Ordonnance de placement provisoire du nouveau-né à la naissance ou pendant le séjour en maternité

La relation soignant-soigné

Posture de la sage-femme

Les sages-femmes interrogées ont toutes mentionné la singularité de leur posture de soignante dans leur relation avec ces femmes dont le nouveau-né a été placé dès la salle de naissance ou bien durant le séjour en maternité.
Elles évoquent en premier lieu une grande part de non-dits. Mme B nous confie à propos d’une patiente dont elle s’est occupée en Grossesse à haut risque (GHR) pour qui un placement du nouveau-né était prévu au moment de la naissance : « (…) en fait dès qu’elle abordait le futur avec son enfant on en parlait pas. Alors c’était difficile parce qu’effectivement soit on faisait semblant de ne pas avoir entendu, soit on disait « bah je vais vous prendre votre tension », enfin faire un truc autre pour ne pas en parler quoi, c’est parce que c’était vraiment le truc qu’on abordait pas. En tous cas moi y avait pas forcément de conduite à tenir établie claire mais moi je me sentais pas de dire « bah oui avec votre enfant… » puisque je savais très bien qu’elle n’aurait jamais son enfant quoi. Donc moi j’adoptais cette logique d’évitement pour ne pas avoir à aborder… ». Cette notion de « non-dits » et d’évitement est rapportée par 5 des 7 sages-femmes. Cette problématique se posait principalement lorsque les patientes abordaient le futur avec leur enfant ou avaient des interrogations quant au déroulement ou à la durée du séjour parfois prolongé en maternité sans justification médicale mais en prévision de la préparation du placement du nouveau-né. Dans la totalité des situations rencontrées par les sages-femmes la mère n’était pas informée d’un possible placement de son enfant.
Quatre d’entre elles iront jusqu’à employer le terme de « mensonges ». « Après ce qui est difficile je trouve c’est que auprès de la patiente c’est beaucoup de mensonges… Dans le sens où à un moment on sait que, ben on sait que la décision va être prise, et on est obligés de mentir un peu à la patiente » nous dit Mme F au sujet de l’attente de la décision de placement.

Singularité des patientes

Le discours de l’ensemble des sages-femmes rapporte une particularité inhérente au contexte de vie de ces patientes mais aussi aux patientes en elles-mêmes. La caractéristique commune à toutes les situations, aussi différentes soient-elles, est la vulnérabilité de ces femmes. Mme G évoque leur passé souvent chargé : « il y a en général chez ces femmes un parcours qui est quand même très douloureux », elle ajoute « encore une fois ces femmes, elles sont très souvent victimes de ce qu’elles ont pu connaitre ». Mme C décrit « des terrains de fragilité », et précise « (…) ce sont souvent des femmes qui sont dans des situations de vie plus difficiles ». On a pu retrouver dans le récit des situations exposées par l’ensemble de sages-femmes : des histoires de violences conjugales, d’addictions, de défaillances maternelles, de pathologies psychiatriques maternelles, de précarité, d’isolement familial et social…
La seconde caractéristique d’une grande partie de ces patientes qui a pu être décrite consiste en une forme de repli sur elles-mêmes allant dans certains cas jusqu’au refus de soin.
Mme G notamment évoque plusieurs fois le repli sur soi dans son discours : « elles peuvent être très braques et fermées » mais encore « (…) t’as des patientes pour qui c’est très dur, faut vachement gratter… », elle emploie le terme de  » carapace ». Mme C y a aussi été confrontée : « Des femmes qui du coup ne parlaient pas, euh disaient d’accord juste pour une tension ou un examen clinique et c’est tout. ».

Le ressenti des sages-femmes

Les situations de placements de nouveau-nés n’étant heureusement pas le quotidien des sages-femmes dans le service des suites de naissance et s’accompagnant bien souvent de contextes difficiles et de potentielles violences, elles génèrent chez les professionnelles interrogées des ressentis assez forts dont elles nous ont fait part.
La colère est une émotion qui a pu être décrite par Mme B et Mme G de manière assez forte, les deux ont qualifié ces pratiques de placement de nouveau-né de « dégueulasse ». C’est un « mouvement de colère » qualifié de « vraiment abominable » et un sentiment de révolte qui se sont emparés de Mme B :  » Après, j’ai eu un moment de révolte en me disant c’est quand même dégueulasse… Enfin… C’est quand même assez dégueulasse ce qu’on vient de faire, on vient de retirer un enfant à sa mère quoi ». Mme G témoigne elle aussi en ce sens :  » J’avais trouvé ça franchement dégueulasse quoi ! Clairement ! J’étais vachement remontée ! J’étais en colère je me souviens. ».
Chez Mme B nous pouvons percevoir aussi une forme de déstabilisation lorsqu’elle nous confie « Donc voilà ça c’est des histoires qui ébranlent un peu nos certitudes. ». Les représentations de la séparation mère-enfant sont très dures dans les propos des sages-femmes. Mme A décrit cela comme « un rapt d’enfant » ou encore « un bébé arraché à sa mère ».
Mme C quant à elle amène le terme de « rupture » qui peut être utilisé pour décrire ces situations. Mme F formule clairement l’impact de son ressenti de mère sur sa représentation : « (…) tu te mets dans ta position de maman et tu te dis que c’est déchirant en fait d’enlever un enfant à sa mère parce que dans les faits c’est vraiment un enlèvement d’enfant parce qu’en plus on fait ça un petit peu derrière son dos. ». Mme F insiste sur la façon dont se déroulent les placements et s’interroge sur le fait de ne pas laisser la liberté à la mère de dire au revoir à son enfant mais elle conclut en se disant que c’est la moins mauvaise manière de faire afin « que ce soit pas des au revoir dans les pleurs et les cris, pour que ce soit fait en douceur ».

