ORGANISATION DE LA CERTIFICATION DU CACAO
Contexte
Le cacaoyer (Theobroma cacao) est un arbre tropical, originaire dโAmรฉrique centrale et du sud, dont les fruits (les fรจves de cacao) sont trรจs commercialisรฉs et transformรฉs en sous-produits qui peuvent รชtre de luxe (liqueur, pรขte, beurre, tourteaux et poudre) ou en matiรจre premiรจre pour lโindustrie agro-alimentaire. En 2014-2015, 4,2 millions de tonnes de fรจves de cacao dโune valeur approximative de 12 milliards USD ont รฉtรฉ produites dans le monde (ICCO, 2016). 73% de la production mondiale provenait dโAfrique de lโOuest, 17% dโAmรฉrique centrale et dโAmรฉrique du Sud, et 10% de lโAsie (ICCO, 2016). Les huit plus grands pays producteurs รฉtaient la Cรดte dโIvoire (42 % de la production mondiale), le Ghana (18%), lโIndonรฉsie (8%), lโรquateur (6%), le Cameroun (5%), le Brรฉsil (4%), le Nigรฉria (4%) et le Pรฉrou (2%) (ICCO, 2016). La majeure partie du cacao africain est exportรฉ vers des grandes entreprises de transformations occidentales telles que Barry Callebault, Cargill, ADM (Archer Daniels Midland) et Mars. Le cacao est donc une source de revenue considรฉrable pour de nombreux producteurs et entreprises globalisรฉes aussi bien en Afrique, quโen Amรฉrique Centrale et du Sud et une voie dโentrรฉe de devises pour les รฉconomies en gรฉnรฉral.
Selon lโOrganisation Internationale du Cacao et du Cafรฉ (ICCO, 2014), 90% de la production de cacao proviendrait de petits producteurs. Les niveaux de productivitรฉ et de rentabilitรฉ รฉconomique de ces petits exploitants sont gรฉnรฉralement faibles en raison de la prรฉvalence des ravageurs et des maladies (les attaques fongiques sur les gousses de cacao pourraient entrainer jusqu’ร 50% de perte de production), la dรฉgradation des sols, l’รขge gรฉnรฉralement รฉlevรฉ des agriculteurs, de leurs exploitations (50% des plantations auraient plus de 40 ans) les coรปts relativement รฉlevรฉs des intrants, la difficultรฉ dโaccรจs au crรฉdit et la fluctuation permanente du prix du cacao sur le marchรฉ mondial (MINADER et al. 2005). Au Cameroun, cinquiรจme producteur, le cacao est la principale culture de rente du pays, puisquโelle rassemble plus de 50% de la population agricole et couvre 420 000 hectares de surface arable utilisรฉe (KIT Royal Tropical Institute et al., 2010). Une infime partie du cacao est transformรฉe localement, et environ 90% est exportรฉ vers l’Europe, en particulier aux Pays-Bas, comme matiรจre premiรจre pour les chocolatiers et l’industrie de la confiserie (Hinzen et al., 2010). En 2009, le cacao reprรฉsentait 14% du total des recettes d’exportation du pays (KIT Royal Tropical Institute et al., 2010).
Le Cameroun possรจde de nombreux atouts pour la culture du cacao, parmi lesquels : dโimportantes surfaces arables, un climat favorable, des sols volcaniques riches en humus donnant au cacao une bonne aciditรฉ (Bagal et al. 2013). Dans les annรฉes 2000, suite ร une augmentation des prix du cacao, le gouvernement camerounais a dรฉcidรฉ d’augmenter la production de cacao en amรฉliorant la productivitรฉ afin de stimuler les exportations et lโentrรฉe de devises. En 2006, il s’est lancรฉ dans un programme de ยซmodernisationยป des exploitations cacaoyรจres, avec pour composantes : (1) la sensibilisation des agriculteurs sur la nรฉcessitรฉ de rรฉinvestir dans la culture du cacao, (2) le financement de la recherche pour produire des variรฉtรฉs de cacao plus rรฉsistantes aux maladies, (3) la multiplication des variรฉtรฉs amรฉliorรฉes et leur distribution aux agriculteurs ร des prix subventionnรฉs et (4) l’ organisation des agriculteurs en coopรฉratives (Chi Benieh, 2013).
Quelques annรฉes aprรจs le dรฉmarrage effectif dudit programme, des prรฉoccupations ont รฉtรฉ soulevรฉes par les environnementalistes sur la dรฉforestation rapide, la conversion des forรชts en terres agricoles et leurs consรฉquences sur lโaccentuation du changement climatique (Chi Benieh, 2013). Ils ont รฉgalement fait valoir le fait que l’utilisation massive de pesticides chimiques et d’engrais dans la production de cacao, dรฉtruit l’รฉcosystรจme naturel. De plus, la filiรจre cacao en Afrique, et au Cameroun en particulier, est fortement influencรฉe par lโaval – buyer driven – par des grands groupes agro-industriels localisรฉs dans les pays europรฉens qui recherchent de plus en plus un cacao durable, respectueux de lโenvironnement, de la santรฉ des consommateurs et des producteurs (diminution de lโutilisation des produits de synthรจse, du travail des enfants) tout en leur garantissant des revenus stables et plus รฉlevรฉs.
