En France, près d’une vache sur deux est une vache laitière, c’est-à-dire qu’elle est élevée pour sa production de lait quasi-exclusivement destinée à la consommation humaine, sous sa forme brute ou transformée en fromage, en crème, en beurre, en yaourt ou en dessert lacté. Un peu plus de 90% de ces vaches appartiennent à l’une des trois grandes races laitières françaises que sont la Holstein (une race internationale), la Montbéliarde et la Normande (deux races nationales) et sont réparties sur l’ensemble du territoire, dans des élevages comptant en moyenne 59 vaches laitières (Agreste, 2019). En particulier, les vaches de race Montbéliarde sont présentes dans une très grande diversité géoéconomique de systèmes d’élevage, allant de systèmes en moyenne montagne avec une très forte rémunération du lait grâce aux appellations d’origine (par exemple, l’AOP Comté) aux élevages de plaine à fort niveau d’intensification de la production laitière, en passant par des systèmes sous cahier des charges « agriculture biologique ». Dans ces élevages, les éleveurs accouplent chaque année les femelles de leur troupeau avec un double objectif : induire une nouvelle lactation (i.e. la production de lait) par la naissance d’un veau et assurer le renouvellement du troupeau via la naissance de veaux femelles qui seront ensuite élevés sur l’exploitation. Du fait de l’hérédité de nombreux caractères d’intérêt, un choix judicieux des reproducteurs lors de la planification des accouplements permet une amélioration du niveau génétique des femelles du troupeau au fil des générations.
Cependant, un choix « judicieux » des reproducteurs suppose de connaitre leur valeur génétique. Or, l’information génétique (portée par le génome), transmise par les parents lors de la fécondation via l’ovocyte et le spermatozoïde, est contenue dans le noyau des cellules de tous les mammifères et n’est pas directement accessible ni interprétable par l’observation de l’animal. Il est nécessaire d’utiliser des méthodes statistiques (appelées évaluations génétiques) pour estimer le niveau génétique d’un individu, en se basant souvent sur un grand nombre d’observations phénotypiques sur l’animal et ses apparentés.
Des méthodes d’estimation du niveau génétique s’appuyant sur les données issues du génotypage d’un individu ont été développées et sont utilisées en routine depuis 2009 en France pour les trois grandes races laitières que sont la Holstein, la Montbéliarde et la Normande (Boichard et al., 2012), depuis 2014 pour la race Brune et depuis 2016 pour les races Vosgienne, Abondance et Tarentaise (Jónás, 2016). Le génotypage désigne à la fois une technique, une méthode et un outil qui permettent, à partir d’un échantillon de cellules nucléées d’un être vivant, de connaitre une partie des caractéristiques de son génome. D’abord utilisée par les entreprises de sélection car elle permet des gains de temps et des coûts moindres dans la sélection des mâles reproducteurs, cette méthode d’estimation du niveau génétique est disponible pour les femelles des élevages commerciaux depuis 2011 (Boichard et al., 2012). Malgré les coûts supplémentaires qu’elle génère, l’évaluation génomique (méthode d’estimation du niveau génétique d’un animal calculés sur la base de son génotypage) des femelles pourrait permettre aux éleveurs de mieux choisir celles qui génèreront le renouvellement de leur troupeau, en particulier si ces informations sont combinées avec l’utilisation de semence sexée et du croisement terminal (croisement avec une race allaitante dans le but de maximiser la valeur bouchère du veau produit) (Boichard et al., 2013). Parfois avec le soutien de la filière (par exemple, UMOTEST octroie une aide de 10€ par femelle génotypée), de plus en plus d’éleveurs de vaches Montbéliarde décident de faire génotyper tout ou partie de leur cheptel afin de s’appuyer sur les index génomiques des femelles pour leurs choix de renouvellement et d’accouplement. A titre d’illustration, entre 2011 et 2018, le nombre de femelles Montbéliarde nouvellement génotypées à la demande d’éleveur est passé de 380 à 52 646 femelles par an. Le génotypage permet également d’avoir accès à des informations supplémentaires par rapport à l’évaluation génomique. Par exemple, l’éleveur peut connaitre avec certitude les animaux porteurs d’anomalies génétiques ou de gènes d’intérêt majeurs dans son troupeau.
