Période d’après-guerre : le Plan d’urgence Social, avec l’étude de cas « Gran San Blas »
La guerre civile espagnole prit fin avec la prise de Madrid par les troupes de Franco le 26 mars 1939. S’en ai suivi une période de troubles et de répressions jusqu’en 1943. Les premières mesures sur le logement social, mises en place par le gouvernement, dès les années 1940 (création de l’Institut National du Logement, promulgation des lois des « viviendas protegidas », puis « viviendas bonificables »), sont aujourd’hui encore les bases (un peu modifiées, certes) du logement social en Espagne. Et pourtant, lors de leur mise en place, les résultats étaient peu probants et n’endiguèrent pas le problème de logement à Madrid et en Espagne. Il fallu attendre 1951 pour apercevoir une réelle volonté de faire évoluer le logement social, date qui coïncide avec l’ouverture de l’Espagne et la fin de l’autarcie. En effet, nous verrons que ce changement politique a mis un coup d’accélérateur aux différentes actions du gouvernement pour résoudre le problème de logement. Les actions et programmes du gouvernement qui seront développés dans la première sous-partie de ce chapitre, donnant ainsi une vision à l’échelle urbaine de la ville de Madrid. La deuxième sous-partie, s’organise quant à elle à l’échelle du quartier, et plus particulièrement celui de l’opération Gran San Blas, étude de cas de cette partie avec la vision des habitants mais aussi celle des architectes. La troisième sous-partie s’attarde sur les nouveautés, les particularités des logements sociaux proposés par les architectes des « supermanzanas » de Gran San Blas.
Construire la périphérie de Madrid (1939-1960/70)
Face au bilan morose des premières années du nouveau régime (entre 1939 et 1951), où le problème du manque de logement n’a pas été résolu, mais plutôt aggravé avec le phénomène d’exode rural, des nouvelles actions ont été lancées. En effet, sur cette période de 12 ans, seulement 35 015 logements ont été construits à Madrid : de 130 logements construits par an en 1940 à 7 300 logements construits en 1950, avec une nette augmentation à partir de 1945 (plus de 4 000 logements par an). Sur ces 35 000 logements, plus de 22 000 ont été construits par la OSH (Obra sindical del Hogar y de la arquitectura), organisme qui a dépendu du Ministère du Gouvernement puis du Logement jusqu’en 1960. Nous remarquons donc qu’une grande partie de la construction de nouveaux logements est d’origine publique et que peu d’investisseurs privés s’engagent dans l’amélioration des conditions de vie des Madrilènes et plus généralement des Espagnols. L’augmentation du nombre de logements construits est loin d’être suffisante. Pour cela, le gouvernement a mis en place le Plan d’Urgence Social (« Plan de Urgencia Social ») en 1959 . De ce plan, l’OSH émet des objectifs tels que :
– la construction de 20 000 logements sociaux, dont 10 000 concentrés dans le projet de Gran San Blas,
– le développement des villes satellites, idée qui a vu le jour dès « el Plan de Ordenacion de 1946 »,
– la gestion des plans de la Commission de peuplements (« Planes de la Comisaria de los poblados »).
« Ciudades satélites » ou « nucleos satélites » est la principale action du gouvernement sur cette période. Le concept est d’étendre les zones urbanisées de Madrid avec des noyaux urbains périphériques ; dans un premier temps, déconnectés du centre de Madrid (zone non urbanisée entre les deux) mais reliés par un réseau de communication, essentiellement un réseau routier. La zone non urbanisée serait progressivement construite, pour former une aire urbaine sans interruption. On peut se demander, pour quelles raisons, les politiques ont choisi de construire en périphérie de Madrid.
Tout simplement pour des raisons économiques, les terrains construits lors des programmes des villes satellites étaient moins chers, faisant partie initialement de la ceinture verte de la ville.
« El Plan de Poblados Satélites » de 1950, recense 5 zones à urbaniser : Manoteras, Canillas, San Blas, Palomeras, et Villaverde. Lors de la première étape du plan, celles-ci englobent 235 hectares à urbaniser et 27 000 logements à construire soit l’arrivée de 125 000 nouveaux habitants. En 1952, le plan est augmenté aux noyaux de Penagrande, Vicalvaro et Carabanchel. Les constructions les plus importantes sont à San Blas, Vicalvaro avec chacune 5 000 logements et Carabanchel avec 6 000 logements lors de la première phase.
