Ontogénie, différenciation et fonctions des LT CD4+
Rôle du système immunitaire contre le développement des cancers
Depuis maintenant plus d‘un siècle, il est clairement établi que le SI (Système Immunitaire) joue un rôle essentiel dans le développement et le contrôle des tumeurs. Initialement proposé par Paul Erlich en 1909, le concept d‘immunosurveillance des tumeurs n‘a été repris que près de 50 ans plus tard par Sir MacFarlane Burnet et Lewis Thomas. Dans les années 1980, la découverte du TCR (T-Cell Receptor) a permis une meilleure compréhension de la biologie des LT (Lymphocytes T), acteurs majeurs de cette réponse antitumorale, permettant ainsi une meilleure compréhension de ce concept (Hedrick et al., 1984). Peu de temps après, les travaux de Steven Rosenberg, un des pionniers de l‘immunothérapie moderne, ont permis d‘apporter les premières preuves expérimentales concrètes de l‘implication du SI dans l‘élimination des tumeurs grâce aux travaux de son équipe chez la souris mais surtout à travers des essais cliniques chez l‘homme (Spiess et al., 1987; Rosenberg et al., 1988). De manière concomitante, des antigènes de tumeur reconnus par les LT ont été identifiés (van der Bruggen et al., 1991).
Il a été démontré que l‘incidence des cancers était plus élevée chez des personnes immunodéficientes ou traitées par immunosuppresseurs que chez des personnes immunocompétentes (Dunn et al., 2004). L‘immunosurveillance correspond à la reconnaissance des cellules cancéreuses par les cellules du SI inné puis à leur élimination par les cellules du SI inné et adaptatif, via l‘action de LT spécifiques d‘antigènes de tumeur (cf chapitre IV, section B). Néanmoins, des personnes immunocompétentes peuvent développer des cancers, suggérant que le concept d‘immunosurveillance des tumeurs ne permet pas, à lui seul, de caractériser précisément la réponse du SI. En effet, ce concept fait, en réalité, partie intégrante du concept plus général d‘immunoediting, dans lequel le SI exerce une pression de sélection sur la tumeur. L‘immunoediting est composé de trois phases : (i) la phase d‘immunosurveillance, (ii) la phase d‘équilibre, dans laquelle toutes les cellules tumorales ne sont pas détruites par le SI et (iii) la phase d‘échappement des cellules tumorales qui aboutit à la croissance tumorale (Dunn et al., 2004).
Plus récemment, il a été proposé par Jérôme Galon et Franck Pagès un nouvel outil permettant une évaluation quantitative de la réponse immunitaire au cours des cancers : l‘Immunoscore. Cet outil a été développé à partir d‘une analyse des LT dans la tumeur (TIL, Tumor Infiltrating Lymphocytes), suggèrant que les TIL CD3+ /CD8+ seraient un très bon indicateur du pronostic concernant la survie globale du patient. En effet, en utilisant des grandes cohortes de patients atteints de cancer colorectal, ils ont démontré qu‘une forte densité de ces TIL était associée à un meilleur pronostic (Galon et al., 2006). A partir du nombre de cellules immunitaires CD3+ /CD8+ infiltrant la tumeur, un score clinique, appelé Immunoscore, a été mis au point pour permettre de classer les différents stades évolutifs de la tumeur. L‘Immunoscore vient en complément de la classification TNM (T, tumeur primitive ; N, ganglion lymphatique (node) ; M, métastase) afin d‘assurer une meilleure caractérisation des tumeurs permettant ainsi l‘optimisation de la prise en charge des patients (Galon et al., 2012, 2017). Cette méthode de classification a été récemment approuvée par l‘ensemble des membres de la communauté scientifique internationale pour la classification des cancers colorectaux (Pagès et al., 2018).
En raison de son rôle majeur dans la réponse anti-tumorale, le SI fait désormais partie intégrante des nouveaux critères à prendre en compte dans la biologie des cancers, les « hallmarks of cancer » (Hanahan & Weinberg, 2011). Des thérapies anti-cancéreuses basées sur l‘utilisation du SI ont donc été développées, communément appelées immunothérapies anti-tumorales. De plus, pour preuve de leur efficacité, l‘une d‘entre elles basée sur l‘inhibition de molécules régulant négativement la réponse adaptative a fait l‘objet du prix Nobel de Physiologie Médecine 2018, décerné aux Professeurs James Allison et Tasuku Honjo.