Place de la sage-femme dans l’accompagnement de ces patientes

Rôle perçu par les sages-femmes

Nous avons questionné les sages-femmes sur ce qu’elles pensaient être leur rôle auprès de ces patientes et les points de vue sont variés.
Pour 2 d’entre elles, comme Mme A, elles considèrent leur rôle comme étant le même qu’auprès de n’importe quelle autre patiente : « On a le même rôle de surveillance, de vigilance. Je pense que je les prends en charge de la même façon. ».
Pour les autres, cette situation leur donne un rôle bien particulier aux côtés de ces femmes. Mme F décrit notamment « un très gros rôle d’écoute ».
Pour la majorité des sages-femmes la complexité dans leur rôle auprès de ces patientes a été de devoir assurer leur mission de protection de l’enfance mais aussi celle de soutien à la parentalité qu’elles ont habituellement auprès des patientes. « C’est à dire que l’on est dans un soin, elles sont en postnatal donc on continue à être dans un accompagnement de soin pour elles et en même temps on a cette annonce à faire là dans le cadre la protection de l’enfance. Et y a un moment où y a… on a l’impression qu’on est… qu’on est contradictoires et qu’on est maltraitants pour ces femmes. » nous dit Mme C. Elle décrit ensuite combien il est difficile pour elle en tant que sage-femme sensibilisée aux théories de l’attachement et aux moyens de favoriser l’instauration du lien mère-enfant de se trouver dans ce qu’elle décrit comme une « ambivalence » : protéger l’enfant mais être maltraitant pour la mère. Elle l’illustre avec un exemple concret au sujet de mères dont le nouveau-né sera retiré et qui souhaitent allaiter pendant leur séjour en maternité : « C’est de se dire «qu’est-ce que je suis en train de faire ? » quoi, « je suis en train de créer un truc que je vais détruire dans deux jours ». « .

La collaboration interprofessionnelle

Le manque d’information ressenti par les sages-femmes travaillant dans les services de maternité est un élément qui revient dans le discours de toutes les professionnelles. C’est l’un des éléments qui explique le sentiment d’incompréhension décrit par certaines plus haut concernant leur vécu du placement. « J’ai l’impression que c’était assez cloisonné. On a pas eu assez d’info sur ce qui s’était passé avant, nous on a l’impression que ça nous est un peu tombés dessus cette, euh… décision de placement là. (…) On a eu l’impression d’être mis de côté, que ça nous concernait pas alors que on était un peu en plein coeur de l’action. (…) et on aurait peut être été plus embarqués dans la façon de le faire, voilà on aurait aimé le faire tous ensemble quoi. » explique Mme A.
Trois sages-femmes ont décrit une discordance entre les décisions prises ou les éléments transmis par les services sociaux et ce qu’elles ont pu évaluer elles en maternité. « Sur un signalement d’une de nos collègues qui nous paraissait peut être pas tout à fait justifié ou euh… peut être exagéré. Enfin, ça a été du coup gros gros malaise pour tout le monde » explique Mme A à propos de sa patiente. Selon Mme C elle n’a pas été entendue dans son désaccord : « (…) on a parfois l’impression de ne pas être entendus, quand on vous dit que cette dame là a été suivie et que pour nous elle a tous les critères de sécurité et d’accompagnement pour son enfant et d’autres fois où on se dit bah… Les équipes disent là on a quelques craintes mais il n’y a pas forcément un RIP derrière. Donc vous voyez y a des fois où les équipes se sentent un petit peu en désaccord avec le suivi ou les services sociaux (…) ».

