différentes stratégies ont été développées pour permettre la cimentation de ce type de déchet. Dans la suite, nous nous focaliserons sur l’utilisation d’un ciment sulfo-alumineux dont la chimie diffère des ciments silico-calciques usuels.

Origine et fabrication des ciments sulfo-alumineux bélitiques 

Origine

La ye’elimite, principal anhydre des ciments sulfo-alumineux bélitiques, a été observée pour la première fois à Har Ye’elim en Israël. Elle est aussi appelée composé de Klein ou kleinite, du nom du chercheur américain qui, en collaboration avec Mehta, a étudié ses propriétés hydrauliques dans les années 1960 (Mehta 1965). Les premiers ciments sulfoalumineux ont été développés en Russie et au Japon dans ces mêmes années, mais ils ont été produits à l’échelle industrielle en Chine dans les années 1970 où, après une période de maturation des technologies de production, le nombre et la taille des usines de production ont progressivement augmenté (Zhang 1999). En 1999, il existait quinze cimenteries dotées d’une capacité de production cumulée de plus d’un million de tonnes par an et dédiées à la fabrication de ce ciment. Depuis 2004, la production annuelle est stable, de l’ordre de 1,4 à 1,5 millions de tonnes par an. Le ciment sulfo-alumineux a été utilisé pour de gros ouvrages en Chine. Citons par exemple les ponts Xizhimen et Yan Sha à Pékin ainsi que la construction de la station antarctique chinoise (Sharp 1999).

Ce liant a aujourd’hui dépassé les frontières chinoises, mais reste principalement utilisé pour des applications spécifiques comme des chapes et des mortiers autonivelants sans retrait, du bétonnage par temps froid, des bétons à hautes résistances au jeune âge ou des composites renforcés par des fibres de verre (Péra et Ambroise 2004).

Fabrication du clinker

Le cru nécessaire à l’obtention du clinker sulfo-alumineux bélitique est composé d’un mélange de bauxite, d’argile, de calcaire et de gypse ou anhydrite (Okushima 1968). La composition minéralogique du cru est la première différence avec le ciment Portland. Ce ciment peut aussi inclure dans sa fabrication des sous-produits industriels (cendres volantes, laitier de haut-fourneau, fines de bauxite, phosphogypse, « boue rouge » issue du procédé Bayer (Beretka 1993)) qui sont ainsi valorisés. Comme le ciment Portland, le clinker sulfo-alumineux est élaboré selon un procédé de fabrication en deux étapes :
– la calcination du cru à une température de 1250°C environ pour produire du clinker ;
– le cobroyage avec de l’anhydrite ou du gypse (de 5 à 30 % massique) afin d’obtenir le ciment aux propriétés souhaitées.

La première étape de calcination du cru, jusqu’à sa température de clinkérisation de 1250°C, se déroule en plusieurs étapes (Odler 2000) :
– la déshydratation du gypse (CŠH2) en anhydrite (CŠ) à une température d’environ 120°C ;
– la décomposition des argiles et de la bauxite (minerai très riche en alumine, A) entre 300 et 600°C ;
– la décarbonatation du carbonate de calcium en oxyde de calcium, entre 700°C et 900°C, s’accompagnant d’une importante libération de CO2 ;
– à partir de 900°C, la formation de deux phases transitoires : la géhlénite (C2AS) dont la formation se poursuit jusqu’à 1100°C, puis qui se déstabilise au-delà, et le sulfosilicate de calcium (C5S2Š) qui forme de la bélite (C2S) et de l’anhydrite au delà de 1200°C ;
– à partir de 1000 – 1100°C , la formation d’aluminate de calcium (CA) qui réagit avec de la chaux pour former de la mayenite (C12A7) et une phase de type ferrite (C2F) ;
– de 1000 à 1250°C, la formation de la ye’elimite (C4A3Š) via une réaction entre la mayenite et l’anhydrite, ou directement à partir d’anhydrite et d’oxydes de calcium et d’aluminium ; Au-delà de 1350°C, la ye’elimite est déstabilisée par réaction avec la chaux libre pour former de l’aluminate tricalcique (C3A) et de l’anhydrite. La température de clinkérisation doit donc être inférieure à 1350°C.

