Le décrochage : depuis quand ?
Bien que le terme de « décrochage » soit relativement récent, il existe en réalité depuis le début du 20ème siècle. À cette époque, les enfants issus du monde agricole quittaient l’école à certaines périodes de l’année, en fonction des saisons et des récoltes. Ils étaient donc des décrocheurs même s’ils n’étaient pas nommés ainsi. Florence Defresne et Jérôme Krop (2016)2 expliquent que « jusqu’à la fin des années 1950, le système scolaire français était encore fondé sur la stricte séparation de deux ordres d’enseignements : élémentaire et secondaire. La majorité des élèves suivait leur scolarité élémentaire dans des écoles primaires jusqu’à l’âge de 14 ans. Après l’obtention du certificat d’études primaires, seuls les meilleurs élèves poursuivaient leur scolarité dans des cours complémentaires. L’enseignement secondaire restait à cette époque un ordre d’enseignement culturellement et socialement ségrégué ». Les premières estimations du décrochage scolaire proviennent de 1960 et font suite à « la réforme Berthoin » de 1959 qui prévoit la généralisation de l’entrée en sixième et le prolongement de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans à partir de 1967. Il faut attendre la massification de l’école, la création du collège unique en 1975 et la crise économique des années 70 pour que le décrochage scolaire devienne un problème de politique publique ; celui-ci étant associé à la crise de l’emploi et au chômage des jeunes au début des années 1980. (Florence Defresne et Jérôme Krop, 2016, p.6) Comme le précise Bernard Pierre-Yves (2014)3 , l’expression « décrochage scolaire » est devenue en quelques années la principale désignation de la problématique des ruptures de scolarité à faible niveau de qualification en France. Elle est inscrite dans différents textes réglementaires de l’administration de l’Éducation nationale depuis 2008, ce qui implique un changement d’orientation de politique éducative. Ainsi, « lutter contre le décrochage » est assimilé à une diminution du nombre de jeunes sortant de l’école sans diplôme et représente une priorité autant nationale qu’européenne (circulaire du 16 mars 2010).
Les conséquences personnelles
➢ Impact sur les compétences personnelles : « Le jeune décrocheur risque de devoir composer avec des lacunes dans le savoir et le savoirfaire. Il va être confronté à une baisse de confiance ou d’estime de soi, à la méconnaissance de soi et des autres, à un déficit de motivation et d’implication, à un manque de confiance en l’avenir, à un sentiment d’amertume à l’égard d’autrui et à un sentiment d’exclusion. »
➢ Impact sur la santé mentale : « Un individu ayant décroché est susceptible de rencontrer des difficultés socioéconomiques et de ce fait, est plus enclin à développer certains problèmes de santé mentale. On observe un risque d’isolement social et de dépression chez ces personnes ainsi qu’un risque de développer des troubles de comportements (intériorisés et extériorisés). »
Le développement propre à l’adolescent
« Sautes d’humeur, impulsivité, irritabilité, difficulté de concentration, recherche de sensations fortes… Ces comportements souvent reprochés aux adolescents s’expliquent par le fait qu’à cet âge, le cerveau n’a pas terminé de se développer et cherche à réguler des doses grandissantes d’hormones sexuelles. Ces connexions manquantes ont pour effet de rendre le raisonnement de base plus ardu. » (S. Lupien, 2015) 13 Selon Suzanne Young (2014)14 : « Un ado n’a pas les mêmes capacités d’organisation, d’abstraction et de prise de décision qu’un adulte. On note ainsi que le sentiment de justice est très important chez l’adolescent, d’où son attente à se faire respecter dans le choix de ses valeurs. Cet inachèvement du cerveau expliquerait en partie la propension de certains ados à prendre de mauvaises décisions en adoptant des comportements immatures ou à risque. » Les facteurs physiques et psychiques sont donc à prendre également en compte dans le décrochage scolaire. L’adolescent est en pleine construction de sa propre personnalité et doit faire face à différents changements :
• « Le développement physique : qui se caractérise essentiellement par une accélération rapide de la croissance et la maturation des glandes sexuelles. L’image corporelle représente une variable très importante de l’estime de soi à l’adolescence. Le jeune est très sensible au regard des autres. Il peut vivre certaines pressions pour correspondre aux standards physiques.