Ontogénie des LT CD4+ : sélection thymique et génération des LT naïfs
Les LT sont issus de progéniteurs ayant pour origine la moelle osseuse, qui vont ensuite rejoindre le thymus où ils vont progressivement se différencier et acquérir un TCR fonctionnel, capable de reconnaître des antigènes étrangers sans réagir contre les antigènes du soi. Il existe deux types de TCR, le TCR αβ, le plus fréquent et qui est exprimé par les LT αβ, et le TCR γδ, exprimé par les LT γδ. Brièvement, en ce qui concerne le TCR αβ, celui-ci est formé par l‘association d‘une chaîne α et d‘une chaîne β qui sont reliées entre elles par un pont di-sulfure. Ces chaînes possèdent toutes deux une région constante, proche de la membrane plasmique, et une région distale variable. Il est important de noter qu‘au cours de la maturation des cellules T dans le thymus, les gènes codant ces régions variables, et plus précisément certains fragments de gènes, vont subir des processus de réarrangement et d‘assemblage : c‘est la recombinaison V(D)J (Variable, (D)iversity, Joining). Ces réarrangements géniques, aléatoires, impliquent notamment les enzymes RAG-1 et RAG-2 (Recombination Activating Gene), et vont participer à la diversité considérable du répertoire T, capable de reconnaître une multitude d‘antigènes étrangers (Ebert et al., 2015; Laydon et al., 2015). Concernant ces régions variables, l‘hyper-variabilité est particulièrement localisée sur trois domaines, appelés CDR 1, 2 et 3 (Complementarity Determining Region). La molécule du CMH (Complexe Majeur d‘Histocompatibilité) est reconnue par les domaines CDR1 et CDR2 tandis que le domaine CDR3, étant le domaine le plus variable, permet la reconnaissance de l‘antigène.
Lors de l‘acquisition du TCR, les thymocytes immatures et les LT double négatifs vont également acquérir l‘expression des molécules CD4 et CD8. Ces cellules sont appelées lymphocytes double positifs. Au cours de leur maturation, les LT vont majoritairement conserver l‘expression d‘un seul co-récepteur, devenant ainsi des LT appelés simple positifs. Dans le thymus, cette maturation des cellules T se fait via deux grands processus biologiques : la sélection positive et la sélection négative. La sélection positive repose sur la capacité des LT à reconnaître les complexes CMH/peptide du soi avec une affinité suffisante. Les LT reconnaissant les molécules du CMH de classe I (CMH-I) exprimeront le co-récepteur CD8 alors que les LT reconnaissant les molécules du CMH de classe II (CMH-II) exprimeront le co-récepteur CD4.
Ces co-récepteurs ont notamment pour rôle de stabiliser l‘interaction entre les complexes CMH/peptide et les TCR. Durant cette phase de sélection positive, les LT ne reconnaissant pas les complexes CMH (du soi)/peptide, ou ceux possédant une affinité trop faible, seront éliminés par apoptose. Les cellules ayant survécu à cette première phase de sélection vont ensuite subir une seconde phase de sélection négative dans laquelle les LT présentant une trop forte affinité vis-à-vis des antigènes du soi seront éliminés. La sélection négative évite la libération de LT auto-réactifs dans la circulation, pouvant entraîner des maladies auto-immunes (Takaba & Takayanagi, 2017). Au final, on considère que moins de 5% des thymocytes initiaux rempliront les critères de sélection pour constituer les LT naïfs. Ces LT naïfs vont ensuite quitter le thymus pour rejoindre la périphérie et circuleront entre le sang et les organes lymphoïdes secondaires, où en interagissant avec des CPA (Cellules Présentatrices d‘Antigène) professionnelles, telles que les DC (Dendritic Cells), ils recevront les signaux nécessaires pour devenir des LT activés.
Les LT CD4+
Les LT CD4+ effecteurs
Il existe plusieurs sous-populations de LT CD4+ effectrices appelées cellules Th (helper T cells). La nature de l‘antigène reconnu et les cytokines de l‘environnement contrôlent la différenciation des différents lignages T CD4+ . Ils sont caractérisés par un programme transcriptionnel, par l‘expression de marqueurs phénotypiques et par la sécrétion de cytokines effectrices .
Cas particulier des LT double positifs et les LT double négatifs
Certaines populations de LT doubles positif (CD8+/CD4+) sont retrouvées en périphérie. En conditions physiologiques, elles représentent 1 à 2% des LT circulants. Une augmentation de cette fréquence a été rapportée dans certains cancers, tels que les mélanomes, les cancers du sein, mais aussi dans les cancers colorectaux (Desfrançois et al., 2009, 2010; Sarrabayrouse et al., 2011). Le rôle précis de ces cellules n‘est pas encore entièrement caractérisé à l‘heure actuelle, mais elles ont déjà été décrites comme des cellules activées présentant un phénotype de LT mémoires effecteurs (Nascimbeni et al., 2004, 2011).