La politique des villes satellites a été menée de front avec l’extension de la ville de Madrid. En effet
de 1940 à 1953, Madrid a absorbé treize communes limitrophes ( Chamartin de la Rosa, Crabanchel Bajo, Carabanchel Alto, Barajas de Madrid, Hortaleza, Canillas, Canillejas, Aravaca, Vicalvaro, Fuencarral, Vallecas, El Pardo, et Villaverde) et certaines de ces communes ont fait partie de la politique des villes satellites, éloignant ainsi les habitants du centre historique pour densifier sa périphérie. Cette extension de la ville a permis d’accueillir les nouveaux arrivants dû à la révolution industrielle et à l’exode rural. Madrid a multiplié par 10 sa superficie sur cette période, passant de 66 km² à 607 km².
Pendant cette année d’Erasmus, j’ai pu arpenter la ville de Madrid. Je n’avais pas forcément eu l’impression d’être dans une si grande ville, jusqu’à ce que je réalise les premières visites de sites pour mon mémoire. Celles-ci m’ont, en quelque sorte, obligée à sortir de ce centre historique. En effet, la taille du centre historique de Madrid est similaire à celle de la ville de Nantes. Lorsque qu’on ne visite que le centre, on n’a pas l’impression d’être dans la troisième plus grande ville d’Europe (en fonction du nombre d’habitants). Rares sont les rues du centre historique, où j’ai pu observer des édifices à plus de 5 étages. J’ai pu apercevoir une nette différence entre ce centre historique et touristique et les quartiers périphériques, où les constructions sont plus hautes, moins touristiques car surtout résidentielles et souvent moins bien entretenues.
Une autre politique de cette période est celle des « poblados », [sorte d’unité voisinale, de projet résidentiel de promotion publique] qui commença avec divers projets dès 1950, qui ont fait référence par la suite. A partir de 1954/1955, ces peuplements prennent en compte les nouvelles normes des logements sociaux (revenu limité, revenu réduit ou minimal) dans leur élaboration. Par ailleurs, ces projets ont pu faire appel à des architectes importants ou des jeunes qui allaient le devenir. Pour certains historiens, cette période recense les meilleurs projets de logements sociaux en Espagne.
Différentes typologies de « poblados » existent : la plus répandue « el poblado dirigido » correspond à un projet pour loger l’émigration des personnes venues habiter sur Madrid ; les nouveaux habitants achetaient le terrain, payaient le coût de la construction et offraient parfois leur service à la construction, grâce à l’aide de subvention, d’où le nom parfois de « viviendas subvencionadas ». Le second type de « poblado » est celui d’absorption qui avait pour objectif de reloger les personnes vivants dans des bidonvilles, les logements n’étaient pas vendus mais loués et de type social. Deux autres types de « poblados » existaient, mais en nombre inférieur aux précédents, « los poblados minimos » et « los poblados agricolas ». Le premier consiste à louer des logements temporaires de dimensions minimales et aux services élémentaires, le second est quant à lui un groupement de logements loué avec un patio pour usage agricole mais qui le plus souvent servait de pièce supplémentaire.
Les premiers « poblados dirigidos » ont été construits sous la houlette de l’architecte espagnol Francisco Javier Saenz de Oiza, grand spécialiste du logement social. On peut citer « los poblados dirigidos » de Fuencarral, de Canillas, de Orcasitas pour ses réalisations principales des années 1950. Cette notion de « poblado », de colonie a évolué dès 1957, avec l’arrivée d’une nouvelle génération « de poblados dirigidos ». Les caractéristiques architecturales et structurelles de ces derniers, ont pris un tout autre chemin.
«Supermanzanas» et concepts rationalistes
Tout d’abord, une brève description du projet Gran San Blas s’impose. Avec ses sept « supermanzanas », et s’étendant sur plus de 100 hectares (88 hectares en excluant le parc de San Blas à l’ouest des constructions), le projet est l’exemple même d’une construction du mouvement moderne. Il est divisé en parcelles ou « supermanzanas » D, E, F, G et le centre civique et commercial. S’y ajoutent en 1959, les parcelles H et San Blas 2. La parcelle du centre civique et commercial est située au milieu des parcelles de logements. A l’heure actuelle, elle comprend un centre commercial de proximité, un supermarché, une pompe à essence, un centre de police, la caserne des pompiers et des parkings. A l’ouest de celle-ci, les « supermanzanas » D et E, toutes deux construites par l’équipe de l’architecte Rafael Aburto.