Les ciments sulfo-alumineux pourraient offrir des perspectives intéressantes pour le développement durable de l’industrie cimentière. Leur fabrication s’accompagne en effet d’émissions de CO2 réduites de 15 à 25 % par rapport à celles obtenues avec un ciment Portland. La diminution des rejets de CO2 résulte de trois facteurs (Mehta 1965) :
– une température de clinkérisation plus faible de 150 à 200°C par rapport à celle du ciment Portland ;
– une teneur plus faible en calcaire dans le cru, ce qui représente moins de CaCO3 à décarbonater ;
– un clinker plus friable qu’un clinker Portland nécessitant moins d’énergie pour le broyage.

Composition minéralogique du clinker 

La composition minéralogique des ciments sulfo-alumineux bélitiques diffèrent de celle d’un ciment Portland . Les ciments sulfo-alumineux bélitiques se distinguent des ciments Portland par la présence de ye’elimite, l’absence d’alite ainsi que par la très faible teneur en aluminate tricalcique. De plus, la teneur en sulfate de calcium peut atteindre 30 % massique, valeur très supérieure à celle rencontrée dans un ciment Portland (3 à 5 % massique).

Il existe un grand nombre de ciments sulfo-alumineux, se différenciant par leur composition minéralogique. Leur point commun est néanmoins la présence de ye’elimite. Le ciment sulfo-alumineux le plus étudié dans la littérature est le ciment sulfo alumineux bélitique, qui correspond à un clinker comportant deux principaux anhydres en proportions variables : la bélite et la ye’elimite.

Les ciments sulfo-alumineux bélitiques sont classés en deux familles, selon la quantité des deux phases anhydres principales présentes :
– forte teneur en ye’elimite et faible teneur en bélite ;
– faible teneur en ye’elimite et forte teneur en bélite.

Processus et produits d’hydratation des ciments sulfo-alumineux

L’hydratation des ciments sulfo-alumineux a été étudiée par un grand nombre d’auteurs (Okushima 1968, Ogawa et Roy 1982, Mudbhatkal 1986, Andac et Glasser 1999, Zhang et Glasser 2002, Berger 2009, Winnefeld et Lothenbach 2010, Champenois 2012, Gracia-Mate et De la Torre 2013, Perez-Bravo 2014), mais reste bien moins connue que celle des ciments Portland.

