La relation « employeur-employé » correspond à une relation d’agence. Jensen et Meckling définissent la relation d’agence comme un contrat par lequel une personne (le principal – l’employeur) engage, contre un paiement, une autre personne (l’agent – l’employé) pour exécuter en son nom une tâche quelconque, ce qui implique une délégation d’un certain pouvoir de décision à l’agent. De par sa nature même, la relation d’agence crée une dissociation entre « propriété » (ownership) et « gestion » (control). Combinée avec la délégation de pouvoir, cette dissociation crée un problème d’asymétrie d’information: la sélection adverse et l’aléa moral.
D’une manière générale, l’asymétrie d’information est une imperfection dans la répartition de l’information entre les agents. Lors d’un échange ou d’une négociation, certains agents disposent d’information « pertinente » que les autres n’ont pas. Les économistes classiques considéraient que ces « petites » inégalités dans la répartition de l’information jouaient un rôle négligeable. Cependant, grâce aux travaux des Prix Nobel Akerlof, Spence et Stiglitz, il a été démontré que « cette imperfection peut avoir des impacts considérables sur l’économie et peut être lourde de conséquences. » .
ASYMETRIE D’INFORMATION
En nous basant sur les littératures existantes et les travaux de nos prédécesseurs, nous présenterons dans ce chapitre les mécanismes de l’asymétrie d’information: son origine et son extension.
L’information n’a jamais eu autant de poids dans notre société qu’aujourd’hui. Elle est « synonyme de pouvoir. » Elle constitue l’outil de base essentiel qui aide dans la prise de décisions stratégiques et dans la gestion de ressources telles que le capital, les ressources humaines, la technologie. Cependant, l’information est imparfaitement distribuée entre les agents, certains agents sont toujours mieux informés que d’autres et celui qui n’a pas la totalité de l’information se trouve défavorisé. C’est précisément ce qui nous conduit à l’étude de l’asymétrie d’information. En économie, on parle d’asymétrie d’information ‘lors d’un échange’ quand l’une ou plusieurs parties des participants disposent d’informations «pertinentes » que les autres parties n’ont pas. Nous allons, dans un premier temps, revoir l’origine de l’asymétrie d’information et dans un second temps, nous aborderons l’asymétrie d’information comme fondement de la théorie d’agence.
Origine de l’asymétrie d’information
En 2001, Akerlof, Spence et Stiglitz ont obtenu le Prix Nobel d’économie pour leurs travaux sur les marchés avec asymétrie d’information: Akerlof pour son fameux «market for lemons, » Spence pour son « job market signalling », et Stiglitz pour sa théorie sur le screening.
Akerlof, «Marché des ‘tacots’»
La notion d‘Asymétrie d’information’ est apparue dans les travaux d’Akerlof, lorsqu’il a étudié le problème posé par le fonctionnement de marchés caractérisés par des asymétries d’information entre vendeurs et acheteurs de voitures d’occasion. Akerlof analyse le marché d’un bien sur lequel les vendeurs savent discerner, a priori, le niveau de qualité des biens, alors que les acheteurs ne peuvent avoir que des anticipations sur le niveau de qualité de ce qu’ils achètent. Dans l’hypothèse de la concurrence pure et parfaite, le niveau moyen de qualité de biens mis sur le marché est indiqué aux acheteurs par le prix du marché. Mais l’exemple d’Akerlof a révélé que malgré cette information communiquée par le prix, il est tout à fait possible que seuls les biens de plus mauvaise qualité soient mis sur le marché, ce qui, en quelque sorte, remet en question et dépasse l’hypothèse de CPP . En effet, dans la réalité, l’information est imparfaitement distribuée entre les agents: certains agents disposent d’information privée qui risque de défavoriser les autres. Cette situation peut conduire à l’effondrement des échanges, voire même à leur annulation. Le marché des véhicules d’occasion peut disparaître. En effet, les personnes qui possèdent un « tacot » (une voiture qui présente des vices) vont tenter de s’en débarrasser par la mise en vente du véhicule d’occasion. Comme les acheteurs ne peuvent ne pas faire le tri entre les vendeurs qui ont de bonnes raisons de vendre leur véhicule et ceux qui le font parce que leur véhicule est un tacot, ils sont tentés de se retirer du marché. Ce qui a pour conséquence : la baisse du prix pour toutes les voitures. Les vendeurs de véhicules de bonne qualité, jugeant le prix trop faible, renoncent alors à proposer leur véhicule, et le nombre de « tacots, » mis en vente, augmente. Ce qui rend encore les acheteurs plus méfiants. Et le marché des véhicules d’occasion peut disparaître.