Ces deux parcelles ont été pensées de manière à créer une enceinte (bâtiment barre) qui forme le contour des parcelles. A l’intérieur de cette enceinte, des blocs d’habitations (même module répété) sont alignés ou perpendiculaires à l’enceinte. La hauteur des barres varie de 3 étages à 5 étages.
La particularité de ces deux parcelles est la volonté des architectes de créer une rue commerçante (commerces au rez de chaussée des barres) entre la parcelle D et E (calle Amposta). A noter une variation au sud de la parcelle D, les commerces ne se situent pas uniquement sur les barres périphériques de la parcelle, mais aussi au sein de petites places au rez de chaussée. La « supermanzana » F est la plus variée au niveau des types de logements, tant au niveau des caractéristiques sociales, qu’architecturales. L’équipe d’architectes qui a travaillé sur cette parcelle est composée de Manuel Barbero (directeur de l’équipe), de Rafael de la Joya, de Vicente Benlloch et de Francisco Riestra. La multiplicité des types vient du fait que chaque architecte a réalisé un ou deux types différents de constructions, le tout agencé dans une même parcelle. La particularité de cette parcelle, mise à part la variété, est la succession de trois petites places, regroupant quasi l’ensemble des commerces et services de la parcelle.
La parcelle G, située au nord du centre civique et commercial, a été édifiée par l’équipe d’architectes dirigée par Luis Gutiérrez Soto et composée par Julio Cano Lasso, Jose Antonio Corrales et Ramon Vazquez Molezun. La « supermanzana » est composée d’une succession de blocs décalés et en son centre, de quatre barres abritant des logements duplex et des commerces en rez-de-chaussée. La parcelle H et San Blas 2, sont aujourd’hui totalement différentes de leur état initial. Elles ont été déconstruites intégralement en 1979, avec le programme « barrios en remodelacion » (abordé dans la deuxième partie), pour être reconstruite par une nouvelle équipe d’architectes ; C. Sanchez-Casas et F. Pena Pereda. Construites en 1959, avec les préceptes du style rationaliste, c’est à dire une succession de barres alignées ou perpendiculaires de cinq étages, la parcelle H est aujourd’hui composée d’édifices de 11 étages en brique, où deux modules associés forment un hexagone à branche.
Rafael Aburto explique sa composition pour permettre une meilleure exposition et couper les vents du nord « Los mismos principios se aplican a los dos parcelas, con un bloque siempre muy largo, que coge casi las dos parcelas, uno para la E, otro para la D, para cortar los vientos Norte. Con este sistema, las calles dan a uno de los bloques el sol por la manana y al otro por la tarde. » (Les mêmes principes s’appliquent aux deux parcelles, avec un bloc toujours très long, qui court quasi sur les deux parcelles, l’un pour la parcelle E et un autre pour la parcelle D, pour couper les vents venant du nord. Avec ce système, les rues donnent à un des blocs (entendre côté du bloc) le soleil le matin et à l’autre l’après-midi). Lui et son équipe, pensaient lors de l’élaboration des plans, à construire un « unidad vecindad», avec des équipements, des services, sorte de petit village. Cependant, il indique « qu’en principe, dans la parcelle D, la « place » était pensée pour construire une église, qui par la suite fut supprimée du programme », laissant ainsi un espace sans fonction. Aujourd’hui, la place centrale est arborée, dotée de jeux pour enfants et l’église est située à l’est de la parcelle, proche de la rue Amposta.
Dans la continuité de cette idée de petit village, les rues intérieures (appelées « callecitas » par l’architecte) ont été pensé comme des prolongations des logements, permettant plus d’échange avec les voisins. La rue est tellement étroite qu’il est facile de parler à son voisin d’en face d’une fenêtre à l’autre. Pour Rafael Aburto, cette étroitesse n’est pas un problème tant qu’il y a les deux cas de figures, une rue étroite sur les pièces de vie et une rue plus importante qui donnent sur les pièces plus privées, comme les chambres.
