L’iode 129 est un radioisotope produit par la fission de l’uranium, notamment par les centrales nucléaires. Sa longue demi-vie (15.7 millions d’années), sa radiotoxicité (émetteur beta, qui se fixe sur la thyroïde), et sa grande mobilité dans l’environnement en font un radioisotope dangereux pour les organismes vivants. Très mobile dans les sols, l’129I est considéré comme le plus grand contributeur de la dose à l’exutoire des sites de stockage géologiques. Pour ces raisons, le stockage géologique de l’129I requiert une matrice de conditionnement au moins aussi durable qu’un verre nucléaire comme R7T7. Les méthodes actuelles de stockage de produits de fission (la vitrification) ne permettent pas d’incorporer l’iode dans les verres de stockage, à cause de sa forte volatilité. La pression est un outil couramment employé dans les sciences de la Terre, qui permet d’incorporer des volatils comme l’iode, dans des liquides silicatés similaires aux verres nucléaires. Cet outil pourrait résoudre la problématique industrielle de l’incorporation de l’iode dans les verres nucléaires.
Origine de l’129I Anthropogénique
La fission de l’uranium, source d’129I
L’129I est un isotope instable de l’iode. Il possède une demi-vie longue (15.7 Ma, Audi et al. 2017), pour une activité massique de 6.5 MBq.g-1 (Browne & Firestone 1986). L’129I naturel est soit cosmogénique, par l’interaction des rayons cosmiques avec le xénon (Edward & Ray 1968), soit issu de la fission d’éléments lourds dans la croûte (Purkayastha & Martin 1956) et se désintègre en 129Xe en émettant une particule β– (conversion d’un neutron en proton .
L’énergie nucléaire représente près de 11% de la production d’électricité dans le monde (IEA, world energy outlook, 2018). La fission de l’uranium produit une grande variété de radionucléides, dont des isotopes de l’iode . Les principaux isotopes de l’iode produits dans les réacteurs sont l’127I, l’129I et l’131I (Riley et al. 2016). De nombreux autres isotopes sont produits dans des quantités négligeables, et possèdent des demi-vies courtes (voir Audi et al. 2017). L’129I représente environ 0.6 à 1 % des produits de fission de l’uranium (Yiou et al. 1994, Ojovan et al. 2011).
Le relâchement d’129I par l’industrie nucléaire et sa présence dans l’environnement
L’industrie nucléaire relâche une partie de l’129I produit dans les réacteurs dans l’environnement, depuis les centres de retraitements . L’iode peut être relâché sous forme gazeuse ou dans les effluents liquides (Sellafield, La Hague, Hanford, Mayak RT-1, Aldahan et al. 2007, Reithmeier et al. 2006, 2010, Michel et al. 2012, Riley et al. 2016). Les accidents nucléaires sont aussi à l’origine de relâchement d’129I dans la nature, comme celui de Chernobyl (Paul et al. 1987) ou de Fukushima (Casacuberta et al. 2017). Les régions entourant les sites de décharge atteignent des ratios isotopiques 129I/127I de l’ordre de 10⁻⁷-10⁻⁶ (Maro et al. 1999, Fréchou & Calmet 2003), ce qui est bien au-dessus du ratio isotopique naturel (10⁻¹²-10⁻¹⁰ , Edward & Ray 1968, Lebourgeois 1997).
Le relâchement continu d’129I augmente le ratio isotopique 129I/127I durablement, à cause de la longue demi-vie de l’129I. Aujourd’hui l’129I est l’un des plus grands contributeurs de la dose relâchée par les centres de retraitements (GRNC 1999, Ojovan et al. 2011). Le suivi des relâchements d’129I a beaucoup mobilisé l’attention de la communauté scientifique ces dernières années, et plusieurs inventaires de ces relâchements ont été dressés (Aldahan et al. 2007, Reithmeier et al. 2010) . Ces inventaires et des mesures dans les eaux de surfaces ont permis de modéliser la répartition de l’129I sur Terre ( Reithmeier et al. 2010, Chen et al. 2015).
De nombreuses études se sont intéressées au comportement de l’129I anthropogénique aux abords des centres de retraitements (e.g. Fréchou & Calmet 2003, Fritz & Patton 2006, Santschi et al. 2012, Michel et al. 2012, Neeway et al. 2019, figure 1.3A) ainsi que son comportement sur le globe (e.g. Fehn et al. 1986, Yiou et al. 1994, Englund et al. 2010, Reithmeier et al. 2010, Fan et al. 2016). L’iode est transporté vers l’intérieur des terres par l’atmosphère (Englund et al. 2010), et son accumulation dépend de nombreux paramètres, comme les précipitations, la vitesse des vents, ou encore l’altitude (Buraglio et al. 2001, Jabbar et al. 2012). L’129I apporté dans les terres provient essentiellement des précipitations (Reithmeier et al. 2006) et peut-être tracé par les eaux de surfaces (Chen et al. 2015), ou dans les glaciers (Reithmeier et al. 2010, figure 1.3B).
La majorité des rejets industriels d’129I sont sous forme liquide, au large de la Manche (La Hague, Sellafield ). L’129I est dispersé par les nombreux courants marins (Aldahan et al. 2007). De là, il peut s’évaporer des océans et rejoindre les terres (Reithmeier et al. 2006). Les océans sont les principaux réservoirs d’iode, au fond desquels l’129I se retrouve dans les sédiments (Elmore et al. 1986, Fan et al. 2016). L’évaporation de l’iode marin est le principal apport d’iode dans les terres (Fuge & Johnson 1986).
