Le cadre réglementaire pour la production d’électricité a beaucoup évolué ces trois dernières décennies en raison de la volonté de libéralisation généralisée de l’ensemble des secteurs de l’économie et ce mouvement devrait se poursuivre. Dans ce contexte, la question de l’investissement dans une centrale de production , déjà délicate au départ car elle doit être prise bien avant que l’ensemble des informations administratives, techniques et économiques soient connues, s’en trouve complexifiée. Ce contexte réglementaire est plus instable encore pour les centrales de production renouvelable, souvent placées sous le feu croisé des politiques promouvant les mesures contre le réchauffement climatique, la préservation du système existant ou bien la libéralisation accrue du secteur de l’électricité. En se basant sur les changements réglementaires impactant la rémunération des centrales de production d’électricité, et en particulier les moyens de production renouvelable, nous nous intéressons dans ce travail de thèse à la question de l’investissement pour des centrales éoliennes, dans le cadre d’une participation au marché de l’électricité comme unique source de revenu, sans subventions .
Développement des places de marchés pour la gestion du système électrique
Quelques caractéristiques des marchés de l’électricité
Le secteur de l’électricité est de plus en plus géré par le biais de places de marchés, et notamment en ce qui concerne le marché de gros, où ont lieu les échanges entre les producteurs et les fournisseurs ou gros consommateurs d’électricité. Les raisons en sont politiques et économiques, du fait d’un mouvement prônant la libéralisation de tous les secteurs de l’économie.
Ces opérations parfois plus financières que correspondant à une réalité physique, représentent un volume encore minoritaire vis-à-vis des volumes d’énergie globalement échangés, mais elles en constituent une part grandissante. En 2010 par exemple, [146] indique que les transactions réalisées sur le marché de gros représentaient environ 30% du volume total échangé pour la France. De plus, le nombre de pays se dotant de places de marché grandit, augmentant en même temps le volume potentiel échangé. Par ailleurs, les volontés pour libéraliser le plus possible ce secteur économique font apparaitre de nouveaux mécanismes pour tenter d’obtenir une gestion complète (de la gestion en temps réel des opérations, à la planification des investissements) par le marché qui soit autoportante. Avant de donner davantage de détails sur quelques types de transaction représentées dans les places de marché, nous pouvons rappeler que ces mécanismes sont en encore en phase d’évolution et de modifications rapides, et qu’il s’agit d’une question complexe au vu du nombre d’acteurs impliqués (régulateurs et du fait de la dé intégration, producteurs, transporteurs, fournisseurs…), des interdépendances entre marchés, et des différentes échelles de décision (locales, nationales, régionales comme en Europe par exemple). Nous allons à présent voir quelques types d’opérations gérées par les marchés de l’électricité sous forme de transactions financières (obligatoires ou non). Pour chaque type de transaction envisagée, nous commencerons par détailler les objectifs et le fonctionnement du mécanisme en question. Nous pouvons tout d’abord faire une distinction entre les transactions « forward » qui sont conclues avant la livraison des produits échangés (le plus souvent des quantités d’énergie), et celles qui concernent les flux physiques, en temps réel. Ainsi nous pouvons dissocier les marchés « forward » comprenant : les « futures » (décrits dans les annexes de ce manuscrit), le « Day-ahead » et le marché infra journalier (également décrit en annexe), du marché en temps réel et des transactions qui ont lieu après les opérations physiques, correspondant au mécanisme d’ajustement. Ensuite, nous pouvons effectuer une autre différence entre ces opérations, qui concernent l’échange de volumes d’énergie uniquement (« energy only »), et celles qui servent à assurer la bonne marche du système. Il s’agit des services système mais aussi des mécanismes de capacités (tous deux décrits dans les annexes de ce manuscrit), ou encore des adaptations liées à la gestion des contraintes de réseau électrique par le biais du marché .
Transactions « forward »
Au sein des produits « forward » ayant vocation à organiser à l’avance les opérations du système, nous pouvons distinguer deux grands types de transactions, qui portent sur deux types de produits : les produits à terme, ou « futures », et les produits «spot», concernant des produits journaliers « Day-ahead » ou infrajournaliers. Contrairement au marché de produit à terme, l’objectif poursuivi par les marchés à court terme comme le « Day-ahead » est d’introduire de la flexibilité dans le système. En effet, à des échéances plus proches du temps réel, les participants, qu’ils soient producteurs ou consommateurs, disposent d’informations supplémentaires qu’il peut être intéressant d’exploiter, telles que des données météorologiques impactant la production, des données de pannes… Ainsi, le marché « Day-ahead » propose d’échanger des produits journaliers, de la veille pour le lendemain. L’augmentation des besoins en flexibilité, que ce soit du fait d’une demande ou d’une production (comme les sources d’énergie d’origine renouvelable) plus variable, tend à faire augmenter le volume échangé sur ces places de marché.
Marché en temps réel et mécanisme d’ajustement
Les transactions réalisées en amont des opérations physiques sur le système électrique ne sont pas toujours parfaitement représentatives des opérations en temps réel, que ce soit du fait d’erreurs de prévisions pour les productions renouvelables ou les consommateurs, d’aléas comme les pannes, ou bien de stratégies de la part des participants. Une gestion des déséquilibres doit alors être effectuée en temps réel pour ne pas provoquer l’effondrement du système . Cette gestion, implique des frais pour le gestionnaire de réseau, généralement responsable du maintien de l’équilibre du système, et ces frais doivent être compensés. En l’occurrence, ils sont répercutés sur les responsables des déviations , selon des mécanismes propres à chaque marché. Une distinction peut être faite entre les pénalités versées pour un écart positif (surproduction par rapport aux niveaux prévus) et pour un écart négatif (sous-production par rapport aux niveaux prévus). En effet, les écarts positifs sont rémunérés (mais le prix perçu peut être bas voire négatif, ce qui correspondra alors à une perte sèche dès que le prix sera inférieur au coût de la production), tandis que les écarts négatifs correspondent à des dépenses (le prix pour ces écarts peut alors être élevé).