Ainsi, lโindustrie chocolatiรจre Mars est la premiรจre ร sโengager ร sโapprovisionner en cacao certifiรฉ dโici 2020 ; et affirme acheter du cacao certifiรฉ de Rainforest Alliance (RA) (Landrieu, 2009). Il en est de mรชme pour lโentreprise Barry Callebault qui en 2005, a lancรฉ un programme dโintensification de la culture du cacao en Cรดte dโIvoire, avec pour objectif principal de former les producteurs aux pratiques agricoles durables (Gazzane, 2010). Par ailleurs, 2000 tonnes de cacao camerounais ont รฉtรฉ refoulรฉs en 2013 des ports europรฉens parce que sentant la fumรฉe (Bagal et al., 2013). Cela est dรป ร lโusage de mauvaises pratiques de sรฉchage (sรฉchage sur goudron notamment) et de fermentation qui sont ร lโorigine de la contamination en hydrocarbures aromatiques polycycliques (Bagal et al., 2013). Face ร ce contexte macro-รฉconomique (รฉchanges internationaux) et environnemental, le cacao certifiรฉ apparait comme une alternative de production envisageable et mรชme souhaitable pour favoriser une meilleure insertion du cacao camerounais sur les marchรฉs mondiaux.
CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIE
Depuis lโaprรจs-guerre, le secteur agricole subit de perpรฉtuelles mutations du fait de, la mondialisation des marchรฉs des produits agricoles, lโรฉvolution des technologies, lโรฉvolution des rรดles de lโรtat, et la variabilitรฉ climatique (Banque Mondiale, 2012). Pour pouvoir sโadapter ร toutes ces transformations, les agriculteurs, les entreprises, et mรชme les nations, doivent sans cesse innover. Les recherches appliquรฉes en biologie molรฉculaire, en gรฉnรฉtique et en chimie ont donnรฉ naissance ร de nombreuses innovations agricoles ร travers le monde. Mais celles-ci nโont pas eu que des effets positifs et ont contribuรฉ dans une certaine mesure ร lโaccentuation du changement climatique. De nombreux groupes รฉpistรฉmologiques (Millennium Ecosystem Assessment, IAASTD) appellent donc ร une rรฉorientation des sciences vers des approches plus holistiques de dรฉveloppement et de durabilitรฉ (Vanloqueren & Baret, 2009).
Cโest dans ce contexte que se dรฉveloppent les innovations agro-รฉcologiques, telles que la certification du cacao, qui vise ร prรฉserver les รฉcosystรจmes agroforestiers, tout en garantissant des revenus suffisants aux producteurs. Mais pour que ces innovations se dรฉveloppent, elles doivent รชtre adaptรฉes aux institutions locales (normes sociales par exemple) et recevoir lโapprobation des organisations (coopรฉratives agricoles, exportateurs, acteurs des secteurs public et privรฉ). Les institutions jouent un rรดle central dans le processus dโinnovation notamment ร travers lโapprentissage et le partage des connaissances (Hall, 2005). Les institutions sont ร diffรฉrencier des organisations qui renvoient aux entreprises, organismes de recherches, institutions gouvernementales (ministรจres), organismes non gouvernementaux (ONG), coopรฉratives agricoles ; tandis que les institutions renvoient aux ยซ rรจgles du jeu ยป, aux habitudes, rรจgles formelles ou informelles qui rรฉgulent les interactions entre les individus et les groupes (Hall, 2005). La certification รฉtant une innovation au Cameroun, la prรฉsente รฉtude interroge les questions de dรฉveloppement de lโinnovation, et son lien avec les institutions et organisations.
La certification : enjeux et limites
Depuis plusieurs dรฉcennies, les industries alimentaires utilisent les signes de qualitรฉ comme des stratรฉgies institutionnelles de rรฉsistance ร la concurrence, et dโadaptation aux attentes sociรฉtales. En 1919, est crรฉรฉe ยซ lโappellation dโorigine ยป qui permet de spรฉcifier tous types de produits par voie judiciaire ou administrative (Sylvander, 1995). Elle devient AOC en 1935 dans le vin et sโรฉtend aux fromages en 1955. En 1960, ยซ le label rouge ยป est crรฉรฉ ; puis mis en place par dรฉcret en 1965 (Sylvander, 1995). Au Cameroun, il nโexiste pas de certification ร lโorigine du cacao du fait de la faible proportion de cacao transformรฉe localement. Les dispositifs de certification ร lโorigine dโun point de vue historique et mondiale se dรฉveloppent dans les situations territoriales qui intรจgrent dans un mรชme espace gรฉographique, lโactivitรฉ de production de la matiรจre premiรจre et lโactivitรฉ de transformation (Bridier & Chabrol, 2009).