• Le développement affectif : il représente la quête d’identité qui amène le jeune à se questionner sur qui il est vraiment et où il va.
• Le développement cognitif : la maturation des cellules nerveuses permet d’éliminer des connexions inutiles afin d’améliorer les fonctions de haut niveau.
• Le développement social : dépend de plusieurs facteurs, notamment le tempérament et la personnalité, le rendement intellectuel, la famille, l’école, les réseaux d’amis, etc. Les compétences sociales sont très liées aux capacités dont l’adolescent dispose : estime de soi, sentiment d’efficacité personnelle, cognition sociale (capacité de se mettre à la place de l’autre) et capacité à résoudre des problèmes interpersonnels. » (S. Young, 2014) Les adolescents doivent faire face à plusieurs défis développementaux, notamment le fait de:
• « Mettre des limites aux autres (se faire respecter)
• Expérimenter des rôles et responsabilités
• Apprendre l’autodiscipline par l’intériorisation des valeurs et des règles sociales
• Développer leur confiance en eux et face aux autres »
• Apprendre à résoudre des conflits
• Élaborer son système de valeurs
• Évaluer concrètement l’impact de leurs idées ou projets sur la réalité ». (S. Young, 2014)
L’adolescence est donc une période de fragilité psychique pendant laquelle l’enfant construit et affirme sa propre identité. Cela passe parfois par une rupture forte avec le milieu familial et celui dans lequel il évolue : c’est-à-dire l’école. Mais pourquoi certains décrochent-ils alors que d’autres poursuivent leur scolarité ? Comment le processus de décrochage se met-il en place et quels sont les facteurs le déclenchant ?
L’orientation et l’origine sociale
Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, dans leur ouvrage “les héritiers“ (1964), évoquent l’importance de l’origine sociale en matière d’accès aux études supérieures. Ils mettent en lumière ce qu’ils appellent «la reproduction sociale ». « Ce terme décrit une pratique sociale, relative à la famille, consistant à maintenir une position sociale d’une génération à l’autre par la transmission d’un patrimoine, qu’il soit matériel ou immatériel »(P. Bourdieu, J-C Passeron, 1964)26. Ce phénomène connu se traduit statistiquement aujourd’hui par le fait qu’un fils d’ouvrier a plus de chance de devenir ouvrier que de quitter sa classe sociale, de même qu’un fils de cadre aura plutôt tendance à devenir cadre à son tour. Selon son rapport 2019, L’observatoire des inégalités27 nous indique que : « dès les petites classes, l’origine sociale des enfants influence fortement leurs résultats scolaires. En CE2, les élèves les moins favorisés obtiennent une note moyenne de 57 sur 100 en français et 58 en mathématiques, pendant que le quart le plus favorisé atteint 87 et 85 respectivement » (MEN, 2017). « À la fin du collège, les inégalités sociales se traduisent par des orientations différenciées selon la catégorie sociale des parents. Le taux d’accès en seconde générale ou technologique est deux fois plus élevé pour les élèves d’origine favorisée que pour les élèves d’origine sociale défavorisée (84,8 % contre 42,4 %) » (MEN, 2012). Selon Bourdieu (1964), « la réussite scolaire des enfants des classes favorisées ne s’explique pas par leur talent (leur don) mais par leur héritage culturel. Cet héritage est assimilé comme des ressources qui sont au nombre de trois : le capital culturel, économique et social. Les familles transmettent donc à leurs enfants un capital culturel que l’école va valoriser car les savoirs être et faire de la classe favorisée sont aussi ceux exigés à l’école (culture libre, langage, mode de raisonnement…). Les enfants de classe plus modeste connaissent, quant à eux, des problèmes d’acculturation (difficultés pour assimiler une autre culture). Qui plus est, l’habitus des enfants des classes favorisées est en affinité avec celui des enseignants. » On constate donc que l’origine sociale joue un rôle important dans la scolarité de l’enfant dès son plus jeune âge et influence incontestablement le choix de l’orientation à la fin du collège. Mais les prises de décisions des élèves sont avant tout guidées par les habitudes de la famille. L’intérêt et l’importance donnés aux études dans la famille sont finalement des facteurs déterminants dans l’orientation de l’enfant.
