Distinction entre stigmatisation, stéréotype, préjugé et discrimination
Tout au long de ce travail de recherche, plusieurs termes comme la stigmatisation, le stéréotype, le préjugé ou encore la discrimination seront utilisés. Ils ne sont pas synonymes, même s’ils relèvent d’un même phénomène. En effet, tous ces mots témoignent d’un mécanisme de rejet, de mise à l‘écart d’individus jugés « différents ». Afin de comprendre au mieux les points traités dans ce travail et la problématique de recherche, il est nécessaire de distinguer les différences entre ces quatre termes qui peuvent paraître similaires. Selon Goffman (1975), la stigmatisation est une réaction d’un groupe ou d’une société envers d’autres personnes ou groupes considérés comme différents ou défavorisés. C’est donc une construction sociale qui discrédite significativement un individu aux yeux des autres. Cette notion sera développée dans les chapitres suivants. Le stéréotype est une généralisation simplifiée appliquée à un groupe entier de personnes, sans tenir compte des différences individuelles. Il vise souvent à justifier la conduite d’un groupe vis-à-vis d’un autre groupe (SECA, 2001).
Le stéréotype mène souvent au préjugé qui est une idée préconçue, socialement apprise et partagée par les membres d’un groupe. Lorsque nous avons un préjugé, nous formulons un jugement de valeur sur une personne ou un groupe de personnes sans les connaître suffisamment (BOISAUBERT, consulté le 07.10.2015). Ensuite, vient la discrimination qui est un comportement induit par le préjugé envers une personne ou un groupe de personnes. Elle porte atteinte à l’égalité entre les individus. De plus, elle isole et traite différemment des personnes ou des groupes de personnes en raison de leur origine, de leur appartenance ou de leurs opinions (BOISAUBERT, consulté le 07.10.2015).
Origine et définition de la stigmatisation
Le terme « stigmate » vient du Grec qui l’utilise pour désigner les marques corporelles faites au fer ou au couteau. Celles-ci permettaient de distinguer les individus qui vivaient à l’encontre des règles de bonne vie et moeurs de la société. Cette marque était visible afin d’avertir les « honnêtes gens » de la nature abjecte et inhumaine de celui qui la portait (GOFFMAN, 1975). Aujourd’hui, la stigmatisation correspond au fait de posséder une identité dévalorisée et jugée inférieure par les autres. C’est également être réduit au bas de l’échelle sociale (CROIZET, LEYENS, 2003, p.27). Pour Croizet et Leyens (2003, p.14), le stigmate est « une caractéristique associée à des traits et stéréotypes négatifs qui font en sorte que ses possesseurs subiront une perte de statut et seront discriminés au point de faire partie d’un groupe particulier ; il y aura « eux », qui ont une mauvaise réputation, et « nous » les normaux. ».
Les regards et les préjugés émis par les personnes dites normales, sont des éléments déclencheurs de la stigmatisation. Dans notre société, il existe des hiérarchies et des termes tels que la socialisation, la norme, l’intégration, l’exclusion ou les préjugés qui catégorisent les personnes.
Des gens sont dévalorisés et cessent d’être pour les « normaux » (GOFFMAN, 1975) des individus accomplis et ordinaires passant à des individus avec un statut sans valeur. Un attribut, comme le fait d’être bénéficiaire de l’aide sociale, est stigmatisant s’il est partagé par un ensemble de personnes. En effet, un attribut n’est pas stigmatisant en soi, par nature, mais il est le produit d’une culture, d’une société et d’une époque donnée. De plus, « au sein d’une même culture, différentes communautés peuvent parfois faire preuve d’attitudes très différentes envers un même attribut. Certains le considéreront comme stigmatisant alors que d’autres ne le jugeront pas comme tel. » (HERMAN, BOURGUIGNON, 2007, p.6). Goffman (1975) définit une personne comme « discréditable ou discréditée ». La première possède des stigmates invisibles et la deuxième des stigmates visibles. L’interaction n’est pas la même selon si le stigmate est visible ou non. Le fait d’être au bénéfice de l’aide sociale et de ne pas avoir d’emploi est une caractéristique d’une personne qui ne peut pas être perçue de l’extérieur, c’est un stigmate invisible.
À première vue, l’invisibilité du stigmate pourrait sembler bénéfique pour les membres d’un groupe stigmatisé, pourtant, cacher son stigmate a diverses répercussions sur le bien-être psychologique de la personne. Tout d’abord, cette situation implique une volonté de garder une partie de soi secrète, ce qui génère la peur d’être découvert. Il conduit également les individus à des comportements d’isolement et de retrait ainsi qu’au développement d’un sentiment de honte. L’interaction entre deux stigmatisés qui partagent le même handicap sera totalement différente qu’avec une personne « normale », car dès le départ, comme ils partagent une même souffrance, il n’y aura pas de malaise. De plus, ils auront tendance à se désigner comme appartenant au même groupe.
