La spintronique est un domaine de la physique exploitant à la fois les propriétés électriques et magnétiques des électrons. En effet, contrairement à l’électronique qui considère uniquement la charge de l’électron dans un champ électrique, la spintronique repose sur la manipulation de son spin. Ces dernières dizaines d’années, plusieurs briques technologiques sont d’ailleurs nées de ce domaine. Par exemple, l’enregistrement magnétique utilise l’aimantation des matériaux ferromagnétiques (F) pour le stockage de l’information. Dans les années 80, le développement des nanotechnologies, et plus particulièrement la maîtrise des dépôts métalliques de fines épaisseurs (couches de quelques nanomètres) ont permis de mettre au point des matériaux exploitant les propriétés de spin de l’électron. Ces technologies sont notamment à l’origine de la découverte de la magnétorésistance géante (GMR) dans des couches monocristallines par A. Fert et P. Grunberg en 1988. Ces travaux ont ensuite ouvert la voie à de nouveaux champs de recherche tels que le contrôle efficace du déplacement des électrons en agissant sur leur spin via le contrôle de l’orientation de l’aimantation [1]. Le développement de nouvelles technologies basées sur le spin de l’électron s’est alors accéléré. Dans le cas des matériaux ferromagnétiques associés aux matériaux métalliques ou isolants, des applications remarquables connues dans le domaine de l’enregistrement magnétique (tête de lecture) et des mémoires non volatiles (MRAM) ont vu le jour. Le domaine de l’électronique de spin s’est également développé autour d’autres applications telles que la magnétorésistance tunnel [2][3][4], le renversement d’aimantation par transfert de spin [5][6], les oscillateurs GHz à transfert de spin [7], le transport de spin dans des structures latérales métalliques [8], semi-conductrices [9] et organiques [10].
De nombreuses applications innovantes sont encore à l’étude. En particulier, les communications rapides par codage du spin [11] pourraient représenter une nouvelle rupture technologique dans le domaine des communications optiques, dans un contexte où la montée en débit et la miniaturisation des composants sont des axes de développement prioritaires. La cryptographie quantique avec la synthèse de Qbits et de nouvelles fonctions de traitement logique de l’information n’en sont que d’autres exemples.
Malgré tous les avantages que peut offrir la spintronique, son intégration à plus grande échelle est souvent limitée par les phénomènes de relaxation du spin. En particulier, le transport de l’information en spin sur de longues distances (supérieures à la centaine de micromètres) représente un véritable « challenge ». En effet, des processus de décohérence du spin opèrent dans les matériaux d’intérêt (métaux, graphène…) et limitent la distance de transport de l’information de spin entre deux composants. En parallèle, l’électronique de spin dans des matériaux à semi conducteur (SC) a progressé de manière similaire et a connu un certain nombre d’avancées majeures durant ces dix dernières années. Une des applications directes de l’électronique de spin dans un semi-conducteur est le transport de l’information en spin sur de longues distances. En effet, il devient possible de transférer le spin de l’électron d’un matériau ferromagnétique vers la polarisation d’un faisceau lumineux [12]. En particulier, l’injection d’électrons polarisés en spin dans un semi-conducteur à gap direct induit l’émission de photons possédant une polarisation circulaire. Plus précisément, il est possible de transposer l’information sur l’orientation du spin électronique (« up » ou « down ») en une information sur l’état de la polarisation optique (circulaire gauche ou droite). Dans ce cas, l’information en spin se retrouve donc codée sur la polarisation du faisceau lumineux. En faisant l’hypothèse que le faisceau lumineux est généré par un laser, nous pouvons donc imaginer transporter l’information en spin sur plusieurs kilomètres sans que celle-ci ne subisse d’altérations. Une illustration de la chaîne de transfert de l’information codée sur le spin de l’électron vers la polarisation de la lumière est présentée en Figure 1. Un système optoélectronique actif (ou source optique cohérente) est placé à côté d’un dispositif codant l’information sur le spin des électrons que nous souhaitons transmettre à une autre unité de calcul. La conversion spin → polarisation lumineuse se produit alors grâce à cette source de photons. À l’autre bout, un détecteur sensible à la polarisation de la lumière permet de reconvertir la polarisation en information codée sur le spin. Le deuxième dispositif utilisant le spin peut alors récupérer cette information codée et la transmettre à l’unité de calcul située à côté. Dans ce cas, les deux dispositifs en spin peuvent se trouver à plusieurs centimètres, mètres voire kilomètres l’un de l’autre. Dans cette chaîne, deux défis technologiques surviennent : les développements (i) d’une source laser dans laquelle la polarisation optique est contrôlée par le spin électronique injecté et (ii) d’un détecteur de spin convertissant l’information codée en degré de polarisation optique en information codée en spin électronique.
