LA FOURNITURE DE COURANT RÉGULÉ
Les applications de fourniture de courant, régulé par des batteries électromécaniques, sont les applications nous intéressant le plus directement, puisqu’elles recoupent les objectifs de notre étude. Elles sont toutes stationnaires et consistent essentiellement :
– à sécuriser la distribution : fonction d’onduleur,
– à diminuer la puissance totale des moyens de production en utilisant les batteries comme éléments de fourniture complémentaire lors des pics de consommation : fonction d’écrêtage et de régulation,
– à servir d’intermédiaire entre différentes technologies de production, turbines éoliennes et groupes électrogènes à moteur diesel par exemple : fonction tampon. Cette dernière comprend aussi des aspects de sécurisation et de régulation de la fourniture. Ces applications se différencient aussi par les ordres de grandeur en capacité et en puissance envisagée. Par exemple, Schoenung et Burns 1996 [84] réalisent, pour un distributeur d’électricité de la région de New York (Niagara Mohawk Power Corporation), une évaluation des technologies envisageables pour sécuriser la fourniture en courant d’une usine ou d’une région, ou pour écrêter la consommation en courant d’une région pendant 30 jours consécutifs l’hiver. Les capacités envisagées vont de 8 kWh à 550 MWh, et de 10 à 100 MW. D’après les auteurs, les batteries électromécaniques forment une solution acceptable pour les deux premières applications, en association avec des générateurs diesels dans le second cas. Des applications avec des capacités d’accumulation plus modestes ou moins centralisées sont aussi envisagées pour l’écrêtage journalier des consommations par Kirk 1977 [23], Mann et al 1991 [52] et Hull 1997 [90]. D’un point de vue pratique, c’est dans le domaine de la production d’énergie sur les sites isolés que les batteries électromécaniques ont un impact le plus direct. Modern Power Systems, Infield 1994 [66] et Davies et al 1995 [71] présentent ainsi des dispositifs mis en place pour alimenter des habitations clairsemées des îles d’Écosse et du Pays de Galle. Dans un cas, les batteries ont essentiellement un rôle de régulation du courant pour en augmenter la qualité : constance et continuité de la tension. Dans l’autre, sur les petites îles, l’objectif principal est d’assurer qu’un maximum de l’énergie consommée est produit par les génératrices éoliennes installées in-situ. Les batteries ont alors un rôle tampon, utile lorsque la consommation est proche de la production. Dans une association avec des groupes électrogènes diesels, elles permettent de rentabiliser l’installation en limitant au maximum les démarrages des groupes. Elles filtrent les surconsommations, ou les sous-productions, de courte durée [66]. De plus, leur faible constante de temps permet ces mises en route en limitant les perturbations sur le réseau. Ce dernier point est particulièrement important lorsque le moyen complémentaire est relativement peu réactif, hydraulique, par exemple [71]. Une autonomie d’une dizaine de secondes à quelques minutes semble suffisante avec les groupes diesels. Ainsi, l’île Fair (Écosse) est-elle alimentée par une éolienne de 55 kW qui, après l’installation d’un volant d’inertie de type multi-anneaux, en fibres de verre et en fibres de kevlar, produisait de 80% à 90% de l’énergie consommée [42,71]. Une autre réalisation est proposée par Flanagan 1988 [39]. En adaptant un volant développé pour les véhicules hybrides, il définit une batterie tampon devant s’associer à des panneaux photovoltaïques alimentant des phares ou des balises sur les côtes canadiennes, Figure 1-4. Ce module, de 1000 W, pourrait servir aux autres applications de régulation pour sites isolés. Le volant utilise des matériaux composites à fibres de verre et de carbone. L’énergie accumulée est de 8,5 kWh, soit 45 Wh/kg pour le rotor. Il est dimensionné pour 100 000 cycles. Le temps de décharge minimal est de 8h30. Ce temps, très supérieur à ceux envisagés pour les associations avec les éoliennes, est à mettre en correspondance avec la durée des cycles de production des panneaux, à savoir 24 heures. La durée de vie prévue est de 20 ans, à raison de 250 cycles complets par an. Fradella 2000 [105] propose une autre réalisation basée sur un volant composite et devant s’associer à des moyens de production alternatifs.