Spence, effet de signal
Spence, dans sa théorie sur l’effet de signal en 1973, s’est aussi basé sur l’asymétrie d’information existant dans le marché de l’emploi. En économie, un signal est une information donnée par un émetteur qui aide le récepteur à prendre une décision. Il ne suffit pas simplement d’émettre un signal mais la crédibilité du signal est, elle aussi, importante.
L’effet de signal peut d’une certaine manière résoudre le problème évoqué par Akerlof ci-dessus. En effet, les vendeurs doivent signaler la qualité de leurs voitures pour permettre aux acheteurs de prendre une décision d’achat. Le signal que les vendeurs doivent émettre, dans ce cas, peut être matérialisé par l’offre de garantie. Le vendeur de « tacot » est normalement moins enthousiaste à offrir une garantie puisqu’il sait qu’une telle offre fera diminuer largement son espérance de profit, tandis que les vendeurs de voitures de bonne qualité, étant sûrs de la qualité de leurs produits, n’hésiteront pas à offrir une garantie adéquate. L’effet de signal peut donc réduire une partie de l’asymétrie d’information et permet d’aider les acheteurs dans leurs choix.
Spence a appliqué la notion de signal au rôle de l’éducation supérieure. Selon cette théorie, l’éducation n’apporte pas les compétences immédiates utilisables à un futur emploi, elle transmet un message à un employeur potentiel, c’est-à-dire qu’elle constitue un signal auprès de l’employeur, en montrant que la personne qui a fait des études est capable de produire un travail intellectuel difficile et qu’elle a une capacité à faire les efforts nécessaires.
Sur le marché du travail, les employeurs n’ont pas d’informations parfaites sur la capacité réelle des « offreurs de travail ». Selon le modèle de Spence , puisque l’employeur n’a pas d’information complète sur les compétences des postulants au travail, alors il propose un salaire moyen équivalent à la productivité moyenne des «offreurs de travail ». Les individus qui ont une plus grande productivité risquent d’être sous-payés tandis que ceux qui ont une moindre productivité peuvent être surpayés. Pour se distinguer des autres sur le marché du travail et afin d’obtenir un salaire supérieur au salaire moyen, l’individu disposant d’une plus grande productivité doit ‘envoyer un signal’ auprès de la firme. Le signal agit alors comme un filtre, un révélateur à la destination du futur employeur. Les ‘signaux’ sont donc porteurs d’information. Le diplôme, par exemple, permet de signaler aux employeurs potentiels des qualités productives qu’ils ne peuvent observer autrement .
Stiglitz : théorie du criblage ou screening
Stiglitz est très connu pour ses critiques à l’endroit de la FMI. Mais outre cette notoriété populaire, il est aussi reconnu pour sa théorie sur le screening ou criblage – d’abord appliqué à l’éducation en 1975, ensuite sur le marché de l’assurance dans ses travaux avec Rothschild en 1976. Selon Stigliz, ‘screening’ désigne l’identification de la qualité d’un bien parmi un grand nombre de biens de qualité différente. Dans le système de signal de Spence présenté ci-dessus, c’est l’offreur de travail qui prend l’initiative en émettant un signal à l’endroit de l’employeur. Cependant, Stiglitz accorde un rôle moins passif à l’employeur. La théorie proposée par Stiglitz permet de souligner que les entreprises sur le marché n’acceptent pas ‘passivement’ le salaire du marché. Dans un environnement compétitif, les firmes peuvent offrir des salaires plus élevés que les autres. D’autant plus que si toutes les firmes proposent le salaire d’équilibre du marché, il peut être avantageux pour une firme d’offrir une rémunération plus élevée de manière à attirer les salariés les plus productifs.
En 1976, Stiglitz et Rothschild, dans le cas du marché de l’assurance en situation d’information imparfaite, ont montré comment les agents moins bien informés pouvaient obtenir ou extraire de l’information auprès d’agents mieux informés en offrant un large choix de contrats. Les contrats constituent ainsi des outils qui conduisent les agents mieux informés à révéler une partie de leur information privée. Cette théorie introduit la notion de sélection adverse que nous allons aborder dans la prochaine section. Le modèle « screening » de Stiglitz a ensuite été appliqué dans des domaines autres que l’assurance, le marché des crédits en est un. Selon Stiglitz, avant l’analyse du «marché des tacots » d’Akerlof en 1976, quelques prédécesseurs ont déjà abordé le problème relatif à l’information, parmi lesquels il y avait: Adam Smith, Sismonde de Sismondi, John Stuart Mill, Alfred Marshall, Max Weber. Toutefois, ils n’ont fait qu’effleurer le problème, aucun d’eux n’ont poussé le raisonnement sur l’implication de leurs arguments jusqu’au bout . Ils ont juste considéré ces problèmes comme d’ordre secondaire.