Dans les annรฉes 1990, suite ร lโapparition de crises sanitaires (vache folle, concombre tueur, etc.), et lโinquiรฉtude grandissante au sujet de la prรฉservation de lโenvironnement, et des moyens de subsistance des producteurs, de nombreuses initiatives de certification voient le jour. La certification des produits et des productions par les labels ยซ Agriculture Biologique ยป, ยซ commerce รฉquitable ยป, ยซ UTZ ยป, ยซ Rainforest Alliance ยป, remonte au dรฉbut du XXe siรจcle (Kuit & Waarts, 2015). ยซ La certification dรฉsigne une procรฉdure par laquelle une tierce partie, lโorganisme certificateur, donne une assurance รฉcrite quโun systรจme dโorganisation, un processus, une personne, un produit ou un service est conforme ร des exigences spรฉcifiรฉes dans une norme ou un rรฉfรฉrentiel ยป (Ministรจre de lโEconomie, 2004).
Cโest un acte volontaire qui peut procurer aux entreprises/organisations, un avantage concurrentiel. Cโest รฉgalement un gage de qualitรฉ, pour les acheteurs/consommateurs, que le produit ou service obtenu rรฉponde aux normes en vigueur. Le concept du commerce รฉquitable existe depuis les annรฉes 1950, mais ce nโest quโร la fin de lโannรฉe 1988 que dรฉbute la commercialisation du premier cafรฉ certifiรฉ Max Havelaar-Fairtrade (Kuit & Waarts, 2015). Aujourdโhui en plus du cafรฉ, Fairtrade certifie une quinzaine de produits tels que les fruits et lรฉgumes, le coton, le cacao. La toute premiรจre certification de Rainforest Alliance remonte ร 1993 ; et UTZ Certified nait en 1997 de la volontรฉ dโun producteur guatรฉmaltรจque de cafรฉ et dโun torrรฉfacteur nรฉerlandais, dโamรฉliorer les connaissances des acteurs de la filiรจre cafรฉ sur les mรฉthodes de production (UTZ, 2015). Aujourdโhui, en plus du cafรฉ, UTZ certifie รฉgalement le thรฉ et le cacao.
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Table des matiรจres
DEDICACES
REMERCIEMENTS
SOMMAIRE
RESUME
ABSTRACT
INTRODUCTION
CHAP I. CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIE
1.1. Cadre thรฉorique et revue de la littรฉrature
1.1.1. La certification : enjeux et limites
1.1.2. Coordination des acteurs de la certification : un dรฉfi
1.1.3. La certification du cacao : une innovation en devenir ?
1.1.3.1. Emergence des innovations
1.1.3.2. Le modรจle de Geels : une approche par la transition
1.2. Matรฉriels et mรฉthodes
1.2.1. Description de la zone dโรฉtude
1.2.2. Collecte et analyse des donnรฉes
CHAP II. ORGANISATION DE LA CERTIFICATION DU CACAO
2.1. Configuration des acteurs de la certification : reprรฉsentation thรฉorique de la certification versus organisation empirique
2.2. Une gestion mutuelle de la qualitรฉ : la relation producteur-coopรฉrative
2.3. Une relation contractualisรฉe : Relation coopรฉrative- exportateur
2.3.1. Relation SIC CACAO et MBANGASSUD
2.3.1.1. Intรฉrรชts du partenariat
2.3.1.2. Inconvรฉnient : risque dโachat de cacao certifiรฉ sous forme de cacao ordinaire
2.3.2. Relation AMS et SOCAMAK
Conclusion partielle : La nature des interactions coopรฉratives-exportateurs
CHAP III. PERCEPTIONS DES PRODUCTEURS VIS-A-VIS DE LA CERTIFICATION
3.1. Certification et OP : une alliance inรฉvitable
3.2. La certification : stratรฉgie dโรฉlimination des coxeurs ?
3.3. Perception de la certification par les PC et PNC
3.3.1. Les entraves ร la certification du cacao
3.3.1.1. Le manque dโinformation sur le sujet
3.3.1.2. Pas de diffรฉrence de prix entre le cacao certifiรฉ et le cacao ordinaire
3.3.1.3. La certification augmente le coรปt de la main dโoeuvre agricole
3.3.2. La certification : une entreprise profitable ?
CHAP IV. DETERMINANTS INSTITUTIONNELS DE LโEMERGENCE DE LA CERTIFICATION
4.1. Les conditions de dรฉveloppement de la certification
4.1.1. Au niveau des producteurs
4.1.2. Dรฉveloppement dโOP organisรฉe
4.2. Quels dรฉterminants du changement de rรฉgime ?
4.3. Le modรจle de transformation du secteur cacao
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
Annexe 1. Guide dโentretien
Annexe 2. Questionnaire pour les producteurs certifiรฉs
Annexe 3. Questionnaires des producteurs non-certifiรฉs
Annexe 4. Grille de prรฉsentation UTZ
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
LISTE DES ABREVIATIONS
TABLE DES MATIERES
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