DISPOSITIFS OPTOELECTRONIQUES INJECTES EN SPIN
Injection de spin dans un semi-conducteur
Tout d’abord, commençons par rappeler le fonctionnement d’une LED ou d’un laser à SC. Ce sont des dispositifs optoélectroniques dont le milieu actif est un SC émettant un rayonnement lumineux lorsqu’ils sont parcourus par un courant électrique. Dans ces derniers, les électrons de haute énergie et les trous peuvent se recombiner de façon radiative ou non-radiative. Dans cette thèse, seuls les aspects radiatifs seront traités. Dans le premier cas, l’énergie E libérée par la recombinaison de la paire électron/trou donne naissance à un photon d’énergie équivalente et de fréquence ν telle que E = h ∙ ν, où h est la constante de Planck. Deux processus de désexcitation radiative sont possibles : l’émission spontanée ou l’émission stimulée. Dans le premier cas, le photon créé est émis avec un vecteur d’onde aléatoire, c’est-à-dire avec une direction et une phase aléatoire. Dans le second cas, le processus de désexcitation est déclenché par un photon incident ; le photon « jumeau » créé, émis dans la même direction, possède la même phase que le photon incident. En pratique, le processus radiatif opérant majoritairement dans une LED est l’émission spontanée. À l’inverse, dans un laser, la cavité du résonateur permet de favoriser l’émission stimulée.
Structure de bandes d’un matériau SC
Une LED est composée d’une hétérojonction à SC incluant une zone dopée N (excès d’électrons) et une zone dopée P (déficit d’électrons) séparées par une zone intrinsèque. Cette structure, appelée diode n-i-p, est représentée schématiquement en Figure 3. Lorsque la LED est alimentée électriquement, les processus de relaxation décrits précédemment s’opèrent dans la zone intrinsèque.
Intéressons-nous maintenant à la structure de bande d’un SC. Les états d’énergie des électrons et des trous sont répartis en bande d’énergie tels que représentés en Figure 4. Ces bandes sont soit accessibles (bande de conduction notée BC ou bande de valence notée BV) soit inaccessibles (bande interdite). Dans la suite de ce chapitre, nous considèrerons que le vecteur d’onde est nul (soit lorsque ││k││ = 0). De même, nous ne considèrerons que les processus de relaxation radiatifs des paires électron/trou ; nous garderons cependant en tête que des processus de relaxation non-radiatifs se produisent aussi, conduisant un électron de la bande de conduction à rejoindre la bande de valence sans émission de photon. Dans la suite de cette thèse, nous nous intéresserons uniquement aux matériaux SC à gap direct, c’est-à-dire lorsque le minimum de la bande de conduction et le maximum de la bande de valence sont alignés. Nous nous intéresserons plus particulièrement au cas de l’arséniure de gallium, noté GaAs, et du phosphore d’indium, noté InP. Ces deux derniers sont en effet très utilisés dans la conception des sources laser ou des détecteurs. La fabrication et l’ingénierie de ces matériaux permettent notamment d’atteindre les longueurs d’onde pour les transmissions courtes distances (750-980 nm) avec le GaAs ou encore les longueurs télécoms (1,3 µm et 1,5 µm) avec l’InP.