Ce n’est cependant pas l’opinion du couple de personnes retraitées, avec lequel j’ai pu parler. En effet, pour Pilar (l’épouse du couple), les façades sont trop proches, et cela crée des désagréments dans la vie quotidienne, « les petites rues ont des points positifs, on n’a pas trop de soleil l’aprèsmidi, avec l’ombre des logements voisins [ils habitent au premier étage], mais euh .. c’est autre chose le soir, c’est qu’il y a beaucoup de bruits, surtout vous savez les espagnols, ils parlent fort [Rire], alors il ne faut pas compter sur les jours de match [de football] pour se reposer ». Pilar mentionne aussi que cela peut créer des relations de voisinage un peu tendues, elle n’a pas de soucis, ces voisins sont relativement bienveillants, mais elle a entendu parler que ce n’était pas le cas de tous.
L’autre souci avec ces rues étroites, mentionné par l’architecte après construction, est qu’elles ne sont pas adaptées à la circulation de voiture. En effet dans le programme initial, il n’était pas demandé que chaque logement ait une place de parking. Cependant aujourd’hui, la prédominance de l’utilisation de véhicule particulier pour se déplacer à Madrid n’est plus à prouver, surtout pour les quartiers périphériques. Pour le couple habitant la parcelle D, les qualités du quartier sont la présence de commerce de proximité, dans la rue Amposta et sur la place de la parcelle D, et puis aussi les espaces verts. « On est satisfait de l’endroit où se situe notre logement dans la parcelle D, on n’est pas loin de la rue Amposta, du coup c’est pratique pour faire de petits courses, lorsqu’il me manque quelques choses pour une recette ou autre. C’est vrai aujourd’hui, certains commerçants partent [ une partie des locaux commerciaux sont fermés], d’ailleurs ils sont de plus en plus nombreux j’ai l’impression, mais avec ceux qui restent c’est suffisant selon moi. […] C’est vrai que le parc n’est pas loin, on n’y va pas souvent, mais il est agréable, même l’été il y a de l’ombre ». Ils regrettent cependant que la parcelle D soit moins arborée que la E, donnant l’impression d’un espace urbain moins accueillant.
Pour Hernando (mari de Pilar), la présence de l’église sur la parcelle est importante ; « l’église c’est le lieu des rencontres, je suis sûr que chaque dimanche, je vais croiser des voisins et amis que je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer dans la semaine, ça permet de garder contact ». Un peu étonnée, je lui demande si c’est une histoire de génération, et si les jeunes vont aussi à la messe pour voir leurs amis, il me répond « [Rire] oui c’est peut être juste parce qu’on est vieux, les plus jeunes se regroupent souvent sur les terrains de basket [de la parcelle E], et les jeunes en âge de travailler sont plus à se retrouver au bar du coin, pour boire un verre et manger des tapas ».
Passons maintenant à l’étude urbaine de la parcelle F. Cette dernière est la plus variée dans sa composition avec pas moins de 6 typologies de constructions différentes (beaucoup plus encore pour les typologies de logements sociaux). Les quatre architectes de cette parcelle, ont abordé le programme, avec une certaine vision, celui du problème humain. C’est une notion assez vague de l’architecte Barbero qui l’explique dans un entretien réalisé et retranscrit dans l’ouvrage « Gran San Blas, analisis sociourbanistico de un barrio nuevo » avec un exemple. « Le prix de construction était très bas, 965 pesetas le m² construit. Dans une réunion que nous avons eu avec Gutiérrez Soto [architecte parcelle G], il disait que ce n’était pas possible de construire les logements sociaux avec ce prix imposé. Dans tous les cas, nous, nous n’avons pas utilisé de sommes supplémentaires.
Il y avait deux prix, 965 pesetas pour les logements sociaux de type social [niveau le plus bas], et 1 300 pesetas pour les logements de type revenu limité, avec 1 300 pesetas c’est quasi trop, on a donc demandé à l’OSH (Obra sindical del Hogar) de mixer les deux types de logements, pour en quelques sortes financer la partie manquante des logements de type social avec les logements de type revenu limité ». En associant les deux types de logements, les architectes de la parcelle F ont pu réaliser des logements un peu plus cher à la construction, mais de meilleure qualité. Ils ont ainsi éviter de construire des logements qui n’auraient pas dépassé les 965 pesetas mais qui n’auraient pas amélioré les conditions de vie des Madrilènes. Un autre point important pour Barbero est la création d’un espace de rencontre, qui selon lui ne peut pas se créer dans une rue longitudinale. Cette pensée est à l’origine des trois places, au nord de la parcelle.