Le métier d’assistant social (AS)
Il est difficile de définir le métier d’assistant social car chaque poste de travail d’un AS est un métier en soi. L’AS peut travailler dans le secteur privé ou public, dans l’aide pure ou l’aide contrainte, avec les assurances sociales, etc. Dans son livre « Les assistants sociaux », Françoise Van de Mersch-Michaux définit le travail de l’AS comme suit : « Accueillir, informer, accompagner et aider les personnes en difficulté. Éduquer, animer, gérer et communiquer. Dégager des solutions novatrices, négocier… Le métier d’AS est avant tout une profession d’aide, un métier de relation et de liaison qui se situe à la frontière de la sociologie, de la psychologie, du droit et de l’économie. Ceux qui l’ont choisi font aujourd’hui équipe avec de nombreux partenaires représentant d’autres secteurs que le social » (1995, p. 11). L’AS peut être vu comme un généraliste dont le rôle premier est de maintenir les liens sociaux entre les personnes et leur communauté. Il accompagne les personnes dans la résolution de problèmes, les dirigeant vers d’autres professionnels si la situation le demande en élargissant ainsi le réseau de relation. Dans le contexte valaisan, les assistants sociaux ont un double rôle au sein des CMS : ils s’occupent du soutien social et des prestations d’aide sociale. Selon la situation, l’AS est au courant de la situation médicale et financière des usagers par les documents concernant les assurances et les démarches administratives.
Ces informations se rapportent toutes à la sphère privée de la personne. Concernant leurs prestations, les assistants sociaux doivent aussi fournir des aides non matérielles et des aides matérielles selon le Règlement d’exécution de la loi sur l’intégration et l’aide sociale en Valais (RELIAS). L’aide non-matérielle concerne la prévention de l’exclusion, l’intégration sociale et de l’autonomie de la personne par un encadrement, un soutien et des conseils. La personne se présente donc au CMS et est reçue par un AS qui s’adaptera à la problématique de la personne et lui donnera l’encadrement et le soutien dont elle a besoin.
Les aides matérielles, quant à elles, sont des prestations en nature ou en argent qui doivent couvrir ce qui est strictement indispensable à la vie matérielle, mais également un minimum social. Il est important de préciser que les aides financières sont attribuées en dernier recours : elles sont octroyées uniquement si la personne n’a pas d’autres moyens pour les obtenir que ce soit par la famille ou par d’autres assurances comme le chômage ou l’assurance invalidité (AI). Ces normes sont fournies par la Conférence Suisse des institutions d’Action Sociale. Au fil des années, les politiques sociales se sont développées, touchant la pratique professionnelle des assistants sociaux, notamment au sein des centres médico-sociaux. Dans ce contexte, les notions d’activation et de contre-prestation sont deux éléments qui prennent aujourd’hui une place importante dans le domaine de l’aide sociale. La suite de ce travail permettra de mieux comprendre ce changement.
L’insertion au cœur des politiques sociales actuelles
L’émergence et le développement du modèle d’insertion est à comprendre et situer dans les transformations de l’Etat et des professions sociales. La notion d’Etat-providence se fonde sur une conception particulière du travail et de la famille : la sécurité sociale est financée grâce à un emploi stable à temps plein du chef de famille qui lui permet à la fois de subvenir aux besoins de sa famille et de cotiser pour la collectivité. Plusieurs transformations ont bouleversé ce modèle, notamment, les chocs pétroliers de 1973 et 1979 (envolée du prix du pétrole et incidence négative sur la croissance économique mondiale), la diminution de l’emploi industriel, l’évolution des structures familiales (augmentation des familles monoparentales et du célibat), l’admission des femmes à l’emploi et le vieillissement global de la population.
Ces transformations ont mis le système de sécurité sociale en péril car elles ont contribué à la diminution du volume de l’emploi et à une augmentation des candidats à l’emploi, alors que le nombre de retraités suit une courbe ascendante. Cet ensemble de phénomènes a perturbé l’équilibre entre cotisants et bénéficiaires de la sécurité sociale (JOSEPH et VALCKENAERS, 2013).
Ces changements socioéconomiques coïncident avec une évolution des mentalités qui met au profit l’individualisme à la place des solidarités collectives. Cette tendance est relevée au niveau économique par des exigences importantes en termes de flexibilité et d’employabilité. L’individu est davantage tenu responsable de sa situation, c’est à lui et non à la collectivité de gérer les risques qu’il encourt concernant par exemple le chômage, la maladie ou la vieillesse. De plus, un changement au niveau du marché du travail a alors eu lieu. « La notion de compétence fît son apparition et le contrat de travail classique dans lequel le salarié n’a qu’un seul employeur à durée indéterminée, à plein temps et ouvrant droit aux droits et protections sociales fît place à l’emploi fragilisé, aux licenciements, à la flexibilité » (JOSEPH et VALCKENAERS, 2013, p.14). C’est dans ce contexte qu’apparaît le concept d’Etat social actif. L’objectif visé est qu’il y ait plus de cotisants et moins d’allocataires sociaux. La promotion de l’emploi devient alors l’objectif principal de la politique sociale et les priorités sont l’intégration ou la réintégration des individus sur le marché de l’emploi. Cela concerne majoritairement des catégories de population dont le taux d’emploi est le plus bas comme les jeunes, les femmes ou les travailleurs âgés. Le but de l’Etat social est alors de diminuer les discriminations et de réduire le chômage et la pauvreté. (CRASSIERS et REMAN, 2007).