Spin-LED et spin-laser à pompage électrique
Injecteur ferromagnétique
L’injection de porteurs polarisés en spin dans la bande de conduction peut être effectuée par pompage électrique. Pour cela, Aronov et Pikus ont prédit théoriquement en 1976 que les matériaux ferromagnétiques possédaient des propriétés intéressantes pour le transport du spin [20]. Ces matériaux s’aimantent sous l’effet d’un champ magnétique extérieur et conservent cette aimantation lorsque le matériau est soumis à une température inférieure à leur température de Curie Tc. De plus, lorsqu’un courant d’électrons non polarisés traverse une telle structure, le degré de polarisation en spin des électrons va être modifié. En effet, seuls les électrons dont le spin est orienté selon l’aimantation du champ magnétique extérieur vont traverser le matériau ferromagnétique. Ce dernier agit donc comme un polariseur de spin (cf. Figure 7).
En 1999, une expérience d’injection d’électrons polarisés en spin d’un ferromagnétique (F) vers un SC a été réalisée [21][22]. Cependant, le taux de polarisation du spin électronique dans le semi-conducteur était extrêmement faible (inférieur au pourcent). En 2000, Schmidt et al. ont démontré que le transfert d’électrons polarisés en spin d’un matériau F vers un matériau SC était soumis à un désaccord d’impédance entre les deux matériaux. Ce dernier s’explique par une relaxation du spin plus rapide au travers de l’élément F en comparaison de l’élément SC. Ceci pouvait donc expliquer la faible valeur du degré de polarisation du spin électronique rapportée dans l’expérience précédente [23].
La polarisation est donc maximale lorsque rb ≫ {rF, rSC} . Ainsi, le degré de polarisation en spin du courant tend vers une valeur donnée par le paramètre γ. Afin de respecter cette condition et pour obtenir une asymétrie en spin γ importante, deux types de structure peuvent être utilisés : une jonction tunnel ou une barrière Schottky. La première consiste à insérer une couche mince isolante entre le F et le SC [30]. Cette couche crée une barrière de potentielle à travers laquelle les électrons doivent passer par effet tunnel. La seconde consiste à doper fortement le SC sur une petite épaisseur et à déposer directement le ferromagnétique sur la partie dopée. Les électrons polarisés en spin sont injectés par effet tunnel à travers la barrière de potentiel créée. Des études complètes décrivant les avantages de chacune des deux barrières sont décrites dans les références [31][32]. Nous noterons que, contrairement à la jonction tunnel, la barrière Schottky nécessite davantage d’ingénierie des matériaux pour déterminer précisément les concentrations des dopants à utiliser.