La population accueillie
Le lycée accueille 1268 élèves et 273 élèves bénéficient d’une place à l’internat (100 filles et 173 garçons). Le lycée général compte 617 élèves :
– 526 élèves sont en filière GT répartis en S, L, ES, STMG, ST2S.
– 43 en BTS gestion de la PME et gestion PME/PMI
– 48 sont en 3ème prépa métier
Le lycée professionnel compte 651 élèves :
– 264 dans le secteur de la production
CAP, APR et cuisine
Bac pro, TU, MVC, Chaudronnerie, Métier de l’électricité connectée, Cuisine.
– 387 dans le secteur du service
CAP, conducteur routier, ECM, ATMFC
Bac pro, Commerce, Service à la personne, Service en restauration, Conducteur routier.
Le lycée propose également une section européenne dans laquelle sont inscrits 146 lycéens, toutes filières confondues. En termes de genre, la population en filière générale est légèrement surreprésentée par les filles : elles représentent 59,8% des effectifs, une tendance durable puisqu’on observe des chiffres oscillants entre 57,7% et 59,3% depuis 2014. En lycée professionnel, la tendance est largement inversée puisque les filles ne représentent que 36.7% des élèves (tendance durable également puisque les chiffres ne bougent quasiment pas depuis 2014). Cette différence en Pro peut s’expliquer par le fait que les filières proposées restent majoritairement stéréotypées masculines. Le niveau scolaire des élèves, à l’entrée en seconde professionnelle, atteignait la moyenne de 7.7 pour les filles et 7.3 pour les garçons en 2018 (résultat constant par rapport à 2017). 2/3 de ces élèves étaient dans une continuité légitime alors que 31.2% d’entre eux s’avéraient être en retard d’un an. En ce qui concerne les catégories socioprofessionnelles des parents d’élèves, on constate une forte prépondérance de la catégorie « ouvriers et inactifs » qui représente à elle seule 60.1% (Cf. Annexe n°2). Celle-ci est d’ailleurs davantage représentée au sein de l’établissement qu’elle ne l’est au niveau national (49.6%) ou de l’académie (47.1%). L’indice de position sociale nous informe que, pour la filière pro, il est de 81.7 en Bac Pro (90.0 pour l’académie) et 75.7 en CAP (79.1 sur l’académie). En ce qui concerne la filière générale, l’indice est de 100.1 contre 117.6 sur l’académie (Cf. Annexe n°3). La juxtaposition entre ces chiffres et la prépondérance d’une certaine catégorie socioprofessionnelle laissent à penser que le lycée est implanté dans un milieu modeste et populaire. Par ailleurs, on constate que 32,2 % des élèves sont boursiers : ce chiffre confirme la part importante de familles aux revenus modestes au sein de l’établissement.
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Table des matières
Introduction
1 ère Partie : Cadre théorique du décrochage scolaire
1. Qu’est-ce que le décrochage scolaire ?
1.1- Définition
1.2- Le décrochage : depuis quand ?
1.3- L’État français et le décrochage scolaire
2- Le décrochage scolaire : un phénomène multidimensionnel et multifactoriel
2.1 Profil du décrocheur
2.2- Le développement propre à l’adolescent
3. Les facteurs d’influences de l’orientation dans le processus de décrochage
3.1 – L’orientation et le genre
3.2- L’orientation et l’origine sociale
3.3- L’orientation et le milieu familial
3.4- L’orientation subie et la motivation scolaire
4- Problématique et recherche d’hypothèses
4.1- Constat
4.2- Problématique
4.3- Hypothèses
5- Cadre contextuel
5.1- La population accueillie
5.2- La population enseignante
5.3- Moyens et performances de l’établissement
2ème Partie : Étude de terrain
Partie 1 : L’observation de terrain et recueil de données
1.1- Outil de recueil de données
1.2- Méthodologie de construction
1.3- Analyse et résultats
Partie 2 : Les entretiens semi directifs
2.1- Outil de recueil de données
2.2- Méthodologie de construction
2.3- Mode d’administration
2.4- Analyse et résultats
Partie 3 – Discussion des résultats
Introduction
3.1 – Hypothèses de recherche
3.1.1- Hypothèses opérationnelles
3.1.2- Hypothèse générale
3.2- Limites de recherches
3.3- Conclusion
Bibliographie
Sources
ANNEXES
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