Véhicules de transport
C’est dans le transport que l’on trouve le plus de projets intégrant un volant d’inertie, dans les transports en commun sous toutes leurs formes, et dans les véhicules personnels à propulsion hybride, électrique-thermique. Remarquons que, si ces applications font l’objet d’une grande majorité des études de la littérature, les applications réelles et commercialisées sont peu nombreuses. Quelques applications autonomes existent ou existaient, [28] pour les trains de mine du Royaume Uni et de l’ex URSS, par exemple. Un petit bus suisse urbain, l’Oerlikon, pendant 17 ans et avant 1940, a fonctionné sur un volant de 1500 kg et de 2 Wh/kg, également rechargé en station. Plus récemment, Darvill 1993 [58] présente un tramway tout électrique aussi rechargé en station : 25 personnes, volant de 250 kg basse vitesse, 4 km d’autonomie, 56 km/h maximum et 90 secondes de temps de recharge. Un modèle à l’échelle 1/3 semble avoir été présenté et testé en 1992. La crise pétrolière des années 70 a conduit de nombreux industriels et institutions publiques à envisager la récupération de l’énergie de freinage des véhicules en utilisant les performances en puissance des volants. Elle convient, plus particulièrement, aux moyens de transport en commun qui s’arrêtent fréquemment et qui sont peu gênés par la masse ajoutée. Nous retrouvons, ainsi, des essais sur des métros et des tramways, à New York, Boston ou Milan dans les années 70 [28]. Flanagan et Suokas 1976 [19] présentent une étude pour le métro de Toronto (volant acier de 11 Wh/kg). Les gains escomptés sur la consommation varient entre 14% et 26%. La récupération dans les bus est aussi envisagée, Brusaglino et al [33] pour Fiat (volant de 20 Wh/kg), Genta 1988 [40] et Küng et al 1992 [56], par exemple. Selon Ashley 1996 [77], deux bus ont été testés en Allemagne, sans pour autant être suivis d’une commercialisation. Des études sur des véhicules personnels hybrides (thermique et électrique) [62,28,75] ont été entreprises dès 71, aux États Unis et par Volvo et Volkswagen en Europe. Les batteries sont réalisées en modules de faible contenance, tournant éventuellement en sens contraire, afin de limiter les effets gyroscopiques. Plus récemment, ce sont des volants composites qui sont envisagés [63,81] et testés [57,88], en particulier par les équipes de Flanagan depuis le début des années 80 [32,36,48,99]. Actuellement, selon Ashley 1993 [57], l’utilisation des volants dans les véhicules de transport est principalement limitée par les aspects de sécurité, devenus prépondérants.
Étude 2D, isotrope, analytique et itérative
À la fin du 18ème siècle et au début du 19ème, si les volants d’inertie sont principalement utilisés pour la régulation de la vitesse de rotation, leur étude bénéficie des recherches sur les aubes des turbines à gaz qui imposent la définition de profils résistants. Les calculs des répartitions de contrainte et des caractéristiques énergétiques sont réalisés sous les hypothèses de contraintes planes et d’axisymétrie. La démarche consiste à décomposer le profil en éléments de base de comportement connu. Grubler 1906 [2] décompose la section en portions de courbe en puissance, solution complexe sans outil de calcul numérique. Donath 1912 [3] et Grammel 1936 [7] décomposent en anneaux de section constante, ce qui génère des discontinuités de profil et de contrainte. Bisshopp 1944 [8] utilise comme élément de base des cônes. Entre-temps, Stodola 1924 [5] (traduction anglaise [9]) fait un bilan des techniques et propose, comme structures optimales en énergie spécifique, les sections de forme exponentielle, pour les disques non percés, et les sections hyperboliques pour les volants possédant un passage d’axe. Cette technique permet d’assurer l’égalité des contraintes radiales et tangentielles et leur uniformité dans la structure. Dite isocontrainte, elle maximise l’utilisation de la matière et permet des vitesses de rotation importantes. Sa section conduit à un diamètre théorique infini, évidemment