Les travaux présentés dans le cadre de cette thèse s’appuient sur le savoir-faire de l’Unité Mixte de Recherches CNRS-Thales portant sur les matériaux ferromagnétiques utilisant une jonction tunnel. Ainsi, en considérant l’évolution de la polarisation du courant dans le F et le SC dans le cas où rb n’est pas nul, nous constatons que l’information n’est pas complétement perdue à l’interface F/SC. En effet, grâce au respect de l’accord d’impédance entre les deux milieux, un faible pourcentage du courant polarisé est atteint dans le SC (cf. Figure 10).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I : DISPOSITIFS OPTOELECTRONIQUES INJECTES EN SPIN
I. INTRODUCTION
II. INJECTION DE SPIN DANS UN SEMI-CONDUCTEUR
II.1. Structure de bandes d’un matériau SC
II.2. Règles de sélection quantique
II.3. Efficacité d’injection de spin
III. SPIN-LED ET SPIN-LASER A POMPAGE ELECTRIQUE
III.1. Injecteur ferromagnétique
III.2. Spin-LED : technologie et état de l’art
III.3. Spin-laser : technologie et état de l’art
IV. INJECTION DE SPIN PAR POMPAGE OPTIQUE
IV.1. Pompage optique pour l’injection de spin
IV.2. Spin-VCSEL à pompage optique : état de l’art
IV.3. Facteurs limitant l’injection de spin
V. MODELE DE SPIN FLIP
V.1. Présentation
V.2. Dynamique
V.3. Réduction de seuil
V.4. Limitations
VI. CONCLUSION
CHAPITRE II : INJECTION DE SPIN DANS UN VECSEL PAR POMPAGE ELECTRIQUE
I. INTRODUCTION
II. INJECTEUR FERROMAGETIQUE ET STRUCTURE SC
II.1. L’injecteur ferromagnétique
II.2. Contact électrique
II.3. La structure III-V
II.4. Processus de fabrication du spin-laser
II.5. Caractéristique du contact électrique
III. RESULTATS PRELIMINAIRES ET IDENTIFICATION DES LIMITATIONS
III.1. Fabrication du spin-VECSEL
III.2. Caractérisation spectrale
III.3. Caractérisation électrique
IV. AMELIORATION DE LA STRUCTURE SC ET RESULTATS EXPERIMENTAUX
IV.1. Nouvelle structure III-V
IV.2. Caractérisation spectrale après dépôt du ferromagnétique
IV.3. Gravure et lithographie
IV.4. Contact électrique
IV.5. Caractérisation spectrale après lithographie
IV.6. Caractérisation électrique
V. MODIFICATION DE LA TECHNIQUE DE LITHOGRAPHIE ET RESULTATS EXPERIMENTAUX
V.1. Amélioration du procédé de lithographie
V.2. Caractérisation spectrale après dépôt du ferromagnétique
V.3. Caractérisation spectrale après lithographie
V.4. Caractérisation électrique
V.5. Caractérisation optique
VI. CONCLUSION
CHAPITRE III : ANALYSE DE L’IMPACT DE LA BIREFRINGENCE LINEAIRE DE PHASE SUR LES ETATS PROPRES D’UN SPIN-LASER
I. INTRODUCTION
II. DESCRIPTION DU MODELE VECTORIEL
II.1. Identification des paramètres du modèle
II.2. Description du formalisme
II.3. Étude des cas particuliers
II.4. Résumé
III. COMPENSATION DE LA BIREFRINGENCE LINEAIRE DE PHASE
III.1. État de l’art
III.2. Description du montage expérimental
III.3. Compensation de la biréfringence linéaire de phase
IV. ROLE DE LA CONSTANTE DE COUPLAGE NON-LINEAIRE
IV.1. Les deux états propres oscillent : ?D ≠ ? et ?G ≠ ?
IV.2. Seule la polarisation circulaire droite oscille : ?D ≠ ? et ?G = ?
IV.3. Seule la polarisation circulaire gauche oscille : ?D = ? et ?L ≠ ?
IV.4. Résumé
V. INJECTION DE SPIN
VI. CONCLUSION
CHAPITRE IV : ANALYSE DE L’IMPACT DU DICHROÏSME LINEAIRE DE GAIN SUR LES ETATS PROPRES D’UN SPIN-LASER
I. INTRODUCTION
II. ÉTUDE DU DICHROÏSME LINEAIRE DE GAIN
II.1. Impact sur la polarisation du laser
II.2. Mesure du dichroïsme linéaire de gain
III. DESCRIPTION DU MODELE VECTORIEL A TROIS PARAMETRES
III.1. Utilisation du formalisme de Jones
III.2. Etude des cas particuliers
IV. VALIDATION EXPERIMENTALE DU MODELE
V. INJECTION DE SPIN
V.1. Réduction du seuil
V.2. Modification de l’état propre de polarisation
VI. CONCLUSION
CONCLUSION GENERALE
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