Asymétries d’information: fondement de la théorie d’agence
L’asymétrie d’information est une situation, définie dans le cadre de ‘toute’ échange entre deux ou plusieurs parties, dans laquelle l’une des parties contractantes dispose d’une information « pertinente » qui désavantage l’autre partie. Même si les précurseurs ont généralement étudié l’asymétrie d’information dans le cadre de ‘marché’, d’autres chercheurs ont par la suite étendu les travaux à toute « relation » entre deux ou plusieurs agents. L’asymétrie d’information est source d’aléa moral et de sélection adverse et elle sous-tend la théorie d’agence.
La théorie d’agence (problème principal-agent)
Jensen et Meckling ont introduit les fondements de la théorie d’agence. Ils définissent « une relation d’agence comme un contrat par lequel une ou plusieurs personnes (le principal) engage une autre personne (l’agent) pour exécuter en son nom une tâche quelconque, ce qui implique une délégation d’un certain pouvoir de décision à l’agent. » .
Elle concerne donc toute relation entre deux entités, généralement des individus, dans laquelle la situation de l’un (le principal) dépend de l’action de l’autre (l’agent). L’application la plus courante de cette théorie concerne les relations entre actionnaires (le principal) et les dirigeants (l’agent). Les actionnaires confient la gestion de leur patrimoine et de leurs actifs aux dirigeants. Il y a alors une dissociation entre propriété du capital (les actionnaires) et propriété de gestion (dirigeants).
Adam Smith avait déjà noté une remarque pertinente sur cette séparation de propriétés: « Les directeurs de ces sortes de compagnies étant les régisseurs de l’argent d’autrui plutôt que de leur propre argent, on ne peut guère s’attendre à ce qu’ils y apportent cette vigilance exacte et soucieuse que les associés d’une société apportent souvent dans le maniement de leurs fonds. » Berle et Means, ont développé davantage ce principe. Ils ont évoqué la divergence des intérêts entre propriétaires et dirigeants. Selon eux, les entreprises modernes seraient dirigées par des managers qui n’auraient aucune raison d’avoir les mêmes objectifs que les propriétaires du capital. L’asymétrie d’information se trouve à la base du problème puisque le dirigeant [‘qui connaît la vie courante et la réalité de l’entreprise’] dispose de plus d’information que l’actionnaire [‘qui généralement ne connaît l’entreprise qu’à travers les rapports et les réunions’], et il peut être tenté d’agir dans son propre intérêt et non dans celui de l’actionnaire.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I : METHODES ET METHODOLOGIE DE RECHERCHE
CHAPITRE I- LES METHODES UTILISEES
1. L’étude de documents – L’analyse de documents secondaires
2. L’étude de cas
3. L’entretien
CHAPITRE II- Le Choix méthodologique
1. La méthode qualitative comme technique de recherche adaptée
2. Limites de l’étude et problèmes rencontrés
PARTIE II : REVUE DE LITTERATURES
CHAPITRE I- ASYMETRIE D’INFORMATION
1. Origine de l’asymétrie d’information
1.1. Akerlof, «Marché des ‘tacots’»
1.2. Spence, effet de signal
1.3. Stiglitz : théorie du criblage ou screening
2. Asymétries d’information: fondement de la théorie d’agence
1.4. La théorie d’agence (problème principal-agent)
1.5. La sélection adverse
1.6. L’aléa moral
CHAPITRE II- LE CONTRÔLE INTERNE
1. Généralités sur le Contrôle Interne
2. Composantes du Contrôle Interne
2.1. Environnement de contrôle
2.2. Evaluation des risques
2.3. Activités de contrôle
2.4. Information et Communication
2.5. Le pilotage (monitoring)
CHAPITRE III- RELATION ENTRE ASYMÉTRIE D’INFORMATION ET CONTRÔLE INTERNE
1. Revue de littérature sur la relation ‘Asymétrie d’information-Contrôle interne’
2. Conséquences de l’asymétrie d’information et de la faiblesse du contrôle interne : bref résumé des affaires de scandales financiers
2.1. Affaire Enron
2.2. Le scandale de Worldcom
PARTIE III : RESULTATS, ANALYSE ET DISCUSSION
CHAPITRE I- RESULTATS
1. Cadre d’études
1.1. Présentation de l’ONG « HELP »
1.2. Evolution du système de Contrôle Interne de l’ONG
2. Résultats
2.1. Asymétries d’information identifiées au niveau de l’ONG
2.2. Situation de l’Asymétrie d’Information Avant et Après renforcement du contrôle interne
CHAPITRE II: ANALYSE ET DISCUSSION
1. Outils pratiques de renforcement du contrôle interne
2. Causes ou Facteurs explicatifs des résultats
2.1. Causes techniques immédiates
2.2. Causes sous-jacentes: de la nature de l’homme
3. Synthèse : Dynamisme du système de contrôle interne
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE