CONTEXTE D’EMERGENCE
Absence d’une politique d’urbanisme et sanitaire
La colonisation par ses acteurs et ses exigences a créé un déséquilibre socio-sanitaire. Ce phénomène est dû aux intenses mouvements de populations pour le partage, le commerce et les besoins administratifs. Les concentrations humaines sur les chantiers, dans les carrefours commerciaux et dans certaines villes ou petites localités dues à l’apport des travailleurs, des commerçants et des camps militaires catalysèrent la diffusion d’un endroit insalubre et la propagation interhumaine des maladies .
L’état d’insalubre des lieu
Pendant l’époque coloniale, une bonne colonie qui produira et qui durera est une colonie ou le matériel humain est amené à son maximum de rendement physique et intellectuel. Le devoir de la puissance colonisatrice, qu’on le considère du point de vue de l’idéal ou de l’intérêt, il faut que l’indigène se porte bien qu’il conserve ses forces le plus longtemps possible pour la mise en valeur des territoires . Cependant, développer cette politique d’assistance aux indigènes en AOF nécessite un personnel nombreux et qualifié, un matériel suffisant et adéquat mais aussi un environnement sain. Or d’après les rapports de santé, les conditions étaient loin d’être réuni pour atteindre les objectifs fixés.
En effet, les français avaient fondé la ville de Saint Louis en 1659 et contrôlaient l’Ile de Gorée depuis 1677, mais jusqu’en la fin du XIXème siècle leur présence sur la côte était extrêmement limitée et les villes du Sénégal ne bénéficiaient pas d’une bonne réputation . Au niveau de Dakar, l’agglomération s’était beaucoup accrue, les grands travaux du port attirant une foule hétéroclite d’ouvriers et de manœuvres. De 8700 habitants environ en 1900, la population avait bondi 18000 dès 1904 et 30000 en 1907 . L’essentiel du commerce de la colonie se fait dans les ports de Saint Louis, Gorée et Dakar. Chaque année, des centaines de navires relient les ports de la colonie aux ports français et européens et aussi à l’Amérique.
En 1860, 559 navires sont entrés dans les ports et en 1898, 1978 navires . Il apparait très difficile d’assurer la sécurité de la colonie qui est en relation permanente avec l’étranger. Les travailleurs immigrés vivaient le plus souvent dans des conditions précaires et analogues. La plupart sont males vêtus, ne mangent pas à leur faim et ont une nourriture insuffisante en vitamine. Beaucoup habitaient dans des cases insalubres ou les pluies de l’hivernage pénètrent abondamment et c’est dans ce contexte que Mbokolo disait que : « c’était là la racine de l’inégalité devant la mort entre noirs et blancs, inégalité encore plus visible et plus criante en temps d’épidémie . Ainsi, on retiendra que l’insalubrité s’est accentuée depuis la conquête coloniale. La colonisation par ses acteurs et ses exigences a créé un déséquilibre sociosanitaire jusqu’aux années 1930. Ce déséquilibre est dû aux intenses mouvements des populations pour le partage, le commerce et les besoins administratifs, aux perturbations dans la vie avec l’instauration des cultures de rentes (café, cacao, coton, arachide…) La conquête de nouvelles terres dans les forêts ou aux bords des cours d’eau ont bouleversé l’équilibre écologique . En plus, La rapide croissance de la ville ne s’était pas accompagnée de travaux d’assainissement et d’urbanisme en rapport avec les nouveaux besoins. A vrai dire, les autorités avaient choisi de privilégier les investissements économiques tels que les grands travaux du port.
Quand on sait que l’action coloniale française s’est essentiellement déroulée dans les « pays chauds ». Certains même chauds et sec, nécessitaient au minimum trois litres d’eau par jour et par personne pour éviter la déshydratation . Or, l’eau consommée à Dakar et venant de Hanne n’était pas seulement un bien rare, elle ne présentait en outre aucune garantie pour la santé des habitants . Et malgré de nombreux travaux, l’alimentation en eau douce du port et de la ville de Dakar ne suffit pas aux besoins. La cube moyenne de l’usine de Hanne en 1924 était de 1500 mètres cubes, celle de l’usine de Mbao n’a pas dépassé 1400 mètres cube . Dans son article sur l’eau et les maladies, Jean Paul BADO (1991, 14) souligne le manque d’eau dans certains endroits ne possédant ni rivières, ni cours d’eau. Les puits étaient peu répandus, les seuls trous d’eau, peu profonds, tarissaient vite.
Les marres temporaires ou les villageois allaient se ravitailler, hébergeaient de nombreux germes pathogènes et servaient d’abris pour les insectes vecteurs.
Il faut ajouter aussi que l’insalubrité des villes de la colonie résulte en premier lieu par le fait d’être des villes coloniales. En effet, se sont pour la plupart des villes maritimes, situées sur des rades et des ports plus ou moins fermes à l’embouchure des rivières ou des fleuves sur un sol bas et marécageux . Durant la période hivernale, les grands marais fétides, les eaux stagnantes, saturés de miasmes de fièvre gagnaient du terrain chaque jour, une haute végétation couvrait le paysage entrainant ainsi la présence des animaux et insectes vecteurs de certaines maladies et qui étaient autrement plus redoutables que les grands animaux sauvages . Mais la situation peut être encore plus grave à Dakar. Ville crée en 1857 pour devenir la nouvelle capitale de l’AOF. Et selon Georges Ribot, médecin major des troupes coloniales, et Robert Lafon, secrétaire de la mairie de Dakar en 1908, de toutes les villes coloniales, Dakar est assurément celle dont la réputation d’insalubre est demeurée le plus solidement établie. Cette grande ville n’eut pas de fosses d’aisances et les premiers cabinets publics, au nombre dérisoire de quatorze n’ont été construits qu’au début de 1909. Jusqu’en 1914, ils restèrent très insuffisants, ce qui, dans une ville disposant d’une main d’œuvre toujours plus important et supérieure aux besoins . Les conditions dans lesquelles s’opère les vidanges sont les suivants : les eaux pluviales s’infiltrent dans le sol ou bien elles se rendent à la mer, soit en circulant sur les chaussés, soit dans l’intermédiaire des caniveaux, de fossés. Les eaux ménagères sont jetées directement dans le voisinage même des habitations . Cette situation, des plus fâcheuses a de multiples points de vue, va encore s’aggraver du fait des travaux envisagés pour l’extension et l’équipement du port. En plus, il est constitué peu à peu, un marché d’après-midi à l’avenue Jauréguiberry de Dakar qui rend des services à toute la population. Ce marché se tient dans des conditions d’hygiènes les plus déplorables, les denrées alimentaires (pain, gâteaux etc.) étant installés à même le sol et se trouvant souillées par les poussières abondamment soulevées par la circulation des acheteurs .
Les concentrations humaines sur les chantiers, dans les carrefours commerciaux et dans certaines villes dues à l’apport des travailleurs, des commerçants et des camps militaires catalysèrent la diffusion interhumaine des maladies . Et selon Valerio Bini, de nos jours encore, il suffit de parler en France du Sénégal et surtout de Dakar pour évoquer l’idée d’un climat meurtrier .
Par sa volonté de conquête scientifique et d’éradication des fléaux, la médecine coloniale estompa peu à peu l’image du « tombeau de l’homme blanc » avec la mise en place du casque colonial, des techniques préventives, moustiquaires, vaccins, et bien qu’elle se fit volontiers « prophètes des malheurs » à l’égard des populations africaines et à produire une société indigène saine . A y regarder de plus près, cette volonté de puissance et de domestication fut corrélatif d’importantes faiblesses.
La situation sanitaire du Sénégal avant 1900
Face à la réputation d’insalubres des colonies, la pacification biologique était le premier préalable de toute œuvre de conquête. Au Sénégal, l’analyse historique des pratiques de la médecine coloniale indique l’installation des structures sanitaires dès le XIXème siècle. En effet, l’ordonnance du 17 juillet 1835 et le décret du 14 juillet 1865 avaient déjà organisé le corps des médecins chargé d’assurer le fonctionnement des services médicaux de la flotte et des troupes destinés aux expéditions lointaines . En fait la carte des institutions sanitaires du Sénégal se confond durant toute la période de conquête et d’occupation (1850-1895) aux intérêts de la colonisation et à la préservation de l’élément européen . La transformation du ministère de l’agriculture, du commerce et de l’industrie en ministère de commerce et des colonies en 1890 favorise la création du service de santé colonial. Le décret du 7 janvier 1890 relatif au corps de santé des colonies, en vertu de l’article 5 plaçait l’ensemble des services sanitaires coloniaux sous l’autorité des médecins militaires relevant du ministère des colonies . En 1892, le décret du 30 novembre détermine les fondements juridiques relatifs à l’exercice de la médecine en métropole et dans les colonies.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
JUSTIFICATION DU SUJET ET PROBLÉMATIQUE
PREMIÈRE PARTIE :ORIGINE DEL’ASSISTANCE MEDICALE INDIGÈNE
CHAPITRE I : CONTEXTE D’EMERGENCE
1.Absence d’une politique d’urbanisme et sanitaire
A.L’état d’insalubre des lieux
B.La situation sanitaire du Sénégal avant 1900
II.Les maladies
A. Historique des épidémies
a) Le choléra
b. La fièvre jaune
c. La peste
B. Les maladies traditionnelles
a. Le paludisme
b. La variole
c. La trypanosomiase et la lèpre
d. Autres maladies
C. Les maladies importées
a. La tuberculose
b.Les maladies vénériennes
CHAPITRE II : L’ASSISTANCE AUX INDIGENES : NOTIONS HUMANITAIRES OU RAISONS ECONOMIQUES ?
A. La mission civilisatrice
B. Les enjeux économiques
DEUXIEME PARTIE :CREATION DE L’AMI : MODE DE FONCTIONNEMENT
CHAPITRE III : ORGANISATION GENERALE ET BUT DE L’AMI
I. But à atteindre de l’assistance médicale indigène
II. Organisation générale du service sanitaire
A. Les instructions sanitaires de l’AMI
B. L’organisation des infrastructures sanitaires de l’AMI
a. Les circonscriptions sanitaires fixes
b. Le service mobile
C. Coordination des efforts
D. Le personnel de santé de l’AMI
a. Le corps médical de l’AMI
a-1. Les médecins civils
a-2. Le corps des aides médecins indigènes
b. Le personnel paramédical
b-1. Les infirmiers de l’A.M.I
b-2. Les infirmières visiteuses
b-3. Les sages-femmes
TROISIÈME PARTIE :LES RESULTATS OBTENUS L’AMI
CHAPITRE IV : LES DOCTRINES SANITAIRES DE L’A.M.I
I.Assistance médicale curative : 1905-1920
II.La médecine préventive et sociale ou médecine de masse
CHAPITRE V : BILAN DE L’ASSISTANCE MEDICALE INDIGENE
I. Aspects positifs
II. Aspects négatifs
CONCLUSION GENERALE