Substituer un organe dรฉficient dโun individu par un organe fonctionnel, prรฉexistant ou reconstruit ex vivo, apparait รชtre un concept thรฉrapeutique trรจs ancien. Les dรฉcouvertes archรฉologiques de crรขnes datรฉs du Ve siรจcle avant J.C. montrent la prรฉsence de dents artificielles faรงonnรฉes ร partir de matรฉriaux divers : dents de bรฉtail ou humaines, bois, ivoire, mรฉtal, corailโฆ (Legeros, 2002). De mรชme, dans la cรฉlรจbre reprรฉsentation picturale de Fra Angelico, La guรฉrison du diacre Justinien, saint Cรดme et saint Damien (IIIe siรจcle aprรจs J.C.) rรฉalisent la greffe hรฉtรฉrologue dโune jambe prรฉlevรฉe sur un cadavre (Dubernard, 2007). La mรฉdecine rรฉparatrice et rรฉgรฉnรฉratrice sโest par la suite dรฉveloppรฉe en une discipline dรฉdiรฉe ร lโรฉlaboration de prothรจses externes, dโorganes artificiels et de techniques de transplantation dโorganes.
Cโest au dรฉbut des annรฉes 1990 quโest apparu le concept ยซ dโingรฉnierie tissulaire ยป, dรฉfini lors dโune rencontre de la National Science Foundation comme ยซ lโapplication des principes et des mรฉthodes de lโingรฉnierie et des sciences du vivant pour la comprรฉhension des fondements des relations structure-fonction dans les tissus sains et pathologiques des mammifรจres et le dรฉveloppement de substituts biologiques qui restaurent, maintiennent ou augmentent les fonctions du tissus ยป (Langer et Vacanti, 1993). Ainsi, lโapproche classique de lโingรฉnierie tissulaire a รฉtรฉ dโensemencer des supports plus ou moins dรฉgradables avec des cellules, de les cultiver pour dรฉclencher le dรฉveloppement dโun nouveau tissu puis de les implanter chez le patient. A ce jour, cette technologie est appliquรฉe en clinique avec des rรฉsultats prometteurs pour le remplacement et la rรฉparation de la peau, du cartilage et de lโos, et le champ dโinvestigation de lโingรฉnierie tissulaire sโest รฉtendu ร quasiment tous les tissus et organes du corps humain (nerfs, muscles, tissu adipeux, pancrรฉas, foie, vaisseaux sanguinsโฆ) (Horch, 2008).
Le Tissu Osseuxย
Le squelette est lโorgane de soutien et de la motilitรฉ de lโorganisme. Les deux tissus essentiels de cet organe sont lโos et le cartilage. Le cartilage permet la croissance du squelette et la motilitรฉ des os entre eux, tandis que le tissu osseux assure les fonctions mรฉcaniques de protection des organes vitaux (systรจme cลur-poumon, cerveau) et dโancrage des surfaces articulaires, des tendons et des muscles. A cette fonction mรฉcanique bien connue de lโos il faut ajouter son rรดle mรฉtabolique essentiel en tant que rรฉservoir de minรฉraux (en particulier du calcium) mobilisables pour les besoins de lโhomรฉostasie. Lโapparente contradiction entre une fonction mรฉcanique, qui requiert de la constance, et une fonction mรฉtabolique, qui suppose une certaine versatilitรฉ, fait de lโos un tissu complexe et extrรชmement hiรฉrarchisรฉ. Sa structureest organisรฉe sur une large รฉchelle mรฉtrique, de lโรฉchelle anatomique oรน chaque piรจce osseuse possรจde une forme spรฉcifique dรฉdiรฉe ร sa fonction mรฉcanique, ร lโรฉchelle sub-micromรฉtrique de la matrice extracellulaire qui a la particularitรฉ dโรชtre minรฉralisรฉe. Cette hiรฉrarchie de structure est maintenue par les cellules de lโos qui sont spรฉcialisรฉes soit dans la synthรจse de lโos, les ostรฉoblastes, soit dans sa dรฉgradation, les ostรฉoclastes. La balance entre synthรจse et dรฉgradation de la matrice osseuse est rรฉgulรฉe finement par des facteurs systรฉmiques et locaux en des points prรฉcis du tissu osseux qui permettent lโintรฉgritรฉ du squelette dans son ensemble. Ces diffรฉrents aspects vont รชtre ร prรฉsent dรฉtaillรฉs.
