Présentation de la glande mammaire : physiologie et pathologie
L’apparition de la glande mammaire est un événement tardif à l’échelle de l’évolution, et constitue la caractéristique principale de la classe des Mammifères. La glande mammaire est une glande exocrine d’origine ectodermique. Le nombre de glandes mammaires est variable selon l’espèce : une paire pectorale chez l’espèce humaine contre cinq paires, par exemple, chez la souris. D’un point de vue morphologique, cet organe est constitué d’un réseau épithélial d’alvéoles sécrétrices (acini ou unités sécrétrices) et de canaux ramifiés connectant ces dernières, inséré au sein du tissu conjonctif mammaire, également appelé coussin adipeux. Les glandes mammaires humaines et murines présentent quelques différences morpho-anatomiques .
Chez l’espèce humaine, un petit nombre d’alvéoles apparaît dès la puberté et reste présent durant toute la vie adulte. Ces alvéoles sont agencées en grappes (unités lobulocanalaires terminales ou TDLUs = Terminal Duct Lobular Units) et groupées en lobules, euxmêmes rassemblés en lobes (Fig. 1A). Chez la souris, la glande mammaire adulte quiescente ne présente qu’une structure majoritairement canalaire (Fig. 1B), comprenant peu de bourgeons alvéolaires rudimentaires qui sont formés à chaque cycle œstral. La morphogenèse lobulo-alvéolaire a lieu essentiellement au cours de chaque période de gestation. Par ailleurs, le stroma mammaire murin est majoritairement adipeux tandis que chez la femme il est principalement fibreux. En dépit de ces disparités, l’organisation et la hiérarchie cellulaires de l’épithélium mammaire ainsi que les mécanismes moléculaires et cellulaires qui régissent le développement et le fonctionnement de la glande mammaire sont très conservés entre ces deux espèces (pour revue, voir Visvader, 2009). La fonction essentielle de la glande mammaire est de permettre aux femelles de produire et de sécréter les protéines et les lipides du lait, afin de nourrir les nouveau-nés au cours de la lactation. Outre l’apport de nourriture, la lactation permet également de fournir aux nourrissons une protection immunitaire efficace contre les pathogènes grâce aux facteurs immunitaires présents dans le lait. Nous exposerons tout d’abord l’organisation cellulaire et le développement de la glande mammaire de la souris, qui a servi de modèle d’étude pour ce travail de thèse. Nous analyserons également les mécanismes moléculaires conduisant à la tumorigenèse mammaire.
Organisation de la glande mammaire
Chez la souris, il existe cinq paires de glandes mammaires, situées sous la peau en position ventrale. Selon l’axe crânio-caudal, on distingue trois paires de glandes thoraciques (glandes #1, #2 et #3), une paire de glandes abdominales (#4) et une paire de glandes inguinales (#5) (Fig. 2). Chaque glande est constituée d’un stroma mammaire, au sein duquel se développe un épithélium canalaire ramifié, connecté au mamelon par un canal primaire unique.
L’épithélium mammaire
L’épithélium de la glande mammaire possède deux entités structurales distinctes. D’une part, les alvéoles, structures spécialisées dans la production du lait, apparaissant pendant la gestation et présentes tout au long de la lactation (Fig. 3, bas). D’autre part, les canaux qui vont acheminer le lait jusqu’au mamelon pendant la lactation (Fig. 3, haut).
L’épithélium mammaire est pseudo stratifié et organisé en bicouche : une couche de cellules luminales sécrétrices de forme cuboïdale, formant la lumière des tubules mammaires (ou lumen), et une assise de cellules basales myoépithéliales de forme aplatie, directement au contact des cellules luminales, et reposant sur une lame basale (Fig. 4). Ces deux types cellulaires sont identifiables par l’expression de marqueurs spécifiques.
Les cellules luminales expriment les kératines (K) 8 et 18 et une partie d’entre elles possède les récepteurs hormonaux aux œstrogènes (ER), à la progestérone (PR) et à la prolactine (PrlR). Pendant la gestation et la lactation, les cellules luminales dans les alvéoles synthétisent les protéines du lait (comme la β-caséine, WAP – de l’anglais « Whey Acidic Protein » – et β-lactoglobuline), et présentent des gouttelettes lipidiques dans leur cytoplasme (ce qui leur donne une taille plus importante à l’état différencié). Les cellules myoépithéliales ont la particularité d’être contractiles, afin de permettre l’expulsion du lait vers les canaux. Ces cellules expriment spécifiquement les kératines 5 et 14, la molécule d’adhérence P-cadhérine, les cadhérines desmosomiques desmocolline-3 (Dsc-3) et desmogléine-3 (Dsg-3) et le facteur de transcription p63, marqueurs caractéristiques des couches basales des épithélia stratifiés. Les cellules myoépithéliales sont enrichies en intégrines, les récepteurs majeurs de la matrice extracellulaire, et notamment en intégrines comprenant la sous-unité β1 (pour revue, voir Raymond et al., 2012). Par ailleurs, elles expriment les marqueurs de muscle lisse comme l’α-actine de muscle lisse (α-SMA), la myosine de muscle lisse et la calponine (pour revue, voir Deugnier et al., 2002 ; Moumen et al., 2011).