Difficultés soulevées par la séparation mère-enfant

La séparation mère-enfant et parents-enfant a été mal vécue par l’ensemble des sages-femmes. Parmi les facteurs ayant pu influencer ce vécu nous avons retrouvé la projection de leurs représentations personnelles de mère et la violence de la réaction des parents à l’annonce du placement. Selon Martine Lamour, plus la séparation a lieu tôt dans la vie de l’enfant, moins bien elle est vécue par les professionnels : « Quand l’indication de placement est posée précocement, dans la première année de vie de l’enfant, elle est vécue encore plus difficilement par les professionnels, comme un échec voire comme un rapt. » . Le qualificatif de « rapt » a en effet pu être employé lors des entretiens, et les séparations évoquées ayant eu lieu dans les premiers jours de vie de l’enfant, elles étaient en effet majoritairement mal vécues par les sages-femmes.
Au-delà de ce constat, nous avons relevés dans les différents entretiens les facteurs facilitant l’acceptation de la décision de placement par la sage-femme : perception d’un danger immédiat pour l’enfant, avoir connaissance de carences éventuelles chez des aînés de la fratrie qui n’avaient pas été placés dès la naissance, constater des répercussion précoces des interactions mère-enfant pathologiques sur le nouveau-né (ex : évitement du regard maternel), participer aux synthèses pluridisciplinaires.
A l’inverse, nous avons également relevé les facteurs compliquant l’acceptation de la décision : le fait de ne pas avoir toutes les informations ayant conduit à l’ordonnance de placement et donc sa justification, ne pas être en accord avec l’évaluation faite par d’autres professionnels en amont du séjour, ne plus avoir de nouvelles de l’évolution de la situation par le futur, être face à une grande multipare ayant déjà de nombreux enfants placés.

Place et rôle perçus par la sage-femme dans la prise en charge

La difficulté la plus évoquée concernant le rôle de la sage-femme dans ces situations toutes particulières est celle de faire cohabiter leur mission de protection de l’enfance et celle de soutien à la parentalité. La peur de laisser un lien se créer, voire même de le soutenir, pour ensuite le rompre, du moins momentanément, est omniprésente. Pour tenter d’apporter un éclairage à cette problématique nous pouvons nous rapporter aux directives dictées par la dernière reforme de la protection de l’enfance . En effet, la loi du 5 mars 2007 prône « l’intérêt supérieur de l’enfant » . Mais comment cela se traduit-il dans les faits ? Certains auteurs de la protection de l’enfance en proposent cette interprétation : « Lorsque les intérêts de l’enfant sont antagoniques, comme par exemple le fait pour l’enfant de maintenir des liens avec ses parents mais également d’éviter qu’il souffre des attitudes de ses parents à son égard, les professionnels auront à trancher pour l’intérêt qui est le plus grand » . Il appartient donc à la sage-femme, dans l’exercice de sa mission de protection de l’enfance, d’évaluer le lien mère-enfant et le bien être du nouveau-né afin que le juge des enfants, si il est saisi, puisse, aux vues des éléments transmis, déterminer si l’intérêt supérieur de l’enfant serait l’ordonnance d’une mesure de placement provisoire ou le maintien dans son environnement.
Soutenir la mise en place de la parentalité fait partie du quotidien de la sage-femme, mais dans le cas des OPP, le fait que la protection de l’enfance prime sur le soutien à la parentalité vient perturber la représentation que se fait la sage-femme de son rôle auprès des patientes dans le service de maternité. « Dans cette période où le soutien précoce à la parentalité soulève beaucoup d’espoir, ces situations confrontent violemment le professionnel à un vécu d’impuissance et d’échec. » souligne Martine Lamour au sujet des décisions de placements d’enfants précoces .

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Table des matières

I – INTRODUCTION 
II – SITUATION CLINIQUE OBSERVEE 
III – METHODOLOGIE DE L’ETUDE
1) OBJET DE L’ETUDE
A. Problématique
B. Objectifs
2) MATERIEL ET METHODE
A. Etude
B. Population
C. Recrutement
3) OUTILS
IV – RESULTATS ET ANALYSE
1) PRESENTATION DE LA POPULATION INTERROGEE
2) LE VECU DE LA SAGE-FEMME
A. La relation soignant-soigné
B. La violence
C. Le ressenti des sages-femmes
D. L’acceptation
E. Iatrogénie du système ?
3) PLACE DE LA SAGE-FEMME DANS L’ACCOMPAGNEMENT DE CES PATIENTES
A. Rôle perçu par les sages-femmes
B. La collaboration interprofessionnelle
4) SOUHAITS ET AXES D’AMELIORATION
A. Mise en place de débriefings
B. Création d’un document commun à tous les professionnels
C. Participation des sages-femmes aux synthèses pluridisciplinaires
V – DISCUSSION 
1) PRINCIPAUX RESULTATS (TABLEAU SYNTHESE EN ANNEXE III)
2) LIMITES ET BIAIS DE L’ETUDE
3) LES POINTS FORTS DE L’ETUDE
4) DISCUSSION DES RESULTATS
A – Vécu de la sage-femme et relation soignant-soigné
B – Posture de la sage-femme
C – Des mères vulnérables
D – Difficultés soulevées par la séparation mère-enfant
E – Iatrogénie du système
F – Temporalité
G – Place et rôle perçus par la sage-femme dans la prise en charge
G – Collaboration interprofessionnelle
H – Souhaits et axes d’amélioration
5) PERSPECTIVES DE PERFECTIONNEMENT
6) PROPOSITIONS
VI – CONCLUSION
VII – REFERENCES
VIII – ANNEXES 
I – GUIDE D’ENTRETIEN
II – GRILLE D’ANALYSE
III – TABLEAU SYNTHESE DES PRINCIPAUX RESULTATS : »VECU DE LA SAGE-FEMME ; PLACE ET ROLE DE LA SAGE-FEMME »
RESUME

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