Organisation du tissu osseux : anatomie
On dรฉnombre 206 piรจces osseuses qui varient en forme et en taille afin de sโemboรฎter les unes aux autres pour permettre la mobilitรฉ du squelette dans son ensemble ou dโรฉpouser la forme des organes quโelles doivent protรฉger (Figure 1 A). Elles se classent selon trois groupes anatomiques dรฉfinis par les rapports de leur gรฉomรฉtrie : les os longs (fรฉmur, humรฉrusโฆ), les os courts (mรฉtacarpes, mรฉtatarsesโฆ) et les os plats (sternum, os du crรขne et de la face). Leurs faces sont marquรฉes dโappendices et de dรฉpressions qui portent les surfaces articulaires et participent ร lโancrage des tendons et des muscles.
Typiquement les os longs sont constituรฉs dans leur partie mรฉdiane dโune diaphyse, plus ou moins cylindrique, et de deux รฉpiphyses ร leurs extrรฉmitรฉs (Figure 1 B). Selon une coupe longitudinale, la diaphyse est constituรฉe de parois dโos compact et dโune partie mรฉdullaire constituรฉe dโos spongieux (ou os trabรฉculaire) et rempli de moelle (osseuse ou jaune). Au niveau des รฉpiphyses, la partie mรฉdullaire est occupรฉe par de lโos spongieux alors que la couche dโos compact est plus mince quโau niveau de la diaphyse. La jonction de la diaphyse aux รฉpiphyses est matรฉrialisรฉe par la ligne รฉpiphysaire constituรฉe de cartilage de croissance qui se minรฉralisera ร lโรขge adulte. Lโos est รฉgalement un tissu richement vascularisรฉ et innervรฉ, les vaisseaux pรฉnรจtrent par le foramen nourricier sur la diaphyse et se ramifient dans la longueur de lโos et vers la moelle osseuse.
Lโos spongieux est constituรฉ de lamelles plus ou moins fines de matrice osseuse minรฉralisรฉe, organisรฉes en trabรฉcules interconnectรฉs. Les lamelles ne prรฉsentent pas de formes distinctes mais lโorientation de chacune dโelles converge suivant des lignes de force qui dissipent une partie de la contrainte mรฉcanique qui sโapplique sur la piรจce osseuse (Figure 2 B). La perte osseuse liรฉe ร lโรขge affecte surtout lโos trabรฉculaire qui voit couramment une diminution de ~50% de sa densitรฉ. Cependant cette perte osseuse se traduit par une diminution de ~70% de la rรฉsistance mรฉcanique de lโos et indique la part majeure que semble jouer lโos trabรฉculaire dans la gestion de la contrainte mรฉcanique (Mosekilde et al, 2000).
La matrice extra cellulaire du tissu osseuxย
La matrice osseuse se compose dโune trame de molรฉcules organiques qui est renforcรฉe par une phase minรฉrale de phosphate de calcium organisรฉe en cristaux dโhydroxyapatite. La prรฉsence de minรฉral rend cette matrice extra cellulaire (MEC) tout ร fait particuliรจre au regard des autres tissus conjonctifs.
La molรฉcule de collagรจne de type I reprรฉsente 90% de la masse organique de lโos. Les molรฉcules de collagรจne I sont synthรฉtisรฉes par les ostรฉoblastes et sโorganisent en fibrilles de plusieurs micromรจtres de long et qui apparaissent striรฉes transversalement observรฉes sur coupes en microscopie รฉlectronique ร transmission. Les fibrilles de collagรจne procurent ร lโos sa rigiditรฉ et sa rรฉsistance aux forces de tractions et de torsions. De nombreuses pathologies gรฉnรฉtiques (osteogenesis imperfecta, ostรฉomalacie) ou liรฉes ร lโรขge (ostรฉoporose) perturbent la molรฉcule ou la fibrille de collagรจne et rรฉsultent en une perte effective de la rรฉsistance mรฉcanique de lโos (Boskey et al, 1999). Globalement, les 10% restant de la matrice organique sont regroupรฉs sous le nom de protรฉines non-collagรฉniques qui comprend lโostรฉocalcine (OCA), lโostรฉopontine (OPN), lโostรฉonectine (OCN) et la bone sialoprotein (BSP). Leurs rรดles dans la structuration et le remaniement de lโos ne sont pas ร ce jour totalement rรฉsolus, mais leur prรฉsence au niveau du front de minรฉralisation du tissu ostรฉoรฏde semble les dรฉsigner comme rรฉgulateur de la formation de la phase minรฉrale au sein des fibrilles de collagรจne (Roach, 1994). La distribution et la quantitรฉ de lโOPN et de la BSP varient en fonction de la maturitรฉ de lโos, et ces deux protรฉines sont รฉgalement exprimรฉes dans dโautres tissus que le tissu osseux, notamment dans les รฉpithรฉliums et les cellules cancรฉreuses ร caractรจre invasif (Nanci, 1999). Dans lโos, lโOPN est exprimรฉe ร la fois par les ostรฉoblastes et les ostรฉoclastes et module la nuclรฉation des cristaux dโhydroxyapatite (Mazzali et al, 2002). Aux protรฉines non collagรฉniques on doit รฉgalement ajouter les protรฉoglycanes et les molรฉcules osidiques qui ont une activitรฉ dans la diffรฉrenciation ostรฉoblastique mais sont tout de mรชme trรจs minoritaires dans lโos par rapport ร dโautres MEC (i.e. cartilage) (Parisuthiman et al, 2005).