Au sein des alvéoles, les cellules myoépithéliales sont de forme étoilée permettant le contact des cellules sécrétrices avec la membrane basale sous-jacente, tandis que les cellules myoépithéliales canalaires sont allongées dans l’axe des canaux et organisées en une couche relativement continue (Fig. 5). De ce fait, dans les canaux, les cellules luminales ont un contact limité avec la membrane basale tandis que les cellules basales myoépithéliales, en permanence exposées aux signaux issus de la matrice extracellulaire sous-jacente et du stroma mammaire pourraient participer activement à la morphogenèse mammaire et être les médiateurs de la signalisation du stroma vers les cellules luminales. Pendant la lactation, les cellules luminales alvéolaires sécrètent le lait qui est collecté dans les alvéoles et la lumière des canaux, tandis que les cellules basales myoépithéliales assurent les contractions synchronisées autour des alvéoles et le long des canaux qui sont nécessaires au transport du lait jusqu’au mamelon (Moumen et al., 2011). Ces contractions sont induites par la libération d’ocytocine, elle-même stimulée par un réflexe neural lors de l’allaitement de la progéniture.
Le stroma mammaire
L’ensemble de la structure épithéliale est entouré d’une membrane (ou lame) basale, constituée essentiellement de laminines, nidogène, collagènes et protéoglycanes (pour revue, voir Maller et al., 2010). La membrane basale sépare l’épithélium du tissu conjonctif adjacent appelé stroma mammaire et composé d’adipocytes, de fibroblastes, de cellules immunitaires, de vaisseaux sanguins et lymphatiques, de fibres nerveuses ainsi que des constituants de la matrice extracellulaire (Richert et al., 2000). Les adipocytes sont les cellules majoritaires du stroma mammaire et sont à l’origine du nom de coussin adipeux. Les différents signaux systémiques et paracrines délivrés par l’ensemble des cellules stromales sont essentiels à la croissance canalaire de la glande mammaire pendant la puberté, ainsi que lors du développement lobulo-alvéolaire au cours de la gestation (pour revue, voir Tanos & Brisken, 2008).
Ciblage des cellules épithéliales mammaires basales et luminales
Des nombreuses études du développement et de la tumorigenèse mammaires reposent sur l’utilisation de modèles transgéniques comportant soit une invalidation génique totale (en anglais « knock-out ») soit une déficience ou une surexpression ciblées spécifiquement dans l’épithélium mammaire (pour revue, voir Faraldo et al., 2005 ; Allred & Medina, 2008). Parmi les promoteurs spécifiques de l’épithélium mammaire couramment utilisés on distingue notamment le promoteur MMTV-LTR (plus communément appelé MMTV, de l’anglais « Mouse Mammary Tumour Virus ») ou encore les promoteurs des gènes codant pour les protéines WAP (de l’anglais « Whey Acidic Protein ») et BLG (pour β-lactoglobulin). Dans l’ensemble, ces promoteurs sont spécifiquement activés dans les cellules luminales, chez l’animal vierge (pour MMTV) ou au cours de la gestation (MMTV, WAP) et de la lactation (MMTV, WAP et BLG). D’autres promoteurs sont également utilisés afin de cibler les cellules basales épithéliales mammaires, comme les promoteurs des gènes codant pour les cytokératines K5 et K14, actifs dans les premières étapes du développement.
Morphogénèse de la glande mammaire : les étapes clés du développement
Chez la souris, comme chez les autres mammifères, la morphogenèse de la glande mammaire est très limitée durant la vie embryonnaire et a lieu principalement après la naissance, sous l’influence du système hormonal. On distingue trois étapes successives dans le développement post-natal de la glande mammaire : la croissance et la ramification canalaires chez la souris pubère, le développement lobulo-alvéolaire et la différenciation lactogénique pendant la gestation, et l’involution de la glande à la fin de la lactation (Fig. 6). Chacune de ces étapes est contrôlée par des régulateurs hormonaux et des interactions paracrines distinctes (pour revue, voir Sternlicht, 2006 ; Brisken & Rajaram, 2006).
Développement embryonnaire de la glande mammaire
Le développement embryonnaire mammaire est limité principalement à la formation d’ébauches mammaires. Chez la souris, il débute au cours de la seconde moitié de la gestation (E11,5), lorsque les lignes mammaires apparaissent le long de l’axe crânio-caudal et forment cinq placodes localisées aux sites des futurs mamelons (Fig. 7). On assiste alors au niveau de chaque placode à une invagination de l’épithélium afin de former un rudiment mammaire primaire qui commence à pénétrer le mésenchyme sous-jacent (E14,5), ébauche du futur coussin adipeux mammaire (pour revue, voir Veltmaat et al., 2003 ; Robinson, 2007).
L’épithélium se développe ensuite en un nombre limité de branches et, à la naissance, seule une arborescence canalaire rudimentaire est présente dans le stroma mammaire. Parmi les signaux intervenant dans le développement mammaire embryonnaire, on notera notamment les rôles importants des protéines solubles des familles Wnt et FGF (Mailleux et al., 2002 ; Veltmaat et al., 2004). Il a été montré également que le développement de la glande mammaire au cours de la période embryonnaire est indépendant des œstrogènes et de la progestérone (Hovey et al., 2002 ; Hens & Wysolmerski, 2005).