Pour la famille interrogée, habitant la parcelle F, ces trois places sont le coeur de cette dernière. Le jeune couple et leur enfant apprécie la proximité des commerces avec l’air de jeux pour enfant (proche de la sortie de métro San Blas, au nord des places). Ils précisent que l’un des parents peut faire les courses pendant que l’autre surveille le petit jouer. Pour Maria, la bouche de métro située sur la parcelle F est un atout, « Quand je me rends au travail, je fais seulement 150 mètres pour atteindre le métro, et après celui-ci m’amène jusqu’au centre de Madrid, où je travaille comme vendeuse dans une boutique. Le trajet dure moins de 30 minutes. A la rentée je pourrais accompagner mon fils à l’école avant d’aller travailler, c’est l’avantage d’avoir l’école, et plus tard le collège, à proximité ». Pour Fran, tout n’est pas parfait, il regrette que l’ensemble du projet n’est pas pris en compte l’arrivée de la voiture dans la vie des ménages espagnoles. « Je ne sais pas exactement quand ça a été construit mais les voitures circulaient déjà, je ne comprends vraiment pas pourquoi, il n’y a rien eu de prévu pour le stationnement. Dans notre rue à partir de 17h c’est pas la peine de chercher une place pour se garer. La plupart du temps, je me gare assez loin, trop loin ». Il regrette de devoir prendre sa voiture pour aller travailler, mais il n’a pas le choix selon lui, le quartier Gran San Blas est un quartier dortoir, il n’y a pas de travail dans son domaine, n’y dans beaucoup d’autres d’ailleurs, précise-t-il.
Dernière parcelle de logement, la parcelle G, est située au nord du groupement Gran San Blas. Les architectes (Gutiérrez Soto, Cano Lasso, Antonio Corrales, et Vazquez Molezun) ont choisi, eux aussi de créer une centralité, comme les architectes de la parcelle F. Cependant ils ne la créent pas avec un système de place rectangulaire mais une plate-forme surélevée, où quatre barres avec commerces en rez-de-chaussée sont installées. Mais la particularité de cette parcelle est surtout due au décalage entre les modules, créant des lignes de logements en zigzag. L’architecte Cano Lasso explique dans son entretien la raison de cette forme. « Au vu du contexte on a eu envie de prendre en compte la topographie du terrain. […] Il y avait des courbes de niveau bien définis… et ça paraissait naturel de situer les modules le long de ces courbes de niveau, qui donnaient un axe Nord- Sud, pour éviter de grands mouvements de terrain. Mais d’autre part, cela influençait l’orientation et l’ensoleillement. A suivre l’axe Nord-Sud des courbes de niveau, nous avions des façades à l’ouest et des façades à l’est… ces orientations ne sont pas bonnes … à Madrid ; surtout la façade à l’ouest. Pour améliorer les conditions des logements, on voulait une orientation sud-ouest. On a résolu cela avec le système en pique ».
Assumpta et Jaime habitent avec leurs deux enfants, dans ces modules décalés, de la parcelle G, non loin de la plate-forme surélevée. « Ce quartier est vraiment bien pour une famille, il y a des écoles [parcelles F & G], des commerces de proximité, que ce soient au pied des barres, ou dans la rue Amposta, un centre sportif avec piscine et terrains de sport [parcelle H], on a de quoi occuper les enfants. Ah et il y a aussi le centre culturel dans le parc [Auditorio Parque El Paraiso], où il y a des concert l’été, ça nous est arrivé d’y aller une ou deux fois » indique Assumpta. Pour Jaime, le quartier a encore des progrès à faire ; « l’entretien c’est pas toujours ça, je parle pas des espaces verts non, ça c’est encore autre chose, car avec le soleil de Madrid, l’herbe pousse pas si c’est pas arrosé ; mais plutôt de la propreté des trottoirs, de l’entretien des logements et espaces communs. Et encore nous, dans notre zone [fait référence à la parcelle G], ça va encore, ils ont aménagé certains édifices pour que les fauteuils roulants puissent atteindre les étages supérieurs, c’est pas le cas pour tous… Ils ont refait aussi les façades [avant revêtement en brique], mais à certains endroits il y a des trous, je pense pas que ce soit dû à la mauvaise qualité du matériau, mais plutôt dû à des dégradations. Il pourrait aussi refaire certains pavement de trottoirs, car certains se décollent et on butte dessus, c’est un truc à tomber par terre ».