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Table des matiรจres
INTRODUCTION GENERALE
INTRODUCTION
I LE TISSU OSSEUX
1. ORGANISATION DU TISSU OSSEUX : ANATOMIE
2. LA MATRICE EXTRA CELLULAIRE DU TISSU OSSEUX
3. LES CELLULES DE LโOS
4. FORMATION, CROISSANCE ET REPARATION DE LโOS
II LA MOLECULE DE COLLAGENE
1. LE COLLAGENE : UNE FAMILLE DE PROTEINES DES MATRICES EXTRA CELLULAIRES
2. STRUCTURE ET BIOSYNTHESE DU COLLAGENE DE TYPE I
3. ORGANISATION DES MOLECULES DE COLLAGENE EN FIBRILLES ET FIBRILLOGENESE IN VITRO
III LโINGENIERIE TISSULAIRE APPLIQUEE A LโOS
1. CARACTERISTIQUES DES MATERIAUX DE REPARATION OSSEUSE
2. LES MATERIAUX INORGANIQUES
3. LES POLYMERES SYNTHETIQUES
4. LES POLYMERES NATURELS
MATERIELS ET METHODES
I PREPARATION ET CARACTERISATION DES MATERIAUX
1. OBTENTION DE SOLUTIONS DE COLLAGENE DE TYPE I
a) Extraction du collagรจne de tendons de queues de rats
b) Dรฉtermination de la concentration en collagรจne I : dosage de lโhydroxyproline
c) Analyse qualitative des solutions de collagรจne
2. ELABORATION DES MATERIAUX DE COLLAGENE
a) Matrices fibrillaires de collagรจne
b) Eponges de collagรจne
II TECHNIQUES DE MICROSCOPIE
1. MICROSCOPIE PHOTONIQUE EN TRANSMISSION ET A LUMIERE POLARISEE
a) Principes de la microscopie photonique
b) Principes de la microscopie ร lumiรจre polarisรฉe
c) Prรฉparation des รฉchantillons
2. MICROSCOPIE DE FLUORESCENCE ET A DEUX PHOTONS
a) Principes de la microscopie de fluorescence
b) Le systรจme ApoTome
c) Principes de la microscopie de fluorescence excitรฉe ร deux photons
d) Prรฉparation des รฉchantillons
3. MICROSCOPIE ELECTRONIQUE A TRANSMISSION
a) Principes
b) Prรฉparation des รฉchantillons
4. MICROSCOPIE ELECTRONIQUE A BALAYAGE
a) Principes
b) Prรฉparation des รฉchantillons
III CULTURE DโOSTรOBLASTES IN VITRO
1. LIGNEES CELLULAIRES ETUDIEES
a) Ostรฉoblastes transformรฉs (FHSO-6)
b) Ostรฉoblastes primaires (F27)
2. DISPOSITIF EXPERIMENTAL
3. PREPARATIONS HISTOLOGIQUES A LA PARAFFINE ET COLORATIONS
4. IMMUNOHISTOLOGIE
5. MARQUAGE FLUORESCENT DU CYTOSQUELETTE DโACTINE
IV MODELE DE CRANIOTOMIE CHEZ LE RAT
1. PREPARATION DES IMPLANTS CRANIENS
2. PROTOCOLE EXPERIMENTAL
3. ANALYSE DU CONTENU EN MINERAL PAR DENSITOMETRIE AUX RAYONS X
4. PREPARATIONS HISTOLOGIQUES AU METHYLE METHACRYLATE
5. ANALYSE HISTOMORPHOMETRIQUE
CONCLUSION