tronqué en pratique. La plupart de ces travaux sont de nouveau repris dans Timoshenko et Goodier 1934 [6] (traduction française [10]). Les auteurs font un tour d’horizon des connaissances en élasticité en ce premier tiers du 19ème siècle. De nombreux passages portent sur les systèmes tournants. Nous retrouvons ainsi la formulation en contrainte des problèmes 2D en coordonnées polaires puis sous l’hypothèse d’axisymétrie. Une formulation en fonction de force est aussi présentée, ainsi que l’exposé des résultats de Stodola sur les cylindres pleins ou creux de section constante, et sur ceux définis par une fonction en puissance. Il développe aussi une solution 3D approchée des contraintes dans un cylindre plein de section constante. C’est, enfin, une importante source de références bibliographiques. Dans son ouvrage de résistance des matériaux, Timoshenko 1956 [11] (traduction française [12]) propose aussi un mode de calcul pour les volants de type « roue à rayons », repris dans Curtis 1986 [35]. Les études analytiques se poursuivent jusqu’à aujourd’hui. Georgian 1989 [44] propose ainsi l’étude de la combinaison d’une géométrie isocontrainte avec un anneau de section constante, les deux parties pouvant être réalisées en matériaux différents
Utilisation des matériaux composites
Dans la même période, arrivent les premières études basées sur des matériaux composites à fibres longues, dont les caractéristiques spécifiques sont bien supérieures à celles des matériaux métalliques. Ils permettent la réalisation de batteries plus légères, utilisées dans le spatial pour le positionnement des satellites, et qui sont envisagées comme la solution idéale pour la récupération d’énergie, en particulier dans les transports. Deux démarches sont utilisées. Dans l’une, les auteurs supposent qu’un matériau équivalent isotrope peut être obtenu par le contrôle de l’orientation des fibres ou des couches de composites unidirectionnelles, Georgian 1989 [44] et [20,78]. Dans l’autre, ils recherchent et étudient des structures compatibles avec l’orientation privilégiée du matériau : anneaux fins, coques, fibres radiales. Cette dernière approche a permis la définition des volants utilisés aujourd’hui. Cependant, si les caractéristiques massiques de ces structures sont bonnes, elles sont relativement creuses, et la diminution de leur encombrement devient le principal enjeu et objectif des études. Rabenhorst 1974 [17] envisage l’assemblage de plusieurs anneaux fins, éventuellement lestés. La principale difficulté provient alors du maintien de la cohésion du volant, le déplacement radial étant proportionnel au carré du rayon des anneaux. Plusieurs solutions sont proposées. Elles utilisent des moyeux déformables ou interposent, entre les éléments, des anneaux souples, en élastomère, par exemple, Danfelt et al 1977 [22], Portnov 1989 [46]. Ces études sont généralement conduites autour de processus d’optimisation. Les résultats analytiques 2D du comportement mécanique des anneaux avec matrice obtenus par enroulement sont présentés par Danfelt et al 1977 [22], Kaftanoglu et al 1989 [45] et Curtis et al 1995 [70]. Ils font apparaître deux modes de rupture, le critère dimensionnant s’appliquant indépendamment dans les directions principales d’orthotropie : rupture tangentielle brutale, intervenant généralement au diamètre intérieur de l’anneau, et rupture de la matrice au cœur du volant, prépondérant dès que l’épaisseur de l’anneau devient importante. Ces structures sont étudiées en détail par Portnov 1989 [46], qui envisage différentes stratégies pour améliorer les performances, en particulier la densité d’énergie : contrôle de la tension du fil lors de la réalisation par bobinage, contrôle du champ thermique lors de la fabrication et, surtout,utilisation de plusieurs anneaux frettés et collés. Cette dernière technique fait aussi appel à des processus d’optimisation, réalisés à partir des équations analytiques par Kaftanoglu et al 1989 [45] et Ha et Tsai 1996 [79], suivant divers critères.