Dans un contexte libéralisé, on peut distinguer deux mécanismes pour assurer cette gestion des déséquilibres par le biais du marché.
Marché temps réel
Ce mécanisme consiste à utiliser un marché en temps réel pour effectuer les transactions assurant l’équilibre entre l’offre (les injections) et la demande (les soutirages). Comme le fait remarquer [94], c’est la seule place de marché où des flux physiques réels sont échangés. Les interactions entre ce marché et le « forward » ont été notamment abordées par [58, 153, 117]. Le prix de ce marché sert alors de base pour fixer la compensation due par les participants qui ont introduit un écart. Cela revient à les obliger à acheter directement la quantité manquante sur le marché pour compenser le déséquilibre qu’ils ont introduit. Ce mécanisme est plutôt utilisé aux États-Unis, au sein du marché PJM par exemple.
Mécanisme d’ajustement
Le deuxième mécanisme consiste à attribuer a posteriori une véritable pénalité aux participants ayant introduit un écart sur le système. Ainsi, elle n’est pas simplement basée sur un prix de marché, mais peut être calculée avec différentes méthodes selon le système considéré. Le coût moyen de la régulation, son prix marginal, un prix de marché « Day-ahead », ou un prix de marché infra-journalier peuvent ainsi être utilisés pour déterminer cette pénalité . Il s’agit du système le plus favorisé en Europe et c’est par exemple le système utilisé en France et en Belgique où des pénalités, ou bien une redevance administrative, est versée pour les écarts introduits, tandis que les Pays-Bas utilisent un système plus proche du marché en temps réel [94]. Avec ce système de pénalités, les participants au marché « Day ahead » deviennent des responsables d’équilibre (« balancing responsible party » en anglais). On peut distinguer deux types de règles pour la détermination de la pénalité dans les mécanismes d’ajustement.
« single pricing » Le premier système, basé sur un prix unique, constitue un intermédiaire avec le système basé sur le prix en temps réel. Ce « single pricing»[163] est appliqué dans les pays scandinaves pour les écarts sur la demande ou en Allemagne, en Autriche, et en Hongrie. La Croatie utilise également des prix infra-journaliers pour les écarts dans les deux sens, peu importe le sens de déséquilibre du système.
« dual pricing » Au sein de ce système, non seulement le sens de l’écart pour le participant (positif ou négatif) est considéré dans la détermination de la pénalité du producteur qui a introduit un déséquilibre, mais le sens de déséquilibre du système également. Ainsi la pénalité pourra être fixée en prenant en compte :
— le sens de l’écart vis-à-vis de l’état du système (l’améliore-t-il ou l’empire-t-il ? [163]);
— la valeur de l’écart, s’il dépasse un seuil défini;
— le type de produit considéré : certains pays séparent en effet la production et la consommation pour l’équilibrage.
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Table des matières
1 Contexte et problématique de la thèse
1.1 Introduction
1.2 Développement des places de marchés pour la gestion du système électrique
1.3 Rémunération des productions éoliennes
1.4 Problématique, objectifs de la thèse, organisation du manuscrit et dissémination de ce travail de thèse
2 Rôle des caractéristiques de production éolienne dans la formation de leur revenu
2.1 Introduction
2.2 Méthodologie, hypothèses et formulation du modèle utilisé
2.3 Rôle de la prédictibilité dans la décision d’investissement comparativement au facteur de charge
2.3.1 Description du cas d’étude utilisé
2.3.2 Lien entre facteur de charge et prédictibilité
2.3.3 Résultats sur le rôle du facteur de charge et de la prédictibilité pour le revenu éolien
2.4 Estimateur du revenu des producteurs éoliens
2.4.1 Formulation simplifiée du revenu moyen
2.4.2 Cas d’étude pour la validation empirique de l’approximation
2.4.3 Utilisation de l’estimateur pour le calcul du revenu sur d’autres marchés
2.5 Estimation du rôle du facteur de charge dans la formation du revenu des producteurs éoliens
2.5.1 Calcul analytique
2.5.2 Application numérique
2.6 Conclusions
3 Modélisation du problème d’investissement éolien incluant la formulation du problème de marché pour la détermination des prix et des pénalités
3.1 Introduction
3.2 Méthodologie et présentation des hypothèses .
3.3 Formulation du problème mathématique
3.4 Simplification du problème mathématique
3.4.1 Nécessité d’une reformulation du problème
3.4.2 Simplification du problème
3.5 Mise en place de l’algorithme de résolution
3.5.1 Présentation de la décomposition de Benders
3.5.2 Application à notre problème
3.6 Sélection du ratio de disponibilité en « Day-ahead » β
3.7 Test du modèle sur un cas d’étude issu de la littérature
3.7.1 Avant-propos sur le calcul
3.7.2 Hypothèses de travail
3.7.3 Présentation du cas d’étude
3.7.4 Résultats
3.7.5 Analyse de sensibilité pour le producteur
3.8 Conclusions
4 Rôle de la prédictibilité dans un contexte prospectif
4.1 Introduction
4.2 Méthodologie adoptée
4.2.1 Principe
4.2.2 Détail sur la configuration des données éoliennes
4.3 Sensibilité de l’investissement éolien aux différents paramètres d’intérêt
4.3.1 Données pour le modèle paramétré : description du cas d’étude
4.3.2 Résultats principaux
4.4 Conclusions
5 Conclusion
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