Les particularités d’une race mixte française
Présentation de la race
Depuis la domestication des bovins par l’Homme au Néolithique, chaque peuple a progressivement conservé les animaux qui lui plaisait le plus, pour des raisons esthétiques (couleur de la robe, forme des cornes), pratiques (capacité à donner son lait en l’absence du petit, capacité de travail dans les champs) ou encore comme source de matière première (lait, cuir, viande). Cette lente sélection au cours des siècles a conduit à des différenciations sous forme de races que l’on subdivise aujourd’hui en trois grands groupes (chez les bovins du genre Bos taurus) selon leurs fonctions principales, souvent liées aux caractéristiques du territoire qui les a fait naître. Les races laitières, comme les races Holstein, Jersiaise ou Brune, ont la fonction première de produire du lait pour la consommation humaine. Les races allaitantes, parmi lesquelles les races Charolaise, Limousine ou Blonde d’Aquitaine, produisent des individus musculeux destinés au marché de la viande. Les races mixtes, comme la Montbéliarde ou la Normande, sont à l’intermédiaire entre ces deux productions principales des bovins, produisant moins de lait que les races purement laitières mais ayant des individus avec de meilleures qualités bouchères que ces dernières. La race Montbéliarde est le résultat du mélange de 3 populations bovines présentes en Franche-Comté au début du XVIIIème siècle : la Tourache au pelage roux, la Fémeline au pelage froment et la race de Berne au pelage pie rouge (Montbéliarde Association, non daté). Le livre généalogique de la race Montbéliarde a été créé en 1889 à la suite de la reconnaissance de cette race lors de l’Exposition universelle de Paris cette même année. Aujourd’hui, les Organismes de Sélection de la race Montbéliarde (Les éleveurs Montbéliards, EvaJura et UMOTEST) définissent ensemble au sein de Montbéliarde Association (Montbéliarde Association, non daté) les standards morphologiques et construisent en concertation avec les filières les grandes orientations de sélection au travers de l’objectif de sélection commun : l’index de synthèse unique (ISU). Les standards de la race sont :
– Une hauteur minimum au sacrum de 120cm ;
– Une robe pie rouge ;
– Les extrémités (tête, membres et queue) de couleur blanche ;
– Une absence de multiples tâches sur la tête ;
– L’absence des symptômes du Syndrome d’Hypoplasie Généralisée Capréoliforme (SHGC)
Lors de la reconnaissance de l’appellation d’origine protégée (AOP) Comté en 1958, la Montbéliarde devient la seule race avec la Simmental à être autorisée pour la production de ce fromage, avec lequel elle partage en partie son histoire et son territoire originel. En terme d’effectif, elle est la deuxième race laitière française sur le territoire avec 628 000 vaches présentes au 1er janvier 2018, contre 2 402 000 vaches Holstein et 319 000 vaches Normandes (GEB Institut de L’Elevage, 2018). Elle représente 17,9% des lactations enregistrées par le contrôle laitier en 2018. Répartie sur l’ensemble du territoire métropolitain, la majeure partie de ses effectifs se concentrent dans trois bassins laitiers : le bassin originel Franc-Comtois (berceau de la race), le bassin Auvergne-Rhône-Alpes et l’Ouest de la France (Pays-de laLoire / Bretagne) . La Montbéliarde est également utilisée en croisement laitier, notamment via le croisement laitier rotatif 3 voies ProCross® (ProCross, non daté), avec les races Holstein et Rouge Scandinave. Ce type de croisement consiste à inséminer les femelles d’une des trois races avec un taureau d’une des deux autres races puis la descendante de cette union avec un taureau de la troisième race et ainsi de suite de génération en génération. Cette pratique permet de bénéficier de la complémentarité de ces trois races et de maximiser l’effet d’hétérosis (écart observé dans les performances des animaux croisés par rapport à la moyenne des performances des races parentales). Enfin, même si la race Montbéliarde n’est pas aussi « internationale » que la race Holstein, elle est également présente à l’étranger, le plus grand troupeau en race pure à ce jour comportant 2 000 vaches et se situant en Russie (Montbéliarde Association, non daté) .
Des productions variées selon le contexte géo-économique de l’élevage
Bien qu’elle soit mixte, la race Montbéliarde est principalement utilisée pour la production laitière, à l’origine pour la transformation fromagère, et elle est utilisée dans des élevages très divers par leur taille, leur production ou leurs contraintes environnementales. Ainsi, la localisation géographique d’un élevage oriente souvent sa production par ses contraintes pédoclimatiques et par ses débouchés locaux. Dans les zones de moyenne montagne où sont fabriqués les fromages sous appellation d’origine comme le Comté ou le Morbier, l’environnement est plus propice au pâturage (d’ailleurs imposé par le cahier des charges de l’AOP) qu’aux cultures céréalières.