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Table des matières
1. Table des illustrations
2. Liste des abréviations
3. Introduction
4. Le lien avec le travail social
5. La question de départ
6. L’énoncé des objectifs
6.1. Au niveau de la recherche
6.2. Au niveau personnel et professionnel
7. Le cadre théorique
7.1. La stigmatisation
7.1.1. Distinction entre stigmatisation, stéréotype, préjugé et discrimination
7.1.2. Origine et définition de la stigmatisation
7.1.3. Etapes de la stigmatisation
7.1.4. Techniques pour contrer la stigmatisation
7.1.5. Les effets de la stigmatisation
7.2. L’estime de soi
7.2.1. Le concept de soi
7.2.2. Définition de l’estime de soi
7.2.3. Fonctionnement de l’estime de soi
7.2.4. Un besoin fondamental
7.2.5. Les bienfais de l’estime de soi
7.3. L’insertion sociale et professionnelle à l’aide sociale
7.3.1. L’aide sociale
7.3.1.1. Principes généraux de l’aide sociale
7.3.2. Le métier d’assistant social (AS)
7.3.3. L’insertion au coeur des politiques sociales actuelles
7.3.4. Définition de l’insertion
7.3.5. Insertion socio-professionnelle
7.3.5.1. Les compétences socio-professionnelles
7.3.6. Mesures d’insertion dans le champ de l’aide sociale
7.3.6.1. Stage pratique
7.3.6.2. Allocation sociale d’initiation au travail (AITS
7.3.6.3. Contrat d’insertion sociale (CIS)
7.3.6.4. Financement des charges patronales
7.3.6.5. Mandat d’insertion professionnelle (MIP)
7.4. Accompagnement et orientation vers une réinsertion
7.4.1. Conditions pour un accompagnement
7.4.2. Les effets de l’accompagnement
7.4.3. L’orientation
7.4.4. Le coping
8. Problématique et hypothèses
8.1. Problématique et question de recherche
8.2. Les hypothèses
9. Méthodologie
9.1. Terrain d’enquête et population interrogée
9.2. Population
9.3. Méthodes et techniques de récolte des données
9.4. Phase test
9.5. Principes éthiques et protection des données
10. Analyse
10.1. Principes d’analyse
10.2. Le stigmate vu par les assistants sociaux
10.2.1. La fonction du stigmate
10.2.2. Les conséquences de la stigmatisation
10.3. L’estime de soi vue par les assistants sociaux
10.3.1. D’où vient l’estime de soi ?
10.3.2. Les conséquences
10.3.3. Estime de soi et insertion socioprofessionnelle
10.4. Hypothèse 1 : Les outils prévus par la LIAS et la gestion des stigmates.
10.4.1. Les outils prévus par la LIAS les plus utilisés par les AS
10.4.2. Réactions des bénéficiaires face aux outils mobilisés
10.4.3. Les outils prévus par la LIAS et la gestion des stigmates
10.4.4. L’employeur et l’aide sociale selon les AS
10.5. Hypothèse 2 : Intervention limitée par des contraintes de temps et légales
10.5.1. Le travail administratif
10.5.2. Une importante charge de travail
10.5.3. Le travail sur l’estime de soi et la gestion des stigmates dans le cadre légal
10.6. Hypothèse 3 : Le travail des AS au niveau psycho-social
10.6.1. Les quatre types de soutien social
10.6.2. Le travail de soutien avec les bénéficiaires de l’aide sociale
10.6.3. Quand le travail de soutien est-il fait ?
10.6.4. La place du soutien social dans la pratique des assistants sociaux
10.6.5. Les bienfaits d’un soutien social vus par les AS
11. Synthèse des résultats
11.1. Vérification des hypothèses
11.2. Réponse à la question de recherche
12. Conclusions
12.1. Rappel et bilan de la démarche
12.2. Evaluation des objectifs de recherche
12.3. Limites de la recherche
12.4. Perspectives de recherche et de pistes d’action
12.5. Conclusion
13. Bibliographie
14. Annexes
14.1. Annexe 1 : Guide d’entretien
14.2. Annexe 2 : Contrat de confidentialité
14.3. Annexe 3 : Lettre envoyée aux AS
14.4. Annexe 4 : Retranscription de l’entretien D (extrait)
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