En plus d’une mobilité importante dans l’atmosphère et l’hydrosphère, l’iode est un élément qui intervient dans de nombreux processus biologiques (Fuge & Johnson 1986). Les échanges d’iode entre ces réservoirs exposent la totalité de la biosphère à l’129I. Les plantes terrestres peuvent absorber de l’iode, principalement sous forme d’iodures dans l’eau ou les sols, mais aussi par l’air (Whitehead 1984). C’est également le cas des plantes aquatiques (Coughtrey et al. 1983, Fréchout & Calmet 2003). L’iode est transmis aux animaux par la consommation d’eau contaminée (Courghtrey et al. 1983), y compris les animaux d’élevage comme les bovins (Fréchou & Calmet 2003). Chez les vertébrés, l’iode se fixe principalement dans la thyroïde (Hou et al. 2009).
L’129I contamine les humains par la chaine alimentaire, particulièrement par la chaine airplante-lait-humain (Robkin & Shleient 1995). Le corps humain contient environ 14.6 mg d’iode, essentiellement concentré dans la thyroïde (Hays 2001, Zimmermann 2011). À l’intérieur du corps, les émissions β- de l’129I peuvent endommager les cellules, et provoquer des mutations génétiques. On estime que les relâchements d’iode du site d’Hanford ont pu exposer la population locale à des doses annuelles de l’ordre de 220µSv, concentrés dans la thyroïde (Robkin & Shleient 1995). À titre de comparaison, la dose maximale annuelle d’origine artificielle admissible par le public est de 1 mSv en France (ASN). Cette dose est concentrée dans la thyroïde, ce qui peut augmenter les risques de cancers (Sahoo et al. 2009, Sinnott et al. 2010).
À cause de la dangerosité de l’129I, et de sa longue demi-vie, les rejets industriels d’129I aussi importants qu’à La Hague ou à Sellafield sont un problème environnemental sérieux. Les déchargements d’129I sont maintenant très régulés aux USA, en Russie et au Japon (Riley et al. 2016). L’interruption des rejets doit s’accompagner d’une méthode de conditionnement de l’iode 129, assurant que celui-ci ne sera pas relâché dans l’environnement sur une période de temps longue.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1. Vitrification des déchets nucléaires : cas particulier de l’iode 129
1.1 Origine de l’129I Anthropogénique
1.1.1 La fission de l’uranium, source d’129I
1.1.2 Le relâchement d’129I par l’industrie nucléaire et sa présence dans l’environnement
1.2 Le stockage de l’129I
1.2.1 Le stockage géologique de l’129I
1.2.2 Les matrices de conditionnement envisagées pour l’129I
1.2.3 Conditionnement de l’129I dans des matrices vitreuses borosilicatées
1.3 Structure des verres
1.3.1 Le réseau vitreux
1.3.2 Les cations modificateurs de réseau et compensateurs de charge
1.3.3 La polymérisation des verres aluminoborosilicatés
1.3.4 Effet de mix d’alcalins et d’alcalino-terreux
1.3.5 L’effet de la pression sur la structure des verres
1.4 Problématique de la thèse
Chapitre 2. Méthodologie expérimentale et instrumentation
2.1 Synthèses des verres initiaux
2.1.1 Choix des compositions
2.1.2 Synthèses de verres à pression ambiante
2.2 Synthèses sous haute pression
2.2.1 Dispositif expérimental
2.2.2 Préparation des capsules
2.2.3 Déroulement des synthèses
2.3 Analyses ICP-OES
2.4 Analyses SEM/EDS
2.5 XPS
2.6 EXAFS et XANES
2.7 Spectroscopie Raman
2.8 Spectroscopie RMN
2.9 Calorimétrie à balayage différentiel
Chapitre 3. Incorporation de l’iode dans les verres nucléaires sous haute pression
3.1 Homogénéité des verres dopés en iode et saturation de l’iode
3.1.1 Homogénéité des teneurs en iode dans la capsule
3.1.2 Apparition de phases cristallisées
3.1.3 Immiscibilité de l’iode et formation d’inclusions d’I2
3.2 Solubilité de l’iode dans les verres nucléaires
3.2.1 Influence des conditions intensives sur la solubilité de l’iode dans les matrices vitreuses
3.2.2 Influence de la composition sur la solubilité de l’iode dans les matrices vitreuses
3.2.3 Effet du rapport entre alcalin et alcalino-terreux
3.3 Incorporation de l’iode dans les verres à l’échelle microscopique
3.3.1 Spéciation de l’iode dans les verres nucléaires simplifiés
3.3.2 L’environnement de l’iode par XANES au seuil L3 de l’iode
3.3.3 L’environnement de l’iode par EXAFS au seuil L3 de l’iode
3.3.4 Mécanismes de dissolution de l’iode et rôle de l’oxygène
3.4 Modèles de solubilité de l’iode dans les verres aluminoborosilicatés
3.5 Conclusion
Chapitre 4. Influence de l’iode sur la structure et les propriétés physiques des verres borosilicatés
4.1 Influence de l’iode sur la charpente silicatée
4.2 Influence de l’iode sur l’environnement du 23Na dans les verres par spectroscopie RMN
4.2.1 Sur le rôle du sodium dans les compositions de départ
4.2.2 Effet de pression sur l’environnement du sodium
4.2.3 Effet de l’iode sur l’environnement du sodium
4.3 Modifications de l’environnement de l’27Al dans les verres dopés en iode
4.4 Les changements induits par l’iode sur l’environnement du bore
4.5 Influence de l’iode sur la température de transition vitreuse
4.6 Conclusions
4.6.1 Changements induits par l’iode sur la structure et les propriétés physiques des verres nucléaires
4.6.2 Sur le rôle de l’oxygène dans l’incorporation de l’iode dans la structure
Conclusions