La race Montbéliarde est citée comme race autorisée dans le cahier des charges de 11 fromages sous Appellations d’Origine Protégée (AOP) : l’Abondance, le Bleu de Gex du Haut Jura, le Bleu du Vercors-Sassenage, le Comté, l’Époisses, le Langres, le Mont D’Or, le Morbier, le Munster, le Reblochon et la Tome des Bauges (INAO, non daté). Ces appellations protégées sont produites en zone de moyenne montagne avec en général une forte contrainte pour inciter au pâturage (valorisation des prairies) et sur les aliments autorisés de façon plus générale (absence d’OGM dans la ration voire interdiction des ensilages, pour certaines appellations). Ces contraintes sont compensées par une valorisation économique des quantités de lait produites supérieure au lait standard. A titre d’exemple, en 2018, le prix moyen du lait payé aux producteurs en région Bourgogne-Franche-Comté était de 364 €/1000 litres de lait « nonAOP » quand il était de 548 €/1000 litres de lait destiné à la production de Comté, Morbier, Mont d’Or, ou Bleu de Gex du Haut Jura (DRAAF Bourgogne-Franche-Comté, non daté).
Un autre cahier des charges réglemente la production de lait d’éleveurs de vaches Montbéliarde : celui de l’agriculture biologique ou agriculture Bio. En 2014 en France, 19% des troupeaux de femelles de race Montbéliarde étaient conduites en agriculture Bio contre 22% des troupeaux de race Holstein (Le Mezec, Guerrier et Roinsard, 2016). Les cahiers des charges des AOP et celui de l’agriculture Bio (http://www.ecocert.fr/reglementation-agriculturebiologique/) se recoupent sur certains aspects (comme la préférence du pâturage) mais ils sont bien distincts. En particulier, le cahier des charges de l’agriculture biologique doit permettre de répondre aux 4 grands principes de l’agriculture biologique énoncés par l’IFOAM (International Federation of Organic Agriculture Movements) : Santé (limitation de l’utilisation de produits phyto-pharmaceutiques), Ecologie, Equité et Précaution (IFOAM, non daté). Ainsi, en élevage Bio, une attention particulière doit être portée sur la santé des animaux puisqu’ils ne peuvent pas recevoir plus d’un traitement antibiotique par an et que ce traitement doit être limité au maximum. Cette restriction est une contrainte forte pour la gestion des mammites qui doivent à tout prix être évitées. De la même façon que pour les élevages sous AOP (ce qui n’exclut pas le fait que certains élevages soient à la fois sous signe de qualité AOP et Bio), les élevages Bio compensent les contraintes imposées par le cahier des charges Bio par une meilleure rémunération des unités de lait produites : en 2018, le prix annuel moyen payé au producteur de lait Bio en France était de 467€ / 1000 litres de lait (FranceAgriMer, 2019).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
I. Chapitre 1 : Présentation de la filière bovine laitière au travers de la race Montbéliarde
A. Les particularités d’une race mixte française
1. Présentation de la race
2. Des productions variées selon le contexte géo-économique de l’élevage
B. Organisation de la sélection des bovins laitiers
1. L’évaluation génétique, une étape nécessaire de la sélection
a. Principe de l’évaluation polygénique
b. Présentation des index chez les bovins laitiers en France
2. Les bouleversements liés au génotypage et aux évaluations génomiques
a. Principe du génotypage
i. Prélèvement, extraction et lecture de l’ADN
ii. L’évaluation génomique
b. Impact des technologies de la reproduction et des outils d’estimation du niveau
génétique sur l’organisation de la sélection bovine
c. Impact de cette technologie sur les pratiques en élevage
II. Chapitre 2 : Plans d’accouplement : le choix des accouplements, une étape clé de l’élevage
A. Les accouplements doivent assurer le renouvellement du troupeau
B. Les accouplements : une voie d’amélioration de la génétique du troupeau
1. La semence sexée permet de choisir les mères des futures femelles
2. Le choix des pères et la formation des couples
a. Maximiser la valeur génétique de la descendance
b. … en minimisant la consanguinité
c. … et en tenant compte des informations ponctuelles du génome
3. Interactions génotype – milieu : quels impacts sur les accouplements ?
a. Définition des interactions GxE
b. Conséquences des interactions GxE pour la sélection génétique
III. Chapitre 3 : Effet de la fiabilité des index sur les performances génétiques et économiques de trois élevages types en race Montbéliarde
A. Les enjeux de l’étude
B. Article: Use of sexed semen and female genotyping affects genetic and economic outcomes of Montbéliarde dairy herds depending on the farming system considered
1. Texte principal
2. SUPPLEMENTARY MATERIAL
C. Autres éléments de discussion : Atouts et limites du modèle ECOMAST pour l’étude
IV. Chapitre 4 : Apports des informations issues du génotypage des femelles dans les choix des éleveurs lors des plans d’accouplement
A. Les enjeux de l’étude
B. Article : Improved dairy cattle mating plans at herd level using genomic information
1. Texte principal
2. Matériel supplémentaire
C. Discussion et étude complémentaires
1. Autres éléments de discussion
2. Etude complémentaire : comparaison aux choix réels des éleveurs
D. Applications liées
CONCLUSION GENERALE
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