EXEMPLE : LES VOLANTS CYLINDRIQUES
Avant de généraliser l’étude, nous illustrons nos propos, les différentes définitions et notions utilisées, en les appliquant à des volants de géométrie simple mais largement utilisés : les volants cylindriques de section constante, pleins ou creux, réalisés en matériau homogène isotrope. Le paramétrage de la géométrie est défini Figure 2-1 (a). Il comprend le rayon extérieur R, le rayon intérieur Ri et la hauteur sur l’axe H. Pour un rayon intérieur nul, le cylindre est supposé plein. Il est constitué d’un unique matériau homogène isotrope élastique linéaire, défini par sa masse volumique ρ, son module de Young E et son coefficient de Poisson ν. Ce volant tourne autour de son axe d’axisymétrie ( , ) O z! , fixe dans un référentiel galiléen. La vitesse angulaire est notée ω et l’accélération angulaire ω » . L’entraînement est modélisé par un champ d’effort surfacique, tangentiel et uniforme, τa, appliqué sur la surface interne ou externe. Il est aussi soumis à des champs de pressions uniformes : Pe sur la surface externe et, éventuellement, Pi sur la surface interne. Ceci permet de modéliser les effets d’autres composants, aimants situés sur la surface intérieure, par exemple, ou son assemblage avec d’autres structures. Nous reprenons ici les résultats de Timoshenko 1948 [10] et Timoshenko 1968 [12] qui reposent sur une modélisation en contrainte plane. La validité de cette hypothèse est d’autant plus valable que la hauteur du volant est faible devant son rayon.
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Table des matières
PRINCIPALES NOTATIONS
PRÉSENTATION
CHAPITRE 1 : LES BATTERIES ÉLECTROMÉCANIQUES
I. Principes et constituants
I.A. Batterie électromécanique
I.B. Les composants
I.C. Les principales caractéristiques
II. Applications
II.A. La fourniture de courant régulé
II.B. Les autres applications
II.C. Comparatif
III. Technologies des constituants
III.A. Le volant
III.B. Le moteur-générateur
III.C. Les paliers
III.D. Les éléments de sécurité
IV. Structures et intégration
V. Conclusion
CHAPITRE 2 : FAMILLES DE VOLANTS ET DIMENSIONNEMENT
I. Définition et propriétés des familles de volants
I.A. Exemple : les volants cylindriques
I.B. Définitions
I.C. Propriétés des familles de volants
I.D. Propriétés dans le domaine élastique linéaire
II. Vitesse maximale, capacités énergétiques
II.A. Coefficient de contrainte et vitesse maximale en limite d’élasticité
II.B. Coefficients énergétiques du volant
II.C. Dimensionnement en limite d’endurance
CHAPITRE 3 : CARACTÉRISATION DES VOLANTS
I. Réalisations en matériaux métalliques
I.A. Caractéristiques des différentes géométries en limite élastique
I.B. Surfaces de Pareto et domaines de solutions
II. Réalisations en matériaux céramiques
II.A. Dimensionnement des céramiques
II.B. Application aux volants
III. Réalisations en matériaux composites
III.A. Matériaux de référence
III.B. Anneaux de section constante
III.C. Amélioration par remplissage et domaines de solutions
IV. Bilan métaux et composites
IV.A. Caractéristiques énergétiques
IV.B. Estimation du prix
V. Puissance extractible
CHAPITRE 4 : BATTERIES DE RÉGULATION
I. Caractéristiques énergétiques
I.A. Applications et cahier des charges d’un module
I.B. Rendements, pertes et énergie cinétique maximale
II. Prédimensionnement des composants
II.A. Le volant
II.B. Le convertisseur électromagnétique
II.C. Les paliers
II.D. Éléments complémentaires
III. Structure et performances
III.A. Structure de la batterie
III.B. Caractérisation électromécanique en puissance
III.C. Prédimensionnement en puissance et énergie, sous contrainte d’inertie
IV. Optimisation géométrique du convertisseur
IV.A. Optimisations 2D
IV.B. Frettage
IV.C. Optimisations 3D
V. Autofrettage rotatif
V.A. Caractérisation de l’autofrettage rotatif
V.B. Gain sur critère élastique
V.C. Modification de la limite d’endurance
VI. Prototype d’étude
VI.A. Cahier des charges
VI.B. Dimensions générales
VI.C. Paliers et équilibrage
VI.D. Réalisation
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
ANNEXES
I. Équations 2D
II. Volants cylindriques en rotation uniforme : formulaire
II.A. Matériaux isotropes
II.B. Matériaux orthotropes transverses
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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