Gran San Blas, le refus du patio
Le patio est un élément phare du logement en Espagne. Il est en effet présent, dans les « poblados » de Saenz de Oiza, ou encore aujourd’hui dans les barres de logements plus récentes, transformé en puits de lumière pour les étages supérieurs au rez-de-chaussée. Dans le quartier de Gran San Blas, aucun logement construit n’a de pièce donnant sur un patio, et pour cause le programme interdisait l’utilisation du patio. Les architectes des quatre parcelles résidentielles ont donc dû penser leurs logements sans.
Les parcelles D et E, construites par l’équipe de Rafael Aburto, répètent un module de logement de base, avec de légères variations. Chaque palier distribue deux logements. Le logement est organisé autour d’un couloir qui distribue, du côté de la rue la plus étroite, les pièces de vie communes (salon-salle à manger), la cuisine et la salle de bain ; et du côté de la rue la plus large, qui offre donc plus d’intimité par rapport aux voisins d’en face, les chambres. Il existe une variante, celle où habitent Pilar et Hernando, où une des chambres donne sur la rue la plus étroite. Pour ces derniers la circulation est intéressante dans ce logement ; « C’est vrai que le couloir est bien utile, ça évite de traverser une pièce pour accéder à une autre. Bon, après le fond du couloir est un peu sombre, surtout si on cherche quelques choses dans l’armoire, on doit allumer les lumières » commente Pilar. Autre avantage de leur appartement, il est plutôt grand pour un couple. « On a la chance d’avoir trois chambres, enfin deux qu’on utilise en tant que chambres aujourd’hui. La dernière sert de rangement car elle est très longue et un peu étroite. Quand nos enfants étaient jeunes et vivaient à la maison, elle était vraiment difficile à aménager. Mais bon aujourd’hui on n’en a pas l’utilité, la deuxième chambre sert quand on garde nos petits enfants. Après pour le reste de l’appartement, la salle de bain donne l’impression qu’elle a été aménagée dans un couloir, elle n’est pas forcément très pratique. […] Et la cuisine, bon on va dire qu’il manque quelques rangements, mais on fait avec, je cuisine que pour deux, ça va encore ». Ils sont plutôt satisfaits de leur logement, situé au premier étage, malgré une cloison fine avec leurs voisins. Ils pensent qu’ils vont rester là jusqu’à qu’ils n’arrivent plus à monter les escaliers, après il faudra envisager de déménager, mais précisent-ils « pas très loin de celui-ci, sinon nous serons perdus »
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Table des matières
Introduction
Première Partie : Période d’après-guerre : le Plan d’urgence Social, avec l’étude de cas « Gran San Blas »
1.1. Construire la périphérie de Madrid
1.2. «Supermanzanas» et conceptes rationalistes
1.3. Gran San Blas, le refus du patio
Deuxième Partie : Opération «Barrios en remodelacion» sous un nouveau contexte politique
2.1. Une acupuncture urbaine
2.2. Des constructions isolées, tours et barres forment le nouveau horizon de Palomeras Sureste
2.3. Gagner en hauteur pour augmenter la qualité des logements?
Troisième Partie : Années 2000, nouveau cap pour le logement social à Madrid avec les PAUs
3.1. Création des PAUs «Programa de Actuacion Urbanistica», un programme de grande envergure, dans un contexte immobilier au beau-fixe
3.2. Retour à la «Manzana abierta»
3.3. Une évolution des logements sociaux sous l’égide d’architectes renommés
3.4. «Crisis del ladrillo», la construction du logement ralentie en Espagne
Conclusion
Annexes
Liste des entretiens réalisés
Vues aériennes des trois études de cas
Bibliographie
Crédits photographiques
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