Puberté : croissance canalaire de la glande mammaire
La majeure partie de la mammogenèse se déroule lors de la vie postnatale. Les étapes essentielles de la morphogenèse mammaire sont résumées en Figure 6. De la naissance à la puberté, le réseau canalaire mammaire est très rudimentaire et ne comprend que des ramifications secondaires peu nombreuses reliées à un canal primaire directement connecté au mamelon. Jusqu’à ce stade et en dépit du fait que le canal primaire soit déconnecté du mamelon chez le mâle, la taille de l’épithélium mammaire diffère peu entre le mâle et la femelle. Il faut attendre le début de la puberté, lorsque de larges structures bulbaires – nommées bourgeons terminaux (TEBs, de l’anglais « Terminal End Buds ») prennent naissance aux extrémités distales des canaux chez la femelle, pour voir s’établir un dimorphisme sexuel marqué de la glande mammaire. Avec la puberté, à partir d’environ quatre semaines, sous l’influence des hormones sexuelles, et particulièrement des œstrogènes, les TEBs sont le siège d’une prolifération cellulaire intense afin de permettre aux canaux de progresser rapidement par élongation dans le stroma jusqu’à atteindre les limites du coussin adipeux mammaire. Ils contribuent de cette façon à la mise en place d’un réseau de canaux ramifiés ayant entièrement envahi le stroma, caractéristique des femelles vierges adultes. Les TEBs sont constitués de deux types cellulaires morphologiquement distincts : une couche cellulaire externe, constituée de cellules apicales de type basal, précurseurs des cellules myoépithéliales, et une multicouche de cellules internes, ou cellules du corps du bourgeon, dont sont issues les cellules luminales (Fig. 8) (Hinck & Silberstein, 2005 ; Sternlicht, 2006 ; Visvader, 2009).
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Présentation de la glande mammaire : physiologie et pathologie
1.1 Organisation de la glande mammaire
1.1.1 L’épithélium mammaire
1.1.2 Le stroma mammaire
1.1.3 Ciblage des cellules épithéliales mammaires basales et luminales
1.2 Morphogénèse de la glande mammaire : les étapes clés du développement
1.2.1 Développement embryonnaire de la glande mammaire
1.2.2 Puberté : croissance canalaire de la glande mammaire
1.2.3 Gestation – Lactation : morphogenèse lobulo-alvéoalaire
1.2.4 Involution : apoptose et remodelage de la glande mammaire
1.3 Les cellules souches dans la glande mammaire
1.3.1 Mise en évidence des propriétés régénératives des cellules basales
1.3.2 Propriétés clonogéniques des cellules épithéliales mammaires
1.3.3 Modèle de ségrégation des lignages mammaires
1.3.4 Mécanismes de contrôle de la fonction des cellules souches et progénitrices mammaires
1.3.5 Rôle de la transition épithélium-mésenchyme dans l’acquisition des propriétés des cellules souches mammaires
1.4 La tumorigenèse mammaire
1.4.1 Les cancers du sein
1.4.2 Classification moléculaire des cancers du sein
1.4.3 Les tumeurs du sein de type basal
1.4.4 Les différentes théories menant à l’hétérogénéité tumorale
1.5 Rôle de la voie Wnt/β-caténine dans la tumorigenèse mammaire
2. Le proto-oncogène Myc
2.1 Structure de la protéine Myc
2.2 Activation et fonctions de Myc
2.3 Rôle de Myc dans le maintien des cellules souches et progénitrices
2.4 Rôle de Myc dans la tumorigenèse
3. Le gène suppresseur de tumeur Trp53
3.1 Structure de la protéine p53
3.2 Régulation de p53
3.3 Activation et fonction de p53
3.4 Rôle de p53 dans le développement et dans les cellules souches
3.4.1 p53 et développement
3.4.2 p53 et cellules souches embryonnaires
3.4.3 p53 et cellules souches adultes
3.4.4 Mécanismes possibles d’action de p53 sur la régulation du compartiment cellulaire souche
3.5 Rôle de p53 dans la tumorigenèse
3.5.1 Les mutations du gène Trp53 ont fréquentes dans les cancers
3.5.2 p53 et cellules souches cancéreuses
4. Objectifs et approches expérimentales
MATERIELS & METHODES
1. Souris transgéniques
2. Génotypage
3. Isolement des cellules mammaires par cytométrie en flux
4. Essai de formation des colonies
5. Essai de formation des mammosphères
6. Transplantation de cellules isolées et de fragments de tissu mammaire dans le coussin adipeux
7. Etude morphologique et histologique des échantillons
7.1 Prélèvement, fixation et coupes histologiques
7.2 Marquage au X-gal
7.3 Colorations histologiques
8. Immunohistologie – Immunocytologie
9. Anticorps
10. RT-PCR en temps réel
11. Analyse statistique des résultats
RESULTATS
CONCLUSION
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