En revanche, elles ont également été décrites comme possédant des propriétés régulatrices (Szczepanik et al., 2005), même si des études récentes tendent plutôt à confirmer le phénotype mémoire et la fonction anti-tumorale de ces LT CD8+/CD4+ se trouvant en périphérie (Parrot et al., 2016; Clénet et al., 2017). Des LT double négatifs (CD8-/CD4- ) sont aussi retrouvés en périphérie. Ils constituent près de 1% des LT circulants (Fischer et al., 2005). Ces cellules ont été historiquement associées aux syndromes lymphoprolifératifs chez la souris et chez l‘homme (Martina et al., 2015). Selon les données de la littérature, leur fonction reste mal caractérisée. Dans les mélanomes, des études confèrent à ces cellules un rôle pro-tumoral alors que d‘autres leur confèrent un rôle anti-tumoral. Des LT double négatifs régulateurs, à activité suppressive, spécifiques de l‘antigène de tumeur Melan-A/MART-1 (Melanoma Antigen Recognized by T cells 1) ont déjà été décrits (Fischer et al., 2005). En revanche, des LT CD8- /CD4- spécifiques de l‘antigène gp100 (glycoprotein 100) ont aussi été identifiés chez un patient atteint de mélanome et ces cellules circulantes contribuaient directement à la réponse immunitaire antitumorale (Voelkl et al., 2009).
|
Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre I – Ontogénie, différenciation et fonctions des LT CD4+
A- Ontogénie des LT CD4+ : sélection thymique et génération des LT naïfs
B- Les LT CD4+
1) Les LT CD4+ effecteurs
a) Cas particulier des LT double positifs et les LT double négatifs
b) Les lymphocytes Th1
c) Les lymphocytes Th2
d) Les lymphocytes Th9
e) Les lymphocytes Th17
f) Les lymphocytes Tfh
g) Les lymphocytes Th22
h) Les lymphocytes T CD4+ cytotoxiques
2) Les lymphocytes T CD4+ régulateurs
C- Les LT mémoires
1) Les sous-populations de LT mémoires
a) Les LT mémoires souches (TSCM)
b) Les LT mémoires centraux (TCM)
c) Les LT mémoires transitionnels (TTM)
d) Les LT mémoires effecteurs (TEM)
e) Les LT mémoires résidents (TRM)
2) Différenciation des LT mémoires
Chapitre II- Activation des LT CD4+
A- Signal 1 : présentation de l’antigène par les molécules HLA-II
1) Les molécules HLA-II
2) Voie exogène de présentation de l’antigène
3) Voie endogène de présentation de l’antigène
a) Les voies autophagiques
b) Les voies non-autophagiques
c) Exemple de l’antigène NY-ESO-1
d) Conclusion
4) Le transfert de membrane (cross-dressing)
a) Cross-dressing direct
b) Cross-dressing indirect
c) Conclusion
5) Epissage des peptides
a) Epissage des peptides T CD8+
b) Epissage des peptides T CD4+
B- Signal 2 : molécules de costimulation
1) La superfamille des immunoglobulines (SF-Ig)
a) CD28/B7.1 et B7.2
b) CTLA-4/B7.1 et B7.2
c) PD-1/PD-L1 et PD-L2
d) ICOS/ICOSL
2) La superfamille des récepteurs au TNF (TNFRSF)
a) CD27/CD70
b) HVEM/LIGHT
c) OX40/OX40L
d) 4-1BB/41BBL
3) La famille des molécules TIM
a) Voie TIM-1
b) Voie TIM-2
c) Voie TIM-3
d) Voie TIM-4
C- Signal 3 : les cytokines
1) L’IL-2
2) L’IL-7
3) L’IL-15
Chapitre III – Nature des antigènes tumoraux
A- Les antigènes partagés
1) Les antigènes de différenciation
2) Les antigènes CT (Cancer Testis) ou antigènes germinaux
3) Les antigènes surexprimés
B- Les antigènes viraux et les néoantigènes
1) Les antigènes viraux
2) Les néoantigènes
Chapitre IV- Stratégies d’immunothérapie cellulaire dans les cancers : rôle majeur des LT CD4+
A- Systèmes artificiels de présentation de l’antigène pour activer des LT CD4+ humains
1) Systèmes acellulaires de présentation de l’antigène
a) Les billes magnétiques
b) Les liposomes et les exosomes
2) Systèmes cellulaires de présentation de l’antigène
a) Les cellules présentatrices d’antigène artificielles allogéniques
b) Les cellules présentatrices d’antigène artificielles xénogéniques
B- Immunothérapie cellulaire adoptive dans les cancers
1) Les LT non modifiés
2) Les LT modifiés génétiquement
a) Les CAR-T cells
b) Les LT à TCR transgéniques
CONCLUSION