Lors de l’hydratation d’un ciment sulfo-alumineux bélitique à forte teneur en ye’elimite, les principaux produits d’hydratation sont :
– l’ettringite, une phase de type AFt ;
– le monosulfoaluminate de calcium hydraté, une phase de type AFm ;
– l’hydroxyde d’aluminium ;
– la strätlingite.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I
1. LES CIMENTS SULFO-ALUMINEUX
1.1. Origine et fabrication des ciments sulfo-alumineux bélitiques
1.1.1. Origine
1.1.2. Fabrication du clinker
1.1.3. Composition minéralogique du clinker
1.2. Processus et produits d’hydratation des ciments sulfo-alumineux
1.2.1. Processus d’hydratation
1.2.2. Produits d’hydratation
1.3. Propriétés des matériaux à base de ciment sulfo-alumineux
1.3.1. Influence du dosage en gypse du liant
1.3.2. Influence du dosage en eau sur les matériaux
1.3.3. Influence de la température sur les matériaux
1.3.4. Stabilité dimensionnelle des matériaux
1.3.5. Propriétés mécaniques des matériaux
1.3.6. Résistance aux agressions chimiques
1.4. Récapitulatif
2. LES RESINES ECHANGEUSES D’IONS
2.1. Présentation des résines échangeuses d’ions
2.1.1. Structure d’une résine échangeuse d’ions
2.1.2. Fabrication des résines échangeuses d’ions
2.1.3. Caractéristiques des résines échangeuses d’ions
2.1.4. Gestion des résines échangeuses d’ions dans l’industrie nucléaire
2.2. Comportement des résines échangeuses d’ions
2.2.1. En présence d’eau
2.2.2. En présence de solutions ioniques
2.2.3. En température
2.2.4. Sous irradiation
2.3. Récapitulatif
3. APPLICATIONS DES CIMENTS SULFO-ALUMINEUX POUR LE CONDITIONNEMENT DE DECHETS
3.1. Intérêt des ciments sulfo-alumineux pour le conditionnement de déchets
3.2. Application aux concentrats boratés
3.2.1. Problèmes liés à la cimentation de concentrats boratés
3.2.2. Les stratégies développées pour la cimentation de déchets boratés
3.2.3. Intérêt et rôle de l’ajout d’un sel de lithium pour le conditionnement de déchets boratés
3.3. Cimentation de résines échangeuses d’ions par un ciment sulfo-alumineux
3.4. Récapitulatif
4. BILAN ET PROBLEMATIQUE DE LA THESE
CHAPITRE II
1. LA CHIMIE DU LITHIUM EN MILIEU CIMENTAIRE
1.1. Comportement en solution
1.1.1. Réactions acido-basiques
1.1.2. Réactions de complexation
1.2. Phases précipitées
1.2.1. Aluminates de lithium
1.2.2. Autres phases précipitées
1.2.3. Phase U et analogues
1.3. Récapitulatif des espèces lithiées
2. PROTOCOLE EXPERIMENTAL POUR L’ETUDE DE L’HYDRATATION DES CIMENTS SULFOALUMINEUX
2.1. Matériaux utilisés et préparation des échantillons
2.1.1. Clinker sulfo-alumineux
2.1.2. Gypse
2.1.3. Additions d’espèces chimiques
2.1.4. Elaboration des échantillons
2.2. Méthodes expérimentales
2.2.1. Conductimétrie
2.2.2. Arrêts d’hydratation
3. ETUDE DE L’INFLUENCE DU LITHIUM SUR L’HYDRATATION DE SUSPENSIONS CIMENTAIRES
3.1. Etude de l’hydratation d’une suspension cimentaire
3.1.1. Hydratation d’un liant avec 10 % de gypse
3.1.2. Hydratation d’un liant exempt de gypse
3.2. Influence du lithium et de son contre-ion
3.3. Influence de la concentration en lithium
4. ETUDE DE L’HYDRATATION DE PÂTES DE CIMENT SULFO-ALUMINEUX EN PRESENCE D’IONS LITHIUM
4.1. Etude de l’hydratation au très jeune âge
4.1.1. Hydratation d’un liant avec 10 % de gypse
4.1.2. Hydratation d’un liant exempt de gypse
4.2. Etude de l’hydratation à plus long terme
4.2.1. Hydratation d’un liant avec 10 % de gypse
4.2.2. Hydratation d’un liant exempt de gypse
5. DISCUSSION SUR LE MECANISME D’ACTION DU LITHIUM
6. CONCLUSION
7. RECAPITULATIF
CHAPITRE III
1. LA CHIMIE DU BORE EN MILIEU CIMENTAIRE
1.1. Comportement en solution
1.1.1. Réactions acido-basiques
1.1.2. Réactions de polycondensation
1.1.3. Réactions de complexation avec les alcalins
1.2. Phases précipitées
1.2.1. Borates de lithium
1.2.2. Borates de calcium et de sodium
1.2.3. Boroaluminates de calcium : phases AFm et AFt
1.3. Récapitulatif des espèces boratées
1.4. Validation de la base de données chess_especes_boratees_lithiees
2. PROTOCOLE EXPERIMENTAL
2.1. Elaboration des échantillons
2.1.1. Pâtes
2.1.2. Mortiers
2.2. Caractérisation des pâtes de ciment en cours d’hydratation
2.2.1. Microcalorimétrie isotherme
2.2.2. Mesures couplées du module élastique, de la température et de la conductivité électrique des pâtes de ciment
2.2.3. Extraction de solution interstitielle
2.2.4. Caractérisation de la minéralogie
CONCLUSION GENERALE

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